Au cours d’une conférence de presse qu’il a tenue, samedi 24 juillet 2021, à Bruxelles, le lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba, 35 ans, n’a pas fait mystère de sa résolution – avec quelques amis – d’entrer dans l’arène politique. Dans son mot introductif d’une dizaine de minutes, l’ex-cadre de la BGFI Bank est apparu très critique. D’abord sur la situation générale au Congo-Kinshasa. Ensuite au regard des trente premiers mois du président Felix Tshisekedi à la tête du pays. Pour lui, le changement tarde à se matérialiser. « Le Congo d’aujourd’hui n’est pas celui que les Belges nous avaient laissé en 1960 », dit-il lors des questions-réponses. Pour lui, la corruption continue « à gangrener » les institutions nationales. Et ce y compris la Présidence de la République. Il préconise une lutte sans concession contre la corruption. Cette lutte doit passer par la « réhabilitation » de la Cour des comptes et surtout l’institution d’un « Parquet financier » chargé de s’occuper du volet judiciaire des enquêtes menées par l’IGF (Inspection Générale des Finances). La proposition de loi dite Tshiani? « Jean-Jacques » est contre: « Le Congo appartient à tous les Congolais. Il ne saurait y avoir des Congolais avec plus ou moins de droits que d’autres ».
Bruxelles. Samedi 24 juillet. Il est 11h00. Le quartier européen de Bruxelles est quasi-désert. Le week-end et les vacances obligent! A une cinquantaine de mètres de l’entrée de l’immeuble abritant le « Press Club Brussels Europe », situé au numéro 95 de la rue Froissart – à un jet de pierre de la Place Schuman –, deux éléments des forces spéciales de l’armée belge sont de faction dans le cadre du dispositif contre le terrorisme. Les premiers représentants de la presse font leur entrée dans la salle. Il y a essentiellement des Africains: Congolais, Togolais, Béninois, Marocain, Guinéen etc. L’orateur du jour est réputé, semble-t-il, pour son attachement au « panafricanisme ».
Dans la salle, on aperçoit quelques « célébrités ». C’est le notamment de Guy-Patrice Lumumba, un des oncles de « Jean-Jacques ». On aperçoit également Navy Malela. Cet ancien auditeur à l’Afriland First Bank CD et son collègue Gradi Koko sont de « lanceurs d’alerte ». Ils ont été « condamnés à mort » en février dernier par une juridiction congolaise. La sentence a été portée à leur connaissance par voie de presse. Leur « crime » est d’avoir dénoncé des « opérations frauduleuses » qui se dérouleraient dans cette banque commerciale avec un certain Dan Gertler, sous sanction du Trésor américain.
Pendant que les participants prenaient place, un documentaire retraçant le parcours du « lanceur d’alerte » Jean-Jacques Lumumba est projeté sur un écran. L’ancien banquier y relate les péripéties de son renvoi tumultueux de la BGFI Bank. Il avait révélé certaines pratiques illicites en cours dans cette banque commerciale. C’était en 2016. C’est le cas notamment d’une somme de 42 millions USD que la Banque centrale du Congo (BCC) avait transférés au crédit de la société privée « Egal ». Ce sont ces révélations qui mettront le petit-neveu de Patrice-Emery Lumumba sous les projecteurs.
C’est aux environs de 11h40 que l’orateur fait son entrée dans la salle. Costume anthracite, chemise blanche et cravate grise. Après un mot introductif du modérateur Datcha Ribeiro, de nationalité capverdienne, « Jean-Jacques » prend la parole aux environs de 12h00.
L’homme se présente sous la bannière d’une structure dénommée « Dynamique Congo 2060 ». Il annonce d’entrée de jeu que cette conférence « marque le début d’une longue série d’activités de réflexion et même d’actions pour un Congo meilleur et in fine une Afrique plus rayonnante » avant de passer en revue plusieurs thèmes dont ceux-ci:
La Covid-19. Depuis le mois de mars 2020, la planète tout entière est « en état d’alerte extrême » à cause du fameux Coronavirus qui a engendré une crise. L’orateur dit trouver en cette pandémie du Covid-19 un aspect inattendu dans la mesure où « cette crise a réveillé en nous l’expression d’une des valeurs les plus critiques du vivre ensemble: la solidarité ».
Dynamique Congo 2060. Selon Jean-Jacques Lumumba, la plateforme « Dynamique Congo 2060 » – dont il est l’un des porte-paroles – a vu le jour lors de la commémoration du 60ème anniversaire de l’indépendance du Congo-Kinshasa. Les initiateurs avaient, aussitôt après, lancée des « consultations citoyennes » afin de récolter « les opinions, avis et idées » des Congolais vivant au Congo et à l’étranger sur le pays. But: connaitre ce que les membres de la nation congolaise « veulent à l’horizon 2060 ». Selon lui, les consultés ont « imaginé » et « élaboré les bases d’un programme multisectoriel de transformation du pays à l’horizon 2060 ». Les membres de la Dynamique Congo 2060 ont fait, assure-t-il, le serment qui suit pour donner un sens à leur combat: « Ne jamais laisser personne porter un coup fatal à notre destinée commune ».
C’est ici que l’orateur jette un regard critique sur le pays qui l’a vu naître et grandir. Il dit avoir constaté que le pays peine à prendre son envol.
Lutte contre la corruption et l’injustice. D’après lui, ce « fléau impitoyable » qu’est la corruption a atteint tous les segments de la vie nationale. La cause, selon lui, serait l’absence d’une « justice forte et indépendante ». A en croire l’ex-banquier, 12% des cas de corruption ont été relevés au niveau de l’Institution Président de la République. « Si la première institution du pays est infestée par la corruption c’est que le pays est en danger »;
Pour éradiquer ce « fléau », le petit-neveu de Patrice-Emery Lumumba préconise « la réhabilitation et le renforcement des institutions de contrôle ». C’est le cas notamment de la Cour des comptes. Il suggère la création d’un « Parquet financier » dont la mission serait de s’occuper du volet judiciaire des investigations menées par l’IGF. Il suggère également de mettre fin à la « multiplicité des institutions ayant pratiquement les mêmes attributions ».
Répondant à une question, « Jean-Jacques » a déclaré avec une pointe de regret que « la situation sociale n’a pas évolué ». Il peine à comprendre que les dirigeants du pays soient mieux payés que le reste de la population. « Les mafieux ne sont toujours pas arrêtés comme on l’espérait », souligne-t-il avant de titiller implicitement « Fatshi » par ces mots: « nous sommes toujours au stade des promesses ».
Banque centrale du Congo. Ancien banquier, l’orateur sait de quoi il parle. Il commence par « saluer » la nomination inédite d’une femme en qualité de gouverneure de la Banque centrale du Congo (BCC). Il déplorer néanmoins de constater ce qu’il qualifie de « tâtonnement » ayant entouré la nomination des administrateurs. « Ce faux pas dans le chef de l’autorité suprême du pays nous interpelle quant à la nécessité absolue de consacrer l’indépendance de cette prestigieuse institution du pays ». « Jean-Jacques » propose une mission d’audit chargée de passer au peigne fin le Compte d’exploitation de la BCC. Ce compte serait, selon lui, un « fourre-tout ». Pour lui, il importe de séparer l’institution de supervision de l’institution de contrôle. Il insiste sur la nécessité d’identifier les clients.
Processus électoral 2023. Pour lui, les élections doivent être libres, crédibles et aussi transparentes que possible. Aussi, estime-t-il impérieux que « les animateurs politiques, doivent être issus d’un processus électoral ne portant aucun germe de contestation ».
Insécurité à l’Est du pays. « Jean-Jacques » estime que, deux mois et demi après la proclamation de l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri, « les avancées sont timides ». Il propose que la Représentation nationale procède, à l’avenir, à l’évaluation des résultats réalisés « avant tout vote de prorogation ». Lumumba a regretté et a déploré, au passage, de « l’opacité » qui entoure l’Accord signé entre la RD Congo et le Rwanda en juin dernier.
Proposition de loi dite Tshiani. « Le récent projet de loi sur l’irrévocabilité de la nationalité congolaise et le verrouillage des postes régaliens aux Congolais dits de père et de mère est une matière qui ne peut laisser insensible tout congolais préoccupé par la stabilité et la cohésion nationale du Congo », dit-il en liminaire. Répondant à une question, l’orateur a eu ces mots: « Deux années après l’accession de Felix Tshisekedi au pouvoir, les Congolais sont de plus en plus divisés ». Selon lui, ce projet législatif viole plusieurs principes de notre Constitution. « Toute loi qui divise n’aura jamais notre soutien. Ce texte va nous apporter pas mal de problème », a-t-il conclu. Pour ce lanceur d’alerte, il y a des « droits acquis » que cette proposition de loi « semble éludé ».
En janvier et mai derniers, Jean-Jacques Lumumba a exprimé deux opinions dans un quotidien bruxellois. Primo: l’adversaire du président Felix Tshisekedi en 2023 sera son propre bilan. Secundo: il n’est proche ni du camp présidentiel ni du « microcosme politique » congolais.
Le samedi 24 juillet 2021, Jean-Jacques Lumumba s’est affiché en « déçu » du « Fatshisme ». Devrait-on conclure que cet activiste de la société civile a finalement choisi son camp? Lequel? L’avenir le dira…
Par Baudouin Amba Wetshi