En RD Congo, le géant suisse a racheté les parts de l’homme d’affaires israélien dans Katanga Mining et MutandaMining, mettant fin à une décennie de partenariat économique. Un article de Tom Burgis, journaliste au Financial Times.
Après des années de relations commerciales, le géant suisse des matières premières Glencore a décidé de prendre ses distances avec l’homme d’affaires israélien controversé Dan Gertler, proche du président Joseph Kabila.
La société, dirigée par le Sud-Africain Ivan Glasenberg, a annoncé en janvier le rachat pour 534 millions de dollars – 495 millions d’euros – des parts de Dan Gertler dans Katanga Mining et MutandaMining qui exploitent deux importantes mines de cuivre dans la région de Kolwezi, dans le sud-est de la RD Congo.
« Cette enquête aux États-Unis a rendu compromettants les liens de Glencore avec Gertler »
Cette décision survient peu de temps après les révélations sur les activités troubles du fonds new-yorkais Och-Ziff, qui gérait 39 milliards de dollars d’actifs. Selon les documents divulgués en septembre 2016 par les autorités
américaines, un « homme d’affaires israélien » – dont la description correspond à celle de Dan Gertler a payé via Och-Ziff des pots de vin à Joseph Kabila dans le but d’obtenir des concessions minières en RD Congo.
« Cette enquête aux États-Unis a rendu compromettants les liens de Glencore avec Gertler », estime un banquier spécialisé dans le secteur minier et actionnaire du groupe suisse, qui interprète le rachat des parts de Gertler comme une « manœuvre défensive de désintoxication » – également souhaitée par la plupart des autres actionnaires.
La relation entre le géant suisse et l’homme d’affaires est ancienne. Elle date d’avant même l’entrée de Glencore à la Bourse de Londres, en 2011. Cette opération, qui a été l’occasion d’une levée de fonds pharaonique (10 milliards de dollars), l’oblige depuis lors à faire preuve de plus de transparence.
Dans les années 2000, Dan Gertler avait une participation minoritaire dans Katanga Mining, une société cotée à la Bourse de Toronto et qui contrôlait l’un des gisements de cuivre les plus attractifs de la planète. En 2008, celle-ci a été durement frappée par la dégringolade des cours du minerai.
Dan Getler, le protégé de Glencore
Au beau milieu de la crise financière, personne n’aurait prêté à cette entreprise à bout de souffle, à l’exception de Glencore. Le géant était à la recherche d’investissements miniers à forte rentabilité et, sous la houlette d’Ivan Glasenberg, il était prêt à prendre des risques. La multinationale a donc accordé en janvier 2009 à Katanga Mining un prêt de 265 millions de dollars, convertible en actions.
Une option que Glencore a saisie après l’effondrement des cours de l’action de la société canadienne, devenant à la suite de cette opération le principal actionnaire, en évinçant au passage la plupart des anciens propriétaires. À l’exception notable de Dan Gertler, protégé par le nouveau maître à bord.
Car, alors que ses intérêts dans Katanga Mining auraient dû être dilués, Dan Gertler a au contraire bénéficié d’un prêt de 45 millions de dollars de la part de Glencore en février 2009, qui a discrètement transité par les Bermudes et les îles Vierges et n’a été révélé qu’en 2014 par l’ONG britannique Global Witness. Cette somme a permis à l’homme d’affaires de garder une part minoritaire importante dans Katanga Mining.
Au moment du prêt de Glencore à Dan Gertler, la réputation sulfureuse de ce dernier en RD Congo ne pouvait être ignorée par le groupe suisse il avait notamment été accusé en 2001 par les enquêteurs de l’ONU d’avoir financé des achats d’armes du clan Kabila en échange du monopole sur le commerce des diamants dans le pays pendant la guerre civile.
Royalties et pots de vin
Un rapport publié en 2013 par l’Africa Progress Panel, présidé par l’ancien secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, révèle que l’homme d’affaires a privé la RD Congo de 1,4 milliard de dollars de revenus potentiels avec les licences minières obtenues à prix cassés du fait de sa proximité avec le président. Il s’est
servi de filiales installées dans des paradis fiscaux pour accumuler les bénéfices obtenus dans le pays.
L’une d’entre elles, Lora Enterprises Ltd, enregistrée aux îles Vierges britanniques, a servi pour le prêt de Glencore de 45 millions de dollars à Dan Gertler. Le nom de cette même société est aussi apparu dans le scandale de corruption qui a déstabilisé le fonds Och-Ziff. C’est en effet ce fonds qui a octroyé un prêt de 110 millions de dollars via les îles Cayman à Lora Enterprises Ltd. Et, le même jour, la filiale a remboursé le fameux prêt de Glencore.
D’après la déclaration d’Och-Ziff, Dan Gertler aurait utilisé une partie de l’argent restant pour verser des pots-de-vin au président Kabila et à son entourage, avec en particulier quatre paiements en huit jours pour un montant total de 7 millions de dollars.
Glencore a reconnu avoir aidé financièrement M. Gertler, mais a rejeté toute implication dans les transactions offshore qui ont conduit au versement de pots-de-vin par l’homme d’affaires israélien. « Le prêt a été fait dans les règles et était complètement garanti par la participation de la société dans Katanga », a déclaré le groupe suisse.
Rachat des parts de Fleurette
Contacté, un porte-parole de Fleurette, le principal holding de Dan Gertler, n’a pas souhaité s’exprimer sur les transactions impliquant Lora. Il a cependant affirmé que la société qu’il représente avait enregistré une perte de 190 millions de dollars à la suite de l’effondrement de la valeur des parts de Katanga Mining à la fin des années 2000.
Pour solder ses comptes avec Dan Gertler, Glencore a acheté les 10 % de parts qu’avait Fleurette dans Katanga Mining ainsi que ses 31 % dans MutandaMining. Le groupe dirigé par Ivan Glasenberg a déduit du montant de ces parts, estimé à 960 millions de dollars, la valeur des prêts accordés à Fleurette pour financer le développement des deux mines. L’homme d’affaires a donc perçu 534 millions de dollars de Glencore, qui possède désormais l’intégralité de MutandaMining et 86 % de Katanga Mining.
Mais le groupe d’Ivan Glasenberg n’a pas totalement coupé les liens avec l’Israélien. Ce dernier continuera à disposer de dizaines de millions de dollars de royalties chaque année émanant des gisements de cuivre de Glencore, en raison d’un accord avec la Gécamines, la compagnie minière nationale, également actionnaire de la mine congolaise. Cependant, les droits liés à Katanga Mining ne devraient plus rapporter grand-chose à Dan Gertler et ses sociétés, car ils expirent en 2019, peu de temps après la date prévue de reprise de l’extraction de cuivre sur le gisement, actuellement suspendue.
Jeune Afrique