« Nous devons vaincre la maladie du sommeil d’ici 2030 »
Entretien avec Vanina Laurent-Ledru, Directrice Générale de la Fondation S, Groupe Sanofi
Avec ses partenaires, dont l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’ONG Drugs for Neglected Diseases Initiative, la Fondation S, bras philanthropique du groupe Sanofi, est engagée dans une course contre la montre pour éradiquer la maladie du sommeil d’ici 2030 en Afrique sub-saharienne. Cette maladie transmise par la piqûre de la mouche tsé-tsé, est présente dans trente-six pays avec une forte concentration sur quelques pays : RDC, Zambie, Tanzanie, Ouganda et Malawi.
Quelle est votre évaluation de la prévalence de la maladie du sommeil en Afrique et de l’impact des maladies tropicales négligées sur les systèmes de santé ?
Vanina Laurent-Ledru : La maladie du sommeil figure parmi les 20 maladies tropicales négligées selon l’Organisation mondiale de la Santé. Ces pathologies touchent plus d’un milliard de personnes essentiellement dans les régions tropicales, souvent très pauvres. Elles sont dites négligées, car peu de ressources y sont aujourd’hui dédiées. Cependant, elles continuent d’avoir un impact fort sur la vie des populations et des patients. En effet, on estime que le coût de la mortalité due aux maladies tropicales négligées en Afrique seulement s’élève à plus de 5 milliards de dollars par an.
Ces maladies ont un effet dévastateur sur la vie des gens : elles empêchent les adultes de travailler et interrompent souvent la scolarité des enfants. Elles touchent les populations les plus vulnérables et entraînent de graves séquelles pas seulement physiques mais aussi économiques. Sans compter la stigmatisation sociale.
Comment se traduit l’engagement de votre Fondation dans la lutte contre ces maladies tropicales ?
Foundation S, Le Collectif Sanofi s’est fixé l’objectif de contribuer à éliminer la maladie du sommeil d’ici 2030. C’est notre engagement pris en partenariat avec l’OMS et Drugs for Neglected Diseases Initiative (DNDi) grâce à un traitement novateur. En effet, Sanofi fournit aujourd’hui 80% des traitements contre la maladie du sommeil et a choisi, en accord avec la feuille de route de l’OMS, de faire de l’élimination de cette maladie une priorité majeure.
Nous mettons gracieusement à disposition de nos partenaires, toutes les molécules qui permettent de traiter la maladie du sommeil, et ce depuis plus de deux décennies. Nous avons établi un partenariat avec l’OMS dès 2001 afin de financer les programmes de lutte contre la maladie du sommeil ainsi que pour d’autres maladies tropicales négligées comme la maladie de Chagas, la leishmaniose, l’ulcère de Buruli ou le pian pour lesquelles l’Organisation mondiale de la Santé est très mobilisée en Afrique.
Quelles sont les particularités de la maladie du sommeil et de ses traitements ?
La trypanosomiase humaine africaine (THA), également connue sous le nom de maladie du sommeil, reste une menace pour les communautés des régions isolées en Afrique.
Transmis par la piqûre de la mouche tsé-tsé, le parasite qui cause la maladie du sommeil prend deux formes : le trypanosoma brucei gambiense, présent en Afrique centrale (beaucoup en République démocratique du Congo) et qui correspond à 90 à 95 % des cas. Le trypanosoma brucei rhodesiense se trouve plus en Afrique de l’Est, en Ouganda, en Zambie, en Tanzanie et au Malawi.
Causée par des parasites et transmise par la mouche tsé-tsé infectée (présente dans 36 pays sur le continent africain), la trypanosomiase humaine africaine provoque des symptômes neuropsychiatriques, tels qu’agressivité, psychose et troubles du sommeil invalidants, pouvant entraîner la mort en l’absence de prise en charge.
Alors que les cas ont considérablement diminué ces dernières années avec un meilleur contrôle et des options de traitement plus larges, les méthodes d’administration complexes restent un défi dans les populations mal desservies. La plupart des patients diagnostiqués se trouvent dans les zones les plus reculées du continent, des zones parfois en situation de conflit militaire, où l’accès est extrêmement difficile.
L’espoir d’éliminer cette maladie est à l’horizon avec le développement de nouveaux traitements oraux obtenus grâce aux progrès réalisés ces dernières années provenant de partenariats privés et publics tels que notre collaboration de longue date avec l’OMS et l’organisation à but non lucratif, Drugs for Neglected Diseases Initiative.
Ensemble, nous avons mis au point le premier traitement oral complet multidose, le fexinidazole, enregistré en décembre 2018 en République Démocratique du Congo. C’est seulement 10 jours de comprimés donnés par voie orale. Cela révolutionne complètement le paradigme : les patients ont beaucoup moins peur, ils peuvent aussi prendre le traitement sans passer de nombreux jours à l’hôpital. Un autre traitement oral à prise de dose unique est en développement et viendra compléter l’arsenal thérapeutique.
Le premier traitement oral, un espoir pour les patients
L’EMA (Agence européenne du médicament) a rendu le 15 décembre 2023 un avis favorable pour le Fexinidazole Winthrop comme premier traitement oral de la forme aigüe de la maladie du sommeil. Quel sera concrètement, l’impact de cette décision sur les patients atteints de cette maladie en Afrique ?
Il faut noter que le Comité des médicaments à usage humain (CHMP) de l’Agence européenne des médicaments (EMA) avait déjà en 2018 rendu un avis favorable pour le Fexinidazole Winthrop comme premier traitement entièrement oral chez l’adulte et l’enfant (de six ans ou plus pesant au moins 20 kg) pour la forme la plus courante de la maladie, qui est présente en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.
Cet avis favorable du 15 décembre 2023 fait suite à des études cliniques menées au Malawi et en Ouganda par l’organisation de recherche médicale à but non lucratif DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative). Il ouvre la voie à la mise à jour des directives de l’OMS sur le traitement de la maladie du sommeil, ainsi qu’à la distribution par l’OMS du Fexinidazole Winthrop dans les pays d’Afrique de l’Est et australe où T.b. rhodesiense est présent.
Propos recueillis par A.S.