L’ Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République Démocratique du Congo et la région[1] a été signé le 24 février 2013.
Contenu
L’accord prévoit un certain nombre de réformes[Lesquelles ?] pour préparer le terrain à la reprise économique et la démocratisation du pays à la suite des cycles de conflit de la part de groupes armés tant nationaux qu’étrangers et des actes de violence sexuelle et de graves violations des droits de l’homme quasi-quotidiennement comme des armes de guerre. Le nombre de personnes déplacées figure parmi les plus élevés au monde et tourne de façon persistante autour de 2 millions de personnes. La mise en œuvre du programme national de reconstruction, de réforme du secteur de la sécurité et d’éradication de la pauvreté est constamment interrompu.
Partant d’une cessation des hostilités, des actions concrètes sont requises de la part des gouvernements de la région et de la communauté internationale et de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe.
Pour la communauté internationale, l’accord comprend un engagement renouvelé à travailler à la revitalisation de la Communauté économique des pays des Grands Lacs (CEPGL) et à soutenir la mise en œuvre de son objectif de développement économique et d’intégration régionale. L’accord prévoit également la nomination d’un Envoyé spécial des Nations unies, Saïd Djinnit[2].
Mécanisme de suivi d’application
Les partenaires régionaux sont invités à se synchroniser. Les dirigeants des pays de la région sont directement impliqués et bénéficient des bons offices du Secrétaire général des Nations unies, de la présidente de la Commission de l’Union africaine, du président de la Conférence internationale sur la région des Grands Laces et du président de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe, en qualité de garants du présent accord. Ils doivent se réunir régulièrement pour passer en revue les progrès dans la mise en œuvre des engagements.
Ce mécanisme sera soutenu par et est étroitement lié à l’Union africaine, la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs et la Communauté pour le développement de l’Afrique australe, ainsi qu’à d’autres partenaires internationaux, y compris l’Union européenne, la Belgique, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni. Un plan détaillé pour la mise en œuvre de l’accord sera développé conjointement, y compris l’établissement de critères et mesures de suivis appropriées.
Le président de la République démocratique du Congo mettra en place un mécanisme national de suivi. Les Nations unies, l’Union africaine, la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et d’autres partenaires apporteront leur soutien à ce mécanisme.
Que dit l’Accord-cadre d’Addis-Abeba ?
*L’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République démocratique du Congo signé à Addis-Abeba totalise 9 ans le 24 février 2022. Date qui coïncidera avec la tenue à Kinshasa du Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement signataires de ce document qui était censé mettre un terme définitif à la question de la rébellion du M23, le mouvement rebelle dont les hommes s’étaient repliés en Ouganda où ils sont cantonnés. Le Sommet de Kinshasa reste conforme au point 7 de l’Accord-cadre qui stipule : ‘’Un mécanisme régional impliquant les dirigeants des pays de la région, notamment de la République démocratique du Congo, de la République d’Afrique du Sud, de la République d’Angola, de la République du Burundi, de la République centrafricaine, de la République du Congo, de la République de l’Ouganda, de la République du Rwanda, de la République du Soudan du Sud, de la République Unie de Tanzanie et de la République de Zambie, jouissant des bons offices du Secrétaire général des Nations-Unies, de la Présidente de la Commission de l’Union africaine, du Président de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs et du Président de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe, en qualité de garants du présent Accord, sera établi et se réunira régulièrement pour passer en revue les progrès dans la mise en œuvre des engagements régionaux ci-dessus, dans le respect de la souveraineté des Etats concernés’’. Ci-après, voici le texte intégral de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba.
Accord-cadre d’Addis-Abeba du 24 février 2013
1.En mission en République Démocratique du Congo (RDC), en août-septembre 2013, j’ai pu rencontrer M. François Muamba1, coordinateur du « Mécanisme national de suivi » de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba. Je pensais, alors, pouvoir suivre, pendant quelques semaines et avec son aide, le processus de mise en application des engagements pris par le gouvernement congolais, dans la capitale éthiopienne. Mon intention était d’analyser le processus de mobilisation et le degré d’implication des différentes administrations et institutions publiques dans les réformes de fond que la Communauté internationale et régionale, souhaitait voir mises en œuvre rapidement à Kinshasa.
2.Malheureusement, la tenue des « concertations nationales », la reprise des pourparlers de Kampala et la poursuite des combats dans le Nord-Kivu ont totalement mobilisé l’attention et l’activité de l’ensemble des administrations et du monde politique, repoussant à plus tard l’examen des réformes envisagées. Cette situation a bouleversé mon objectif initial et m’a contraint à réorienter mon travail vers l’établissement d’un simple « état des lieux » plutôt que vers l’analyse d’une dynamique ou d’une mobilisation. J’espère néanmoins que ce document qui tient plus du catalogue que de l’étude, pourra être utile à ceux que la RD Congo et la région des Grands Lacs intéressent.
3.L’Accord-cadre signé à Addis-Abeba en marge de l’Assemblée générale de l’Union Africaine, le 24 février 2013, par neuf pays de la CIRGL2 et deux pays de la SADC3, a permis au gouvernement de la République Démocratique du Congo (RDC) de reprendre le contrôle de Goma, la capitale du Nord Kivu et de stopper la progression des troupes rebelles du M-23 vers le Sud Kivu. L’Accord a également posé les bases d’une solution globale au conflit qui affecte l’Est de la RDC depuis 1996.
4.Dans sa résolution 2098 du 28 mars 2013, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a endossé cet Accord et, en même temps, décidé de déployer une nouvelle Brigade d’intervention de 3 000 hommes dans l’Est de la RDC. Le Conseil a, en outre invité « l’Envoyée spéciale pour la région des Grands Lacs, Mary Robinson, à diriger, coordonner et évaluer la mise en œuvre des engagements nationaux et régionaux pris dans l’Accord-cadre, tels qu’énoncés dans l’annexe A4, y compris l’établissement dans les meilleurs délais de critères et de mesures de suivi appropriés et, se fondant sur l’Accord-cadre » et demandé au « Représentant spécial du SGNU de soutenir, coordonner et évaluer l’application en RDC des engagements nationaux pris dans l’Accord-cadre comme énoncés à l’annexe B ». Un mécanisme de suivi régional, dit de 11+46, est mis en place par l’Accord pour soutenir les efforts régionaux et passer en revue les progrès réalisés.
5.Dans la foulée de ces deux textes, le Président Joseph Kabila a mis en place, par ordonnance N 13/020 du 13 mai 2013, un « Mécanisme national de suivi et de supervision de la mise en œuvre des engagements souscrits aux termes de l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la République Démocratique du Congo et la région du 24 février 2013 », dont M. François Muamba,ancien ministre du budget pendant la période de Transition (2003-2006), a été nommé, le 21 mai, coordonnateur. M. Léon-Olivier Engulu (premier coordonnateur adjoint) et Mme Odia Mukanda Kalinda (deuxième coordonnateur adjoint) complètent l’équipe de direction du « Mécanisme de suivi national ».
6.Les trois textes – Accord-cadre d’Addis-Abeba, Résolution 2098 du Conseil de sécurité des Nations-Unies et Ordonnance présidentielle – fixent le cadre dans lequel, la RDC devra dans des délais raisonnables fournir les preuves des efforts qu’elle a réalisés pour réformer en profondeur les six secteurs suivants7 :
- Le secteur de la sécurité (armée, police)
- La consolidation de l’autorité de l’État
- La décentralisation
- Le développement et les services sociaux de base
- Les Institutions de l’État et les Finances
- La réconciliation, la tolérance, la démocratisation
7.Ces réformes sont au centre des préoccupations nationales, mais aussi internationales, depuis le double effondrement de l’État congolais, en 1996-1997 sous les coups de l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila, puis en 1998-2002 quand rebellions armées et troupes étrangères se sont partagé le territoire de la République.
8.Entre juin 2003 et décembre 2006, le gouvernement de Transition avait engagé ce travail de refondation des institutions politiques et de réforme des structures étatiques, en s’inspirant des principes posés par les accords de paix signés en Afrique du sud en 2002 et en s’appuyant sur le soutien politique et financier de la communauté internationale mobilisée autour des Nations-Unies et de sa Mission de maintien de la paix (MONUC).
9.Depuis les élections de 2006, c’est le président Joseph Kabila et sa majorité au Parlement qui ont désormais l’entière responsabilité de mener à bien ces réformes dont il faut bien avouer qu’elles n’ont guère progressé au cours des sept dernières années.
10.Les pages qui suivent donnent un état des lieux, aussi précis et actualisé que possible, des principales réformes concernées.
Réforme du secteur de la sécurité
11.L’une des tâches principales assignées au nouveau régime issu des élections de 2006/2007 était de s’engager résolument dans une refondation totale de l’armée nationale congolaise qui s’était effondrée face aux rébellions de 1996/1997 et de 1998/2002 ainsi que dans une refonte de la Police nationale dont la structure n’avait pas survécu à la division du pays et à l’intégration constante en son sein d’éléments incontrôlés et sans formation, en provenance des groupes armés qui s’étaient partagé le pays.
12.Aujourd’hui, de l’aveu de tous, le chantier reste immense. La mutinerie du M-23 dans les Kivu au mois de mai 2012 et finalement la prise de Goma, le 21 novembre, ont mis en lumière de façon dramatique l’inefficacité de l’armée nationale (FARDC), les énormes carences de ses équipements et de sa logistique, l’inexistence d’une chaîne de commandement fiable et enfin, le faible moral de la troupe8. Par ailleurs, les opérations de maintien de l’ordre menées au cours de la dernière campagne électorale de novembre 2011 par les forces de police (PNC, PIR)9 ont souvent été extrêmement violentes et conduites sans aucun respect des principes et standards internationaux auxquels une partie des effectifs de ces deux corps de policiers ont pourtant été formés dans le cadre de programmes de coopération bi ou multilatérale.
Police Nationale Congolaise (PNC)
13.Contrairement à l’armée dont la réforme a peu bénéficié d’un appui multilatéral, la réforme de la police a, dès 2007, été accompagnée par la MONUC, puis la MONUSCO, même si les effectifs dédiés à ce soutien n’ont cessé de se réduire au sein de la mission onusienne. La réforme de la police a également été soutenue par plusieurs coopérations bilatérales qui ont réussi, dès le départ, à imposer la mise en place d’un Comité de suivi de la réforme de la police (CSRP). Le CSRP est dirigé par un comité politique, présidé par le ministre de l’Intérieur et composé des ministres des Finances, du Budget, de la Défense, du Plan, des Droits Humains et de la Fonction publique ainsi que des sept ambassadeurs10 dont les pays soutiennent financièrement la réforme. Deux sièges sont également réservés aux représentants de la société civile. Le CSRP dispose d’un secrétariat exécutif qui est chargé de la conceptualisation de la réforme. Au centre de ce dispositif se trouve l’Inspecteur général de la PNC qui siège au comité politique et impulse les travaux du secrétariat.
14.La nomination en juillet 2007, du général John Numbi comme Inspecteur général de la police nationale, a, malheureusement, mis un coup d’arrêt au démarrage de la réforme et bloqué le processus. John Numbi, homme de confiance du Président de la République, s’est, en effet, très vite détourné des réformes policières pour se consacrer prioritairement aux tâches de maintien de l’ordre au Bas-Congo et aux longues négociations, menées, au Nord Kivu, avec Laurent Nkunda, alors chef des rebelles du CNDP11. Conséquemment, le comité politique sera quasiment mis en sommeil – il ne tiendra finalement que 8 réunions entre 2008 et 2013 – et parallèlement, les tentatives de réformer la police judiciaire et la police des parquets seront stoppées.
15.Ce n’est qu’après le limogeage de John Numbi12 en juin 2010 que le secrétariat exécutif du Comité de suivi parvient à relancer la réforme et à faire adopter le texte d’orientation indispensable, à savoir : la Loi portant organisation et fonctionnement de la PNC qui est votée par l’Assemblée nationale en décembre 2010 et finalement promulguée par le Président Kabila le 11 aout 2011, soit quelques mois avant l’échéance électorale de novembre 2011. Cette loi fournit enfin une base légale au processus de réforme et de modernisation de la police.
16.Il faudra l’aggravation de la crise politique et sécuritaire dans le pays, après les élections frauduleuses de 2011 et la reprise des combats dans les Kivu, pour que, sous la pression internationale, le Plan d’action quinquennal de la réforme, approuvé par le Conseil des ministres le 8 avril 2013, soit endossé par le Comité de suivi, le 26 avril. Le 3 juin, le Président de la République promulgue la loi portant statut du personnel de carrière de la PNC qui fixe les modalités du recrutement des policiers et les règles disciplinaires qui s’appliquent à eux.
17.Le projet de loi de programmation relatif à la réforme de la police (2014-2017) a été adopté en Conseil des ministres le 20 aout 2013, mais continue de faire l’objet de discussions et de négociations, sans que l’on sache si son examen sera inscrit à l’ordre du jour de la session d’automne du Parlement.
18.En 2012, l’Union Européenne, à travers son programme EUPOL, a effectué un recensement biométrique des policiers qui permet aujourd’hui de connaître enfin les effectifs véritables de la PNC (plus ou moins 100 000 hommes) et de disposer d’un profil minimum de chaque policier permettant de passer au crible son passé et d’établir s’il est apte à entrer dans un des corps de la police nationale. Cette procédure de « vetting13 » qui seule permettrait d’écarter de la PNC les éléments indésirables ou incompétents, n’a pas encore été approuvée, ni mise en œuvre. Parallèlement, une bonne coordination de la coopération internationale a permis l’amélioration des équipements (réhabilitation de commissariats par la coopération britannique14, construction d’une école supérieure de la police par l’Union européenne (UE) et d’un centre de formation par la coopération japonaise) ainsi que la prise en charge de la formation technique de certaines unités : Police d’intervention rapide par l’Angola et la France, Inspection générale d’audit et lutte contre les violences sexuelles par l’UE, etc. Sur le plan de la régularité et de l’effectivité du paiement des salaires, quelques progrès ont été réalisés puisque la Loi relative au statut du policier a fixé à 40 $ le salaire du policier débutant et à 178 $ celui de l’officier en début de carrière et qu’une bancarisation partielle des paiements a été amorcée.
Les Forces armées de la RD Congo (FARDC)
19.En ce qui concerne la réforme des FARDC, aucune véritable coordination des aides n’a pu être mise en place. Les perpétuelles réticences du pouvoir et de l’état-major vis-à-vis d’une collaboration avec la MONUC, puis avec la MONUSCO15 et la volonté de privilégier la coopération bilatérale ont finalement abouti à des actions disparates, le plus souvent inefficaces.
20.Le recensement des effectifs est l’exemple le plus parlant d’un gâchis programmé ; les Sud-Africains dès 2004, puis les Belges et finalement les Européens, à travers leur programme EUSEC16, s’y sont attaqués sans que l’on connaisse encore aujourd’hui de façon précise le nombre d’hommes figurant sur le « Payroll » du ministère de la Défense17. Le recensement biométrique tenté par EUSEC et la « bancarisation », c’est-à-dire le paiement des hommes, non plus par leurs officiers, mais directement sur un compte bancaire, qui constitue la pierre angulaire de la réforme de l’administration des personnels et des finances à laquelle EUSEC a consacré plus de 3,5 millions d’euros et six années de travail, sont encore partiels et fragiles18. Le seul point positif des efforts réalisés est qu’au cours des dernières années, le salaire19 des hommes de troupe a pu être multiplié par quatre, sans que soit augmenté le montant global du chapitre budgétaire consacré à la solde. Ce phénomène ne doit pas être interprété comme une amélioration soudaine de la maîtrise des effectifs, mais bien comme une indication sur l’ampleur des détournements réalisés par la haute hiérarchie militaire tout au long de ces années.
21.Après plus de quinze ans d’un recrutement chaotique uniquement dicté par des critères politiques (intégration des groupes armés) et ethniques (promotion des originaires du Katanga et des Kivu, méfiance vis-à-vis de ceux de l’Équateur et des Kasaï), les FARDC se retrouvent avec une troupe sans formation et des cadres sans compétence. Les vagues successives d’intégration ont miné la cohésion des unités qui se voient contraintes à de constantes réorganisations. Les quelques brigades qui avaient été correctement « brassées » pendant la période de Transition, ont été totalement déstabilisées par les intégrations massives d’éléments du CNDP, après l’accord de 2009.
22.Bien que la réforme de l’armée nationale soit au cœur du débat politique et institutionnel du pays depuis la signature des accords de paix de Pretoria au début de 2003, les plus hauts responsables politiques, le ministère de la Défense et l’État-major ne sont toujours pas parvenus à finaliser un document définitif de réflexion et de planification donnant les grandes orientations de l’évolution à long terme de l’armée nationale (missions, effectifs, équipements, formation, coopération internationale, etc.). Depuis l’élection de Joseph Kabila en 2006, les plans de restructuration des FARDC se sont succédé, donnant l’impression d’une réforme chaotique, aux priorités changeantes : Force de réaction rapide en 2007, Forces de couverture en 2008, Priorité au développement de l’homme de troupe et à ses conditions vie en 2009. Au début de 2013, le nouveau Plan Moya parle de revoir complètement les méthodes de recrutement et d’entraînement pour près de 145 000 hommes. Parallèlement à cette planification problématique, certains domaines comme celui des équipements et des achats de matériel ou celui du rôle et de la place de la Garde Républicaine au sein de l’armée nationale restent des tabous intouchables et continuent de ne relever que du Président et de sa « Maison militaire ». Certes, une loi organique sur la réforme de l’armée a été adoptée en 2011, mais ses textes d’application ne sont, à ce jour, pas intervenus, laissant la loi en déshérence.
23.Face à cette situation, les coopérations bilatérales se sont le plus souvent concentrées sur les programmes de formation et d’équipement (« Train and Kit »). Ainsi, au cours des deux dernières années, EUSEC a tenté d’améliorer la formation des responsables de la chaîne logistique et de l’administration et participé à la restructuration de plusieurs écoles : l’académie militaire pour les officiers, l’école des sous-officiers de Kananga, l’école d’infanterie à Kitona. Une école de logistique est en train d’être construite à Kinshasa tandis que l’école d’administration de Kananga a commencé à former ses premières promotions. Même si ces programmes sont utiles, ils ne sont absolument pas à la dimension du problème, dans un pays qui n’a plus de véritables écoles militaires depuis plus de vingt ans. En outre leur pérennité n’est pas garantie car tout ceci fonctionne aujourd’hui grâce au financement d’EUSEC qui paie les professeurs, les syllabus et tout le processus de recrutement. Qu’en sera-t-il quand EUSEC mettra un terme à sa mission, en septembre 2014 ? L’État congolais sera-t-il en mesure de prendre le relais, même si le coût annuel des écoles ne représente qu’environ 600 000 euros ?
24.L’amélioration du stockage des armes et des munitions dans plusieurs camps militaires à Kinshasa, Bukavu, Lubumbashi, Kananga et Mbanza Ngungu fait également partie du programme EUSEC qui trouve sa justification dans la protection des populations vivant à proximité et dans la prévention des catastrophes. Mais les travaux réalisés par EUSEC, notamment au Camp Tshatshi ou se trouvent cantonnés les hommes de la Garde Républicaine, peuvent apparaître, compte tenu de la nature très particulière de cette unité, comme une aide politique directe au régime qui ne répond pas aux critères éthiques de la coopération européenne.
25.Dans le cadre de l’Accord signé à Addis-Abeba et de l’action militaire conjointe que la MONUSCO mène depuis plusieurs années avec les FARDC dans les Kivu, la Mission de l’ONU s’est engagée à former une brigade d’environ 3 000 hommes destinée à remplacer la Brigade d’Intervention récemment déployée en application de la résolution 2098 du 28 mars 2013 du Conseil de sécurité. Certes utile pour stabiliser cette partie troublée du territoire, cette Force de réaction rapide qui devrait comprendre trois bataillons d’infanterie, une compagnie d’artillerie, une force spéciale et une compagnie de reconnaissance et bénéficier d’une courte formation (3 mois) ne peut, à elle seule, pallier l’absence d’une refonte en profondeur de l’armée de terre dont tous les experts estiment qu’elle devrait, pour être crédible, comporter au moins une vingtaine de bataillons formés et équipés.
26.Lors de la tripartite qui a réuni, à Luanda, le 23 août 2013, les présidents Dos Santos, Kabila et Zuma, la coopération militaire entre les trois pays a été réactivée par la signature d’un mémorandum Angola-RDC-RSA sur la formation de l’armée et de la police, sans qu’aucun objectif précis ne soit officiellement annoncé. Il semble que la volonté de l’Angola et de l’Afrique du Sud de consolider des « partenariats » économiques très avantageux avec la RDC dans les domaines de l’énergie électrique (Barrage d’Inga) et du pétrole (Bloc 15), constituerait la motivation première de cette réactivation de la coopération militaire.
27.Dans son dernier discours sur l’état de la Nation prononcé le 23 octobre 2013, à l’issue des « Concertations nationales », le président Kabila s’engage, comme il l’avait déjà fait à maintes reprises dans le passé, à faire de « la réforme du secteur de sécurité la priorité des priorités ». Il réaffirme solennellement les grands principes de la réforme : « Recrutement de qualité, discipline rigoureuse, formation et équipement conformes aux standards internationaux, organisation interne efficiente et compatible avec le caractère républicain de l’armée, affectation des officiers et hommes de troupes en fonction des besoins opérationnels et dans le strict respect du principe de rotation sur l’ensemble du territoire national ». Il exhorte enfin « le Gouvernement d’opérationnaliser cette grande réforme, d’en accélérer le rythme » et l’appelle « à finaliser le projet de loi de programmation militaire et à allouer un budget conséquent à cette réforme ». Nous voici donc revenus, dix ans après le début de la Transition, à l’An I de la réforme de l’armée nationale. L’examen par l’UE des suites à donner aux missions EUPOL et EUSEC permettra de savoir si les Européens qui restent les principaux contributeurs en la matière ont, ou non, été convaincus par les derniers engagements du Président.
Le cas particulier des mutins du CNDP
28.Les négociations entre le gouvernement congolais et les représentants du M-23, actuellement en cours à Kampala, nous invitent à examiner comment avait été réglé le sort des mutins du CNDP dans l’accord de mars 2009. L’analyse de cet accord a été faite par le Père Rigobert Minani, directeur du Réseau des centres sociaux jésuites en Afrique (JASCNET)20. Elle donne une idée de l’ampleur des mouvements d’intégration intervenus et aussi du peu de précautions prises vis-à-vis de soldats et surtout d’officiers dont le passé de récidivistes est pourtant bien connu des autorités politiques et de la hiérarchie militaire.
29.Selon cette étude, le CNDP avait sollicité l’intégration dans l’armée nationale de 6 263 hommes ; tous ceux qui remplissaient les conditions de nationalité et d’âge l’ont été ; ils ont principalement été affectés dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, d’où la majorité d’entre eux provenaient, ainsi que dans les provinces du Kasaï occidental, du Bas-Congo et en Province orientale. Concernant les grades demandés par les officiers intégrés, ils ont été généreusement accordés puisque le rapport du Facilitateur21 de la CIRGL, lors des premières négociations de Kampala, indique que : « les éléments de l’ex-CNDP occupaient 40 % des postes de commandement à l’Est de la RD Congo, alors qu’ils ne représentaient que 15 % des effectifs dans les régiments déployés dans cette partie du pays ».
30.Le même rapport souligne qu’en ce qui concerne la Police nationale, « entre 2010 et 2012, 2 557 policiers ont été formés. 1 885 d’entre eux étaient issus de l’ex-CNDP, soit 73,7 % de l’ensemble. Tous ont été intégrés dans la PNC et principalement affectés dans la province du Nord-Kivu ».
31.Bosco Ntaganda, ancien chef d’état-major de la milice UPC22 de Thomas Lubanga en Ituri et lui-même objet d’un mandat d’arrêt émis, en 2006, par la Cour Pénale Internationale, est élevé au rang de général et affecté dans les Kivu ou il est, de facto, chargé de la sécurité et de l’ensemble des opérations, y compris pendant la période très sensible de la campagne électorale. De son côté, le colonel Makenga Sultani, chef militaire de la rébellion du M-23, s’était vu proposer le poste de commandant de la Région militaire à Kisangani, offre qu’il avait alors déclinée.
32.Le Dialogue inter-Congolais qui a mis fin à la guerre de 1998-2002, avait diagnostiqué la Justice comme une des institutions les plus malades de la République et souhaité une réforme fondamentale et urgente permettant de garantir une justice indépendante et impartiale. La crise de l’Institution judiciaire congolaise était analysée comme la conséquence de sa mauvaise organisation interne et de sa dépendance chronique du pouvoir, mais aussi comme le résultat de la crise sociale, éthique et morale qui affecte les magistrats et l’ensemble de la chaîne judiciaire.
33.Aujourd’hui, mis à part, la suppression en 2003 des juridictions d’exception, notamment de la Cour d’ordre militaire, peu de choses ont changé. Sur le plan de l’organisation institutionnelle, la Constitution de 2006 a tracé les contours d’une complète révolution du monde judiciaire en instaurant deux ordres de juridiction : la juridiction civile et la juridiction administrative, chacune chapeautée par une Cour supérieure : la Cour de Cassation dans un cas, le Conseil d’État dans l’autre. Cette architecture nouvelle devait être complétée par la mise en place d’une Cour Constitutionnelle chargée à la fois de veiller à la constitutionnalité des lois, de juger pénalement le Président et le Premier Ministre et de trancher les contentieux nés lors des élections nationales. En octobre 2013, aucune de ces nouvelles Cours n’est fonctionnelle, le Président Kabila venant tout juste, le 15 octobre, après plusieurs années d’obstruction, de promulguer la Loi organique créant la Cour Constitutionnelle23. Dans son récent discours sur l’état de la Nation, il demande au Parlement d’accélérer l’examen et l’adoption de la loi organisant le Conseil d’État de manière à « permettre l’installation de l’ensemble des ordres de juridiction prévu par la Constitution ». Que le Président de la République qui, selon l’article 69 « veille au respect de la Constitution », s’engage, après bientôt sept ans de fonctions, à en appliquer enfin toutes les dispositions est incontestablement rassurant.
34.Garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire, chargé de la gestion des magistrats ainsi que du respect de l’éthique de la profession, le Conseil Supérieur de la Magistrature auquel la Constitution consacre son article 152, n’existe toujours que dans sa forme transitoire puisque les présidents et procureurs généraux de la Cour Constitutionnelle, du Conseil d’État et de la Cour de Cassation en sont membres et qu’à ce jour ces cours ne sont pas installées. Par ailleurs, le budget alloué au ministère de la Justice et des droits humains représente toujours moins de 1 % du budget national ce qui est très insuffisant pour mettre en œuvre une véritable réforme qui devrait prendre en compte l’assainissement du corps des magistrats et l’amélioration des conditions de travail du personnel judiciaire, et, de surcroît, doter le Conseil Supérieur de la Magistrature de moyens matériels et financiers lui permettant de mener à bien une politique efficace en faveur de l’indépendance de la magistrature.
35.L’impunité persiste dans les rangs des militaires et elle continue de favoriser de nouvelles atteintes aux droits humains. Malgré quelques initiatives entreprises en 2011 par le ministère de la Justice pour mettre un terme à l’impunité, la chasse aux auteurs de crimes n’a guère progressé. Les victimes continuent de se voir refuser la vérité, la justice et les réparations qui leur sont dues, tandis que les décisions de justice visant des militaires restent trop souvent inappliquées.
36.Ainsi, aucune avancée n’a été constatée dans des dossiers majeurs comme ceux des viols de masse commis par les membres de plusieurs groupes armés dans le territoire de Walikale et dans le territoire du Masisi, notamment dans les villages de Bushani et de Kalambahiro, en 2010 et 2011. Les actions contre les FARDC responsables de 136 viols, commis lors de la débâcle de novembre 2012 à Minova et dans le territoire de Kalehe restent très insuffisantes : après les protestations de la MONUSCO et même une menace de suspendre les actions conjointes avec les FARDC, une commission d’enquête militaire a été mise en place et 12 officiers ont été arrêtés, sans qu’aucun, jusqu’ici, n’ait encore fait l’objet de poursuites pénales.
37.Le général-major Gabriel Amisi dit « Tango Fort », ancien chef d’état-major des Forces terrestres, suspendu, le 22 novembre 2012, de ses fonctions pour « corruption, détournements et trafics » ne fait toujours l’objet d’aucune poursuite et continue d’être libre malgré la lourdeur des charges qui pèsent sur lui. Il est, en effet, soupçonné d’avoir, avec d’autres officiers de haut rang des FARDC, constitué un réseau criminel de trafic d’ivoire, d’exploitation illicite de minerais et de vente d’armes et de munitions a plusieurs groupes armés, dont la milice Raia Mutomboki, responsable de la mort de 260 personnes au Nord-Kivu en novembre 2012. Selon des informations recueillies à Kinshasa24, il semble que le général Amisi continue d’être « commercialement actif » à l’Est du pays. Enfin, le général de brigade Jérôme Kakwavu, ancien chef des FAPC (Forces Armées du Peuple Congolais), groupe armé qui contrôlait le Nord du district de l’Ituri jusqu’en 2003, arrêté pour viols et détenu depuis 2011 a la prison de Kinshasa, n’a toujours pas été jugé, son procès ayant été interrompu à plusieurs reprises, à la suite du retrait de certains témoins.
38.En ce qui concerne l’assassinat de Floribert Chebeya25, la plainte déposée, depuis plus de trois ans, par sa veuve contre l’Inspecteur général de la Police nationale, John Numbi, soupçonné d’avoir commandité le crime, est restée sans suite. John Numbi, n’a été entendu lors du procès des assassins qu’en tant que témoin, alors que la Cour militaire et la Haute cour militaire de Kinshasa se déclaraient, l’une et l’autre, incompétentes pour instruire et examiner sa responsabilité dans cette affaire. L’inspecteur général a été suspendu de ses fonctions en 2010 par le Président Kabila et assigné à résidence au Katanga ou certains l’accusent de manipuler certains groupes Mai-Mai qui prônent l’indépendance de la Province.
39.Sous la pression d’ONG africaines et internationales, le ministère de la Justice et des Droits humains a demandé, en février 2013, aux autorités judiciaires civiles et militaires d’ouvrir des enquêtes sur les allégations de violences commises par les forces de sécurité à l’occasion des élections de novembre 2011, mais les investigations ne semblent guère avoir progressé au cours de l’année.
40.La seule avancée relevée par les défenseurs des droits humains en matière de réforme de la justice, concerne l’expérience des « tribunaux itinérants » menée dans le Sud-Kivu principalement, et qui consiste à organiser des audiences publiques dans des endroits très reculés de la Province, comme Kamituga ou Baraka, ou les auteurs de crimes étaient peu nombreux à rendre des comptes et ou les victimes étaient privées de tout accès à la justice. Même s’il s’agit d’un outil juridiquement fragile, il a permis de traiter une trentaine de cas de violences sexuelles graves qui, sans cela, n’auraient jamais été jugés.
Crimes de guerre et crimes contre l’Humanité
41.Le 10 juillet 2012, la Cour pénale internationale (CPI) a condamné à 14 ans d’emprisonnement Thomas Lubanga, fondateur et président de l’UPC (Union des patriotes congolais) et commandant en chef de sa branche armée, les Forces patriotiques pour la libération du Congo (FPLC). Il avait été déclaré coupable le 14 mars de l’enrôlement et de la conscription de mineurs de moins de 15 ans et de les avoir fait participer activement à des hostilités en Ituri, actes constitutifs de crimes de guerre. Il s’agissait de la première condamnation prononcée par la CPI depuis son entrée en fonctions en 2003.
42.Le 13 juillet 2012, la CPI a délivré un mandat d’arrêt à l’encontre de Sylvestre Mudacumura, commandant présumé de la branche armée des FDLR, accusé de neuf chefs de crimes de guerre commis entre janvier 2009 et septembre 2010 dans l’est de la RDC.
43.Un second mandat d’arrêt a été décerné en juillet 2012 à l’encontre de Bosco Ntaganda pour trois chefs de crimes contre l’humanité et quatre chefs de crimes de guerre. Les autorités de la RDC avaient refusé d’arrêter et de remettre Bosco Ntaganda à la CPI avant qu’il ne déserte les rangs de l’armée congolaise, en avril 2012, et ne fonde le mouvement rebelle M-23. À la suite de combats internes au M-23, Bosco Ntaganda s’est réfugié, le 18 mars 2013, à l’Ambassade américaine à Kigali, d’où il a été transféré à La Haye pour y être incarcéré le 22 mars.
44.Le 18 décembre 2012, la CPI a acquitté Mathieu Ngudjolo, ancien dirigeant du Front des nationalistes intégrationnistes (FNI). Cet homme était poursuivi pour des crimes commis en février 2003 dans le village de Bogoro, en Ituri.
45.Les 23 et 24 novembre 2013, la CPI a fait arrêter quatre Congolais pour atteinte présumée à l’administration de la justice dans l’affaire qui concerne Jean-Pierre Bemba. Il s’agit notamment de Fidèle Babala, secrétaire général-adjoint du MLC et député national, arrêté à Kinshasa et immédiatement transféré à La Haye et d’Aimé Kilolo, conseil principal de J.-P. Bemba, arrêté à Bruxelles. Le procès de l’ancien vice-président de la Transition congolaise a commencé en novembre 2010.
La persistance des groupes armés à l’Est du Congo
46.Le problème de la présence des groupes armés et la question de l’extension de l’autorité de l’État sur les provinces de l’Est du pays sont posés depuis plus de quinze ans. S’il est vrai que des progrès ont été enregistrés en matière de désarmement, notamment en Ituri entre 2003 et 2007, il existe encore aujourd’hui plus d’une trentaine de groupes armés26 actifs dans cette région de la RDC. La défaite militaire infligée au M-23, à la fin du mois d’octobre, ne signifie pas que ce dernier soit incapable de renaître demain sous un autre sigle et ne garantit nullement que les autres groupes cessent leur harcèlement des populations et leurs attaques contre les FARDC.
47.Financièrement adossés à l’exploitation illégale des ressources minérales, ces groupes généralement constitués sur des bases ethniques justifient leur existence et leurs actions par le droit de se défendre en l’absence de forces nationales de sécurité et au motif que les populations dont ils sont issus subissent injustices et agressions et sont souvent, de surcroît, chassées de leur terre.
48.L’Accord-cadre d’Addis-Abeba, repris et complété par la résolution 2098 du Conseil de sécurité, propose une approche nouvelle du problème, à la fois régionale, nationale et locale, pour parvenir à une pacification durable. Mais les éléments constitutifs et structurants de ce modus operandi sont loin d’être tous opérationnels et efficaces.
49.Au niveau régional, le « Mécanisme de vérification conjointe27 », installé en 2004, sous la pression américaine, pour prévenir et régler les problèmes d’agressions ou d’incursions frontalières entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda, a été réactivé, notamment par l’intégration de la MONUSCO dans le système de mise en commun des informations et des moyens logistiques de vérification. Toutefois, ce « Mécanisme » n’a pas, au cours de ses neuf années de fonctionnement, prouvé qu’il était capable d’empêcher l’Ouganda et le Rwanda de soutenir des rébellions hostiles à Kinshasa, ni de couper définitivement les liens existants entre les FARDC et le FDLR28.
50.Au niveau national, la faillite, en 2007, de la CONADER29, organisme central chargé du désarmement et de la réinsertion des ex-combattants et miliciens, puis son remplacement par un organisme nouveau, aussi budgétivore, mais guère plus efficace, n’ont pas permis à l’État congolais de mener à son terme la réinsertion des 40 000 hommes déjà démobilisés et ont laissé inachevée la prise en charge des quelque 100 000 hommes engagés dans le processus de DDR30. Cantonnés dans des camps de fortune, transférés31 d’une région à une autre, et se sentant abandonnés de tous, un certain nombre de ces ex-combattants ont reconstitué leurs anciens groupes ou rejoint des milices encore actives, comme ce fut clairement le cas dans plusieurs régions du Sud-Kivu. Les nombreuses désertions survenues au cours de l’année 2012, l’échec de l’opération de désarmement du FRPI32 de Cobra Matata en Ituri, en 2013 et les difficultés rencontrées pour la démobilisation actuelle des combattants du M-2333, prouvent que le programme de DDR n’a toujours pas été remis correctement sur les rails.
51.De même, l’ISSS34 et le STAREC35, deux programmes mis en œuvre après la Conférence de paix des Kivu de janvier 2008 et la signature, le 23 mars 2009, de l’Accord entre le gouvernement et le CNDP, n’ont visiblement pas produit les résultats escomptés en matière de stabilisation des zones de conflit et de reconstruction des infrastructures sociales, malgré l’importance des sommes engagées. Il semble que la MONUSCO ait rapidement perdu le contrôle sur la gestion de ces programmes et qu’en l’absence d’un réel dialogue politique au niveau national, les initiatives en faveur de l’extension de l’autorité de l’État, financées par le STAREC notamment, aient le plus souvent été perçues comme favorisant le régime en place et aggravant l’emprise d’un État prédateur.
52.L’absence d’autorités légitimes au niveau local, consécutive à la non-organisation des élections municipales et locales, en 2006, puis en 2011 et l’intense politisation de la société civile des Kivu, ont généralement empêché que les tentatives de dialogue et les projets de réinsertion communautaire, initiés de la base par les populations elles-mêmes, ne soient efficacement relayés et trouvent un début de mise en application.
53.De nombreux observateurs sont d’avis que, face à la persistance de l’insécurité à l’Est, ce n’est pas la stratégie mise en œuvre qui doit changer, mais bien la qualité de l’engagement de la communauté internationale. Sans le maintien d’une forte pression sur Kinshasa et Kigali par les principaux pays pourvoyeurs d’aide, sans une implication résolue de la MONUSCO dans un processus de résolution des conflits locaux basés sur un dialogue avec tous les groupes armés, sans la recherche de solutions équilibrées et transparentes au problème de l’exploitation des ressources minières avec les communautés locales, il y a peu de chances de voir disparaître rapidement l’insécurité à l’Est du fleuve Congo.
Réconciliation, respect des Droits humains et démocratisation
54.La reprise des combats dans le Nord-Kivu et la persistance de l’insécurité dans le Sud-Kivu et en Ituri continuent d’exacerber aujourd’hui les tensions entre les communautés de ces régions ; paradoxalement, aucun processus de réconciliation ne fonctionne depuis 2006 pour en atténuer les effets et tenter de résoudre les conflits.
55.Depuis l’adoption de la nouvelle Constitution, il n’existe plus d’instance nationale de réconciliation. En 2006, les constituants ont, en effet, décidé de ne pas reconduire, dans le nouveau texte constitutionnel, la « Commission vérité et réconciliation » qui avait fonctionné, avec plus ou moins de bonheur, pendant la Transition (2003-2006). Ils se fondaient sur l’analyse selon laquelle la longue période de déstabilisation que le pays venait de traverser n’était pas due à un antagonisme entre communautés congolaises, mais bien à une agression des pays voisins, du Rwanda principalement. Dès lors, puisque les troupes étrangères avaient quitté le pays et qu’un accord de paix avait été signé avec les rébellions, personne ne pensait qu’il fut utile de mettre en place une nouvelle commission chargée de réexaminer ces années de troubles, d’établir la vérité des faits et de rechercher les responsables des horreurs commises. La proposition de certains experts internationaux en faveur de la création d’une telle institution ne trouva pas de majorité au sein des comités parlementaires chargés de rédiger la constitution de la nouvelle République et le projet fut donc abandonné.
56.Au niveau provincial, la Conférence de paix des Kivu, organisée à Goma en janvier 2008, avec l’aide de la MONUC, qui avait réuni 1 400 représentants de toutes les parties en conflit dans les deux provinces, avait eu l’avantage d’identifier les problèmes et d’amorcer un processus de réconciliation. La multiplicité des causes de la crise avait correctement été mise en lumière : problème d’identité communautaire et difficulté de cohabitation, notamment avec les populations rwandophones d’origine Tutsi, litiges fonciers dus aux guerres et aux mouvements de population, difficultés liées au retour des réfugiés, question du contrôle des trafics transfrontaliers et de l’exploitation illicite des ressources minières, conflits liés a l’administration locale, impunité des auteurs de crimes, etc. Des procédures de suivi étaient prévues par le document final et les plaçaient sous la supervision de deux « commissions techniques » chargées de l’application des engagements pris. La communauté internationale était associée à ce suivi.
57.Ces procédures n’ont malheureusement pas fonctionné. En effet, au lendemain de cette Conférence, l’accent a surtout été mis sur le volet militaire (intégration des combattants du CNDP et opérations militaires conjointes contre le FDLR) ainsi que sur les programmes de stabilisation/développement (ISSS et STAREC) qui ont mobilisé d’importantes ressources sans généralement se traduire par des dividendes réels au profit des populations. La mobilisation des moyens « politiques » indispensables pour faire avancer concrètement la réconciliation et diminuer les tensions n’a pas eu lieu, pour trois raisons principales : d’abord, le désintérêt affiché du gouvernement congolais pour la réconciliation ; une fois réglé le problème de la rébellion du CNDP, il s’est, en effet, surtout préoccupé de la réélection de Joseph Kabila et de la « préparation » des élections. Le désengagement politique de la MONUC qui avait commencé dès la prise de fonctions de Kabila, en décembre 2006 et qui s’est accentué sous les mandats des Représentants spéciaux Alan Doss (2007-2010) et Roger Meece (2010-2013) concourt fortement à l’échec du processus. Enfin, le fait que les procédures de suivi ne prévoyaient l’implication ni des élus provinciaux, pourtant mobilisables, ni des élus locaux qui n’existaient pas puisque les élections locales, n’avaient pas été organisées privait la réconciliation de l’intervention d’acteurs de terrain légitimes et indispensables. La faillite électorale de 2011 a donné le coup de grâce à l’ensemble de l’édifice.
58.Les combats qui se sont déroulés pendant plus d’une année entre FARDC et M-23, dans le Nord-Kivu, ont à l’évidence accru les tensions entre communautés. Le M-23, encadré majoritairement par des officiers d’origine Tutsi et soutenu par Kigali, est perçu par les autres communautés (Nande, Hunde, Shi, Nyanga, Hutu, etc.) comme l’instrument d’un complot plus vaste, ourdi par le gouvernement rwandais, pour s’emparer de la province et en chasser les « autochtones » au profit des populations rwandophones, Tutsi et Hutu. À la périphérie de cet antagonisme majeur, se déroulent des affrontements qui sont quelquefois plus meurtriers que les premiers, même s’ils ne sont pas aussi médiatisés. Il s’agit généralement d’affrontements directs de groupes armés entre eux, pour le contrôle de zones d’exploitation minière (Walikale, Pinga), d’itinéraires utilisés pour l’évacuation des minerais vers le Rwanda (Axe Walikale – Masisi) ou de routes menant à des postes frontaliers importants (Walikale-Kalehe et Walikale-Bukavu). Toutefois, les milices étant toujours constituées sur des bases ethniques, les raids meurtriers contre les villages et les populations font partie de l’arsenal des moyens d’intimidation et de domination largement utilisés.
59.Les principaux groupes36 concernés par ces constantes agressions sont : le NDC (Nduma Defense of Congo) aussi appelé Maï-Maï Sheka du nom de son chef, Ntabo Ntaberi Sheka, essentiellement constitué de jeunes de l’ethnie Nyanga ; l’APCLS (Alliance pour un Congo Libre et Souverain) dirigé par le « général » Janvier Karahiri qui rassemble des combattants Hunde ; cette milice aurait participé aux récents combats contre le M-23 aux côtés des FARDC ; le groupe Maï-Maï Nyatura souvent allié aux rebelles Hutus des FDLR qui est actif sur les deux provinces, entre Kalehe et Masisi ; le groupe Maï-Maï Raïa Mutomboki, né en 2005, dans le Territoire de Shabunda, au Sud-Kivu, il a étendu ses exactions au Nord-Kivu et cible en priorité la communauté Hutu. Selon Human Rights Watch37, ces attaques auraient fait plus de 1 000 morts depuis le début de l’année 2013.
60.La principale conséquence de l’absence de processus de réconciliation efficaces et de la poursuite de ces attaques et affrontements, c’est le déplacement des populations qui reste le problème humanitaire le plus sérieux à l’Est de la RDC, dans les deux Kivu en particulier. OCHA38 enregistrait au 25 octobre 2013, plus d’un million de personnes déplacées internes (PDI) au Nord-Kivu, les Territoires de Masisi et Walikale comptant à eux seuls plus de la moitié des déplacés (respectivement 32 % et 24 %). Au Sud-Kivu, malgré un certain nombre de retours, le chiffre était de 591 000, à la même date, avec une situation très mauvaise dans les Territoires de Shabunda et Kalehe.
61.Selon le rapport 2013 d’Amnesty International, « les arrestations et détentions arbitraires demeuraient généralisées dans tout le pays. Les services de sécurité, en particulier la police nationale, le renseignement, l’armée et la police de l’immigration, procédaient à des arrestations arbitraires et extorquaient fréquemment de l’argent ou des effets de valeur à des civils lors d’opérations de maintien de l’ordre ou sur les lieux des postes de contrôle ».
62.Pendant la période qui a suivi les élections de 2011, de nombreux opposants politiques ont été arrêtés arbitrairement et la liberté politique sévèrement restreinte ; alors que le M-23 gagnait du terrain à l’Est, la répression politique a plus particulièrement visé les journalistes. Des stations de radio, des chaînes de télévision et des journaux ont été suspendus arbitrairement par les autorités. Des locaux d’organes de presse ont été la cible d’incendies volontaires, entre autres dégradations. Les auteurs de ces attaques n’ont jamais été identifiés. Le 30 novembre, le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication a interrompu le signal de transmission de Radio Okapi39 à Kinshasa, sans avertissement préalable, à la suite de la diffusion d’une émission où un porte-parole du M-23 était interviewé.
63.Human Rights Watch cite dans son dernier communiqué 84 cas d’emprisonnement pour motifs politiques et continue de réclamer une véritable enquête sur les événements survenus entre décembre 2011 et janvier 2012 à l’occasion des élections présidentielles et législatives. Selon un nouveau décompte, 57 personnes seraient mortes à Kinshasa et 150 environ portées disparues pendant cette période.
64.Trois députés sont actuellement détenus, sans qu’aucun vote demandant la levée de leur immunité n’ait eu lieu à l’Assemblée nationale. Il s’agit de Messieurs Diomi Ndongala (DC40), Adolphe Onusumba (ex-RCDG41 ayant rallié la Majorité Présidentielle) et Muhindo Nzangi (MSR42). Les deux premiers sont accusés de viol et le troisième d’atteinte à la sécurité de l’État à la suite d’une interview donnée à une radio de Goma. Apparemment, tous trois ont fait l’objet d’une procédure de « flagrant délit » qui autorise l’inculpation et l’emprisonnement sans levée de l’immunité parlementaire.
65.M. Diomi est un opposant de longue date du Président Kabila et un soutien d’Étienne Tshisekedi dont il continue d’affirmer qu’il a gagné l’élection présidentielle de 2011 ; M. Onusumba, originaire de Lodja au Kasaï oriental, est, depuis la Transition, en compétition pour le poste de député de cette circonscription avec le porte-parole du gouvernement, Lambert Mende qui serait à l’origine de son arrestation ; M. Nzangi est un Nande qui, quoique député de la Majorité, conteste le pouvoir du gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, lui-même Nande et protégé du Chef de l’État.
66.Pierre-Jacques Chalupa, ancien député, proche de la Majorité Présidentielle, a, quant à lui écopé de 36 mois d’emprisonnement pour « usurpation de la nationalité congolaise », après qu’il se soit présenté, en novembre 2011, a la députation sur la liste d’un parti soutenant l’opposant Étienne Tshisekedi.
67.Le 24 novembre 2013, Lajos Bidiu, président provincial du MLC pour la province du Bas-Congo, a été abattu par trois hommes armés à Kinshasa. C’est le troisième haut responsable du Mouvement fondé par J.-P. Bemba qui est assassiné au cours des dernières années. Marius Gangale, député provincial de Kinshasa, avait été tué en novembre 2011 et Daniel Botethi, vice-président de l’Assemblée provinciale de Kinshasa, en juillet 2008.
68.(Voir mon article : RDC : L’échec des pouvoirs provinciaux, une nouvelle étape dans la déconstruction de la Troisième République – IFRA-Nairobi novembre 2013)
69.Il n’est pas sûr que la tenue, en septembre, des « Concertations nationales », suivie de la victoire « historique » des FARDC sur le M-23, à la fin du mois d’octobre, soient de nature à accélérer la mise en œuvre des réformes internes exigées par l’Accord-cadre d’Addis-Abeba, bien au contraire.
70.À travers ses « Concertations », Joseph Kabila a, en effet, obtenu un certain élargissement de sa majorité, qui, bien que marginal, consigne tout de même la fin de la longue opposition du MLC de J.-P. Bemba, qui semble, étrangement, avoir trouvé un avantage à adhérer au projet de « transition consensuelle » du chef de l’État43. Par ailleurs, il a bénéficié de la neutralité bienveillante du leadership du RCD-Goma qui, privé du soutien de Kigali et opposé aux méthodes du M-23, n’avait guère d’autre choix que de participer à ce forum pour ne pas accentuer encore sa propre marginalisation politique. Certes, ce sont là deux forces politiques du passé et en fort déclin depuis 2006, mais leur intégration dans une nouvelle majorité présidentielle pourrait renforcer l’assise de Joseph Kabila, notamment dans les provinces de l’Équateur44 et des Kivu ou ces deux partis conservent encore quelques partisans.
71.Par ailleurs, la présence des ambassadeurs du Conseil de sécurité à la séance de clôture de ces « Concertations » est apparue, sinon comme une approbation explicite du procédé mis en œuvre par Kabila, tout au moins comme une faveur faite au Président qui, depuis la catastrophe électorale de 2011, cherchait désespérément à retrouver un peu de soutien de la communauté internationale.
72.La victoire militaire obtenue au Nord-Kivu, grâce à l’appui des Tanzaniens et des Sud-Africains de la Brigade d’intervention de la MONUSCO, traduit, elle aussi, un renforcement du Président sur le plan interne ou beaucoup l’accusait de collusion avec l’adversaire ougando-rwandais, comme sur le plan international ou il peut désormais afficher une alliance solide allant de Kinshasa à Dar es Salam en passant par Luanda et Pretoria.
73.Joseph Kabila qui avait envoyé, en décembre 2012, ses plénipotentiaires à Kampala pour arrêter l’offensive du M-23 et n’avait signé l’Accord-cadre à Addis-Abeba que parce que ce dernier garantissait le déploiement de la Brigade d’intervention dans l’Est du pays, a finalement atteint ses objectifs. Il est à peu près certain que ses priorités vont, désormais, se concentrer sur la prolongation de son pouvoir au-delà de décembre 2016 qui devrait marquer la fin de son deuxième mandat. L’urgence n’est donc plus dans les réformes, mais bien dans la construction d’un consensus en faveur d’une Transition permettant l’extension de son mandat et dans la confection d’un calendrier électoral techniquement inattaquable, mais justifiant lui aussi un report des échéances électorales.