La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) semble naviguer dans des eaux troubles à l’analyse du tollé général qu’elle vient de soulever dans les rangs de six (6) présidentiables, invalidés vendredi 24 août 2018, aux scrutins annoncés pour le 23 décembre prochain en République démocratique du Congo (RDC) ainsi que dans divers milieux. Sur 25 dossiers, dix-neuf sont retenus.
Les six candidats recalés sont : Mme Ifoku Mputa Marie Josée, Badibanga Ntita Samy, Moka Ngolo Mpati Jean-Paul, Muzito Fumutshi Adolphe, Gizenga Antoine et Bemba Gombo Jean-Pierre.
Des incohérences
Des analystes congolais relèvent un certain nombre d’incohérences et d’inepties dans les motivations de la Ceni justifiant l’invalidation de six candidats à la prochaine élection présidentielle, dont les cinq (5) suivants ;
- Antoine Gizenga : invalidé par défaut de qualité du signataire du dossier tandis que Emmanuel Shadari validé par le même fait. Lugi Gizengi signe à la place d’Antoine Gizenga et Nehemie avait signé à la place de Shadari à la Ceni.
- Samy Badibanga : invalidé pour sa nationalité alors que le même Badibanga fut nommé Premier ministre en décembre 2016 par ordonnance du président Joseph Kabila, avec quelle nationalité ?
- Adolphe Muzito : invalidé pour conflit avec son parti PALU (duquel il a démissionné) ; alors qu’est validé Emmanuel Shadari (membre du PPRD et délégué du FCC) qui postule en tant qu’indépendant sans une lettre de la démission à son parti ou sa plateforme.
- Jean-Pierre Bemba : invalidé pour subornation de témoins alors que son ancien avocat Aimé Kilolo pour le même fait, est validé à la députation.
- Samy Badibanga : invalidé candidat président mais validé candidat député provincial à Kinshasa/Lemba.
Samy Badibanga : « La CENI n’est pas censée interpréter le droit »
Samy Badibanga, ancien Premier ministre dont la candidature à la présidentielle a été invalidée, estime que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) n’est pas censée interpréter le droit. Il a ainsi réagi, samedi 25 août, 2018 après avoir été éliminé de la course pour raison de nationalité.
La CENI a jugé irrecevable le dossier de Samy Badibanga pour : « défaut de nationalité d’origine. Après avoir perdu sa nationalité d’origine, le recouvrement de cette dernière ne donne droit qu’à une nationalité d’acquisition ». Mais, Samy Badibanga cité par Radio Okapi, affirme qu’il bénéficie d’un arrêté ministériel signé par le ministre de la Justice dans lequel il recouvre sa nationalité.
« Cet arrêté dit clairement que je recouvre ma nationalité congolaise d’origine. J’ai pu obtenir un certificat de nationalité en bonne et due forme signé par le même ministre. Et dans ce certificat de nationalité, nulle part il est mentionné : petite nationalité », a justifié l’ancien Premier ministre.
Il dit entendre saisir les cours et tribunaux pour faire valoir ses droits. « La Cour constitutionnelle devra corriger cette erreur. Si cela n’est pas fait, là on aura la confirmation que c’est une affaire politique » a conclu Samy Badibanga.
Adolphe Muzito : « La CENI est en train d’obéir à une vision politique »
Adolphe Muzito, dont la candidature à l’élection présidentielle a été recalée par la Commission électorale nationale indépendante estime que la même CENI est en train d’obéir à une vision politique. Au cours d’une conférence de presse tenue samedi 25 aout 2018 à Kinshasa, le Premier ministre honoraire a ainsi réagi à l’invalidation de sa candidature à la présidentielle de décembre 2018.
«La CENI est en train d’obéir à une vision politique. Elle dit que je suis en conflit, parce que pour elle, je suis encore du PALU. Elle m’enregistre comme UREP, elle enregistre M. Gizenga comme PALU. Et dans la colonne où on indique la sanction, Gizenga est sanctionné pour d’autres raisons, mais moi je suis sanctionné comme étant en conflit avec le PALU, parce que pour eux le PALU s’est plaint auprès de la CENI. Et sur cette base la CENI a invalidé ma candidature. Mon commentaire est simple: c’est la volonté de m’écarter de la course », a réagi Adolphe Muzito, cité par Radio Okapi.
Selon lui, cette décision relève de la stratégie politique de la majorité qui vise à « affaiblir l’opposition en divisant les candidatures sérieuses ».
« Ils ont peur de Muzito et ils savent pourquoi. J’ai beaucoup fait pour faire profil bas. Mais eux ils savent. Ils ne se trompent pas, mais ils font le malin. J’ai été suspendu pour une durée indéterminée. J’ai écrit au parti pour prendre acte de cette suspension, mais aussi pour prendre congé du parti. J’ai écrit aussi à ma cellule pour annoncer ma démission. Toute cette correspondance, je l’ai jointe à mon dossier de candidature, candidature soutenue par l’UREP. C’est le dossier que la CENI. Donc je ne suis plus militant du PALU », a rappelé Adolphe Muzito.
Jacques Djoli « Donner une chance à la Cour constitutionnelle de montrer son indépendance »
Jacques Djoli, inspecteur général du MLC, a indiqué lundi 27 août 2018 que Jean-Pierre Bemba, dont la candidature à l’élection présidentielle a été jugée irrecevable, a décidé de déposer son recours devant la Cour constitutionnelle pour que celle-ci fasse preuve de son indépendance.
« Après évaluation, le président national, Jean-Pierre Bemba tout en comprenant le sentiment de dégoût et de désespoir de la population, a, en tant que légaliste pris l’option de donner une chance à la plus haute juridiction du pays de montrer son indépendance et sa capacité de se soustraire des contingences politiques. Mai pour éviter de donner des arguments ou prétextes aux uns et aux autres au courant de la journée d’aujourd’hui, l’équipe d’avocats du MLC va pouvoir déposer un recours auprès de la Cour constitutionnelle », a déclaré Jacques Djoli.
Il espère que la Cour constitutionnelle pourra rendre son verdict en toute indépendance.
« Le président Jean-Pierre Bemba a eu à trancher entre une tendance majoritaire du parti qui estimait que compte tenu des précédents de la Cour constitutionnelle, il n’était pas nécessaire de déposer un recours. Mais le président Bemba a fait confiance aux institutions comme il a fait confiance en la CENI et croit que, les juges de la Cour, vont s’extraire des contingences politiques et rendre la justice au nom du peuple congolais », a indiqué M. Djoli.
La candidature de Jean-Pierre Bemba Gombo à l’élection présidentielle du 23 décembre 2018 en RDC a été déclarée irrecevable par la CENI à la suite de sa condamnation à un an de prison et à un paiement de 30 000 euros d’amende par la Cour pénale internationale pour subornation des témoins.
Aprodec : « La candidature de Shadary doit être invalidée »
L’Association pour la Promotion de la démocratie et e développement de la République démocratique du Congo (Aprodec) est une asbl qui œuvre depuis plus de dix ans pour la défense des intérêts et des droits des Congolais. Elle est particulièrement attentive au processus électoral en cours en RDC. C’est à ce titre qu’elle étudie les dossiers des candidatures déposés, notamment, pour la course à la présidence de la République.
L’Asbl Aprodec, rapporte La Libre sous la signature de Hubert Leclercq, s’est donc logiquement penchée sur la candidature d’Emmabuel Shadary Ramazani, ex-ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, actuel secrétaire permanent du PPRD et, depuis le 8 août, dauphin déclaré du président, hors mandat, Joseph Kabila.
Les responsables d’Aprodec ont donc examiné tous les documents déposés par le candidat et sa suite, mais aussi les statuts des organes qui l’ont amené à cette candidature. Une lecture juridique, uniquement basée sur des écrits et sans considération politique.
La conclusion des juristes d’Aprodec est sans appel : la candidature de Shadary Ramazani est irrecevable. C’est le sens du courrier que l’asbl a envoyé au président de la CENI, Corneille Nangaa.
Le courrier constate que M. Shadary Ramazani a déposé, le 27 juillet (2018) sa candidature à la députation nationale dans la circonscription de Kambambara, dans le Maniema. Il est candidat sur la liste du PPRD.
Le 8 août, M. Shadary Ramazani est désigné comme son « dauphin » par le président Kabila qui n’exerce pas la présidence du PPRD.
Selon les nouveaux statuts du PPRD, datés du 22 janvier 2018, c’est au président du parti qu’il revient de convoquer et de présider le Congrès. Le texte prévoit aussi que le président doit présenter au Congrès le candidat président de la République. Dans le même article, il est aussi prévu que le président du parti est désigné par le congrès.
Or, aucun congrès n’a jamais été organisé. Il n’a donc jamais pu se choisir un président, ni désigner un candidat président de la République.
Les juristes de l’Aprodec en tirent donc la conclusion, évidente, que la candidature de M. Shadary Ramazani n’est pas recevable « faute de qualité ». Et les juristes de l’asbl de citer les articles qui doivent contraindre la CENI à invalider cette candidature.
L’Aprodec a encore soulevé d’autres « indélicatesses » dans cette candidature du secrétaire général du PPRD. Notamment le fait que « Maître Néhémie Mwilanya Wilondja, directeur de cabinet de Kabila, a rempli (les photos sont nombreuses qui le démontrent), sans titre ni qualité, le formulaire de candidature de Shadary Ramazani, lequel ne disposait d’aucune lettre d’investiture émanent du Congrès (inexistant) du PPRD, ni la moindre preuve du paiement de la caution de 100..000 dollars délivrée par la DGRAD.
L’Aprodec d’en conclure ici que cette candidature doit être invalidée pour faite de qualité et d’intérêt.
Enfin, cerise sur la gâteau, M. Shadary Ramazani a déposé sa candidature en tant qu’indépendant, alors que, dans le même temps, il est candidat du PPRD à la députation nationale sous l’étiquette du PPRD. Pour l’Aprodec, il s’agit là d’une fausse déclaration intentionnelle, qui entache la candidature de nullité ou d’irrecevabilité.
Forte de cette démonstration, l’asbl demande au président de la Ceni d’invalider la candidature de M. Emmanuel Shadary Ramazani. La balle est dans le camp de la CENI et de son président Corneille Nangaa.
Les dates à retenir avant la publication des listes définitives des candidats
D’après le calendrier électoral, la période des contentieux des candidatures à la présidentielle et aux législatives nationales est fixée du 25 août au 4 septembre. Il s’agit des dépôts et traitement des recours des candidatures.
Ces recours devront se faire dans un délai de 5 jours suivant la publication des listes provisoires des candidats, en référence aux articles 25 et 27 de la loi électorale.
Ce délai de recours court à partir du premier jour ouvrable qui suit la publication des listes provisoires des candidats, précise l’article 25 de la loi électorale.
La Cour constitutionnelle va statuer toutes affaires cessantes et sans frais, sur ces recours, précise l’article 27 de la loi électorale.
Après le traitement des recours, la Cour constitutionnelle devra notifier la CENI de ses arrêts entre le 5 et le 11 septembre.
Du 12 au 18 septembre, la Commission électorale devra prendre en compte les décisions de la Cour constitutionnelle et le cas échéant, modifier les listes des candidats.
La publication définitive des listes des candidats est fixée au 19 septembre prochain.
Angelo Mobateli