– A l’occasion de la célébration, mercredi 30 juin 2021, de l’indépendance de la RDC, l’Agence Anadolu s’est entretenue avec l’historien Guillaume Nkongolo Funkwa
30 Juin 2021 à Kinshasa, ex-Léopoldville, le soleil se lève tôt. Et comme de routine, des embouteillages plombent la circulation au milieu des marées humaines qui déferlent le long du boulevard Lumumba en direction du centre-ville.
Les activités quotidiennes sont au rendez- vous, excepté dans l’administration publique et le secteur formel.
Car ce mercredi, la République démocratique du Congo (RDC) célèbre ses 61 ans d’indépendance arrachée des mains des colons belges (1908 – 1960).
La journée est chômée et payée mais depuis les deux précédentes années marquées par l’arrivée au pouvoir de l’opposant Felix Tshisekedi, aucune célébration solennelle n’est prévue, principalement à cause de la troisième vague de la pandémie de Covid-19.
A plus de trois heures d’avion, dans la région du Katanga, dans le sud du pays, l’activité minière est le principal rempart de l’économie. C’est dans cette région qu’avait été assassiné en 1961, le héros de l’indépendance, Patrice-Emery Lumumba dont la dépouille n’a jamais été retrouvée. Dans cette façade révélatrice de la RDC, un pays potentiellement riche à cause d’innombrables mines, mais dont l’écrasante majorité de la population croupit dans la pauvreté, Guillaume Nkongolo Funkwa, s’est voulu indépendant du sous-sol, en se contentant de l’enseignement de l’histoire.
A l’université de Lubumbashi, l’une des plus importantes de l’Afrique centrale, il est professeur d’histoire et dirige les bibliothèques de cet établissement public. Dans un pays qui ne rémunère pas correctement sa crème, Guillaume Nkongolo Funkwa cumule ses fonctions officielles avec un poste de directeur intérimaire du Centre d’études et de recherche documentaires sur l’Afrique centrale (CERDAC).
Politique, économie, Nations Unies … Pour l’Agence Anadolu, il revient, sur un ton d’analyste, sur l’état actuel de l’ex Congo – Belge, devenu Congo puis rebaptisé Zaïre avant de devenir la République démocratique du Congo.
Comment évaluez – vous la situation en RDC après six décennies d’indépendance ? La situation a-t-elle évolué de 1960 jusqu’à aujourd’hui ?
Après six décennies d’indépendance, le bilan est partagé. Il est positif sur le plan culturel. Enseignement assez développé : 10 universitaires en 1960, aujourd’hui des centaines de milliers. Plusieurs diplômés d’État bien que peu en sections professionnelles. Beaucoup d’analphabètes dans les milieux ruraux. La culture congolaise s’est beaucoup développée et diversifiée. Mais les défis sont énormes sur le plan socioéconomique. Pas le moindre plan de développement économique exécuté en 60 ans. Notre économie extravertie, dépend des caprices des prédateurs miniers agissant en complicité avec une minorité de politiciens à la recherche d’enrichissement rapide. La coopération de corruption instituée en 1960 dans le but d’acheter les consciences de ceux qui devaient trahir Lumumba, se poursuivra 60 ans durant dans la même philosophie. Le pays gît sous un endettement caché au peuple, dû non aux nouveaux apports en capitaux mais aux rééchelonnements des arriérés impayés. Le social des populations est le cadet des soucis des dirigeants. Soixante ans durant, les dirigeants économiques et monétaires du pays se sont contentés de satisfaire le FMI (Fonds monétaire international, NDLR) en imposant des politiques draconiennes de stabilisation économique, sans jamais chercher la voie d’expansion économique qui seule a permis aux 41 pays ayant fait décoller leurs économies de le faire. Au Congo, pour tout bilan, il n’y a que « stabilisation de cadre macroéconomique », mais pour quel bilan d’enrichissement et de diversification économique et industrielle ? Là, les politiques se mordent la langue. Les campagnes sont abandonnées à leur triste sort. Bref, le bilan sur le plan socioéconomique est sombre.
L’un des événements phares reste, sans doute, la passation pacifique du pouvoir pour la première fois entre Kabila et Tshisekedi. Les bienfaits de cet événement commencent-ils à être sentis dans le vécu des Congolais ? Est-ce qu’il y a des prémices d’amélioration ?
La passation pacifique de pouvoir entre Joseph Kabila et Felix – Antoine Tshisekedi … pour l’émotion, c’en était une. Le Congo se sentait honoré. Mais ça n’a pas fait long feu : éclatement de la coalition, abandon des intérêts nationaux minorés par l’ancien régime aux partenaires privés internationaux. Les mêmes qui vinrent comme parrains du jeune Kabila reviennent comme parrains du nouveau régime. Les dirigeants avant comme après la passation du pouvoir sont plus avides de s’aligner sur des agendas internationaux marchandés à coût des promesses des billets verts, qu’à organiser en interne les Congolais pour une stratégie intelligente et autocentrée de développement. Ni bienfaits, ni prémisses d’amélioration ne sont perceptibles dans le vécu des Congolais.
Le défi sécuritaire dans l’est de la RDC perdure depuis des décennies. Cela prive le pays de beaucoup d’opportunités. En tant qu’historien, comment voyez -vous l’évolution de la situation au cours des prochaines années/décennies ?
Oui le défi sécuritaire dans l’est du pays perdure. Le problème est plus complexe. Il y a les enjeux affairistes obscurs des « investisseurs » des mines susceptibles de fournir armes et munitions aux différentes forces négatives. Il y a des enjeux obscurs des dirigeants mondiaux. Il y a l’affairisme des nationaux. Il y a ce fait que dans ce coin du pays, le colonisateur puis les dirigeants congolais post indépendance ont organisé sciemment des mouvements de populations inter frontaliers, que finalement, plusieurs se sentent légitimement fondés de se sentir appartenir selon le moment à cette nationalité, tantôt à l’autre. Ce qui élude le patriotisme et l’amour de la nation congolaise chez certains. C’est l’histoire et c’est complexe. Les solutions tentées ne prennent pas en compte cette perplexité. Au Congo, toutes les causes sont soit politiques soit économiques, jamais historiques. Ce courtermisme est souvent fatal au pays qui y fait recours.
L’ONU et la RDC, ça n’a pas marché. Est-ce que ça marchera un jour ?
L’ONU et la RDC ça n’a pas marché pour la partie congolaise en 1960-1963 et ça n’a pas non plus marché pour la période 1999-2021. La raison est simple. Les dirigeants de la RD Congo ne maîtrisent pas le mobile de cette présence onusienne. Ce mobile est le même qui fut défini par une réunion restreinte du gouvernement belge en juillet 1960 à savoir : installer un régime militaire au bénéfice des intérêts de l’Occident, sous tutelle de l’ONU. Rien n’a changé, sauf pour les dupes. On prétend que c’est sur demande des dirigeants congolais que l’ONU a dépêché des troupes au Congo démocratique. Mais par deux fois J. Kabila a demandé le retrait de ces troupes de Casques bleus. On lui a demandé de se taire. Ce n’était pas à son pouvoir. La MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République Démocratique du Congo, NDLR) est une armée de surveillance du Congo et des Congolais. Le massacre des populations civiles s’est accentué avec la présence de ses troupes. Et le prétexte de la protection de cette population civile est passé où ? Ça ne pourra jamais marcher car les vrais mobiles de cette présence sont cachés et sont à l’opposé de l’intérêt des Congolais.
Que peut offrir la RDC indépendante à l’Afrique et au monde ?
A ce propos, il y a jusque-là trop d’espoirs déçus. Le Congo a bien plus à offrir à l’Afrique et au monde. Au-delà des ressources naturelles abondantes et diversifiées, la RD Congo a la charge de montrer la voie du vrai développement économique et social aux nations africaines. C’est le plus beau cadeau qu’il puisse offrir à ce continent qui le lui réclame depuis le discours d’un haut chef d’État africain en 1958 à la Conférence panafricaine d’Accra. Dans un monde assujetti, cheminant rapidement et sûrement vers un totalitarisme mondial comme celui que nous vivons déjà, la RD Congo doit se réveiller et réveiller les nations pour résister, et surtout pour imposer la construction d’un monde de vraie justice, de vrai bonheur partagé, de la vraie paix, de la vraie démocratie. L’Humanité aujourd’hui menacée d’extinction regarde à la RDC et attend sa réponse. Ses dirigeants et ses populations en sont-ils conscients ? Ont-ils déjà compris pourquoi leur pays est le seul à être soumis sous le statut de colonie internationale, propriété commune des capitalistes mondiaux ? Le réveil du Congo sera le réveil des nations de la terre aujourd’hui terrifiées et mis sous cloche. L’avenir nous le dira.
Par Pascal Mulegwa (Agence Anadolou)