Il a fallu trois ans depuis son élection à la magistrature suprême pour qu’enfin le Président Félix Tshisekedi visite le Grand Kasaï, espace géographique désigné comme étant son fief électoral naturel. Il est important de souligner que pour tout candidat à la magistrature suprême, le fief électoral s’étend sur tout le territoire de la République. Il convient également de retenir que depuis son élection, le Président Tshisekedi n’avait même pas encore effectué une tournée dans la moitié des provinces qui composent le pays, et sa campagne électorale ne lui avait pas permis d’arriver partout.
À cause du système d’enseignement mal conçu, de la géographie et de l’histoire souvent mal enseignées aux jeunes ainsi que d’autres considérations socio ethniques erronées, la plupart des Congolais moyens ont tendance à réduire le Congo à ses subdivisions linguistiques (lingala, swahili, tshiluba et kikongo) de sorte que nombreux, même parmi des diplômés d’université croient qu’il existe une ethnie des Baswahili, que tout le monde au Kasaï est muluba ou parle le Tshiluba, que dans l’Ouest du Congo il n’y a que des Bakongo ou des Bangala. Cette façon de considérer les choses induit malheureusement à des conceptions et à des pratiques qui déséquilibrent des projets de développement et ne permettent pas la cohésion nationale et la coexistence harmonieuse entre les peuples du Congo.
C’est ainsi qu’en effet, plusieurs Congolais attendaient de voir ou d’entendre ce que le Chef de l’État allait notamment promettre de réaliser au profit de « ses frères » du Kasaï-Oriental, plus qu’il ne serait pas prêt à le faire pour les autres provinces du Grand Kasaï et du reste du pays. La répartition de son agenda, les réalités sociales rencontrées n’ont fait que renforcer cette perception permettant de qualifier de « pari risqué » cette sortie un peu tardive du Chef de l’État. La présente analyse aborde tous ces aspects.
Fallait-il attendre trois ans pour aller remercier les électeurs ?
Jusque-là, les partis politiques n’ont encore rien changé de la perception que se font la majorité des Congolais, même les plus instruits, du pouvoir politique au sommet de l’État. Après les Bakongo, avec Kasa-Vubu, les Bangala l’ont détenu pendant 32 ans avec Mobutu, puis les Baswahili pendant plus de 20 ans avec les deux Kabila. Suivant cette logique, c’est naturellement que les Baluba, actuellement au pouvoir, s’y installent aussi longtemps qu’ils le pourront ou que la Constitution le leur permettra. Sauf qu’à cette allure et suivant cette logique, certaines composantes ethniques ou tribales risquent d’attendre jusqu’au retour du Fils de Dieu pour accéder aussi au pouvoir. C’est pourquoi, considérant que c’est leur pouvoir (« Bukalenga mbuetu »), plusieurs voix n’avaient cessé de se lever au sein de la communauté Luba non seulement pour reprocher au Président de la République de tarder à se rendre au Kasaï (Grand Kasaï), mais même de menacer de se désolidariser de lui s’il ne prenait pas en compte les aspirations spécifiques du terroir. La tournée que vient d’effectuer le Chef de l’État est-elle consécutive à toutes ces pressions?
Ce qui est certain, c’est que durant trois ans, Félix Tshisekedi a fait le choix de prioriser la légitimation extérieure de son pouvoir et, d’après lui, la visibilité du pays auprès des partenaires bilatéraux et multilatéraux. Seulement, en attendant que le peuple congolais récolte un jour les fruits de ces périples fort coûteux, sur terrain tous les indicateurs socio-économiques sont quasi au rouge, à deux ans de la fin de son premier mandat. Au fur et en mesure qu’il poursuivait sa tournée dans l’espace Grand Kasaï, le Chef de l’État s’est rend lui-même compte que non seulement il a trop attendu pour s’y rendre, mais que l’excès de confiance qu’il a aveuglement accordée à son entourage risque de lui coûter politiquement cher. Quelques cas permettent de l’illustrer.
Le pillage des installations de la SACIM à Miabi : actes criminels ou message d’un peuple abandonné ?
L’enthousiasme constaté par l’accueil du Chef de l’État à sa descente à Mbuji-Mayi témoigne de l’intensité des attentes de cette population dont plusieurs méchantes langues ont dit qu’elle ne pouvait jamais produire un Président de la République. Dans la conception coutumière du pouvoir chez la plupart des Congolais, il ne serait pas choquant qu’il prenne des décisions, même discriminatoires, en faveur de son terroir. En effet, le Kasaï-Oriental est la province géographiquement la plus petite, plus petite que la ville de Kinshasa et compte parmi les plus pauvres. Pour tenter de justifier cette pauvreté et plaire à ses interlocuteurs, le Chef de l’État n’a pas hésité d’accuser « les ennemis », c’est-à-dire les non originaires. C’est pourquoi, face à cette population aux attentes frisant la naïveté, il s’est plutôt contenté de solliciter son indulgence en recourant publiquement et innocemment à une expression « mashi a mu menu »[1] désormais patrimoine immatériel de tous les Congolais, dont la charge émotionnelle n’a pas été bien appréciée venant de la part du « père de la nation ».
N’ayant pas de solutions miracles et immédiates, lui à qui l’on reproche maintes fois de promettre depuis son accession au pouvoir, n’a eu d’autre choix que de promettre la reprise des activités de la Miba, le désenclavement de la province, la construction des hôpitaux, la relance de l’agriculture et l’achèvement des travaux de construction du barrage de Katende. Mais dans ce pays où les des évènements se produisent et s’oublient très vite sans être décodés et contextualisés, un fait d’apparence banale s’est produit dans les installations de la société SACIM, à 45 km de Mbuji-Mayi en territoire de Miabi. C’était juste après la visite du Président de la République, qui voulait voir clair dans l’exploitation du diamant par cette société et échanger avec ses gestionnaires sur les revendications de la Miba, propriétaire originaire de la concession.
Pour ceux qui s’intéressent peu à l’histoire de notre propre pays, pour remercier le Président Robert Mugabe dont les soldats lui avaient été envoyés en renfort contre les agresseurs rwandais en 1998, Laurent-Désiré Kabila lui avait cédé de larges portions riches en diamant appartenant à la Miba en y créant par effet de prince une société dénommée SENGAMINES[2]. Le diamant exploité dans ce coin n’avait jamais profité ni à l’État congolais ni encore moins à la population locale jusqu’à sa faillite[3]. Selon des cadres de cette société, avec qui nous avions eu l’opportunité d’échanger plusieurs fois, Mugabe et son entourage s’étaient servis sans modération, l’actuel Président Zimbabwéen en sait quelque chose.
C’est sur les cendres de Sengamines que fut créée une nouvelle société à « capitaux mixtes » sino-congolais qui s’y est installée depuis 2013. Sur les traces de SENAMINES, SACIM exploite le diamant de ce coin dans l’opacité totale, sans aucune retombée pour la population (route, écoles, hôpital), ni redevances pour l’État et encore moins compensation pour la Miba. « Implantée en 2013 sur le gisement diamantifère de Tshibwe à Boya en territoire de Miabi au Kasaï-Oriental, la société Annui-Congo d’investissement minier (Sacim) gérée par des Chinois crée des tensions avec les populations locales. Et pour cause, le diamant de cette partie du Kasaï-Oriental est exploité par ces Chinois sans aucune contrepartie en faveur des autochtones. Ces derniers croupissent dans leur misère pendant que les millions de dollars de leurs diamants ne profitent qu’aux Chinois et à ceux qui les protègent. La cité de Boya n’a plus d’avenir à cause de géants ravins qui la rongent sous les regards indifférents de la Sacim et des autorités congolaises. » Contrairement à la société Miba qui a au moins construit une partie de la ville de Mbujimayi, la Sacim ne s’intéresse qu’à l’exploitation et l’exportation du diamant industriel, sans rien faire en faveur des populations locales. Une exploitation excessive et destructrice qui ne profite qu’aux Chinois et à certaines autorités congolaises. »[4]
D’où, juste après la visite du Chef de l’État, et comme ont pu le voir les internautes sur les réseaux sociaux, la population a aussitôt envahi les installations de cette entreprise pour se servir à volonté du gravier contenant le diamant, chacun selon sa capacité de transporter la quantité du butin aussi loin que son énergie lui permettait. Nous n’avons aucun écho d’un quelconque dossier pénal ouvert à charge de ces hystériques pilleurs ni d’une condamnation politique de quel que niveau que ce soit de cet acte de masse.
Pour les spécialistes du langage non verbal, cette population qui n’a rien à perdre et qui n’a pas trouvé le salut dans l’exode au Katanga ou à Kinshasa, n’a fait qu’exprimer à sa manière ses préoccupations de survie.
Lomami, Kasai Central, Kasai, Sankuru : même constat de pauvreté et de manque d’infrastructures
Au fur et en mesure qu’évoluait la tournée du Chef de l’État, les Congolais découvraient de plus en plus, en même temps que lui, que Kinshasa n’était pas le miroir du pays et que toutes les provinces partageaient pratiquement les mêmes préoccupations quotidiennes. Il s’agit notamment de l’absence de routes pour faciliter la circulation des biens et des personnes, du manque d’eau potable et de l’électricité pour favoriser le développement, du manque d’infrastructures scolaires et sanitaires et du chômage généralisé. Partout là, le Chef de l’État a pu se rendre compte que durant trois ans, il a laissé son entourage se substituer au gouvernement en lui confectionnant des projets évalués à des millions de dollars américains tandis que sur terrain, presque rien n’a été réalisé. C’est le cas du projet Tshilejelu qu’on a voulu être une réplique locale du projet de cent jours, ou de la route Kabinda-Mbuji-Mayi dont on a cherché de trouver des explications extra-cartésiennes en accusant les autorités coutumières de Lomami d’avoir détourné de façon mystique le cortège présidentiel de l’itinéraire préalablement choisi par le protocole.
C’est peut-être pour cette raison qu’à l’étape de Kananga, au Kasai Central, le Chef de l’État a été moins prolixe dans les promesses, se contentant notamment de réaffirmer sa détermination de faire accélérer les travaux d’achèvement du barrage de Katende. C’est à Tshikapa, chef-lieu de la province du Kasai, que le Chef de l’État a eu la plus désagréable surprise des trois ans de son mandat lorsqu’en plein meeting, il a appris que la gratuité de l’enseignement (mesure phare de son quinquennat) n’était pas effective là-bas.
Ce constat, inattendu pour le Chef de l’État qui s’attendait à être congratulé, contraste avec la campagne de diabolisation orchestrée à Kinshasa contre la CENCO et le Cardinal Ambongo, désignés comme seuls responsables des écueils rencontrés dans la mise en œuvre de la gratuité de l’enseignement. Pas grand-chose n’a été dit non plus sur le Sankuru où, pour des raisons ignorées du public, le Président de la République n’a pas foulé le sol de Lusambo, chef-lieu de la province.
Au-delà des préoccupations similaires déjà rencontrées ailleurs, les réseaux sociaux ont permis de découvrir que les politiciens de ce coin, toujours prompts à sauter à bord de chaque navire du pouvoir, à la recherche de leurs intérêts égoïstes, se sont affichés en spectacle manquant où s’abriter à l’aéroport de Lodja pour y attendre leur hôte. On a vu tous ces politiciens, grandes gueules à Kinshasa, confus face aux interlocuteurs à qui le chef de l’État a accordé la parole et qui ont le courage de dénoncer publiquement leur hypocrisie. De Mbuji-Mayi à Kabinda, en passant par Kananga et Tshikapa jusqu’à Lodja, les Congolais ont beaucoup appris des réalités qui n’ont jamais réellement fait l’objet des préoccupations de ceux, à Kinshasa (toutes institutions confondues), passent plus de temps à penser aux futures élections qu’aux aspirations quotidiennes du peuple et à l’avenir de la postérité.
Conclusion
Loin d’être un reportage, cette analyse s’est intéressée à sélectionner quelques faits saillants révélateurs de certaines réalités insoupçonnées qui sont indistinctement partagées par toutes les provinces, sans exception, y compris la province d’origine du Président de la République. De tout ce que tout le monde a pu vivre, voir et constater grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, le Chef de l’État a laissé dans l’opinion la triste impression de découvrir pour la première fois le pays qu’il gouverne depuis trois ans. S’étant excessivement fié à un entourage pléthorique recruté par lui sur base des critères peu fiables, il est le premier responsable des échecs jusque-là enregistrés dans tous les programmes élaborés par des prédateurs et exécutés par eux en dehors des règles de bonne gouvernance, en toute impunité.
A deux ans de la fin de son premier mandat, tout le monde attend de lui qu’il ait le courage de se débarrasser de ceux qui risquent de constituer pour lui des obstacles sur la voie de son deuxième mandat. Aux opportunistes qui l’ont suivi partout pour l’accueillir dans leurs fiefs et pour adhérer précipitamment à l’Union sacrée, il est invité à s’en méfier par considération pour le peuple, qui a montré qu’il n’en veut plus. Au peuple, aux intellectuels, aux cadres et aux partisans des partis politiques, il convient de rappeler l’inutilité du fanatisme aveugle dicté par des considérations ethniques et tribales, la tournée du Chef de l’État ayant permis de révéler que les politiciens congolais prennent tout pour eux-mêmes et réservent la misère et la pauvreté pour le peuple, sans distinction.
Références
[1] Qui signifie: le sang qui saigne des gencives. C’est impossible de le cracher sans en avaler une bonne partie.
[2] Wikipédia, consulté sur internet le 6 janvier 2022 : La Sengamines était une société minière de diamant du Congo-Kinshasa créé durant l’administration de Laurent-Désiré Kabila. Celle-ci a repris 45 % des propriétés de la MIBA et n’était pas soumises aux impôts, In https://fr.wikipedia.org/wiki/Sengamines.
[3] Jeune Afrique, 12/09/2005 : Dès 2002, la Sengamines a été mise en cause par des experts de l’ONU chargés d’enquêter sur le pillage des ressources naturelles congolaises. Mais, à travers elle, c’est son principal actionnaire, Oryx Natural Resources, qui était directement montré du doigt.
La Sengamines a été créée à partir d’une concession arrachée à la Miba pour rémunérer le Zimbabwe de son soutien militaire à la RD Congo lors de la guerre contre le Rwanda et l’Ouganda. En guise d’indemnisation, les forces armées du Zimbabwe – via la société Osleg (Operation Sovereign Legitimacy) – ont alors obtenu 49 % de la Sengamines. In https://www.jeuneafrique.com/111940/archives-thematique/les-secrets-inavouables-de-la-sengamines/.
[4] In https://habarirdc.net/sacim-diamants-appauvrir-population-miabi-kasai-oriental/.
Auteur
JEAN-BOSCO KONGOLO MULANGALUEND/Analyste des questions juridiques et politiques/ Gatineau (Québec) – Canada