Dans le souci de faciliter le développement des provinces, le législateur congolais exige la retenue à la source des recettes à caractère national avant tout envoie auprès du gouvernement central. Malheureusement, ceci demeure une utopie et les provinces restent confrontées à des multiples difficultés.
En République Démocratique du Congo, l’article 175 de la Constitution dispose que « la part des recettes à caractère national allouée aux provinces est établie à 40%. Elle est retenue à la source ».
Malgré cette exigence légale, les services de fisc notamment la Direction Générale des Impôts (DGI), la Direction Générale des Recettes Administratives, Judiciaires et Domaniales (DGRAD) et la Direction Générale de Douane et Assises (DGDA) chargés de recouvrement et la centralisation des recettes ne sont pas autorisés de retenir même un seul franc congolais au niveau provincial avant l’expédition de ces recettes au niveau national.
Depuis 2006 jusqu’aujourd’hui, les provinces se plaignent de l’absence totale de la retenue à la source et peinent à se développer. Beaucoup des plaidoyers sont depuis orientés vers le gouvernement central dans le but de le stimuler à rendre effective le 40% de la retenue à la source garantie par la constitution du pays, mais tous ces efforts sont restés vain.
Le professeur Bob Kabamba, l’un des rédacteurs de la constitution de la RDC de 2006 a, lors du 13e anniversaire de sa promulgation (18 février 2019), a rappelé qu’il plus qu’urgent pour les autorités congolaises du nouveau régime de rendre effective la disposition relative à la retenue à la source de 40% des recettes générées par les provinces en République Démocratique du Congo.
Plus d’un citoyen déplore le fait que les provinces de la RDC peinent à se développer et pourtant la stratégie de la retenue à la source telle que l’a voulu le constituant de 2006, était déjà une des réponses à ce problème. Ceci l’a même poussé à mettre en place d’autres dispositions dont 203, 204 et suivants dans l’unique souci de voir les provinces se développer sans à tout prix attendre tout du gouvernement central. Cet idéal dont la concrétisation piétine fait que les provinces de la république demeurent aujourd’hui sans infrastructures, la problématique de l’éducation, la santé, etc.
Il se dégage également que les dirigeants congolais depuis 2006 ont opté pour la rétrocession en lieu et place de la retenue à la source, une procédure qui ne permet même pas à l’argent de revenir dans les provinces comme prétendument justifier.
Suites aux multiples revendications, le chef de l’Etat Félix Tshisekedi a expliqué le pourquoi de l’application de la rétrocession en lieu et place de la retenue à la source de 40% tel que prévu par la constitution à son article 175.
«S’agissant de la retenue à la source de 40% des recettes en caractère national, le gouvernement central, à son tour, rétorque que toutes les provinces n’ont pas la même capacité de mobilisation des recettes suite à l’amenuisement de leur assiette fiscale et à la faiblesse constatée de leur part pour mobiliser les recettes. Au nom de la solidarité nationale, la rétrocession continue à être appliquée comme technique de réponse appropriée aux besoins des provinces », a déclaré le chef de l’Etat lors de la 7e session de conférence des gouverneurs.
Le conseiller financier de la province du Sud-Kivu, Idé Bakulu estime que pour rendre effective la retenue à la source, certains mécanismes doivent être mis en place en amont pour la province et l’effectivité au niveau national en aval. Pour lui, même les réalisations que génère la province ne sont pas à mesure de supporter les charges transférées, si et seulement si l’effectivité de la retenue pourrait être d’application.
« La retenue à la source de 40 de recettes réalisées par la province demeure un problème. La Direction Générale des Impôts ; la Direction Générale des Recettes Administratives, Judiciaire et Domaniales ; la Direction Générale de Douane et Assises et les recettes du domaine pétrolières sont dorénavant contrôlées par la Direction des grandes Entreprises de Kinshasa. Et pour que la retenue à la source soit effective, il est question de la disposition des mécanismes mise en place de deux côtés. D’une part la responsabilité de la province à supporter les charges transférées et d’autre part au niveau national de mettre en application la jouissance de la décentralisation des provinces », renseigne-t-il
Procédure de la retenue à la source.
Et de poursuivre, dans la mesure où l’on souhaite rendre effective la retenue à la source, le ministère national des finances peut à travers une correspondance adressée au ministre provinciale des finances de pouvoir retenir le 40% en province. Il est question aussi que la province soit sûre de pouvoir supporter les charges transférées et cela dans tous les secteurs.
Cependant, Idé Bakulu fait savoir que la question a été un jour abordée à l’instance nationale et c’est loin d’être accordée. Car les réalisations générées par différentes provinces sont loin d’être satisfaisantes et certaines provinces ne réalisent presque rien ou rien. Raison pour laquelle la Direction des grandes Entreprises de Kinshasa, service qui gère ce 40% de la retenue à la source pour des provinces qui s’efforcent de maximiser quelques recettes, fait le partage avec les provinces qui nécessitent une aide.
Quant à l’organe délibérant du Sud-Kivu, le président Zacharie Lwamira soutient qu’à leur niveau en tant que députés provinciaux, ils envisagent d’autres stratégies de plaidoyer toujours dans le but de stimuler le gouvernement national à rendre effective la retenue à la source d’autant plus que la province ne se développe pas par manque des recettes retenues.
«Dans notre pays la disposition sur la retenue à la source prévue dans la constitution n’est pas respectée. C’est un grand débat au niveau des assemblées et nous sommes parfois déçus car nous constatons qu’il n’y aura pas de changement. Nous avons eu à mainte reprises des rencontres avec le président de la République et il nous a montré noir sur blanc que ça reste une utopie qu’un jour on autorisera la retenue à la source de 40%. Selon lui, il y a des provinces qui ne produisent presque rien et doivent vivre comme des parasites à côté de celles qui produisent plus », a-t-il renseigné.
Le numéro un de l’assemblée provinciale du Sud-Kivu pense que c’est une politique nationale de bloquer l’effectivité de la retenue à la source bien que garantie par la constitution. Le chef de l’Etat nous a montré qu’avant même qu’il soit président de ce pays, il était parmi ceux-là qui réclamaient le 40% de rétrocession à retenir à la base. Malheureusement il est devenu Président et n’arrive pas à résoudre ce problème et à l’entendre parler, il n’y a aucun espoir pour lui de trouver une issue favorable à cette problématique bien que d’une importance capitale pour la survie des provinces.
« Rétrocession », un mot flou et illégal
Contrairement aux arguments avancés par le président de la République et le conseiller financier du gouverneur du Sud-Kivu pour justifier la non-retenue à la source, la plupart de congolais estime que cela demeure une violation de la loi. Bien plus, ils disent ne pas comprendre comment le chef de l’Etat qui n’a cessé de critiquer la non-retenue des recettes à la source peut tomber dans la même erreur que ses prédécesseurs.
« Le régime actuel est lui-même à la base de la précarité et du non développement des provinces suite au manque d’effectivité de la retenue à la source. Le fameux terme rétrocession que les autorités actuelles veulent pérenniser comme au temps du régime précédent est illégal car la loi n’a pas permis que le 100% des recettes soient d’abord envoyées à Kinshasa pour qu’en suite 40% soient renvoyées en province, et quand bien même cela n’est pas aussi régulier. C’est donc une manière gentil pour nos autorités de garder les provinces dans leur pauvreté totale », regrette Maître Pascal Mupenda, directeur des programmes de l’organisation de défense des droits humains Partenariat pour la Protection Intégrée (PPI).
Rappelons que les entités territoriales décentralisées (ville, commune, secteur et chefferie) ne cessent de revendiquer auprès des provinces leurs quoteparts dans les 40% des recettes à caractère national, au moment où même les gouverneurs des provinces eux-mêmes n’en reçoivent pas de Kinshasa ; ce qui fait qu’ils soient même taxés de ne rien faire face aux problèmes que connaissent leurs entités. De même les entités territoriales déconcentrées (territoires, groupement et village) renseignent qu’elles sont délaissées à leur triste sort n’ayant ni taxes ni redevances et moins encore les moyens de fonctionnement de la part du gouvernement central.
Carine Bintu/Deboutrdc.net (Mediaterre.org)