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Corruption en RDC : « Il ne faut pas s’arrêter à Kamerhe »


Le lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba © Ch. Rigaud – Afrikarabia

Jean-Jacques Lumumba, le président du Réseau panafricain de lutte contre la corruption (Unis), appelle le président congolais et la justice à aller plus loin dans la traque anti-corruption, et notamment à remonter jusqu’aux anciens régimes Kabila et Mobutu.

Afrikarabia : Après son élection, le président Félix Tshisekedi avait fait de la lutte contre la corruption sa priorité. Faisiez-vous partie des sceptiques ?

Jean-Jacques Lumumba : Je lui ai donné le bénéfice du doute. Tout le monde est aujourd’hui conscient que le Congo va mal à cause de la corruption, mais je me posais la question de savoir quelles seraient les marges de manoeuvre de Félix Tshisekedi compte tenu de la présence du Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila dans la coalition au pouvoir. Le FCC reste une machine à corruption, et on se demande comment Félix Tshisekedi peut déboulonner ce système en commençant par son principal partenaire, Joseph Kabila.

Afrikarabia : Aujourd’hui l’inculpation de Vital Kamerhe, même s’il reste présumé innocent, est un signal fort ?

Jean-Jacques Lumumba : Bien sûr, l’affaire Kamerhe est un signal positif. Mais il ne faut pas s’arrêter à Vital Kamerhe. Je pense à Albert Yuma, le patron de la Gécamines, qui est trempé dans de nombreuses affaires et qui reste impuni. Si Vital Kamerhe est le seul à payer, et que Joseph Kabila et tous ces poulains ne sont pas inquiétés, on donnera raison à ceux qui crient à l’acharnement. La justice sous l’ère Tshisekedi mérite d’être réellement indépendante, et doit ouvrir des dossiers sur tout le monde.

Afrikarabia : Sur quelles affaires la justice congolaise devrait-elle se pencher ?

Jean-Jacques Lumumba : Je pense à la fortune de l’ancien ministre des mines qui vient d’acquérir un jet privé Golfstream et dont la fortune immobilière est évaluée à plusieurs centaines de millions de dollar. Nous avons beaucoup d’éléments sur ce sujet. On se demande comment l’argent de l’Office congolais de contrôle (OCC) du Katanga est géré. Moi-même, dans la banque, j’ai eu à gérer les fonds de l’OCC et je sais comment ils sont dilapidés. On aimerait bien que l’OCC fasse partie des priorités. Le responsable du Fond national d’entretien routier (Foner), Fulgence Bamaros, est aujourd’hui inquiété par la justice, c’est bien, mais on demande au chef de l’Etat et à la justice de remonter un peu dans le passé, parce que le Foner était la caisse noire de Joseph Kabila. La gestion de la Gécamines mérite également d’être regardée. Aujourd’hui, nous avons suffisamment d’éléments pour démontrer la gabegie financière de Joseph Kabila et sa kleptocratie. Nous mettrons rapidement tous ces dossiers à la disposition de la justice et du public.

Afrikarabia : Pour l’instant, les proches de Joseph Kabila ne sont pas inquiétés par la justice. Il faut aller plus loin dans la traque aux corrompus ?

Jean-Jacques Lumumba : S’arrêter à Vital Kamerhe et quelques directeurs d’entreprises publiques c’est bien, mais il faut clairement aller plus loin. Comment justifier que Joseph Kabila et Albert Yuma, qui ont détourné plus de 40 millions de dollars de la Banque centrale du Congo (BCC) pour créer l’entreprise générale d’alimentation EGAL, sont en train de se promener librement dehors. Aucune information judiciaire n’a été ouverte sur cette affaire. Une autre société, qui appartient à la femme du frère de Joseph Kabila, a bénéficié de 7,5 millions de dollars de la même BCC. Il y a des preuves, des relevés de comptes. Aujourd’hui, ces gens-là ne sont pas inquiétés, alors que Vital Kamerhe est en prison. Il ne faut pas de justice à deux vitesses.

Afrikarabia : Si on vous écoute bien, contrairement à ce que dit Félix Tshisekedi, il faut bien « fouiner dans le passé » ?

Jean-Jacques Lumumba : Oui, il faut chercher dans le passé. Aujourd’hui, les contrats qui ont amené Vital Kamerhe devant la justice, ont vu le jour avant l’arrivée de Félix Tshisekedi à la présidence. Je ne vois pas pourquoi il faudrait faire table rase du passé. La corruption au Congo n’a pas commencé avec le président Tshisekedi.

Afrikarabia : Jusqu’où faut-il « fouiner » ?

Jean-Jacques Lumumba : De la présidence Kabila jusqu’à l’époque de Mobutu. C’est ça la justice ! Il y a plusieurs rapports de la Conférence nationale souveraine sur le sujet, et ces gens doivent se retrouver en prison. C’est de l’argent de l’Etat, et donc des Congolais. Il y a encore des responsables de l’ère Mobutu qui sont entre là et qui doivent répondre de leurs actes devant la justice.

Afrikarabia : Quelles mesures devraient prendre Félix Tshisekedi pour rendre cette classe politique plus vertueuse et plus transparente ?

Jean-Jacques Lumumba : Il faudrait mettre en place une déclaration de revenus et de patrimoine. Toutes les personnes qui gèrent les affaires publiques devraient déclarer leur patrimoine. On n’a pas vu le président Kabila déclarer ses revenus en début et en fin de mandat. Je n’ai pas entendu parler de déclaration de revenus et de patrimoine de Félix Tshisekedi. Le nouveau président devrait donner l’exemple. C’est comme cela que l’on peut mettre la main sur beaucoup de voleurs. C’est par ce type de dispositif que l’on remettra un peu de sérieux dans la gestion de la chose publique. Et je précise que cette déclaration doit s’étendre à l’entourage des hommes politiques et des responsables publics, enfants, famille… Enfin, il faut « bancariser » l’ensemble de la société pour une meilleure traçabilité.

Afrikarabia : Qu’attendez-vous de l’agence de lutte contre la corruption créée par Félix Tshisekedi ?

Jean-Jacques Lumumba : Cette agence ne sera efficace que si la justice congolaise est efficace. Un Parquet financier devrait être mis en place pour que cette agence fonctionne correctement. Cette agence devrait également avoir des moyens de coercition et un bras judiciaire. Cela doit passer par une importante réforme de la justice.

Propos recueillis par Christophe RIGAUD – Afrikarabia

Oscar BISIMWA

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