
En République démocratique du Congo (RDC), le procès sur le double assassinat, en 2010, des défenseurs des droits de l’homme Floribert Chebeya et Fidèle Bazana se poursuit à Kinshasa. Siégeant au second degré, la Haute Cour militaire a rejeté, mercredi19 janvier 2022 au matin, la demande de comparution de l’ancien président de la République Joseph Kabila et d’autres personnes citées dans le dossier.
L’audience était de courte durée. Le juge qui préside la chambre n’a pas donné plus de détails sur les motivations de sa décision. Il a brandi l’article 249 du Code judiciaire militaire qui lui reconnaît le pouvoir discrétionnaire de décider de la comparution ou non de telle ou telle autre personne citée. Selon les avocats de la République, l’instruction telle menée jusque-là a pris beaucoup de temps, c’est ce qui expliquerait cette décision du président.
Les avocats de Floribert Chebeya et ceux de Fidèle Bozana, les deux militants assassinés, sont, eux, déçus. Selon eux, cette comparution aurait apporté plus de lumière dans ce procès rouvert en septembre 2021. Ces avocats n’ont pas encore quitté la prison militaire de Ndolo où se tiennent les audiences. Ils se sont juste retirés et se concertent avant de donner leur position.
La prochaine audience aura lieu dans une semaine, mercredi prochain. Les parties civiles vont continuer avec les plaidoiries. Il s’ensuivra les réquisitions du ministère public avant les conclusions des prévenus et de la partie civilement responsable.
Rostin Manketa: «Nous voulons tracer la chaîne criminelle» dans l’affaire Chebeya-Bazana

C’est une décision importante que la Haute Cour militaire de la République démocratique du Congo doit rendre aujourd’hui dans l’affaire Chebeya-Bazana, cette affaire de double meurtre de défenseurs des droits de l’homme. La Haute Cour militaire doit en effet dire si elle demande à entendre plusieurs personnalités citées par le témoin clé du procès, le major Paul Mwilambwe. Il s’agit de personnalités importantes : le général Pondé, qui était alors auditeur général des forces armées, le général Kabeya ancien directeur de cabinet du général John Numbi. Mais aussi et surtout l’ancien président Joseph Kabila. L’ONG de Floribert Chebeya, la Voix des sans voix, et plusieurs dizaines d’autres organisations de la société civile ont rendu public un appel dans lequel elles exigent la comparution et l’audition de toutes les personnalités citées pour « l’éclatement de toute la vérité sur ce crime d’État ». Quels sont leurs arguments ? Rostin Manketa, le directeur exécutif de la Voix des Sans Voix répond aux questions de RFI.
RFI : Pourquoi exigez-vous la comparution et l’audition des personnalités citées par le major Paul Mwilambwe ?
Rostin Manketa : Le major Paul Mwilambwe a fait des dépositions très importantes au cours desquelles il a cité des personnalités congolaises. Et parmi ces personnalités, il y a l’ancien président de la République, Joseph Kabila Kabange. La comparution et l’audition de l’ancien président de la République sont très importantes pour aider la justice militaire à avoir toutes les informations nécessaires sur l’assassinat de deux défenseurs des droits humains.
Comment les noms de ces personnes sont-ils apparus dans l’affaire ?
En 2011, le major Paul Mwilambwe sera acheminé à l’auditorat général des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) pour être entendu sur cet assassinat. C’est à cette occasion que, pendant qu’il était en train d’être auditionné par l’auditeur général le général [Joseph] Ponde, le major Paul Mwilambwe va recevoir les appels de général John Numbi et de l’ancien président de la République Joseph Kabila, qui faisaient pression en fait pour qu’il ne dise rien sur ce qu’il avait vu autour de l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana Edadi.
Nous voulons que l’opinion publique puisse comprendre que l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana Edadi était un crime d’État
Est-ce que c’est possible que les voix aient été imitées ?
Vous savez Paul Mwilambwe, c’est un agent des services de sécurité. Je crois qu’il ne peut pas prendre ce risque-là de citer l’ancien président de la République sans être sûr.
Quels sont les faits sur lesquels vous espérez obtenir des réponses avec cette comparution ?
Nous, nous voulons tracer toute la chaîne criminelle. Nous voulons que l’opinion publique puisse comprendre que l’assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana Edadi était un crime d’État organisé au sommet de l’État. Et cela est très grave.
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Et que se passera-t-il si la Haute cour militaire décide de ne pas entendre ces personnalités ?
Nous espérons que la Haute cour militaire va nous écouter. Mais, s’il arrivait que ces personnalités ne sont pas convoquées, ne sont pas auditionnées, nous allons considérer qu’il y a beaucoup de zones d’ombre qui vont demeurer. Et à ce moment-là, nous demandons quel type de verdict on rendra par rapport à cet assassinat. La Haute cour militaire qui jusque-là a fait du bon travail ne va pas nous décevoir, va écouter le cri de tous les défenseurs des droits humains, de tous les activistes pro-démocratie et même de toutes les personnes éprises de paix et de justice.
Il faudra qu’il y ait vraiment un nouveau procès et que tous les gros poissons puissent répondre
Quelle évolution attendez-vous dans la procédure ?
Après ce procès en appel qui se déroule actuellement, nous voudrions voir ce procès reprendre, parce qu’il y a eu beaucoup de révélations, beaucoup d’informations qu’on n’a pas eues au premier degré, au deuxième degré. Et avec toutes ces informations, la donne change. On peut parler d’une reprise du procès, une reprise au cours de laquelle nous verrons tous les gros poissons, qui sont cités, comparaître devant la justice, pour rendre effectivement justice à Floribert et Fidèle Edadi. Donc, après ce procès en appel, nous, nous attendons un grand procès…
Un nouveau procès ?
Bien sûr. Parce que là, nous sommes en appel. Il faudra qu’il y ait vraiment un nouveau procès et que tous les gros poissons puissent répondre.
Avec le correspondant de RFI à Kinshasa, Patient Ligodi et Laurent Correau