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RDC: le Sud-Kivu, un foyer de tensions, peut-il verser dans une violence incontrôlable ?

Entretien. A l’est de la République démocratique du Congo, les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri sont en état de siège à la demande du président Félix Tshisekedi à cause de la montée des violences armées.

Exclu de ce dispositif, le Sud-Kivu est pourtant lui aussi meurtri par des conflits armés en recrudescence depuis quelques jours.

Spécialiste du Congo, le chercheur Christoph Vogel donne les clés pour comprendre les tensions permanentes au Sud-Kivu qui s’inscrivent dans une dynamique régionale impliquant le Congo et ses voisins.

L’est de la RDC fait partie de la région de l’Afrique des Grands Lacs dont plusieurs pays sont riverains : Ouganda, Burundi, Rwanda. Trois provinces de l’est du Congo sont le théâtre de conflits meurtriers depuis des décennies. Depuis le début du mois de mai 2021, le président Félix Tshisekedi a instauré l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu. Mais au Sud-Kivu, sur les Hauts plateaux, qui culminent à plus de 3.000 mètres, des affrontements entre des groupes armés rivaux sont récurrents entre groupes armés issus des communautés locales Babembe, Banyindu, Bafulero et Banyamulenge.

Entretien avec Christoph Vogel, chercheur au Conflict Research Group à l’université de Gand, où il coordonne le projet « Insecure Livelihoods », et au Groupe d’Etude sur le Congo à l’université de New York.

TV5MONDE : Pourquoi le Sud-Kivu demeure un foyer de tensions en République démocratique du Congo ?

Christoph Vogel, chercheur au Conflict Research Group et au Groupe d’Etude sur le Congo : Le Sud-Kivu fait partie de régions de la RDC qui sont marquées par des conflits à la fois très localisés mais avec une ampleur très régionale depuis plus de 25 ans maintenant. Il y a eu ce qu’on a appelé les « grandes guerres » dans l’Est du Congo, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, mais depuis, on voit une certaine continuité dans ces conflits et d’autres qui émergent de nouveau. Donc, on ne peut pas dire qu’il y a un seul conflit dans l’Est du Congo ou dans le Sud-Kivu car dans différentes zones, il y a différents rythmes d’escalades, d’accalmie, différentes situations sécuritaires. Néanmoins, la situation sur les Hauts plateaux de la zone de Uvira et Fizi, pas trop loin de la frontière burundaise, domine l’actualité sécuritaire de la province.

TV5MONDE : Ces conflits-là portent souvent le sceau de violences intercommunautaires ?

Christoph Vogel : Oui, pourtant c’est tout un ensemble de facteurs divers qui ont créé, perpétué l’insécurité, et inclu des mobilisations armées à différents niveaux. On parle très souvent du facteur intercommunautaire, voire interethnique, mais si on regarde d’un peu plus près, on voit que ce n’est pas forcément la seule raison ou racine des conflits, et parfois on peut observer que ce n’est même pas la plus importante. Si on observe la violence hors de son contexte, on va très vite croire que ce sont des conflits interethniques parce que la mobilisation armée et les combats se produisent au long des différences ethniques et communautaires, mais une analyse plus profonde va faire remarquer que c’est plus une conséquence des conflits qui existent que leur origine absolue. Il faut ainsi voir la violence et la mobilisation armée comme une conséquence et pas forcément la racine des conflits.

D’un côté, ce qu’on observe, c’est qu’il y a beaucoup de « petits conflits » de pouvoir local, de pouvoir coutumier, des compétitions au niveau politique, mais aussi économique. Pour donner des exemples, il peut y avoir une contestation d’un pouvoir coutumier en place qui peut refléter un conflit interethnique. De l’autre côté, des dynamiques plus larges y contribuent au niveau régional et national. D’ailleurs, les conflits au sein d’une même communauté semblent aussi fréquent que ceux entre différentes communautés. Donc, pour une bonne partie, ce ne sont pas forcément des animosités ethniques, mais des conflits au sein d’une même communauté qui parfois éclatent dans une violence généralisée.

TV5MONDE : On peut comprendre ces compétitions politiques locales, mais ces conflits deviennent très violents au Sud-Kivu, plus qu’ailleurs au Congo ?

Christoph Vogel : On est quand même dans une région qui a été marquée pendant près de 30 ans par une forte militarisation à cause de guerres successives. Il a aussi une histoire de migration qui est souvent contestée mais qui joue un rôle prépondérant dans la lecture ethnique des conflits. Les questions « qui est autochtone et qui ne l’est pas ? qui a le droit à quoi, qui n’a pas le droit ? » sont très nombreuses.
C’est difficile de faire une analyse de ces conflits qui peut ainsi marier les différents narratifs et les multiples vérités contestées, les accusations et contre accusations. Ce qui est sûr, chaque communauté, chaque famille élargie a eu à être du côté de ceux qui emploient la violence autant que ceux qui en souffrent. Mais encore une fois, poser une grille uniquement ethnique sur cela est incomplet, même si beaucoup de belligérants représentent une certaine tendance ethnique, car des milices censées appartenir à une communauté, font aussi des victimes dans « leur propre communauté ».

TV5MONDE : Il y a aussi les conflits importés des pays voisins…

Christoph Vogel : Oui, effectivement. Dans le passé, il y a eu les guerres qui ont impliqué le Congo et ses voisins et de nouveau, les conflits en cours au Sud-Kivu connaissent une forte composante régionale. Notamment à la suite des élections burundaises de 2015 qui ont contribué à l’escalade des conflits du coté congolais. Le pouvoir en place s’étant imposé, des opposants burundais ont fui vers le Sud-Kivu. Certains ont décidé de transformer leur lutte politique en lutte armée. Cela dans un contexte de relations tendues entre le Rwanda et le Burundi. Des luttes indirectes entre ces deux pays ont ainsi aider à enflammer davantage les tensions montantes dans les Hauts Plateaux ; des groupes armés vu par Bujumbura (Ndlr: la capitale burundaise) comme une menace, sont soupçonnés de recevoir un soutien, au moins indirect, du Rwanda.

A cela s’ajoutent des groupes armés constitués en partie d’anciens génocidaires venus du Rwanda, soupçonnés à leur tour par Kigali (Ndlr : la capitale rwandaise) de faire cause commune avec l’armée burundaise qui a intensifié ses incursions sur le territoire congolais. Cette dynamique conflictuelle au niveau régional s’est mélangée avec les conflits historiques qui existaient déjà au Congo, mais aussi avec pleins de « mini-conflits ». C’est ainsi qu’un conflit de pouvoir autour du village entre en contact avec ces autres dynamiques pour s’amplifier jusqu’à devenir incontrôlable et au point qu’on ne puisse plus déterminer l’origine unique et exacte.

TV5MONDE : Il y a une recrudescence des conflits dans cette partie du Congo, est-ce qu’on peut s’attendre à terme à un état de siège comme cela a été décidé actuellement au Nord-Kivu ?

Christoph Vogel : Dans mes échanges avec des observateurs congolais, il ressort que beaucoup ont été surpris du choix du Nord-Kivu et de l’Ituri, mais pas du Sud-Kivu. Si l’on regarde l’intensité de la violence et la montée de l’insécurité, on aurait pu dire que s’il y avait un choix à faire pour un état de siège, le Sud-Kivu serait parmi les candidats. Néanmoins il faut prendre en compte une donnée importante : c’est au Nord-Kivu et dans l’Ituri que les ADF (Forces démocratiques alliées) opèrent.

C’est un groupe particulier dans son caractère, son idéologie politique, quels que soient les liens qui peuvent exister avec l’État islamique ou pas. Le récent changement de désignation américaine des ADF, non plus seulement en tant qu’acteur terroriste mais aussi « filière de l’État islamique » dans cette région, a changé la donne au niveau politique internationale et régionale. Ce groupe opère traditionnellement au Nord-Kivu dans la région de Béni, mais de plus en plus des incidents impliquent très probablement les ADF vers l’Ituri. Cela, et le mode opératoire misant sur la stratégie des massacres de la part des ADF et d’autres acteurs a pu être une raison pour que l’état de siège se focalise sur le Nord-Kivu et l’Ituri.

Après est-ce qu’un état de siège au Sud-Kivu serait utile ? Cela reste à voir. A Goma et à Bunia, l’administration militaire est en train de se mettre en place. Il y a des signes que des efforts militaires plus consistants sont en train d’être mis en place, mais c’est trop tôt pour se faire une idée de l’efficacité, ni sur les deux provinces en question, ni sur d’autres endroits.

TV5MONDE : On parle aujourd’hui d’une sorte de migration qui pourrait concerner des bandes armées du Nord-Kivu vers le Sud, depuis la mise en place de l’état de siège…

Christoph Vogel : C’est une possibilité mais je ne vois pas une forte migration de groupes armées du Nord vers le Sud-Kivu en bloc. La plupart des groupes armées sont des formations qui n’ont pas forcément une douzaine de jeep par exemple ou des moyens pour bouger extrêmement vite. En fait, en grande partie, les combattants de la bonne centaine de groupes armés recensés par le Baromètre Sécuritaire du Kivu en 2020 dans tout l’est du Congo, passent leur temps à marcher à pied dans leurs opérations, – comme un livre excellent de Justine Brabant l’illustre (NDLR: « Qu’on nous laisse combattre, et la guerre finira »: Avec les combattants du Kivu, éditions La Découverte).

Ainsi, plus probable qu’une grande traversée de groupes armés dans d’autres provinces, certains groupes armés vont chercher à éviter les frappes de l’armée. Il y a certains qui vont se mettre à « dormir » quelques semaines, quelques mois pour laisser passer l’orage et tenter de reprendre leurs opérations.

Dans l’est de la RDC, le Sud-Kivu s’échauffe à son tour

Près de 122 groupes armés sévissent aujourd’hui dans tout l’est congolais. Depuis début 2021, pour les seuls Nord et Sud-Kivu, au moins 490 civils y ont été tués, selon Kivu security tracker (KST), qui tient un « baromètre sécuritaire » des incidents violents dans tout l’est congolais. Ces derniers mois, l’attention internationale s’est plutôt portée sur les très meurtriers rebelles d’origine ougandaise ADF (qui opèrent dans le Nord-Kivu, près de la frontière ougandaise) et leurs supposés liens avec l’État islamique. Pour tenter de juguler leurs tueries, le président Félix Tshisekedi a proclamé le 6 mai dernier l’état de siège au Nord-Kivu et dans l’Ituri voisin.

Depuis fin mars 2021, la situation dans les montagnes des Hauts plateaux du Sud-Kivu «s’est dégradée », constate pour l’AFP Pierre Boisselet, coordonnateur de l’organisation. La recrudescence des violences « serait liée à une incursion d’hommes armés en provenance du Burundi en mars, (…) des rebelles burundais Red-tabara alliés à des Maï-Maï », selon KST. « Si les violences sont cycliques sur les Hauts plateaux, cette situation est relativement nouvelle », analyse M. Boisselet. Accessoirement, elles ont éclaté après une courte accalmie à la faveur d’un « dialogue » intercommunautaire et un accord signé le 31 mars à Kinshasa, resté donc lettre morte.

« Au point de vue militaire, nous essayons de faire ce que nous pouvons pour protéger les populations civiles », déclare à l’AFP le porte-parole de la mission de l’ONU dans le pays (Monusco), Mathias Gillmann.

Les Casques bleus ont installé récemment une nouvelle base dans la zone « pour répondre à l’urgence », rappelle M. Gillmann, notant «les problèmes d’accès et d’absence des autorités de l’État », tout en soulignant que « la solution viendra des communautés ».

La Monusco a remplacé la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (Monuc). C’est le plus gros détachement de l’ONU avec près de 20 000 hommes. Mais malgré un budget d’un milliard de dollars par an, le travail de la Monusco est contesté en RDC par la société civile et les populations. Ces dernières dénoncent ce qu’elles appellent le laxisme de la part de la force onusienne face aux tueries à répétition dans l’est de la RDC.

Par Ndiassé Sambe (TV5MONDE)

angelo Mobateli

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