Le directeur d’Action contre la faim en République démocratique du Congo, Benjamin Viénot, souligne que la réponse humanitaire est pour l’heure « très insuffisante ».
Par crainte d’une nouvelle éruption du volcan Nyiragongo, Goma, sise dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), était en grande partie vidée de ses habitants, vendredi 28 mai, au lendemain de l’évacuation « préventive »ordonnée par les autorités.
Présent dans la ville lorsque la première éruption a débuté, samedi 22 mai, Benjamin Viénot, directeur de l’ONG Action contre la faim (ACF) en RDC, retrace les événements et décrit les besoins humanitaires pressants des centainesde milliers de déplacés, dans une région déjà frappée par les crises.
Vous étiez à Goma lors de l’éruption volcanique. Pouvez-vous nous décrire ce qui s’y est passé ?
Il y a eu deux événements. Dans la nuit du 22 mai, le volcan est entré en éruption de manière très soudaine. On a vu le ciel rougeoyer dans la nuit. Une coulée de lave est descendue vers Goma et s’est arrêtée juste avant l’aéroport. Il y avait très peu d’informations ou de communication officielle, et la population a commencé à fuir vers Sake, à l’ouest, et vers le Rwanda. C’était la panique totale, des familles entières sont parties avec leur matelas sur la tête, leurs enfants dans le dos et en tirant des chèvres.
Finalement, la coulée s’est stabilisée après avoir emporté entre 500 et 1 000 maisons et les gens se sont mis à rentrer. Mais ce premier événement a été suivi de secousses sismiques. On en a compté plus de 170 lundi et même plus de 260 mardi. Parfois, le sol tremblait toutes les trois minutes et l’une de ces secousses a même atteint [une magnitude de] 5,3. Des bâtiments ont commencé à s’écrouler et la route s’est fissurée.
Le problème, c’est que c’est assez imprévu, si l’on fait une comparaison avec la dernière éruption du volcan Nyiragongo, en 2002. Ce n’est pas une éruption classique, et les risquessont désormais très importants. C’est pourquoi les autorités provinciales ont pris la décision, dans la nuit de mercredi à jeudi, d’évacuer dix quartiers de Goma. A partir de là, toute la ville s’est vidée.
On parle de 400 000 à 1 million de personnes déplacées. La grande majorité s’est dirigée vers Sake, et les autres ont traversé le lac Kivu pour aller vers Bukavu, ou sont allés au Rwanda. Je suis moi-même parti à ce moment-là pour rejoindre Kigali, au Rwanda.
Quels sont ces risques très importants que vous évoquez ?
Pour l’instant, les tremblements de terre se sont calmés mais il y a plusieurs menaces. Il pourrait y avoir une autre éruption avec une nouvelle coulée de lave, mais également de la lave qui surgirait directement du sol de la ville à cause des fissures provoquées par les secousses. Et le scénario catastrophe serait ce que l’on appelle une éruption limnique.
Le lac Kivu, au bord duquel se trouve Goma, comporte d’énormes concentrations de méthane. Si le gaz entre en contact avec le magma, cela pourrait provoquer une gigantesque explosion et asphyxier les personnes vivant au bord du lac. Cela s’était produit au Cameroun en 1986, au lac Nyos. Il s’agissait d’un petit lac mais la catastrophe avait tout de même fait plus de 1 500 morts.
Quelles sont les conséquences humanitaires de cette situation ?
Il faut commencer par rappeler que cette catastrophe survient dans une zone de RDC qui est déjà extrêmement vulnérable. Une multitude de groupes armés y opèrent et l’insécurité est telle qu’en mai le président Félix Tshisekedi a promulgué l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu, où se trouve Goma, et de l’Ituri. C’est-à-dire qu’elles ont été placées sous administration militaire pour tenter de juguler les violences.
Par ailleurs, il y a dans la région des problèmes de malnutrition énormes et beaucoup d’épidémies qui circulent. En particulier le choléra, qui touche de façon endémique Sake et plusieurs quartiers de Goma.Lire aussi Le Nyiragongo, considéré comme le volcan le plus dangereux d’Afrique
Aujourd’hui, la population manque de tout. Il n’y a pas d’abri, les gens qui ont fui dorment le plus souvent dehors, dans une totale promiscuité. Les estimations varient beaucoup mais on dit qu’il y aurait actuellement entre 500 000 et 800 000 personnes à Sake, qui est d’ordinaire une toute petite ville. Des problèmes d’accès à la nourriture et des situations de pénurie alimentaire nous sont déjà rapportés. Comme la réponse humanitaire est aujourd’hui très insuffisante comparée aux besoins, les gens vont certainement rentrer petit à petit, alors que la situation n’est pas stabilisée au niveau du volcan.
Que faut-il mettre en place en matière d’aide d’urgence ?
La priorité, selon nous, est de prévenir une nouvelle épidémie de choléra. La coulée de lave a endommagé les canalisations de Goma et ainsi coupé une partie de l’approvisionnement en eau potable. Il faut pouvoir fournir à la population de l’eau chlorée lorsqu’elle sera de retour, afin d’éviter qu’elle aille se servir dans les puits.
Il y a aussi bien sûr les questions d’abri et d’assistance alimentaire. La difficulté est que la réponse humanitaire a été elle-même très impactée par les événements. Une bonne partie des employés des organisations présents sur place ont dû évacuer. Les locaux d’ACF sont à Kinshasa, mais beaucoup d’autres ONG ont leur bureau de coordination à Goma et certains de ces bâtiments ont été fissurés sous l’effet des secousses. Il faut ajouter à cela qu’il est encore très difficile d’avoir des informations claires sur ce qui se passe. Et les besoins risquent d’évoluer s’il y a une reprise de l’activité volcanique.
- Les tremblements de terre se sont poursuivis jeudi près du Nyiragongo, l’un atteignant 4,9 de magnitude. Près de 400 séismes ont été ressentis depuis dimanche alors que l’éruption du 22 mai 2021 n’avait donné aucun signe avant-coureur. Les autorités évoquent le risque « d’une éruption secondaire, partant des fissures créées par les mouvements sismiques » et le « scénario catastrophe » d’une explosion d’une poche de gaz sous le lac Kivu, du fait d’un contact avec le magma.
- Les habitants de Goma et des environs suivaient les ordres d’évacuation des autorités, le 27 mai 2021 au matin, provoquant des embouteillages. Des files de voitures, de camions, de minibus surchargés tentaient d’atteindre la ville de Sake, plus à l’Ouest.
- Des dizaines de personnes ont trouvé refuge dans des abris de fortune, à Sake, à environ 25 km à l’ouest de Goma, le 27 mai.
- Une image satellite montre le volcan Nyiragongo avant l’éruption, le 20 mai.
- Une coulée de lave s’est arrêtée à la périphérie de Goma, menaçant d’engloutir les maisons. Terrifiés des milliers d’habitants ont fui la ville dès samedi.
- La précédente éruption majeure du Nyiragongo, le 17 janvier 2002, avait fait une centaine de morts. La plus meurtrière, en 1977, plus de 600 morts.
- Goma compte plus de 600 000 habitants, et plus de 2 millions avec son agglomération. Le bilan de l’éruption du Nyiragongo est à ce jour de 32 morts.
- Malgré la destruction de plusieurs maisons par la lave à la périphérie de Goma, la ville a été majoritairement épargnée par l’éruption.
- La police et l’armée ont été déployées pour sécuriser Goma et ses environs. Selon le gouvernement, un « dispositif d’accompagnement » a été mis en place « pour orienter les déplacés vers des lieux sécurisés ». Pourtant, parmi ces derniers, beaucoup se plaignent de l’absence complète de ces moyens.
- Propos recueillis par Marie de Vergès/Le Monde avec AFP