En RDC, une personne a été tuée lors d’une manifestation de l’opposition réprimée par la police. Le même jour s’ouvrait la campagne pour l’élection présidentielle, théoriquement fixée au 28 novembre 2011.
Résumé
Cet article analyse le déroulement des élections présidentielles et législatives de novembre 2011 en République démocratique du Congo. Elles ont été jugées calamiteuses par les observateurs qui pensent néanmoins qu’elles ne remettent pas en cause le résultat de l’élection présidentielle. Face à ce constat, la question est de savoir si l’on est en présence de déficiences techniques dans l’organisation du scrutin, ou bien d’une volonté délibérée de le fausser. L’étude des résultats publiés par la commission nationale indépendante, comparés à ceux de l’élection présidentielle de 2006, et leur cartographie, apportent des éléments d’appréciation du contexte électoral en RDC, des oppositions politiques et des clivages ethno-régionaux. Cela pose in fine la question de l’articulation entre processus électoral et démocratie dans les sociétés africaines en recherche de modes spécifiques d’exercice du pouvoir.
Texte intégral
Les observateurs sont unanimes : les élections couplées, présidentielle et législative, de novembre 2011 en RDC ont été calamiteuses. Pires que celles de 2006. La Fondation Carter, la Commission européenne, les États-Unis, la France, la Belgique, la conférence épiscopale congolaise, les ONG de tous horizons se rejoignent pour déplorer les ratés de la première consultation organisée par les Congolais eux-mêmes – à la différence du scrutin du 2006, encadré par la communauté internationale, la MONUC (Mission des Nations Unies au Congo) et le CIAT (Comité International d’Accompagnement de la Transition). Leur emboîtant le pas, la presse occidentale à l’unisson a dénoncé le fiasco électoral, l’opacité des opérations de dépouillement mettant en cause la crédibilité des résultats. Les perdants ont naturellement crié à la fraude. Arrivé second, l’opposant Etienne Tshisekedi s’est auto-proclamé Président, ajoutant à la confusion. Kinshasa a été le théâtre de violences pré et surtout post électorales qui ne sont pas de bon augure pour le second quinquennat de Joseph Kabila.
Que peut-on dire, avec quelques mois de recul, de ces élections qui se sont déroulées à un seul tour, conformément à la révision constitutionnelle adoptée le 15 janvier 2011 ? Plusieurs points de vue sont possibles. Je commencerai par l’aspect le plus technique : comment vote-t-on ? Concrètement. C’est-à-dire tout d’abord dans les démarches nécessaires pour être inscrit sur les listes électorales, puis dans les gestes qui conduisent un électeur à exprimer son choix en déposant un bulletin de vote dans une urne ; ensuite dans le cheminement des résultats de chaque bureau de vote jusqu’aux centres de « compilation » ; enfin dans la proclamation des résultats par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et leur validation par la Cour suprême de justice (CSJ). Dans une société rôdée aux processus électoraux comme la société française, ces questions ne se posent plus depuis longtemps. L’acte de voter est aussi simple et banal que de jouer au loto. Il a une toute autre valeur symbolique dans des sociétés qui font l’apprentissage du processus électoral et où les simples mots « a voté » ne sont pas démonétisés. Le modus operandi n’est jamais anodin. Y compris dans les démocraties. On se rappelle des élections aux Etats-Unis en 2000, le recomptage des bulletins de Floride pour un résultat qui n’accorda à G. Bush qu’une légitimité douteuse. Les démocraties occidentales sont promptes à stigmatiser les mascarades électorales africaines. Sont-elles prêtes à s’interroger sur leurs propres pratiques quand on annonce la dématérialisation électronique du vote ? On pourra bientôt voter sur son smartphone. Un clip et hop ! Dans la Rome impériale le pouce décidait du destin des gladiateurs. Que fait d’autre Facebook avec son icône « j’aime » ? Du pouce au poing ou à la main levée il n’y a que l’écart de quelques doigts. Mais de la démocratie athénienne à la démocratie africaine une vingtaine de siècles d’écart ; comment mesurer la distance de l’arbre à palabre aux débats parlementaires ?
Paysage électoral : le « terrain de l’urne »
Les observateurs ont été frappés par la dimension des urnes : tous les reportages consacrés aux élections congolaises ont montré à l’envi ces grandes poubelles en plastique transparent, commandées à une entreprise allemande qui les a fait fabriquer en Chine, destinées à recueillir les bulletins de vote. Elles se distinguent par la couleur de leur couvercle : bleu pour la présidentielle, jaune pour la législative. Ces méga urnes sont proportionnées aux bulletins de vote particulièrement volumineux : mesurant 42 cm sur 60 cm, ils ont le format d’un journal. Les bulletins ont été imprimés à Johannesburg, l’Afrique du Sud s’étant engagée à les livrer dans les délais. L’épaisseur des bulletins (jusqu’à plus de 50 pages à Kinshasa) résulte d’une inflation de candidats aux législatives : 18 864 pour 500 sièges à pourvoir, le double de 2006 ! Pour chacun d’entre eux figure le nom, le parti et la photo, suivis de la case où l’électeur appose sa signature ou un signe tel qu’une croix s’il ne sait pas écrire. Or le tiers du corps électoral est analphabète, retrouver son candidat dans ces bulletins-journaux représente de ce fait une difficulté certaine et un allongement de la durée des opérations. Il est vrai que les bureaux de vote ne manquent pas de personnes prêtes à aider ceux qui en ont besoin – éventuellement à influencer leur choix. On vote souvent en famille, les jeunes scolarisés aideront de vieux parents à s’y retrouver. Au bout du compte le temps passé à décrypter les bulletins a ralenti le processus et certains électeurs ont renoncé à voter, découragés par la longueur des files d’attente.
Les principaux cafouillages ont été liés à la difficulté pour beaucoup d’électeurs à se retrouver sur les listes électorales affichées dans les bureaux de vote. La CENI n’a disposé que de quelques mois pour préparer le scrutin, alors que la Commission électorale indépendante (CEI) qui eut en charge l’organisation des élections de 2006 les avait longuement préparées, il est vrai dans un contexte post conflit différent. Elle avait surtout bénéficié de l’appui technique et financier décisif de la MONUC, ce qui n’a pas été le cas en 2011 : la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation au Congo (MONUSCO) a fourni une aide logistique (transport du matériel électoral) mais n’a pas été directement impliquée dans l’organisation des élections. La RDC a assumé plus de 80 % du coût des opérations électorales. Les retards de la CENI ne sont pas uniquement dus à la lourdeur des opérations ; ils sont pour partie imputables aux débats sans fins des parlementaires concernant la désignation des membres de la commission ou la composition du bureau. La CENI a été créée en juillet 2010 mais son bureau installé seulement en février 2011. L’enlisement dans les palabres, un formalisme juridique dissimulant généralement des stratégies personnelles intéressées paralysent le travail d’assemblée. Comme l’ensemble de la classe politique dont elle est issue, la CENI n’échappe pas au syndrome de la « politique du ventre » selon l’expression de Jean-François Bayart. L’abbé Apollinaire Malu Malu qui présidait la CEI, n’a pas manifesté un grand empressement pour céder sa place au Pasteur Daniel Ngoy Mulunda à la tête de la CENI. Depuis la Conférence nationale de 1990, c’est une tradition bien établie de recourir à des hommes d’église pour présider des instances nationales indépendantes des partis au nom de leur présumée neutralité. La gestion de Ngoy Mulunda, proche de Kabila, a été dénoncée par l’opposition qui a mis en doute son impartialité. Elle le considère comme responsable des irrégularités du scrutin et demande sa démission. La préparation des prochaines échéances électorale – élections provinciales, sénatoriales, locales et municipales, ne se présente pas sous les meilleurs auspices. Afin de calmer le jeu et dans l’attente d’une retombée des tensions elles ont été prudemment reportées à 2013.
Le recensement des électeurs dans un contexte d’incertitudes démographiques
L’échec du processus électoral étant avéré, il convient tout de même de ne pas perdre de vue que la tâche de la CENI était loin d’être simple. Ses cafouillages ne sont pas forcément des tripatouillages. La première étape du processus, la mise à jour des listes électorales, constitue une première difficulté. Entre les élections de 2006 et celles de 2011, le corps électoral s’est accru d’environ 20 %. Peu de pays au monde sont confrontés à une augmentation aussi forte. Quelles procédures pour y faire face ? La RDC considérant, à juste titre, qu’elle n’avait pas les moyens d’organiser un recensement général de la population a opté pour une révision du fichier électoral de 2006 en couplant identification et enrôlement. La CENI en a édicté les règles. Il suffit d’avoir au moins 18 ans et d’être de nationalité congolaise pour pouvoir être inscrit dans le Centre d’inscription du ressort de sa résidence. L’identification donne lieu à l’attribution d’une carte d’identité plastifiée avec photo du titulaire. Les informations à fournir sont tout à fait classiques, nom et prénom, lieu et date de naissance, sexe, nom du père et de la mère, secteur, chefferie, territoire et province d’origine, adresse. Elles ne présentent pas de difficulté particulière, du moins en principe, mais beaucoup de Congolais ne disposent pas de l’ensemble les documents requis. Il est prévu dans ce cas le recours à des témoins locaux, inscrits sur les listes d’électeurs du Centre d’inscription « vivant dans les milieux depuis cinq ans et connus par la majorité dans la communauté ». Ces notions de « milieu » et de « communauté » laissent place à un certain flou dans la mise en œuvre de la procédure surtout là où se pose la question de la nationalité comme au Nord et au Sud Kivu.
Léon de Saint Moulin, démographe aux compétences reconnues et personnellement impliqué dans la conduite des opérations de recensement électoral rappelle que « L’enrôlement est une opération difficile, particulièrement dans un pays où l’identification de la population est déficiente et la définition des lieux de résidence insuffisamment définie » (De Saint Moulin, 2011). Le délabrement des infrastructures de communication et des encadrements administratifs dans un pays immense (2 435 000 km2) et désorganisé par au moins quinze ans de chaos est en effet tel que toute opération de recensement se heurte à de multiples obstacles. Le dernier recensement général de la population remonte à 1984. Depuis lors on ne dispose que d’enquêtes ponctuelles, sur la fécondité notamment, à partir desquelles les démographes font des extrapolations. Autant dire que les données démographiques doivent être utilisées avec prudence. En se basant sur un taux de croissance annuel moyen de 3 % par an, la population de la RDC est estimée à 69,5 millions en 2010. Sur ce total, les majeurs (18 ans et plus) seraient 32,3 millions. Le nombre d’enrôlés de 2011 dépassant légèrement 32 millions, cela signifie qu’ils représenteraient 99 % de la population en âge de voter. Ce pourcentage très élevé laisse perplexe ; il n’était que de 92,4 % en 2006. La comparaison par provinces et circonscriptions (territoires et villes) entre le nombre d’enrôlés et de majeurs escomptés présente un certain nombre de distorsions qu’il n’est pas toujours facile à interpréter : les étrangers (qui n’ont pas le droit de vote) ne sont pas répartis de façon homogène ; ils sont plus nombreux à Kinshasa et dans les régions frontalières, notamment Nord et Sud-Kivu qu’au centre du pays ; la fécondité n’est pas non plus spatialement homogène ; les mobilités résidentielles, les migrations vers les villes (Kinshasa approcherait 10 millions d’habitants) ne sont qu’imparfaitement connues. Bref on ne peut demander plus aux chiffres que ce qu’ils peuvent donner. Toutefois, on ne peut manquer d’observer une corrélation troublante entre l’ampleur des écarts du pourcentage enrôlés/majeurs et les résultats électoraux des provinces. Ce pourcentage est de 108 % au Katanga, de 106 % au Bandundu, deux provinces largement acquises à Kabila, alors qu’il est de 85 % au Kasaï Oriental, fief de Tshisekedi, et de 75 % à Kinshasa dont on connaît l’hostilité envers Kabila.
Á l’échelle des circonscriptions, au nombre de 169, les écarts peuvent être considérables entre nombre des enrôlés et celui qui résultait des projections démographiques. Quand ils vont dans le même sens qu’en 2006, on peut raisonnablement penser que cela s’explique par une sous-estimation dans les projections démographiques, notamment en milieu urbain. Ainsi en est-il des villes très dynamiques du Nord-Kivu : Goma, Butembo, Béni ont 2,5 fois plus d’enrôlés que de majeurs estimés. C’était déjà le cas en 2006 quand le Kivu votait massivement pour Kabila alors qu’en 2011, du fait de la candidature de Vital Kamerhe, Kabila est minoritaire. Les trois provinces où les écarts sont les plus importants (Maniema 123 %, Équateur 119 %, Kasaï occidental 117%) ne sont pas des provinces acquises à Kabila : c’est là où il enregistre ses plus mauvais scores. Autrement dit, il n’y a pas de corrélation simple entre enrôlement et choix électoral. S’il y a suspicion de fraude, celle-ci n’est pas unilatérale. Les incohérences dans les chiffres tiennent autant et peut-être davantage aux défaillances dans les projections démographiques et l’établissement des listes électorales qu’à des manipulations sciemment organisées. En ce qui concerne les résultats électoraux les anomalies sont en revanche si flagrantes qu’elles ne permettent pas de douter qu’il y a eu fraude. Certains résultats mis en exergue par l’opposition ne laissent pas de surprendre : comment se fait-il que certaines circonscriptions du Katanga affichent près de 100 % de participation (parfois plus de 100 %) alors que le taux national est de 59% ? Autre anomalie : le nombre de bulletins à l’élection présidentielle et à l’élection législative présente parfois des écarts surprenants pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers dans certaines circonscriptions. L’excédent de votants concerne le plus souvent les législatives ce qui donne à penser que des candidats locaux ont procédé à des bourrages des urnes. Mais l’observation des résultats des 169 circonscriptions montre qu’il n’y a rien de systématique dans la répartition géographique de ces anomalies et qu’elles concernent tous les partis.
Les élections à l’épreuve de la logistique
Le scrutin s’est déroulé dans plus de 63 000 bureaux de vote (63 875 officiellement) répartis sur tout le territoire. Une difficulté particulière a été d’accéder dans des lieux reculés inaccessibles par route ou voie fluviale pour transporter les « kits électoraux », isoloirs, urnes, ordinateurs etc. et le « matériel sensible » c’est-à-dire les bulletins de vote. Dans certains bureaux le vote n’a pu avoir lieu, faute de bulletin ou a été repoussé hors des délais légaux. Radio Okapi, la radio de l’ONU, a ainsi fait état de l’arrivée le 1er décembre de deux avions en provenance d’Afrique du Sud chargés de cinq tonnes de matériel électoral dont trois palettes de bulletins de vote. Conséquence de ces retards, le scrutin, légalement limité au 28 novembre, a été prolongé jusqu’au 30, voire au-delà dans certains cas.
La CENI a tenté de renforcer ses capacités logistiques ; acquisition de 10 hélicoptères et deux avions en Angola, location de 6 hélicoptères en Afrique du Sud. Mais ses moyens financiers étant limités, elle n’aurait pu conduire les opérations à leur terme sans la MONUSCO qui a mis à sa disposition 27 hélicoptères et 3 avions. Les hélicoptères ont joué un rôle décisif ; ils sont le seul moyen d’accéder rapidement aux localités isolées de la RDC, ce vaste pays le plus fermé, au sens physique du terme, du continent (Pourtier, 2009). Les hélicoptères ne peuvent cependant pas atteindre tous les bureaux de vote et c’est à pied ou en pirogue que l’expédition continue – ou que les électeurs doivent s’y rendre. Les contraintes logistiques et par suite financières ne doivent pas être sous-estimées dans ce pays-continent. Car si les infrastructures routières font partie des chantiers prioritaires du Président Kabila, si quelques grands axes routiers ont bénéficié de financements internationaux ou du fameux « contrat chinois » de 2007 (minerais contre infrastructures) la reconstruction d’un réseau routier digne d’un pays moderne n’en est encore qu’à ses débuts (Pourtier, 2009). Or, le transport aérien n’est pas à l’abri d’aléas : dans une conférence de presse du 25 novembre la CENI déplore que 33 aéronefs n’aient pas pu décoller pour des raisons météorologiques. Les obstacles logistiques ont certainement une part de responsabilité dans le taux relativement faible de participation : un peu moins de 60 %.
- 1 Union européenne, 29 mars 2012. Mission d’observation électorale. République Démocratique du Congo (…)
- 2 De Saint Moulin L., février 2012. Analyse des résultats officiels des élections du 28 novembre 201 (…)
La communication a été elle aussi prise en défaut. L’affichage des listes électorales ne s’est pas effectué dans les délais légaux ce qui n’a pas permis d’en repérer les erreurs avant le scrutin. Fin octobre les listes n’étaient accessibles que par Internet, encore fallait-il pouvoir se connecter ce qui n’est pas acquis en dehors des grandes villes. La distribution géographique des bureaux de vote a elle-même subi quelques modifications au cours des semaines précédant le scrutin ajoutant au sentiment d’improvisation si ce n’est de manœuvre frauduleuse. La cartographie électorale n’a été que tardivement officialisée, certains bureaux ayant été déplacés ou supprimés au dernier moment. L’incompétence des uns, notamment dans la maîtrise de l’outil informatique ou tout simplement les défaillances techniques, le manque de rigueur sinon l’absence d’une culture de la transparence des autres ont ajouté à la confusion. Comme en 2006, le vote par « dérogation » a été autorisé pour permettre aux électeurs n’arrivant pas à se retrouver sur les listes de pouvoir voter. Trois jours avant le scrutin, le Rapporteur de la CENI, conscient de l’ampleur du problème, a diffusé un communiqué de presse informant que « Tout électeur qui dispose d’une carte d’électeur et dont le nom n’est pas repris sur la liste des électeurs et n’émarge pas sur la liste des radiés sera admis à voter dans le site de vote mentionné sur sa carte d’électeur ou dans le site de vote le plus proche de la même circonscription ». Commentant cette décision, le rapport final de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne en RDC (MOEUE) note que « Cette disposition, en donnant un accès au vote en dehors des listes électorales établies, a ouvert une brèche dans les garde-fous essentiels à l’intégrité des scrutins qui permettaient de s’assurer de l’éligibilité des votants. Le jour du vote, la MOEUE a pu constater une utilisation intempestive des registres de dérogation, faisant généralement office de registre des omis. Ce sont finalement 3 262 725 électeurs qui ont voté sur ces listes de dérogés/omis, soit 17,98% du total des votants »1. D’autres sources donnent le chiffre de 3 770 987 (19,94 %)2. Par comparaison, en 2006, le nombre de dérogations et d’omis n’avait été que de 1 394 255.
Compilation, proclamations, violences
Le dépouillement dans les bureaux de vote présentait en théorie des garanties suffisantes : présence de témoins, d’observateurs congolais (l’Église catholique en a déployé quelque 30 000) ou internationaux, de représentants des partis. En pratique, il y eut pourtant de nombreuses irrégularités et intimidations ; les observateurs ne pouvaient être partout présents. Les procès verbaux une fois établis dans chaque bureau de vote, leur transmission aux Centres locaux de compilation des résultats (CLCR) et ensuite au Centre National de Traitement (CNT) à Kinshasa s’est effectué dans des conditions particulièrement opaques (CD Rom perdus, illisibles ou comportant des données partiellement effacées). Les résultats communiqués par les centres de compilation ne correspondaient pas dans un grand nombre de cas à ceux qui avaient été notés par les observateurs et transmis par voie électronique ou SMS aux états-majors des partis. Dans la ville de Kinshasa, 2 000 PV n’ont pas atteint les centres de compilation. Le transport et le stockage des sacs contenant les bulletins de vote jusqu’aux centres de compilation et à Kinshasa ont été tout aussi calamiteux. Sacs égarés, sacs entreposés dans un grand désordre et sans surveillance. Les délais avant la proclamation des résultats par la CENI ont alimenté toutes sortes de rumeurs, notamment à Kinshasa, créant un climat délétère ponctué par des violences.
- 3 Experts de l’IFES (Fondation internationale pour les systèmes électoraux) et du NDI (Institut nati (…)
- 4 Conférence épiscopale nationale du Congo, Le peuple congolais a faim et soif de justice et de pai (…)
Face aux contestations, la CENI, confrontée aux accusations réitérées d’incapacité ou de partialité, a fait appel à des experts étrangers financés par les États-Unis3 pour vérifier la validité des résultats. En retour de mission, à la mi-janvier 2012, ceux-ci ont déclaré qu’ils n’avaient pas eu accès à toutes les données qui auraient été nécessaires pour accomplir leur travail. Pour la Mission d’observation de l’UE (menée du 19 octobre 2011 au 13 janvier 2012), « Les résultats publiés par la CENI ne sont pas crédibles à la lumière de nombreuses irrégularités et fraudes constatées lors du processus électoral ». Le rapport final de la mission d’observation électorale de la Conférence épiscopale nationale du Congo va dans le même sens : « L’on a noté plusieurs défaillances, des cas de tricheries avérées et vraisemblablement planifiées, de nombreux incidents malheureux entraînant mort d’homme, des cafouillages, et, à certains endroits, un climat de terreur entretenu et exploité à dessein pour bourrer les urnes. Ce n’est pas tout. Ce qui se passe présentement au niveau de la compilation des résultats des élections législatives est inacceptable. C’est une honte pour notre pays. (…) Eu égard à ce qui précède, nous estimons que le processus électoral a été entaché de graves irrégularités qui remettent en question la crédibilité des résultats publiés ».
Les contestations, aux termes de la loi, auraient dû être portées devant une Cour Constitutionnelle prévue par la Constitution de 2006, mais celle-ci n’a pas été constituée et c’est la Cour Suprême de Justice qui fut seule compétente pour les contentieux électoraux. Or les membres de cette Cour ont été majoritairement nommés par le Président qui la verrouilla en nommant de nouveaux membres pendant la campagne électorale, ce qui met en cause son impartialité.
Les résultats de l’élection présidentielle à laquelle s’étaient présenté onze candidats ont été proclamés le 6 décembre, au terme d’une semaine de forte tension. Joseph Kabila l’emporte avec 48,95 % des voix contre 32,33 % à Etienne Tshisekedi, son principal adversaire, 7,77 % à Vital Kamerhe et 4,95 % à Léon Kengo wa Dondo. A la lecture des résultats détaillés par province et circonscription les principales suspicions de fraude concernent les deux bastions du Président sortant, le Katanga, sa province d’origine, et le Bandundu, acquis à son allié, le Parti lumumbiste unifié (PALU) d’Antoine Gizenga. Au Katanga, on note une mobilisation exceptionnelle et des résultats quasiment unanimes dans le nord de la province (100 % à Kabongo, 99,98% à Manono) et d’autre part une quasi absence du vote « kasaïen » dans les villes du sud où pourtant les partisans de Tshisekedi étaient nombreux – mais des bandes armées ont semé la peur, les dissuadant de se rendre aux urnes. Au Bandundu, certains territoires ont voté à plus de 85 % pour Kabila, le score provincial de celui-ci a été multiplié par 2,5 par rapport à 2006. Comme l’indique pudiquement le rapport de l’UE, dans vingt territoires « le président sortant réalise des progressions fulgurantes que l’analyse politique rationnelle a quelque mal à expliquer ».
- 5 MONUSCO, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 20 mars 2012.Rapport d’enquête (…)
- 6 Le cinéaste belge Thierry Michel a réalisé un film documentaire, « L’affaire Chebeya, un crime d’E (…)
- 7 Arrêté en Belgique en 2008, Bemba a été transféré à La Haye à la Cour Pénale Internationale où il (…)
La période électorale n’a pas été épargnée par la violence, en particulier à Kinshasa, Mbuji Mayi, Lubumbashi. Un rapport d’enquête de la MONUSCO et du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies, publié le 20 mars 2012 fait état d’au moins 33 personnes tuées et 83 blessées, la plupart par balle, à Kinshasa, sans compter les personnes disparues et les arrestations arbitraires (MONUSCO 2012)5. Ces violations ont été commises principalement par des éléments de la Garde républicaine et de la Police nationale congolaise. Comme aux plus beaux temps de Mobutu, l’Agence nationale de renseignement (ANR) est impliquée dans des actions bafouant le droit des personnes. L’usage de la violence armée reste ancré dans les pratiques du pouvoir. L’État de droit n’est pas pour demain, en dépit du combat courageux de la société civile, de la section congolaise de la Fédération internationale des droits de l’Homme et des Églises. Mais ce n’est pas un combat sans risque comme en témoigne l’assassinat en 2010 de Floribert Chebeya, Président de l’ONG « La voix des sans voix »6. Rappelons aussi que les élections de 2006, moins agitées que celle de 2011, avaient connu un épilogue d’une grande violence lors des combats des 22 et 23 mars 2007. Les Forces armées de la RDC (FARDC) avaient alors attaqué à l’arme lourde la garde rapprochée de Jean-Pierre Bemba, le principal adversaire de Joseph Kabila aux présidentielles, qui refusait d’intégrer la nouvelle armée nationale congolaise. Bilan, probablement plus de 200 morts, Bemba parti en exil7 et le Mouvement de Libération du Congo (MLC) affaibli pour longtemps.
Le pouvoir se mange tout entier
- 8 Willame J-C, décembre 2011. Ebullitions électorales au Congo : de Charybde en Scylla, déposé sur F (…)
Dans un article rédigé à la suite d’un séjour à Kinshasa au moment des élections, Jean-Claude Willame rapporte un propos de Vital Kamehre : « au Congo c’est toujours ‘ou tu gagnes, ou tu gagnes’, mais jamais ‘ou tu gagnes ou tu perds »8. L’idée de perdre est en effet proprement inconcevable pour le détenteur du pouvoir. Ce n’est pas spécifique à la RDC, l’exemple de la Côte d’Ivoire et du refus de Laurent Gbagbo d’admettre sa défaite est dans toutes les mémoires. Le pouvoir ne se résume pas en l’occurrence aux avantages matériels auxquels il donne accès : plus profondément que de « politique du ventre » c’est d’une politique de l’être dont il s’agit. Je domine donc je suis. L’arène du pouvoir excite sans fin les pulsions du mâle dominant. Si la ruse ne suffit pas, l’arbitrage ultime revient à la force. De telles attitudes semblent particulièrement ancrées dans les représentations et les pratiques politiques en Afrique centrale forestière. Au Congo-Zaïre, Mobutu a régné en despote avant d’être emporté par la maladie, la vieillesse et les contrecoups du conflit rwandais. Au Gabon, Omar Bongo a incarné quatre décennies de pouvoir sans heurt majeur, son fils Ali Bongo prorogeant une autocratie tempérée. Le Congo Brazzaville, beaucoup plus mouvementé, n’a connu qu’une expérience avortée de démocratie formelle avec Pascal Lissouba finalement balayé par les armes au terme d’une guerre civile qui vit le retour au pouvoir de Sassou Nguesso : le militaire l’emporta sur le professeur. Au Cameroun, Paul Biya entretient le mystère sur les arcanes d’un pouvoir inamovible depuis qu’il a succédé à Ahidjo en 1982. En Guinée équatoriale un même clan fang, de Macias Nguema à Theodoro Obiang Nguema, détient le pouvoir depuis l’indépendance acquise en 1968. Sans être suspecte de sacrifier aux facilités du déterminisme naturaliste, l’anthropologie économique à la manière de Claude Meillassoux (Meillassoux, 1975) a mis en exergue les relations entre les conditions écologiques et sociales de la production (céréaliculteurs des savanes/planteurs des forêts) et l’exercice du pouvoir. « Manger le pouvoir » se comprend peut-être à la lumière de ces considérations.
Quoi qu’il en soit, la détention jalouse du pouvoir oblige à sa contrepartie : la redistribution. Le chef, qu’il soit roi ou président, manifeste sa force dans ses largesses. Les élections africaines sont souvent qualifiées de « mascarade », soit par les perdants, soit par les observateurs occidentaux qui les jugent à l’aune de leurs propres valeurs. En réalité elles sont le masque derrière lequel se joue la comédie du pouvoir. Le vainqueur de la compétition ne peut confisquer la victoire. Dans le pire des cas il n’en partage les fruits qu’entre ses proches et ses affidés comme ce fut le cas en Guinée équatoriale au prix d’une dictature sanglante. La situation la plus générale est celle d’une redistribution garante de la paix sociale et de l’unité nationale : Omar Bongo était passé maître dans cette « géopolitique ». Il disposait de ressources financières suffisantes pour « se payer la démocratie ». Au Congo-Zaïre, le maintien de l’unité d’un pays « grand comme 77 fois la Belgique » est autrement difficile : sécession du Katanga en 1960 et guerres civiles en attestent. La redistribution fonctionne mal et profite surtout à la classe politique ou politico-bureaucratique. Deux options la traversent depuis l’indépendance. L’une, jacobine, l’emporta avec le Parti-État de l’ère Mobutu. L’autre, fédéraliste, a fait inscrire dans la Constitution de 2006 une décentralisation poussée qui n’est pas loin d’un fédéralisme sans le nom. Depuis la promulgation de la Constitution la décentralisation n’a toujours pas été mise en œuvre et reste une question très sensible du débat politique car elle touche très directement au partage du gâteau national. C’est pourquoi le prochain train électoral, repoussé en 2013, représente un enjeu décisif pour la stabilité de la RDC. Les élections provinciales devraient se tenir en janvier 2013,ce qui permettra de renouveler le Sénat (les sénateurs sont élus par les 690 députés provinciaux). Quant aux élections locales (villes, communes, secteurs ou chefferies) elles n’ont encore jamais été organisées, comme si la démocratie de proximité n’intéressait pas la classe politique. La CENI semble s’orienter pour des élections en juin 2013 : le cycle électoral prévu par la Constitution serait enfin complet. Encore faudrait-il que ces élections ne reproduisent pas les irrégularités de celles qui viennent de se dérouler pour que le principe même de l’élection garde une certaine crédibilité.
La nouvelle carte électorale
- 9 Ces données ainsi qu’une abondante cartographie établie par Léon de Saint Moulin sont disponibles (…)
Les données de la CEI et de la CENI permettent de comparer les résultats électoraux de 2006 et de 2011 à l’échelle des territoires9. On observe des permanences et quelques changements, les uns prévisibles, les autres inattendus. Parmi les permanences, l’opposition entre l’Est et l’Ouest de la RDC demeure structurante tout en étant moins marquée qu’en 2006. La comparaison est cependant biaisée par le fait qu’en 2006 l’élection était à deux tours, en 2011 à un seul tour. Autre différence, en 2006 le parti historique d’opposition, l’UDPS avait boycotté les élections alors qu’en 2011 Tshisekedi est le principal opposant, Jean-Pierre Bemba étant hors course. Les partis d’opposition n’ont pas réussi à se rassembler, ce qu’ils auraient peut-être fait s’il y avait eu un deuxième tour, comme cela s’est produit au Sénégal. On voit là le piège de l’élection à un tour (justifiée pour des motifs d’économie ainsi réalisée) qui permet de l’emporter à la majorité relative.
A défaut d’un deuxième tour on ne peut savoir comment les voix se seraient réparties géographiquement entre Kabila arrivé premier avec 48,95 % des voix (mais avec une forte présomption de fraude comme on l’a vu) et Tshisekedi, second avec 32,33 %. Ce que montre le premier tour, c’est un paysage politique éclaté et fortement marqué par le caractère ethnique et régional du vote. Kabila l’emporte de façon écrasante dans sa province d’origine du Katanga et au sud du Bandundu où il bénéficie du soutien du PALU. La répartition de ses électeurs est toutefois un peu plus « nationale » qu’en 2006. C’est ainsi que trois circonscriptions de l’Équateur lui ont accordé plus de 20 % des voix. L’électorat de Tshisekedi s’inscrit en creux : bastion des Luba du Kasaï, Bas-Congo, nord de l’Équateur. Les autres candidats font leurs meilleurs scores dans la moitié nord du pays.
Vital Kamerhe (7,74 %) qui a rompu avec la majorité présidentielle par suite de son opposition au rapprochement envers le Rwanda et créé un nouveau parti, l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) en 2010, emporte la majorité absolue « chez lui » (il est de l’ethnie Shi du Kivu) à Walungu, Bukavu et Goma, et réalise des scores supérieurs à 20 % dans 10 circonscriptions du Nord et du Sud-Kivu et dans quelques autres territoires des provinces de l’Équateur et du Maniema.
- 10 Kengo wa Dondo, pur produit du mobutisme a été plusieurs fois ministre dans les années 1980 et 19 (…)
L’électorat de Léon Kengo Wa Dondo (4,95 %) est moins ethnique que régional : père polonais, grand-mère tutsie, grand-père Ngbandi (l’ethnie de Mobutu) il est né à Libenge, dans la province de l’Équateur et trouve son électorat dans les circonscriptions de cette province situées entre le Congo et l’Oubangui (Lissala, Bumba, Yakoma). Les autres candidats ont une assise électorale encore plus circonscrite. Par exemple pour Antipas Mbusa Nyamwisi (1,72 %) la population nande du Nord-Kivu : il recueille l’essentiel de ses voix à Butembo et Béni. Quant à François-Joseph Mobutu Nzanga (1,57 %) il s’impose à Gbadolite, la capitale créée par son père.
- 11 Obotela Rashidi Noël, février 2012. Elections 2011 en RDC : de la revanche des illettrés aux surpr (…)
L’élection présidentielle présente donc une forte composante ethno-régionale, ce qui au demeurant caractérise la plupart des États africains pour lesquels l’État-nation composé de citoyens n’est encore qu’un horizon lointain et pas forcément désiré. Concernant les élections législatives, les enjeux locaux pèsent naturellement encore davantage. Les résultats montrent un éparpillement considérable : 18 864 candidats, une centaine de partis (dont 45 n’ont emporté qu’un seul siège), et 16 « Indépendants ». De nombreuses irrégularités ont été constatées, des recours déposés auprès de la Cour suprême de justice qui a finalement, par un arrêt du 25 avril 2012 invalidé 32 députés, dont 17 de la majorité présidentielle, et annulé les élections dans la circonscription du Masisi (Nord-Kivu) où des troubles avaient entaché le déroulement du scrutin. L’éparpillement des candidatures a eu pour effet de réduire la part des grands partis. Le PPRD ne compte plus que 62 députés au lieu de 111 en 2006. L’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) de Tshisekedi en totalise 41. Les deux premiers partis ne représentent ainsi qu’un cinquième de l’Assemblée nationale. Les élections ont vu l’éviction de plus d’une personnalité politique et dans certains cas la victoire de candidats portés par les électeurs « du bas » exprimant des revendications populaires et lassés de l’arrogance d’une classe politicienne grassement payée (6 000 $ par mois pour un député). Ce fut le cas par exemple à Kisangani où le « candidat des pauvres » s’est imposé11. Le fait qu’un certain nombre de poids lourds, notamment de la majorité présidentielle, aient mordu la poussière apporte de l’eau au moulin de ceux qui estiment que le scrutin s’est déroulé, globalement, dans des conditions satisfaisantes. Parmi les petites candidatures un bon nombre étaient « alimentaires » : les élus ont rejoint la majorité présidentielle qui rassemble au dernier décompte 341 députés, soit un pourcentage confortable de 68 %.
Six mois après le déroulement du scrutin, la situation n’est pas totalement apaisée, beaucoup de rancœur subsiste dans l’opposition, principalement parmi les partisans de Tshisekedi. Or ceux-ci sont majoritaires à Kinshasa agglomération tentaculaire comptant un nombre considérable de jeunes inoccupés et des milliers d’enfants des rues, ou « chégués », prêts à répondre à toute incitation au désordre. Joseph Kabila a perdu en légitimité, même si la plupart des observateurs et commentateurs de la scène politique congolaise s’accordent à penser qu’il l’aurait emporté sur Tshisekedi dans l’hypothèse d’élections parfaites. Il lui reste à tirer un trait sur cette période de tension et de cafouillage. Une nouvelle équipe a été installée avec la nomination comme Premier ministre, le 18 avril 2012, d’Augustin Matata Ponyo, précédemment Ministre des finances. A elle de répondre à son tour aux défis majeurs de la RDC, reconstruction du territoire, relance de la croissance et amélioration d’une gouvernance minée par la corruption. A rectifier aussi l’image ternie du pays qui s’apprête à accueillir à Kinshasa le sommet de la Francophonie du 12 au 14 octobre 2012.
Conclusion : les élections et après
Eu égard aux désordres récurrents que suscitent les opérations électorales, en RDC comme dans bien d’autres États africains, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur le bien-fondé non pas du principe de la représentation populaire mais de ses modalités. La représentation du « souverain primaire » ne passe pas forcément par le suffrage universel. Celui-ci n’est pas en soi une valeur démocratique comme en témoignent les « démocratures ». Il s’inscrit dans une histoire, celle des transformations économiques, sociales et culturelles relevant du temps long. En Europe le suffrage a longtemps été censitaire, ou indirect avant d’être universel et élargi – tardivement en France – aux femmes. En Afrique, le mimétisme constitutionnel post colonial, la « greffe de l’État » et de ses institutions calquées sur le modèle des anciennes métropoles n’ont tenu compte ni des spécificités des systèmes locaux de pouvoir, ni de la lenteur des maturations sociopolitiques. L’application des textes est trop souvent aveugle aux contextes. Au Congo, certains intellectuels préconisent des formules de représentation indirecte à différents échelons territoriaux du village jusqu’à l’Etat. Ils en attendent une plus grande proximité géographique et culturelle entre le corps social et ses représentants, et pour certains une reconnaissance des fondements ethniques de la société contrebalançant l’abstraction citoyenne. L’émancipation de l’Afrique passe par l’invention de modalités de gouvernement répondant mieux aux aspirations des peuples que la réplication formelle des modèles élaborés par les démocraties occidentales. Le défi démographique et l’inscription du continent dans une mondialisation qui dissout ce qui reste du cordon ombilical de l’histoire coloniale y pousseront sans doute.
Par Roland Pourtier (ÉchoGéo)