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RDC: quelques considérations sur l’état de siège

Des militaires congolais à Goma, dans la province du Nord-Kivu, le 14 juin 2021.
Des militaires congolais à Goma, dans la province du Nord-Kivu, le 14 juin 2021. 

Cet article traite de quelques  considérations juridiques et politiques qu’il faut avoir à l’esprit s’agissant de l’état de siège en République démocratique du Congo.

I. Considérations juridiques

I.1. Conditions

Quelles sont les circonstances susceptibles de justifier la proclamation de l’état de siège ? Poser cette question revient à se demander si, sur ce point, l’état de siège est différent de l’état d’urgence. Selon l’article 85 de la Constitution : «Lorsque des circonstances graves menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, le président de la République proclame l’état d’urgence ou l’état de siège ». Deux positions peuvent être défendues sur la base de cet article.

On peut dans un premier temps considérer qu’il y a identité parfaite entre l’état de siège et l’état d’urgence, en ce qui concerne les circonstances justifiant leur proclamation. Une autre question va alors se poser, celle de savoir si les conditions posées à l’article 85 sont  alternatives ou cumulatives. En fonction du sens qu’on attribue à la conjonction « ou », on peut soutenir deux positions. Si « ou » signifie « soit », l’état de siège ou l’état d’urgence peut être proclamé lorsque l’on est, alternativement, dans l’un  des cas de figure suivant : soit lorsque les circonstances graves menacent, de manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ; soit lorsqu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions. Cette interprétation, prévisible et souple, accorde une grande marge de manœuvre au Président de la République.

Si, en revanche, « ou » signifie « et »,  on peut soutenir que  la proclamation de l’état de siège ou de l’état d’urgence exige, cumulativement, que les circonstances graves « menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national », et provoquent l’interruption régulier des institutions. Cette position, non évidente de prime abord, soumet la proclamation de l’état de siège ou de l’état d’urgence à des conditions beaucoup plus contraignantes, et restreint la marge de manœuvre du Président de la République. C’est cette seconde position que la Cour constitutionnelle semble avoir consacré [Cour Const., R.Const. 1200 du 13 avril 2020, Ordonnance n°20/014 du 24 mars 2020 portant proclamation de l’état d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de covid-19, Journal Officiel, numéro spécial, 61e année, 16 avril 2020, p. 18].

Dans un deuxième temps, on peut considérer que l’état de siège est différent de l’état d’urgence, en ce qui concerne les conditions de leur proclamation. L’état de siège serait proclamé lorsque les circonstances graves provoqueraient l’interruption du fonctionnement régulier des institutions ; alors que l’état d’urgence s’envisagerait lorsque ces circonstances menaceraient (tout simplement ?), de manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national. 

I.2. Procédure

Le Président de la République n’est pas soumis à l’autorisation préalable du Congrès pour proclamer l’état de siège. La Cour suprême de justice, dans son arrêt R.Const. 061/TSR du 30 septembre 2007, a préconisé cette position. La Cour constitutionnelle, dans son arrêt  R.Const. 1200 du 13 avril 2020, l’a corroborée. Elle a, en outre, consacré la norme de l’appréciation souveraine du Président de la République dans le choix de la procédure à suivre pour proclamer l’état de siège. Désormais, le Président de la République peut soit proclamer l’état de siège après concertation avec le Premier ministre et les Présidents de deux chambres du Parlement (article 85 de la Constitution) ; soit saisir le congrès pour autorisation (article 119 alinéa 2 de la Constitution). Ces deux options sont alternatives et non cumulatives.

I.3. Implications

Quelles sont les mesures qui peuvent être prises dans le cadre de l’état de siège ? Et qui est habilité à les prendre ? La Constitution (article 145) parle des « mesures nécessaires pour faire face à la situation » que le Président de la République doit prendre. En même temps, la même Constitution (article 85) prévoit que les modalités de l’état de siège sont prévues par une loi. On peut estimer qu’une loi doit préalablement être votée pour fixer de manière générale les principales mesures susceptibles d’être prises en cas d’état de siège. Elle peut ainsi prévoir la substitution des autorités civiles par les autorités militaires, en ce qui concerne uniquement les missions de maintien et de rétablissement de l’ordre public, les autorités civiles continuant à s’occuper de leurs autres tâches administratives. Autrement dit, l’état de siège ne doit pas être un prétexte pour dépouiller les autorités civiles de toutes leurs prérogatives. La loi sur l’état de siège peut aussi prévoir l’élargissement des compétences matérielle et personnelle des juridictions militaires ; le renforcement des pouvoirs de police des autorités militaires en matière de perquisition, d’interdiction des publications et des réunions.

Une fois la loi votée, le Président de la République peut prendre des mesures qu’il juge nécessaires pour faire face à la situation, en se basant sur le cadre général tracé par la loi.

Cette optique permettra au pays d’avoir un cadre juridique général et pérenne sur l’état de siège, et éviterait au pays des débats et polémiques comme ceux survenus lors de la proclamation de « l’état d’urgence sanitaire », alors que les périodes de crise nécessitent plus que jamais cohésion et unité nationales.

I.4. Contrôle

Le juge constitutionnel protège les droits et libertés fondamentaux face aux mesures susceptibles d’être prises dans le cadre de l’état de siège. L’état de siège étant proclamé pour gérer une situation exceptionnelle, la Constitution permet qu’il soit dérogé à certains droits et libertés fondamentaux. Font souvent les frais pendant l’état de siège : la liberté d’aller et de venir, l’inviolabilité du domicile, la liberté de réunion, la liberté de manifester, la liberté d’expression et la liberté de presse. Mais la Constitution, en son article 61, prévoit le « noyau dur » des droits et libertés ainsi que des principes fondamentaux auxquels on ne peut pas déroger. Il s’agit de : le droit à la vie ; l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; l’interdiction de l’esclavage et de la servitude ; le principe de la légalité des infractions et des peines ; les droits de la défense et le droit de recours ; l’interdiction de l’emprisonnement pour dettes ; la liberté de pensée, de conscience et de religion.

C’est ainsi que lors de l’examen de la constitutionnalité des mesures contenues dans l’ordonnance du 24 mars 2020 proclamant l’état d’urgence sanitaire, le juge constitutionnel a principalement vérifié si celles-ci respectaient le noyau dur des droits et libertés fondamentaux.

II. Considérations politiques

II.1. Pari ambitieux

La proclamation de l’état de siège par le Président de la République souligne l’attention qu’il accorde à la situation sécuritaire préoccupante à l’Est du pays. Elle traduit aussi une certaine bravoure dans le chef du Président de la République, étant donné que c’est une première sous la troisième république. Mais c’est surtout l’ambition  de mettre fin aux tueries de l’Est qu’il faut souligner.

II.2. Pari risqué

Le délai constitutionnel de l’état de siège est l’un des principaux risques. En effet, l’état de siège est proclamé pour une durée de trente jours (article 144 de la Constitution). Au vu de la complexité de la situation sécuritaire à l’Est – implications et complicités internes et externes, nationales et étrangères, selon plusieurs rapports des nations-unies –,  prétendre y mettre fin en trente jours parait irréaliste. Bien évidemment qu’il y a possibilité de proroger pour des périodes successives de quinze jours. Or, si après trente jours et quelques prorogations, la situation ne change pas, chaque nouvelle prorogation sera interprétée comme une preuve de l’incapacité à trouver la solution. La lassitude peut gagner du terrain, et toute mise à terme de l’état de siège sans avoir mis fin aux tueries à l’Est sera vue comme une capitulation ou un échec. C’est en cela que l’état de siège est un pari risqué. Mais ne dit-on pas : « qui ne risque rien, n’a rien », mieux, « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». La teneur d’un succès est toujours fonction du risque pris. Comme patriote, je ne peux que souhaiter la réussite de l’état de siège.

II.3. Obstacle à certaines initiatives

La Constitution interdit de la réviser pendant l’état de siège (article 219 de la Constitution). Or, certaines initiatives que le Président de la République soutient – la double nationalité par exemple – nécessitent inéluctablement une révision constitutionnelle. Dans ce sens, ces initiatives ne pourraient pas être concrétisées si l’état de siège était toujours en vigueur.  Il en est de même de la dissolution de l’Assemblée nationale : la Constitution ne la permet pas pendant l’état de siège (article 148). La question qui se pose est alors celle de savoir si ces interdictions – révision constitutionnelle ou dissolution de l’Assemblée nationale – valent uniquement en cas d’état de siège total (proclamé sur toute l’étendue du territoire national), ou même en cas d’état de siège partiel (proclamé sur une partie du territoire national), elles demeurent opposables au Président de la République. Le juge constitutionnel aura surement à se prononcer là-dessus, et tout porte à croire qu’il adopterait la seconde position.

II.4. Nécessité de rassembler

Au regard des points 6 et 7 précédents, pour que l’état de siège réussisse, il doit être de courte durée. Pour qu’il le soit, il faut rassembler : on ne gagne jamais un combat en étant divisés. Si l’ « union sacrée de la nation » est une large base pour le Président de la République, force est de constater que ce n’est pas suffisant. Il y a encore beaucoup de frustrations. Le Président de la République doit tendre la main à d’autres leaders du pays, pour avoir un large consensus et soutien autour de l’état de siège. Il ne doit pas s’agir du « partage de gâteau », mais plutôt d’une mobilisation générale autour uniquement de la réussite de l’état de siège : nos militaires doivent se sentir soutenus par tous les courants politiques et par toutes les forces vives de la nation. Une sorte de trêve politique doit être observée pendant l’état de siège, en ce qui concerne uniquement les questions sécuritaires. Ce large consensus peut se traduire par un communiqué commun de soutien à l’état de siège signé par les principaux leaders politiques, toute tendance confondue. Il peut s’agir aussi des messages de soutien à nos militaires.  La grandeur d’âme est donc demandée aux uns et aux autres.

Par Kabasele Mamba
Doctorant en Droit à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Consultant en questions juridiques et politiques (LégalRDC)

angelo Mobateli

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