
Le géant d’Afrique centrale semblait mieux préparé que d’autres pays du continent à résister aux conséquences de la pandémie de Covid-19. La rapide reprise annoncée paraît cependant fragile.
En général, le Fonds monétaire international (FMI) pèse ses mots, même quand la situation d’un pays n’incite pas à l’optimisme. À la lecture de son rapport de décembre 2019 sur la RDC, le moins que l’on puisse dire est qu’il y abandonnait toute langue de bois pour décrire les maux qui crucifient ce grand pays. Sous la plume de ses auteurs, on pouvait lire que la RDC était « fragile » et son économie « précaire », parce que « les vulnérabilités » y étaient multiples et la « pauvreté omniprésente ».
Pas étonnant, compte tenu des « faiblesses considérables en matière de capital humain » et du passif de la gouvernance : « climat des affaires difficile, corruption, insuffisance des infrastructures, accès limité au crédit. » Le rapport ciblait « un appareil judiciaire corrompu », des « impôts vexatoires » et de « graves violations des droits de propriété et de l’État de droit ».À LIRE Sortie de crise : la RDC, le Sénégal et la Côte d’Ivoire se relèveront plus vite que le Congo
Il alertait sur des « risques considérables » en raison de perspectives menaçantes dans le domaine de la santé, d’un possible ralentissement de la Chine, de la persistance de conflits armés dans l’est du pays et de déficits budgétaires excessifs.
Les bailleurs internationaux à la rescousse
Avril 2020 : le FMI change de ton dans son nouveau rapport. La pandémie de Covid-19 est passée par là, et l’heure est à l’empathie. Le Fonds vole au secours de la RDC, dont l’économie est frappée de plein fouet par le confinement national et mondial.
Aux 368,4 millions de dollars débloqués en décembre 2019 pour faire face à la chute des cours du cuivre et du cobalt, et à la dégradation de la balance courante qui en résultait, il ajoute 363,2 millions.
LES ÉTATS-UNIS ONT MIS FIN À L’OSTRACISME QUI BLOQUAIT LEUR AIDE AU PAYS
Tous les bailleurs lui emboîtent le pas, à commencer par la Banque mondiale, qui verse immédiatement une aide de 47,2 millions de dollars avant de lancer un programme éducation-santé de 1 milliard sur quatre ans. La Banque africaine de développement apporte une aide budgétaire de 142 millions de dollars. Les pays européens ne sont pas en reste et multiplient leurs soutiens, le Club de Paris suspend le service de la dette du pays, et les États-Unis annoncent qu’ils mettent fin à l’ostracisme qui bloquait leur aide à la RDC.À LIRE Aide internationale : les États-Unis reclassifient la RDC
Indicateurs positifs
Résultat, en ce début de quatrième trimestre de 2020, les principaux indicateurs semblent positifs (voir tableaux ci-dessous).Le coronavirus (276 décès au 15 octobre, en sept mois) s’avère beaucoup moins meurtrier qu’Ebola (2 300 morts en deux ans) ou que la rougeole (5 000 morts en 2019).
Le FMI prévoit que la récession devrait n’être « que » de 1,9 % pour 2020, au lieu des 2,2 % qu’il avait prédits en juin lors de ses ajustements liés à la crise sanitaire et économique mondiale. Une chute moins rude que prévu parce que la Chine a repris ses achats de cuivre et de cobalt, dont les prix sont revenus à la normale, ce qui compenserait en partie la fermeture de la mine de Mutanda et l’arrêt de la société Boss Mining. Mieux, la reprise devrait être de 3,5 % dès l’an prochain.

Les liquidités apportées par les bailleurs de fonds ont fait remonter les réserves en devises, tombées à une semaine, à deux semaines et deux jours d’importations. L’inflation, qui avait flambé à quelque 18 % (30 % à 40 %, selon le Programme alimentaire mondial), est revenue à 11 % en rythme annuel. Le franc congolais, qui avait décroché face au dollar durant le confinement, affiche une belle stabilité. Cerise sur le gâteau, le FMI juge que la dette extérieure présente un risque « modéré » avec un niveau de 13,9 % du PIB.
Aucune marge de manœuvre
Cette résilience bienvenue est un trompe-l’œil. Les plaies de la RDC n’ont pas disparu comme par enchantement. Première d’entre elles : le budget. Celui qui avait été voté, en hausse de 63 %, pour l’année 2020, afin de symboliser le volontarisme du nouveau président, Félix Tshisekedi, s’est révélé irréaliste. Le budget rectificatif soumis au Parlement devait le ramener en octobre de 11 milliards de dollars à 5,7 milliards. Les dépenses de fonctionnement dévorent 98 % des recettes de l’État, rendant la situation intenable sur la durée et la marge de manœuvre du gouvernement, nulle.
LE PROGRAMME D’URGENCE DIT « DES CENT JOURS » EST UN ÉCHEC
Par exemple, l’excellent projet de réaliser enfin la gratuité totale de l’enseignement de base est budgétairement impossible. La prise en charge des salaires de tous les enseignants, les aménagements immobiliers et les frais de transport des élèves coûteraient entre 3 et 5 milliards de dollars par an. L’État congolais est incapable de prendre en charge plus de 60 % des écoles publiques, selon certaines estimations, et la Banque centrale n’est plus en état de boucher le trou.À LIRE Affaire Kamerhe : le « procès des 100 jours » met en lumière une véritable guerre des clans
Deuxième plaie : la corruption. Le programme d’urgence dit « des cent jours » (304 millions de dollars) lancé par le président Tshisekedi le 2 mars 2019 est un échec car sa réalisation ne dépasse pas 10 %, un an et demi plus tard. En cause, l’usage de contrats de gré à gré opaques, qui a débouché sur une série d’inculpations pour détournement de fonds dans l’entourage présidentiel. En cause aussi, l’implication, dans le financement du programme, des entreprises publiques des routes et de l’habitat dirigées par des proches de l’ancien président Kabila, soupçonnées de détournement et de surfacturations depuis plusieurs années.
Climat des affaires tendu
Troisième problème : le climat des affaires. Incapable de rembourser la TVA aux entreprises privées ou de payer en temps et en heure leurs prestations, l’État a utilisé un expédient, un système de compensation qui déduit ces créances de leurs impôts et taxes. Il en est résulté une désarticulation de la comptabilité et du budget national.
LES AUDITIONS SE SONT MULTIPLIÉES, ET LES DÉTENTIONS AUSSI
Il a donné au parquet général près la cour d’appel de Kinshasa le prétexte pour établir, au début de l’année, une liste de 150 entreprises (dont les françaises Total, Orange RDC, Bolloré, CFAO), transmise pour poursuites à la brigade criminelle afin de « mettre fin au coulage des recettes publiques, au détournement des deniers publics et aux trafics d’influence ».À LIRE RDC : les nominations très politiques de Félix Tshisekedi à la tête des entreprises publiques
Les auditions se sont multipliées, et les détentions aussi – comme celles du directeur financier de Vodacom –, qui ont pris fin après versement de cautions. La Fédération des entreprises du Congo (FEC) a adressé au procureur général près la Cour de cassation une lettre dénonçant « la remise en cause par les tribunaux de certaines compensations de créances effectuées par les entreprises privées vis-à-vis des pouvoirs publics, afin d’obtenir le remboursement du paiement de certains droits et taxes desquels ils étaient légalement exemptés »…
L’ambiance n’est donc pas au beau fixe, d’autant que le harcèlement judiciaire s’accompagne d’un durcissement de la règle du contenu local, cause du départ de l’entreprise Sodexo, qui alimentait les bases-vie minières, par exemple.
Soutien conditionné
Le FMI ne veut pas être le dindon de la farce. Certes, il continue à soutenir la RDC en fermant les yeux sur le fait que son gouvernement ne respecte guère les conditions de son programme de référence avec le Fonds.À LIRE RDC : le FMI soutiendra le patient congolais, malgré des réserves sur son budget
Kristalina Georgieva, sa directrice générale, veut bien signer avec Kinshasa une facilité élargie de crédit (FEC), mais à trois conditions : adoption d’un budget 2021 réaliste, renouvellement du conseil d’administration de la Banque centrale et publication de tous les contrats miniers et pétroliers signés par le gouvernement.
Mais à l’impossible nul n’est tenu, et la rumeur chuchote que les négociateurs du Fonds se contenteraient de connaître les détails des contrats miniers de Sokimo et de Miba, signés au début de l’année, donc dans le cadre de la présidence Tshisekedi.
Par Alain Faujas (Jeune Afrique)