Tandis que le chef de l’État joue les prolongations, l’opposant Samy Badibanga, lui, n’aura effectué qu’un séjour éphémère à la primature, dans un contexte de crise politique aiguë. Au risque d’y laisser des plumes ?
Premier ministre de la République démocratique du Congo (RDC) de novembre 2016 à avril 2017, le discret Samy Badibanga n’a jamais accordé d’interview lorsqu’il était en fonction. Entre l’accusation de trahison lancée par ses anciens camarades de l’opposition, les graves difficultés économiques et sécuritaires que traverse le pays et la menace constante d’être remplacé, tout l’incitait à faire profil bas. Pour Jeune Afrique, il revient en exclusivité sur le défi, délicat, qu’il a voulu relever.
Jeune Afrique : L’Union européenne (UE) vient de sanctionner neuf nouveaux responsables congolais pour faire pression sur Kinshasa. Est-ce la bonne méthode ?
Samy Badibanga : L’UE est souveraine, elle peut choisir qui a le droit de pénétrer ou non sur son territoire. Mais il faut éviter la rupture car nous aurons besoin de la communauté internationale, notamment sur le plan financier. Si l’on veut déboucher sur des élections, les discussions doivent se poursuivre. Seul le dialogue peut encore permettre d’éviter que la crise politique ne se règle dans la violence.
Vous-même avez longtemps appelé au départ de Joseph Kabila à l’issue de son mandat. Or, le 18 octobre 2016, vous avez signé un accord entérinant son maintien, puis accepté le poste de Premier ministre. Pourquoi ce revirement ?
Ce n’est pas un revirement. J’ai très tôt alerté sur les risques de « glissement » du calendrier électoral, sans toutefois être entendu. Néanmoins, tenir les élections dans les délais impartis devenait impossible. Que pouvions-nous faire ? Négocier, afin de parvenir à des élections avec un gouvernement d’union nationale ? Ou bien avoir recours aux manifestations, voire à la violence ? Ma nomination aura permis d’apaiser la situation.
Qu’avez-vous pu obtenir lors de votre passage à la primature ?
Nous avons fait face à une situation économique catastrophique et à une grave crise sociale. Cela étant, nous avons, du point de vue budgétaire, redressé la barre. Alors que le déficit s’élevait à 515 milliards de francs congolais [403,5 millions d’euros] en 2016, nous avons dégagé 52 milliards d’excédent au cours des quatre premiers mois de 2017. Nous avons aussi accéléré la préparation des élections en débloquant de nouveaux financements
Avant même votre prise de fonctions, vous avez été pris dans une polémique sur votre double nationalité – ce que la Constitution congolaise interdit. Disposez-vous de la nationalité belge ?
À l’époque oui, ce qui ne posait pas de problème à mes yeux puisqu’un moratoire avait été décidé par l’Assemblée nationale. Je pense qu’il est temps de trancher cette question pour de bon. En ce qui me concerne, j’ai toutefois renoncé à la double nationalité.
Comment s’est passée votre « cohabitation » avec le président Joseph Kabila ?
Notre relation a été courtoise, empreinte de professionnalisme.
Les ministres issus de son camp respectaient-ils votre autorité ?
Tous les ministres ont fait preuve de compétence et de discipline, et ont été solidaires de mon action.
Le président a-t-il décidé seul des nominations ?
Ça a été le fruit d’un accord. L’équilibre régional, de genre et d’âge a été difficile à trouver, mais nous y sommes parvenus. Vous remarquerez que le gouvernement qui m’a succédé a conservé la même ossature.
Dans une interview récente à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, le président Kabila a affirmé qu’il n’avait « rien promis » quant à la tenue de l’élection présidentielle…
J’espère que c’était un lapsus ! L’organisation des élections n’est pas une question de promesse mais de respect des textes et des engagements pris lors de l’accord du 31 décembre 2016. Il est temps que les stratèges de la majorité sortent de l’ambiguïté.
Vous n’avez pas signé cet accord. Le considérez-vous tout de même comme légitime ?
Il a été validé par le Conseil de sécurité de l’ONU. J’en ai pris acte en démissionnant. Mais je ne suis pas le seul à ne pas l’avoir signé. C’est pourquoi il doit être amendé afin d’inclure toute la classe politique.
La RD Congo est-elle toujours soumise à une crise politique ?
Absolument ! Et c’est l’une des principales raisons de la crise économique que nous traversons. Notre pays risque de devenir un État failli, livré à la criminalité et au terrorisme, c’est pourquoi la communauté internationale doit s’impliquer. Notamment la France, qui a une expérience et un rôle à jouer en Afrique centrale.
Comment sortir de la crise ?
La seule voie, c’est l’organisation des élections. On les espère avant la fin de cette année, comme le prévoit l’accord. Malheureusement, cela semble mal parti. À Kinshasa, je ne suis pas sûr que l’enrôlement soit achevé, comme prévu, d’ici au 31 juillet. Et, dans le Kasaï, la situation sécuritaire reste un obstacle. Or on ne saurait organiser les élections sans cette vaste région.
Quand vous étiez à la primature, la rébellion des miliciens de Kamwina Nsapu s’est intensifiée. Vous aviez annoncé un voyage sur place. Pourquoi n’a-t-il pas eu lieu ?
La sécurité n’était pas assurée. Je n’étais pas visé personnellement, mais ces miliciens s’attaquent à tous les symboles de l’État. Leurs revendications ne sont plus locales, elles sont devenues nationales. Cela prouve que certains instrumentalisent la situation.
Vous avez diffusé une photo de vous avec le président américain Donald Trump, ce qui a fait polémique. Quelles ont été les circonstances de cette rencontre ?
Cette photo n’est pas un montage, contrairement à ce qui a été dit. Avant mon voyage, on m’avait laissé entendre qu’une telle rencontre serait possible. Sur place, son protocole a organisé l’entretien. Nous avons échangé pendant quelques minutes au cours desquelles j’ai pu l’informer sur la situation du Congo.
Vous étiez Premier ministre lorsque est survenu le décès de votre ancien mentor, Étienne Tshisekedi. Avez-vous été en contact avec sa famille ?
Bien évidemment. C’est quelqu’un qui comptait pour moi.
Pourtant, on ne vous a pas vu à ses obsèques, à Bruxelles…
J’ai travaillé avec lui directement, je choisirai donc personnellement le moment de lui rendre hommage.
Ne pensez-vous pas aujourd’hui avoir été victime d’un débauchage destiné à diviser l’opposition ?
Ce n’est pas ainsi que je vois les choses. Je n’ai pas travaillé pour Kabila, j’ai travaillé avec lui, dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale. Si cela n’était qu’un piège, à lui de le dire.
N’y avez-vous pas perdu une part de votre crédibilité ?
Je ne le pense pas. J’ai un long passé d’opposant au Parlement et j’aurais très bien pu me rallier à l’époque. Mais l’opposition ne doit pas se cantonner à la contestation. Je formule des propositions pour qu’elle exerce le pouvoir.
Entendez-vous participer à la refondation de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti de feu Étienne Tshisekedi ?
Oui. Contrairement à ce qui a été dit, j’en suis toujours membre. Encore faut-il, pour la refonder, faire preuve d’humilité, d’unité et de sens des responsabilités. L’UDPS a été créée dans le cadre du combat contre une dictature. Mais la situation a changé, le parti doit moderniser son logiciel.
JA/CR