Alors que la pandémie de Covid-19 a fait monter le prix de l’or dans le monde entier, les miniers de l’est de la RDC, dont la production est exportée en contrebande, ont vu leurs prix de vente baisser.
Dans le début de l’après-midi du 11 septembre 2020, au moins 50 jeunes mineurs artisanaux se sont noyés dans une rivière de boue lorsque des pluies torrentielles ont inondé les mines d’or de « Detroit », au sud de la ville minière de Kamituga, dans la province du Sud-Kivu, en RDC.
Un seul survivant a été retrouvé par les centaines de personnes qui se sont précipitées sur les lieux pour tenter de dégager les mineurs pris au piège, dont certains travaillaient à 40 mètres sous terre dans les puits de fortune.À LIRE [Série] Artisanat, contrebande… La nouvelle ruée vers l’or africain
Kamituga est une ville minière depuis les années 1920, lorsque de grandes quantités d’or y ont été découvertes et qu’une succession de grandes entreprises y sont arrivées. Mais ce sont les mineurs artisanaux de Kamituga, avec les outilleurs, les commerçants et les transporteurs, qui font tourner l’économie locale.
Les mineurs de la ville, qui connaissent les hauts et les bas du marché international de l’or, auraient donc, logiquement, dû tirer leur épingle du jeu au milieu de cette calamité économique mondiale.
Davantage d’intermédiaires impliqués
Mais alors que la pandémie de coronavirus a fait monter le prix de l’or dans le monde entier, les prix locaux proposés par les acheteurs en Afrique ont en fait baissé, explique Joanne Lebert, directrice exécutive d’Impact (anciennement Partenariat Afrique-Canada), qui travaille à améliorer la gouvernance des ressources naturelles.
« Les acheteurs ont exploité la situation au Congo. Davantage d’intermédiaires se sont impliqués au lieu de s’appuyer sur le réseau des commerçants locaux », explique Mme Lebert. « Le transport de l’or dans la région est devenu plus difficile, et les mineurs ont été les grands perdants ».
Les opérations comme celle de la mine de Detroit sont le point de départ périlleux d’une chaîne d’approvisionnement qui traverse la région grâce à un réseau de négociants, puis de raffineries locales, avant d’arriver dans des carrefours commerciaux internationaux tels que Dubaï. La plupart de ces échanges commerciaux échappent à l’administration congolaise, aux redevances et aux impôts.
Un étiquetage systématiquement faussé
À Kamituga, il existe environ 300 comptoirs d’achat d’or, selon les militants locaux de l’ONG Justice pour tous. Selon un récent rapport du groupe d’experts des Nations unies sur l’industrie minière congolaise, « un haut fonctionnaire de l’administration minière du Sud-Kivu a estimé qu’environ 300 kg d’or non déclaré transitent chaque mois » par Bukavu, la capitale provinciale. Les statistiques officielles ne mentionnent quant à elles que 5 kg d’or exporté chaque mois.À LIRE Polémique autour de la mine d’or de la Sokimo à Kibali, dans l’est de la RDC
Alors que l’est de la RDC est depuis des années plongé dans l’un des conflits les plus meurtriers et les plus complexes d’Afrique – forces nationales, combattants locaux et les milices soutenues par l’étranger y luttant à la fois pour le contrôle politique, les ressources, les frontières et l’identité ethnique – , l’industrie aurifère de la région a été façonnée par la contrebande.
Ainsi, pour contrer les tentatives internationales de bloquer l’or des zones de guerre, mais aussi pour échapper aux taxes locales et nationales, l’étiquetage des cargaisons d’or est quasi systématiquement faussé.
Les experts des Nations unies affirment que la majeure partie de l’or traité par les nouvelles raffineries de la région des Grands Lacs, qui ont une capacité de plus de 330 tonnes d’or par an, est passée en contrebande depuis l’est de la RDC.
Des transactions qui échappent aux réseaux bancaires officiels
« Certaines raffineries ont agi comme des courtiers, utilisant des paiements en espèces pour acheter de l’or de contrebande en évitant le traçage, procédant à des échanges entre raffineurs et utilisant des réseaux d’entreprises, ce qui a rendu difficile l’établissement de l’origine effective du métal », indique le rapport, selon lequel « la plupart des transactions sur l’or ont échappé aux réseaux bancaires officiels ».
Parmi les grands opérateurs de la région, l’African Gold Refinery (AGR) en Ouganda, avec une capacité de 219 tonnes par an, et l’Aldango au Rwanda, qui peut traiter 73 tonnes par an. Les experts des Nations unies se réfèrent à des documents montrant qu’Alain Goetz, un descendant d’une famille belge de négociants en or, a fondé l’AGR et détient une participation dans la raffinerie d’Aldango et dans une société basée à Dubaï, appelée PGR Gold Trading.
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« Il y a toute une chaîne d’approvisionnement par laquelle l’or est passé en contrebande depuis les zones de guerre du Congo en Ituri et au Sud-Kivu vers les raffineries régionales. Ensuite, il est transporté par avion à Dubaï pour y être ré-affiné, il peut y être mélangé à de l’or provenant d’autres sources. À terme, l’or provenant d’une zone de guerre au Congo pourrait donc se retrouver dans un lingot d’or que l’on trouverait en Suisse », confie à Jeune Afrique un ancien chercheur des Nations unies.
Aux frontières nord-est de la RDC, au Soudan, le schéma est similaire. Les mineurs artisanaux des zones de conflit comme le Nil Bleu, le Kordofan et surtout le Darfour ont produit des tonnes d’or et les ont vendues à des négociants qui les font passer en contrebande dans les États du Golfe. (À suivre…).
Par Patrick Smith (Jeune Afrique-24 novembre 2020)