Par Simeon NKOLA MATAMBA
“La République Démocratique du Congo est, dans ses frontières du 30 juin 1960, un État de droit…”, à en croire la loi fondamentale (Article 1er). Le vœu du constituant, approuvé par referendum, est au cœur d’une vieille histoire de luttes douloureuses largement antérieures à la Constitution promulguée en 2006. Au centre des nombreuses lois qui composent l’arsenal juridique congolais, cet État de Droit ne peut se décréter unilatéralement, encore moins par la clameur publique. Il peut se construire grâce à l’indépendance de la Justice et à la conscience des citoyens quant à leurs droits et leurs devoirs.
Les derniers dix-huit mois ont donné le ton du désencerclement de la Justice. Justice qui, dans une complaisance servile envers l’arbitraire du politique, avait longtemps donné à voir le Pouvoir Judiciaire sous ses jours les plus sombres. Les procès staliniens, la mise sous les verrous pour délit d’opinion, à côté d’innombrables violations et intrigues, avaient marqué le régime d’une Justice travestie et parodique, forte avec les faibles et faible avec les forts. Jusqu’à la surprise.
Ils défilent l’un après l’autre devant le procureur et devant le juge, dans leurs tenues civiles ou de prévenus, la peur au ventre d’être placé sous MAP (mandat d’arrêt provisoire) ou d’être condamné à un séjour prolongé en prison. Ils sont politiciens, mandataires publics, hommes et femmes de renom. Contre eux, les procureurs et les juges franchissent le Rubicon, suivis des avocats de la République, ces gladiateurs du droit dont les philippiques mettent en joie des foules qui scandent “État de Droit!” au moindre entrechoc des épées dont les tranchants sont remués dans le cœur des forfaitures.
La vague d’arrestations et de condamnations des responsables publics a provoqué un sursaut chez le peuple jadis spectateur résigné de la corruption de ses “élites”. L’évidence la plus flagrante de l’absence d’un État de Droit était l’impunité qui faisait le bonheur des hommes et des femmes de pouvoir qui, transis d’une avidité financière incontrôlée, avaient pris l’habitude de soustraire au trésor d’importantes sommes d’argent public sans rien redouter. Aujourd’hui le cimetière des projets inachevés ou pauvrement exécutés commencent à livrer leurs secrets et à semer des craintes dans le chef des gestionnaires à la réputation sulfureuse, grâce à la nouvelle impulsion pour une Justice indépendante et juste.
C’est par cette impulsion que déjà plusieurs centaines d’anciens prisonniers politiques recouvraient la liberté quelques mois après l’alternance à la Présidence de la République. Les jugements rendus contre des ministres provinciaux ayant abusé de leur pouvoir, contre des responsables de projets d’urgence et d’infrastructures, contre des éléments des forces de l’ordre impliqués dans l’usage de la force létale envers des manifestants, faits nouveaux et inenvisageables dans un passé récent, font monter la cote du troisième pouvoir. Le Procès des 100 Jours, par son caractère médiatique particulier, a plongé les citoyens au cœur de l’univers juridique en rendant possible une assimilation des normes qui, investissant la conscience collective, créent une société mieux informée, encline à adhérer et à veiller aux impératifs du droit.
L’inflexion positive ainsi constatée sur le grand chantier de la Justice peut présager des futures avancées. L’État de droit ne saurait être réduit à quelques procès phares, mais ceux-ci installent une tendance qui invite des encouragements et une implication citoyenne auprès des instances habilitées à faire triompher le droit.
Au regard des injustices nombreuses qui ont longtemps fermenté dans l’âme du peuple, la Justice reste l’un des défis si pas l’un des plus grands défis du quinquennat pour la guérison de la Nation. La population congolaise qui a grandement soif de vérité et de justice trouve ici l’occasion de s’appuyer sur la coopération d’un leadership volontariste sur la question de l’indépendance du pouvoir judiciaire, tel qu’en témoignent les récents évènements.
En même temps que le garant de l’indépendance de la justice s’engage à déblayer le terrain, les gardiens de l’ordre judiciaire ont la responsabilité de se délester des pesanteurs qui entravent leur action, d’affirmer leur autonomie et de ne rendre que justice, pour la réussite de cette immense et vertueuse aventure collective qu’est l’État de Droit. Au nom de la hiérarchie des normes, de la séparation des pouvoirs, de la soumission de l’Etat aux règles, de la primauté de la loi sur le pouvoir politique, et du respect des Droits Humains, il nous incombe, par un effort quotidien et collectif, de hisser la Justice à sa position de premier rang, comme le réclame la devise de notre pays.