A la veille de la présidentielle et des législatives (nationales et provinciales) programmée par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) en RD Congo pour le 23 décembre 2018, Martin Fayulu Madidi (opposition) et le porte-parole de la Majorité présidentielle (MP), André Alain Atundu, refusent tout « report » de ces scrutins.
« Le 23 décembre, nous n’acceptons aucun report. M. Nangaa de la CENI a dit qu’il allait organiser les élections le 23, Il faut qu’il y ait les élections le 23 décembre. », insiste le candidat de la coalition Lamuka.
Appelant les électeurs à « aller voter sans violence », il précise : « Notre pays est devenu la risée du monde, alors qu’il regorge d’énormes richesses naturelles et humaines. Nous devons arrêter ce cycle de paupérisation. Je veux que le Congolais vive en toute dignité et dans la prospérité ».
Pour André-Alain Atundu, «aucun report n’est envisagé, ni même envisageable, les trois élections prévues auront lieu le 23 décembre 2018, (car) il y va de la crédibilité des institutions de la RDC et de la haute considération due au peuple congolais ».
« Il ne nous reste qu’à attendre le 23 décembre 2018 dans le calme et la sérénité, d’attendre que les Congolais fassent le choix de la vérité : Emmanuel Ramazani Shadary », a dit Atundu, qui a vanté les mérites du candidat du Front Commun pour le Congo (FCC).
L’IRDH dénonce une « volonté délibéré de pousser le pays dans la violence »
Les chercheurs de l’Institut de Recherche en Droits Humains (IRDH), se fondant sur des observations de terrain, estiment qu’il y a lieu de croire à l’existence d’une volonté délibérée, dans le chef de certaines autorités établies de pousser le pays dans la violence.
D’une part, elles viseraient la jeunesse et de l’autre, elles chercheraient à irriter des leaders de l’opposition, en entravant leurs campagnes électorales. La violence pourrait avoir comme conséquence, l’interruption du processus électoral.
IRRÉGULARITÉS DANS LA CAMPAGNE ÉLECTORALE ET COMPROMISSION DU SCRUTIN DU 23 DÉCEMBRE
Les chercheurs du Projet d’Application des Droits Civils et Politiques (PAD-CIPO) de l’IRDH relèvent des graves irrégularités dans la campagne électorale susceptibles de constituer la fraude électorale, au détriment de l’expression du choix des citoyens congolais. L’opinion publique sait que la fraude électorale peut avoir lieu, soit durant la campagne électorale, soit durant les opérations électorales elles-mêmes. L’Institut attire l’attention de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) sur le fait que lesdites irrégularités restées impunies compromettent le scrutin du 23 décembre 2018.
En effet, la campagne électorale qui arrive à son terme régulier, a été caractérisée par des pratiques illégales, dénoncées ci-après, par ordre de gravité et de leur ampleur : (i) l’entrave à la campagne électorale des candidats de l’opposition, par des autorités établies; (ii) l’usage abusif des moyens, des médias publics et du personnel de l’Etat, aux fins de campagne ; (iii) la pratique de la violence et l’incitation à la violence contre des adversaires politiques ; et (iv) l’acquisition des cartes ou photocopies des cartes d’électeurs par extorsion, corruption et ruse.
- L’entrave à la campagne électorale des candidats de l’opposition.
Des rassemblements de campagne électorale, organisés par l’opposition, ont été dispersés par des éléments de la police qui, faisant usage disproportionné de la force, ont causé des graves atteintes au droit à la vie et à l’intégrité physique des manifestants pacifiques.
Le 19 décembre 2018, le Gouverneur de la ville de Kinshasa, KIMBUTA YANGO André a interrompu arbitrairement, la campagne électorale dans la Ville de Kinshasa. Il a instruit la Police Nationale Congolaise (PNC) d’escorter, par force, à sa résidence, le candidat à la présidentielle, M. FAYULU MADIDI Martin qui allait haranguer ses partisans, à la Place Sainte Thérèse. De la même façon qu’en date du 11 décembre, le Gouverneur de la province du Haut-Katanga, PANDE KAPOPO Célestin, avait empêché le même candidat FAYULU de battre campagne à Lubumbashi.
Ces ingérences politiques sont contraires à l’article 211 de la Constitution de la République qui charge la CENI de la mission exclusive d’organiser tout le processus électoral et toutes les opérations de vote. Et, elles violent l’article 29 de la loi électorale du 10 mars 2006, telle que modifiée à ce jour, qui garantit la libre organisation des rassemblements électoraux sur l’ensemble du territoire national. Par ailleurs, l’article 81 de la même loi sanctionne quiconque entrave ou tente d’interdire ou de faire cesser toute manifestation, rassemblement ou expression d’opinions pendant la campagne électorale.
En ce qui concerne la sécurité, en période électorale, seul le Président de la CENI peut requérir « les forces de l’ordre », le cas échéant, par un écrit suffisamment motivé, conformément a l’article 25, alinéa 8 de la « Loi Organique n° 13/012 du 19 avril 2013 modifiant et complétant la loi organique n° 10/013 du 08 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante ».
- L’usage abusif des moyens et personnel de l’Etat aux fins de campagne électorale.
Il est de notoriété publique que, des membres du Gouvernement national et des gouvernements provinciaux ont abusé des médias publics, des bâtiments, des véhicules, du personnel et des finances de l’Etat, aux fins de mener la campagne tant pour eux-mêmes que pour le candidat du Front Commun pour le Congo (FCC). Même la « première dame », Madame LEMBE KABILA Olive a utilisé des véhicules et des militaires de la Garde Républicaine, afin de battre campagne pour le même candidat.
Il y a lieu de mentionner que la Radiotélévision Nationale Congolaise (RTNC) est exclusivement orientée vers la campagne électorale du candidat du FCC.
Cette pratique constitue une violation flagrante de l’article 36 de la loi électorale sus évoquée qui dispose que « l’utilisation des biens, des finances et du personnel public visé ci-dessus est punie de radiation de la candidature ou d’annulation de la liste du parti politique, du regroupement politique ou des indépendants qui s’en rendent coupables ou dont le candidat s’en rend coupable ».
- La pratique de la violence et l’incitation à la violence.
Il revient que la violence, restée impunie pendant la période électorale, était encouragée par des autorités en fonction. L’exemple des plus flagrants qui mécontente toute conscience humaine est venu du Gouverneur de la province du Haut-Katanga, Monsieur KAPOPO qui incitait des jeunes du FCC à Lubumbashi à la violence, au cours d’une réunion où il avait tenu les propos suivants : « […] je pose la question de savoir vous avez peur de qui et de quoi ? Comment des jeunes d’un parti peuvent scander le nom de leur leader et vous ne faites rien ? […] Il faut les en empêcher ! Si l’on vous met au cachot le matin, le soir, je vous fais libérer. […] Je suis au pouvoir, en province, et le président Kabila est au sommet. On ne vous fera rien […] Si non, s’ils prennent le pouvoir, ils nous mettront tous en prison. Vous et moi […] ».
Après cette incitation à la violence, il a été observé, notamment, des atteintes à la vie des citoyens par balles réelles, l’incendie des véhicules sur la place publique, la destruction des affiches des candidats tant de l’opposition que du FCC.
Cette pratique est contraire à l’article 34 de la loi électorale qui stipule que : « Aucun individu, parti politique ou regroupement politique ne peut inciter quiconque à commettre un acte de nature à entraîner des violences, des menaces ou à priver d’autres personnes de l’exercice de leurs droits ou libertés constitutionnellement garantis ».
- L’acquisition des cartes d’électeurs par extorsion, corruption ou ruse.
Il revient que des parents sous tutelle des policiers, militaires et agents de renseignements ont subi une extorsion systématique de leurs cartes d’électeurs. De même qu’il s’était observé trois phénomènes : (a) Des bureaux de campagne des candidats, de tout bord, se livraient à photocopier des quantités des cartes d’électeurs, sous prétexte d’accréditer leur propriétaire comme observateur ; (b) Des entreprises commerciales et minières se chargeaient aussi de photocopier des cartes d’électeur, cotre remise des « dons » ; Et, (c) des candidats ou cadres de leurs partis politiques distribuaient publiquement de l’argent aux électeurs.
Ces pratiques viseraient de tricher, en se fondant sur le dernier alinéa de l’article 59 de la loi électorale de 2011 qui permet d’être admis à la catégorie de votants par dérogation, les électeurs identifiés par la CENI, au moins quinze jours avant le début du scrutin.
- Conclusion et recommandations
Se fondant sur les observations ci-dessus, les chercheurs de l’IRDH estiment qu’il y a lieu de croire à l’existence d’une volonté délibérée, dans le chef de certaines autorités établies de pousser le pays dans la violence. D’une part, elles viseraient la jeunesse et de l’autre, elles chercheraient à irriter des leaders de l’opposition, en entravant leurs campagnes électorales. La violence pourrait avoir comme conséquence, l’interruption du processus électoral.
Eu égard à tout ce qui précède, les chercheurs de l’IRDH recommandent :
o Aux citoyens de :
– Dénoncer toute pratique illégale ou tentative de fraude d’où qu’elles viennent. Que cela vienne des policiers, militaires, agents ou fonctionnaires aux ordres illégaux d’un candidat ou d’un groupe politique ;
– Documenter et dénoncer toute violence et incitation à la violence, en filmant la scène, enregistrant des paroles, actes ou écrits. Ceci pourra servir de base aux enquêtes et poursuites devant la justice nationale ou la Cour pénale internationale (CPI).
o A la CENI de :
– Condamner et déférer aux parquets l’usage abusif des fonctions, personnel et moyens de l’Etat, par des politiciens en compétition électorale ;
– Ne pas autoriser au tiers, pour quel que motif qui soit avancé, d’utiliser la carte ou photocopie de la carte d’électeur qui ne lui appartienne pas. Car, il y a des raisons de croire à une acquisition par ruse, extorsion ou corruption,
– Prendre toutes les dispositions nécessaires tendant à décourager tout acte de nature à occasionner la fraude. Cela dans le but de mettre tous les candidats en confiance et permettre aux citoyens d’accepter sans contestation les résultats.
Angelo Mobateli