Le pouvoir en place cherche à discréditer le candidat de Lamuka Martin Fayulu, tout en pataugeant dans « le dossier de l’incendie de l’entrepôt de la Ceni ». Tout le monde a compris que Shadary, seul, ne pourra jamais justifier une victoire à la présidentielle.
Les journées sont soudainement devenues très longues en République démocratique du Congo et en particulier sous les arcanes du pouvoir de Kinshasa. La faute non pas au réchauffement climatique mais à la poussée du candidat de la plateforme Lamuka, Martin Fayulu, couplée à d’évidentes difficultés d’organiser le scrutin pour le 23 décembre.
« Vous croyez encore qu’il y aura des élections au Congo le 23 décembre ? Vous devez être le seul », répond un expatrié européen qui travaille sur Kinshasa depuis plus de dix ans. La plupart des interlocuteurs contactés depuis jeudi 13 décembre partagent le même pessimisme.
Ce qui a définitivement semé le doute ? L’incendie de l’entrepôt de la Ceni avenue du Haut commandement dans la commune de la Gombe, à Kinshasa, le jeudi 13 décembre.
« Même si elles ont brûlé, ce qui est loin d’être une certitude, le sort des 8000 machines à voter n’est pas important. Ce qui est capital, c’est le cafouillage dans la communication qui a suivi. La précipitation de Kikaya, le doute sur l’heure d’envoi de son tweet, la précision des chiffres des dégâts donnés à l’unité prêt alors que le feu est à peine maîtrisé,… Tout ça, c’est la démonstration que le pouvoir essaie de monter un scénario douteux soit pour faire tomber Fayulu, qui serait le vrai responsable de cet incendie, soit pour justifier un report du scrutin, soit, mieux encore pour le pouvoir, les deux, faire tomber Fayulu et obtenir un report du scrutin ce qui permettrait de se partager le pouvoir entre ceux qui restent en lice avant même les élections », explique un observateur attentif à la vie politique kinoise.
Faire tomber Fayulu
A Kinshasa, diverses sources affirment que le directeur de cabinet de Kabila, par ailleurs grand ordonnateur de la campagne du candidat Shadary, Néhémie Mwilanya Wilondja, a déjà « dicté » à Maître Norbert Nkulu, ancien conseiller de la présidence devenu membre éminent de la cour constitutionnelle, les termes du texte qui doit permettre de mettre Fayulu hors-jeu et d’ouvrir ainsi la voie à des poursuites contre lui..
Kabila bétonne sa cour constitutionnelle
Les deux hommes sont aidés sur le terrain par le général Delphin Kahimbi, le patron des renseignements militaires (Demiap) qui est chargé de « monter le dossier à charge de Fayulu », explique notre homme d’affaires européen. « Kinshasa, malgré ses 10 ou 12 millions d’habitants et ses dimensions égales à un petit Etat européen est un petit village. tout se passe à la Gombe et tout se sait », poursuit-il.
Le hic, pour le pouvoir en place, c’est que les chancelleries étrangères ont prudemment fait savoir qu’elles avaient des doutes sur l’origine de cet incendie, des doutes aussi sur le vrai contenu de cet entrepôt. L’opposition, essentiellement la plateforme Lamuka par la voix de son candidat Martin Fayulu ou par l’entremise du chef de cabinet de Moïse Katumbi, Olivier Kamitatu, a sollicité une enquête internationale pour faire la clarté sur les événements de cette nuit du 13 décembre. En réponse, le pouvoir du président hors mandat Joseph Kabila n’a toujours pas permis aux enquêteurs de la Monusco de pénétrer sur le site.
Pour couronner le tout, il y a cette sortie du ministre de la communication et porte-parole du gouvernement Lambert Mende (un des 14 Congolais repris sur la liste des sanctions européennes) qui a accusé ouvertement Lamuka et Fayulu d’être derrière cet incendie sans apporter le moindre élément de preuve. Des propos qui, à Kinshasa, ont rappelé la sortie du même ministre au lendemain de l’assassinat des deux experts des Nations unies. Là aussi, Lambert Mende avait présenté les faits comme définitivement établis. Des Kamwina Nsapu avaient abattu les deux experts, vidéo à l’appui.
Aujourd’hui, plus personne ne pense un seul instant que les assassins sont des va-nu-pieds Kamwina Nsapu qui ne parleraient pas l’idiome local, qui marcheraient naturellement au pas et qui auraient le front ceint d’une bandelette rouge immaculée. « Il faut laisser à ce pouvoir qu’il est vraiment doué pour la répression mais absolument nul pour l’écriture des scénarios », ose un prêtre, qui ajoute : « Heureusement d’ailleurs, ça permet de les démasquer facilement et ça démontre que l’écriture d’une histoire reste un art ».
Nangaa et ses PV
Dans son tweet quelque peu précipité, Barnabé Kikaya in Karubi expliquait aussi que cet incendie n’aurait pas de conséquence sur le bon déroulement du vote le 23 décembre. Pourtant, à une semaine jour pour jour du scrutin, les nuages ne se sont toujours pas dissipés au-dessus de cette élection qui, petit rappel, étaient initialement et constitutionnellement annoncées pour décembre 2016.
Le second quinquennat de Kabila est donc devenu un septennat et, malgré cette prolongation et la morgue des responsables du processus, essentiellement le président de la Ceni Corneille Nangaa et son vice-président Norbert Basengezi, le scrutin bat de l’aile. Ce samedi, on apprenait ainsi que M. Nangaa était en Afrique du Sud pour tenter d’accélérer le processus de fabrication des PV vierges, essentiels pour le décompte dans tous les bureaux de vote. Sans ces PV, pas d’élection.
Et si, réellement, tout n’est pas disponible très très rapidement, on voit mal comment les 80.000 bureaux de vote, disséminés sur un Etat 9 fois plus grand que la France mais dépourvu d’infrastructures routières dignes de ce nom, pourraient recevoir ce document dans les temps.
Pour certains de nos interlocuteurs, généralement plutôt bien renseignés, l’annonce d’un report est inévitable et devrait se faire le vendredi 21 décembre.
Les promesses de Nangaa
Corneille Nangaa qui jurait ses grands dieux, encore en milieu de semaine, que tout serait prêt pour le 23 décembre pourra-t-il encore s’engager formellement sur cette date à son retour d’Afrique du Sud.
« Nangaa est-il aujourd’hui disposé à mettre sa tête sur le billot qu’il organisera les élections le 23 décembre ou peut-il annoncer qu’il accepte une enquête internationale pour vérifier les 8000 carcasses des machines calcinées ? », interroge un opposant. Le malaise est palpable dans les rangs de la majorité.
Faire porter le poids de l’échec de l’organisation des élections sur la principale figure de l’opposition était, pour le pouvoir en place, la meilleure des solutions. Elle éliminait Fayulu et ses parrains Katumbi et Bemba, elle offrait la possibilité d’entrevoir un retour à une période de transition avec un gouvernement d’union nationale ou les autres opposants qui ont claqué la porte de Lamuka jouaient le jeu et revenaient au pouvoir tranquillement.
Mais évidemment, la scène mal jouée de l’incendie de l’entrepôt associée au succès de la campagne de Martin Fayulu compliquent tout pour la Kabilie. Dans ce contexte, les instances internationales, même si elles ont toujours été relativement complaisantes à l’égard de Kabila, peuvent difficilement lui signer un nouveau chèque en blanc pour une énième prolongation. La décision de prolonger les sanctions européennes à l’égard de Shadary et de 13 autres membres du pouvoir constitue un autre handicap de taille pour un pouvoir qui va devoir prendre tous les risques pour se maintenir.
8Hubert Leclercq