Le Président Tshisekedi et les gouverneurs , lors de l’ouverture de la Conférence de gouverneurs à Kinshasa, le 28/12/2020.
Lors de la 7ème conférence des gouverneurs en septembre 2020, le collectif des gouverneurs des provinces de la RD Congo avait suggéré au gouvernement national de « rendre effective la retenue à la source sur les recettes à caractère national les frais de fonctionnement des institutions provinciales ».
Dans son allocution d’ouverture, le président Félix Tshisekedi avait expliqué le pourquoi de l’application de la rétrocession en lieu et place de la retenue à la source de 40% tel que prévu par la Constitution.
« Dans la pratique, le comportement des acteurs en présence ne facilite pas la résolution de ce défi. Le débat autour de ces questions se rapporte au transfert des charges et de leur financement. À ce sujet, en même temps que les provinces se plaignent de n’être pas appuyées financièrement par le gouvernement central, s’agissant de la retenue à la source de 40% des recettes en caractère national, le gouvernement central, à son tour, rétorque que toutes les provinces n’ont pas la même capacité de mobilisation des recettes suite à l’amenuisement de leur assiette fiscale et à la faiblesse constatée de leur part pour mobiliser les recettes. Au nom de la solidarité nationale, la rétrocession continue à être appliquée comme technique de réponse appropriée aux besoins des provinces », avait-il déclaré.
Et d’ajouter :
« De même, les entités territoriales décentralisées (ville, commune, secteur et chefferie) qui bénéficient des taxes et impôts à elles reconnus par la réglementation en vigueur, revendiquent auprès des provinces leurs quoteparts dans les 40% des recettes à caractère national. Peut-on aussi relever que les entités territoriales déconcentrées (territoire, groupement et village) clament qu’elles sont laissées pour compte n’ayant plus de taxes ni de redevances encore moins de moyens de fonctionnemenUne instance de concertation et d’harmonisation entre le pouvoir exécutif national et les gouverneurs de province. Le constituant a institué la Conférence des gouverneurs de province suite à la complexité des règles et mécanismes de fonctionnement entre le pouvoir central et la province d’une part et les provinces entre elles d’autre part ».
Dans sa Maîtrise en Sciences Économiques (Économie et Finances Publiques) défendue en 2007 à l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville et consultée par Congoreformes.com qui la publie ci-dessous, le professeur Jacques Nkongolo Musungula examine de fond en comble cette problématique.
PROBLÉMATIQUE DE LA MISE EN ŒUVRE DE LA DÉCENTRALISATION EN RDC
Ressources budgétaires reconnues aux provinces et entités territoriales
décentralisées
Il convient de dire un mot sur les ressources reconnues à ces entités par le législateur en tant qu’éléments déterminants de leur autonomie financière respective.
Comme d’aucuns ne l’ignorent, la Loi Financière n°83-003 du 23 février 1983 a été initiée et promulguée pour adapter la gestion des finances publiques au contexte de décentralisation consacré, à l’époque, par l’Ordonnance-loi n° 82-006 du 25 février 1982 portant organisation politique, territoriale et administrative de la RDC et les textes voisins.
Cette loi financière, outre qu’ elle prévoit le mécanisme de péréquation pour tenir compte de la nécessaire solidarité nationale et garantir le développement équilibré des composantes territoriales du pays, définit les ressources reconnues à ces dernières pour leur permettre de faire face à leurs nouvelles charges nées de l’exercice des compétences transférées et stipule que les budgets des entités administratives décentralisées sont exécutés dans les mêmes formes que celui du pouvoir central et font partie du budget général de l’Etat.
Aujourd’hui encore, les finances publiques provinciales et locales sont des corollaires logiques de l’autonomie financière dont sont investies les provinces et les entités territoriales décentralisées en RDC en vertu des articles 3 et 171 de la Constitution du 18 février 2006. En effet, l’article 3 de la Constitution stipule en son alinéa 3 que les provinces et entités territoriales décentralisées «jouissent de la libre administration et de l’autonomie de gestion de leurs ressources économiques, humaines, financières et techniques »35.
34 Ibid., article 73
35 Constitution du 18 février 2006, articles 3 et 171
L’article 171 de la même Constitution, quant à lui, précise que les finances du pouvoir central et celles des provinces sont distinctes. A ce sujet, Vunduawe (2007) note que « pour concrétiser l’idée de la décentralisation politique au niveau des provinces et administrative à l’échelon des entités de base (Ville, Commune, Secteur, Chefferie), le constituant pose alors un certain nombre de principes au nombre desquels il y a :
- le principe de la distinction des finances du pouvoir central et celles des provinces ;
- le principe de la rétrocession d’une part des recettes à caractère national à allouer aux provinces. A cet effet, le taux de la rétrocession est constitutionnalisé et fixé à 40%. En outre, la rétrocession s’opère par retenue à la source ;
- et le principe d’une fiscalité locale devant comprendre notamment l’impôt foncier, l’impôt sur les revenus locatifs et l’impôt sur les véhicules automoteurs, en vue d’un système de prélèvements constitué des taxes et des droits provinciaux et locaux »36.
Cependant, il importe de relever que malgré l’autonomie de gestion des ressources économiques, humaines, financières et techniques reconnue aux entités territoriales, le Parlement reste néanmoins l’unique autorité budgétaire de l’Etat car le budget des recettes et des dépenses de l’Etat, à savoir celui du pouvoir central et des provinces, est arrêté chaque année par une loi.
C’est au même Parlement, d’ailleurs, qu’il revient « de fixer l’organisation et le fonctionnement de la caisse nationale de péréquation, (…) qui dispose justement d’un budget alimenté par le Trésor Public à concurrence de 10% de la totalité des recettes à caractère national revenant à l’Etat chaque année » 37.
36 Vunduawe, T. (2007), op.cit., P. 509
37 Ibid.
Les autres textes de base de la décentralisation, en l’occurrence la Loi n° 08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces ; la Loi organique n° 08/015 du 7 octobre 2008 portant modalités d’organisation et fonctionnement de la Conférence des Gouverneurs ; la Loi organique n° 08/016 du 7 octobre 2008 portant composition, organisation et fonctionnement des Entités Territoriales Décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces, précisent certains contours des ressources financières des provinces et des entités territoriales décentralisées en attendant l’élaboration, le vote et la promulgation d’une nouvelle loi financière.
Qu’à cela ne tienne, un bref rappel des ressources financières reconnues aux provinces et entités décentralisées s’avère nécessaire pour la suite de notre analyse.
Ces ressources se regroupent, pour chaque entité, en trois grandes catégories que sont : – Les ressources propres ;
- Les ressources provenant des recettes à caractère national et,
- Les ressources exceptionnelles.
Les ressources propres de la province comprennent les impôts, les taxes, les droits provinciaux et locaux ainsi que les recettes de participation38.
La part des recettes à caractère national allouée aux provinces est établie à 40%. Elle est retenue à la source. La retenue à la source s’effectue par un versement automatique de 40% dans le compte de la province et de 60% dans le compte général du Trésor. Ce mécanisme est effectué par la Banque Centrale du Congo conformément à la loi financière. Aux termes de la Loi n° 08/012 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces, sont à caractère national, les recettes administratives, judiciaires, domaniales et de participation ; les recettes des douanes et accises ; ainsi que les recettes provenant des impôts recouvrés sur les grandes entreprises, des pétroliers producteurs ainsi que les autres impôts pouvant être perçus à leur lieu de réalisation.
38 République Démocratique du Congo et Organisation Internationale de la Francophonie, (2009), op.cit. P 114
La province peut bénéficier des ressources provenant de la caisse nationale de péréquation. Les ressources exceptionnelles des provinces sont constituées des emprunts intérieurs auxquels l’Etat peut recourir pour financer les investissements. La province peut également bénéficier pour ses besoins des emprunts extérieurs contractés et garantis par l’Etat conformément à la Constitution et à la loi financière. Elle peut bénéficier des dons et legs dans les conditions définies par la loi.
Les ressources propres d’une entité territoriale décentralisée comprennent l’impôt personnel minimum, les recettes de participation, les taxes et droits locaux. L’impôt personnel minimum est perçu au profit exclusif des communes, des secteurs ou des chefferies. La clé de répartition du produit des taxes d’intérêt commun entre les entités territoriales décentralisées est fixée par la législation qui institue lesdites taxes, après avis de la Conférence des Gouverneurs de province. Les ressources des entités territoriales décentralisées provenant des recettes à caractère national sont de l’ordre de 40% de la part desdites ressources reconnues aux provinces. L’Etat en détermine le mécanisme de répartition. La répartition de cette part des recettes entre les entités territoriales décentralisées est fonction des critères de capacité de production, de la superficie et de la population. Une entité territoriale décentralisée peut bénéficier des ressources provenant de la caisse nationale de péréquation. Elle peut recourir aux emprunts intérieurs pour financer ses investissements. Elle peut également bénéficier des dons et legs dans les conditions définies par la loi39.
Hormis l’impôt personnel minimum qui, lui, n’est pas reconnu à la ville, les entités territoriales décentralisées ont une fiscalité propre assise sur des ressources identiques…Les ressources reconnues à la province et aux entités territoriales décentralisées ayant été rappelées, il ne serait pas superflu de noter ici que « les comptes des provinces et ceux des différentes entités territoriales décentralisées sont soumis au contrôle de l’Inspection Générale des Finances et de la Cour des Comptes »40.
39 République Démocratique du Congo et Organisation Internationale de la Francophonie, (2009), op.cit. PP 165- 168
40 Ibid, P. 114
Cela étant, plusieurs débats politiques ont eu lieu au cours des 9 premiers mois de l’année 2007 au sujet des recettes à caractère national et ont débouché sur des arrangements qu’il conviendrait de signaler aussi dans ce travail. Il s’agit du consensus dégagé par le Forum National sur la Décentralisation qui, à l’initiative du Gouvernement et de la Société Civile, a eu lieu du 3 au 5 octobre 2007 et a réuni plus de 300 délégués représentant le Gouvernement Central, l’Assemblée Nationale, le Sénat, les Assemblées Provinciales, les Gouvernements Provinciaux, la Société Civile, les chefs coutumiers et les partenaires au développement.
En permettant l’approfondissement des analyses pour assurer le transfert de 40% des recettes aux provinces et promouvoir un système financier viable pour les entités territoriales décentralisées, ledit forum a, de manière consensuelle, arrêté ce qui suit :
1° Les recettes jugées attribuables et localisables, c’est-à-dire les recettes réalisées dans chaque province par la Direction Générale des Impôts (DGI) et la Direction Générale des Recettes Administratives, Domaniales et de Participation (DGRAD) seront, après déduction de la rétrocession au personnel de 5% pour la DGI et 10% pour la DGRAD, automatiquement retenues à la source ;
2° Les recettes non identifiables et pas localisables, c’est-à-dire les recettes réalisées par l’Office des Douanes et Accises (OFIDA) et la Direction des Grandes Entreprises (DGE) de la Direction Générale des Impôts, seront, quant à elles, réparties entre les provinces en fonction du poids démographique ;
3° Les recettes pétrolières, en ce qui les concerne, ne seront pas rétrocédées, mais serviront, sur l’insistance du Fonds Monétaire International (FMI) à l’allègement de la dette extérieure, au moins jusqu’à l’atteinte du point d’achèvement des mécanismes de l’initiative PPTE41.
Le consensus ainsi dégagé s’intègre désormais à l’ensemble des textes de base instituant les règles de conduite à suivre et à respecter pour la mise en oeuvre et la réussite de la décentralisation financière en RDC.
Cette régulation bienveillante sous-entend des objectifs à atteindre et des implications d’action pour les différents intervenants.