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Me Joëlle Monlouis : “Il faut une tolérance zéro au racisme”

L’avocate au barreau de Paris Joëlle Monlouis aborde en cette période de post-confinement plusieurs sujets, entre autres, la pandémie de la Covid-19, le racisme, l’Afrique, les enjeux de l’écosystème sportif, etc.

Imprévisible, la Covid-19 est devenue une pandémie. Cette situation dramatique a changé les rapports aux autres. En vivez-vous l’expérience, à titre personnel ?

Bien évidemment, déjà parce que, comme tout le monde, j’ai subi les restrictions imposées pour faire face à l’épidémie. À Paris, nous avons été confinés pendant plus de deux mois.

Cette période a été l’occasion de se recentrer un peu plus sur son cercle familial et sur ses proches. Et aussi de repenser ses priorités et d’organiser sa vie et son environnement autrement.

D’ailleurs, j’ai constaté que les rapports professionnels étaient un peu plus bienveillants qu’à l’accoutumée ! Il faut espérer que cette expérience commune va nourrir, de la meilleure des façons, nos rapports à l’avenir.

Avec cette pandémie, des thèses s’affrontent. Comme celle de ceux qu’on appelle les complotistes qui affirment que la Covid-19 est une « maladie de Blancs ». Validez-vous cette théorie ?

Il est effectivement notable que le continent africain résiste mieux que le reste du monde à cette pandémie et c’est tant mieux ! En effet, avec des systèmes de soins affaiblis par endroits, la Covid-19 aurait pu faire des ravages sur le continent.

Trombi — Joëlle Monlouis – Avocate guadeloupéenne spécialisée en droit du sport et des affaires, est membre et présidente de plusieurs commissions sportives, d’athlétisme, de football et de basketball.

Il a aussi été évoqué, un temps, que cela pourrait être propre au modèle des pays « occidentaux » où l’on retrouve une très forte densité de la population et des flux migratoires très importants propices à la propagation de ce type de maladie.

Pour autant savoir si c’est dû à la chaleur, à une meilleure résistance/préparation face aux maladies infectieuses, ou grâce à la prise de chloroquine ou toute autre thèse va bien au-delà de mes compétences et pour une maladie sur laquelle nous ne connaissons très peu de choses, pour le moment.

Le doute des citoyens africains envers leurs dirigeants n’est-il pas fondé, au vu notamment de la faiblesse des systèmes de santé publique? 

L’angoisse des citoyens dans une telle situation est tout à fait normale. Normale, car l’environnement ambiant mondial n’était pas très encourageant. Normale, car les pics de mortalité journaliers importants, dans des pays disposant de meilleurs systèmes de santé, avaient de quoi angoisser. Et normale, car il appartient à chaque citoyen de s’interroger, et en tout temps. Cette angoisse ne peut être que multipliée si de surcroît on a un doute, justifié ou non, sur la capacité des gouvernants à gérer cette crise.

Il appartiendra aux gouvernants d’être réactifs en cette période où les attentes de la population sont importantes et de démontrer qu’ils sont aptes à les protéger.

Il est de plus en plus question de la vulnérabilité de la communauté noire face à la Covid-19, car, elle est pauvre, dit-on. En clair, se pose la question du déterminisme, de l’origine sociale. Partagez-vous cette approche ?

Il est certain que les personnes les plus fragiles sont celles qui sont en général plus touchées en temps de crise. Parce que ce sont celles qui subissent le mal logement et peuvent rencontrer des problèmes de surpopulation ou encore des difficultés sanitaires (toilettes communes, pas d’eau potable, etc.). Parce que ce sont celles qui ont du travail précaire et peuvent donc plus facilement être mis à l’écart de l’emploi. Et aussi parce que bien souvent, ce sont celles qui doivent aller travailler, quelle que soit la situation pour faire tenir le système.

Il est incontestable que les personnes les plus fragiles, ce qui est souvent le fait des minorités dont fait partie la communauté noire, sont plus touchées par la Covid-19. Cette question s’est également beaucoup posée, en matière de soin, aux États-Unis où le système santé ne permet pas au plus démunis, qui sont très souvent majoritairement composés de minorités, n’ayant pas de mutuelle d’accéder au système de santé.

Ce qui est vrai aux États-Unis ne s’appliquerait pas en France qui dispose d’un système de soin universel. Dans ce second système, toutes les populations peuvent être soignées quelles que soient leur origine ou leurs richesses.

Philosophiquement, je suis de ceux qui s’opposent au déterminisme, tel que l’envisage Spinoza. Il faut se battre, coûte que coûte, contre ce déterminisme que l’on nous oppose trop souvent et qui enferme des personnes dans une case (avec les clichés et les préjugés qui vont avec) et bouche définitivement l’horizon.

Vous êtes une avocate spécialiste dans le sport, surtout en Afrique. En quoi consiste cet espace de votre champ professionnel?

Il consiste à accompagner l’ensemble des acteurs du monde sportifs aussi bien les sportifs eux-mêmes, les clubs, les fédérations ou confédération, comme c’est le cas pour la Confédération africaine de football (CAF). Mais également les acteurs intéressés ou qui soutiennent le monde du sport (entreprise privée, collectivités). Je les accompagne en les conseillant pour leurs affaires courantes et en les défendant, en contentieux, devant les instances nationales ou internationales.

Je suis très présente sur le continent africain et aux côtés de ses acteurs où les besoins sont présents et la nécessité d’un accompagnement de qualité. J’interviens d’ailleurs comme conseil de la CAF. Mon expertise et mes travaux se nourrissent également de mon implication dans la gouvernance du sportnotamment en participant activement dans les instances sportives et disciplinaires telles qu’au sein de la World Athletics, de la Ligue professionnelle de basket-ball français ou encore la Ligue de football de Paris.

Faut-il encore moraliser ce milieu, où souvent concussion rime avec corruption, ou les bonnes pratiques sont-elles enfin appliquées ?

La moralisation est à la fois un objectif à atteindre et une action à mener. Elle s’applique à tous les secteurs, comme la politique par exemple, et le sport ne fait pas exception ! Il essaye également de tendre vers cet objectif et de le faire appliquer à l’ensemble de ses acteurs. C’est le cas notamment du football (FIFA) qui est moteur dans ce domaine.

Le 22 janvier 2020, la FIFA a publié six mesures pour « éliminer ou réduire les pratiques abusives et excessives qui ont malheureusement existé dans le football ». Ces mesures ont-elles changé quelque chose dans « la régulation des transferts dans le football », quatre mois après ?

Les mesures mises en avant par la FIFA visent à réguler l’activité des agents notamment : en plafonnant les commissions et en limitant la représentation multiple pour éviter les conflits d’intérêts. La Fédération veut réintroduire l’obligation d’obtenir une licence pour exercer. Elle entend publier les travaux liés aux agents dans les transferts afin d’en améliorer la transparence et la crédibilité du système.

Il s’agit d’un changement de position important, amorcée par cette institution qui avait pourtant décidé en 2015 de ne plus imposer de cadres réglementaires aux agents qui devenaient des « intermédiaires » et n’avaient plus besoin d’obtenir une licence pour exercer.

Face à un marché fortement dérégularisé, certains ont appelé de leurs vœux à des changements dans l’intérêt des acteurs du football.

Le marché des transferts va s’ouvrir, toujours sous l’ancien régime encore applicable, la Covid-19 étant passée par là, il est peu probable de voir des changements notables intervenir.

Avec bientôt plus d’un milliard d’habitants et 54 nations, l’Afrique n’a droit qu’à cinq représentants à la Coupe du monde de football. On peut déplorer une inégalité de traitement au regard des treize équipes qui représentent quelque 750 millions d’habitants et une cinquantaine d’États d’Europe. Comment expliquez-vous cette situation ?

Effectivement cette inégalité est criante à la lecture des chiffres en présence. Elle trouve sa source dans l’histoire du football, sport né en Europe et qui s’est ensuite étendu à l’Amérique du Sud avant de se mondialiser. Entre 1934, année de la première participation africaine avec l’Égypte, et 1970, aucune équipe africaine n’a participé à un mondial. En effet, la participation se faisait uniquement sur invitation au départ.

L’Afrique est un formidable réservoir de sportifs et d’athlètes. Et avec 41 % de la population ayant moins de quinze ans, le réservoir ne risque pas d’être à sec ! Si l’histoire a été un frein par le passé, l’Afrique compte désormais sur le sport au niveau mondial.

De même, il a fallu également un temps nécessaire à la CAF, crée en 1957, pour se structurer avant d’envisager les compétitions internationales. Ensuite il a fallu de nombreux combats et de boycott pour permettre au continent d’être entendu et mieux reconnu. Compte tenu de la montée en puissance, constante, du football africain et du souci croissant par ses institutions de défendre les intérêts continentaux, la situation ne pourra aller qu’en s’améliorant et c’est ce qu’il faut retenir.

D’ailleurs, en 2026, avec la Coupe du monde à 48 équipes nous passerons à neuf équipes pour le continent, soit trois de plus. C’est déjà un bon début !

Les joueurs noirs continuent d’être sifflés dans les stades par les supporteurs qui imitent aussi des cris de singes. Cette situation perdure ; comment combattre le laxisme et la complaisance des instances sportives ?

La FIFA a pris des résolutions visant à éradiquer le racisme et les discriminations de toute sorte dans le football. C’est principalement en Europe que l’on rencontre les cas les plus navrants. L’UEFA préconise pourtant une tolérance zéro envers le racisme et la considère même comme l’une de ses Onze valeurs clés.

Face à ce genre d’incidents, l’arbitre central doit les constater et agir en conséquence. La consigne comporte trois degrés. 1/ Interruption du match une mise en garde adressée au public,via une annonce vocale par exemple demandant l’arrêt des incidents. 2/ Suspension du match de cinq à dix minutes, retour temporaire des équipes aux vestiaires et nouvelle annonce. 3/ Arrêt du match si les comportements n’ont pas cessé. Dans un tel cas, une défaite par forfait sera prononcée contre l’équipe responsable.

Sur le papier, il existe donc un certain nombre d’outils et d’actions menées, ou à mener, pour mettre fin aux comportements racistes. Cependant, ces outils ne sont pas aussi utilisés aussi souvent qu’ils le devraient. Il appartient aux arbitres et aux instances disciplinaires de se sensibiliser et de s’emparer, plus encore, de ces agissements répréhensibles.

Il faut des décisions fortes et des gestes forts adressés à ses supporters pour permettre au football d’arriver à une ère nouvelle où le racisme n’aura pas sa place. Il faut encore se battre en 2020 pour être respecté, c’est vrai pour le football, mais pas seulement, et ce n’est que comme cela que les victimes seront entendues.

En votre qualité d’avocate, spécialiste du droit et de l’économie du sport, et d’ancienne athlète, comment entrevoyez-vous l’avenir du sport en Afrique et plus globalement son rayonnement au plan international ?

L’Afrique est un formidable réservoir de sportifs et d’athlètes. Et avec 41 % de la population ayant moins de quinze ans, le réservoir ne risque pas d’être à sec ! On parlait de l’histoire qui a été un frein par le passé, ce passé est bien révolu et l’Afrique compte désormais sur le sport au niveau mondial. Il ne faut pas qu’elle ait peur de compter encore plus et d’aller chercher la place qui doit lui revenir.

PAR SERGES DAVID

Oscar BISIMWA

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