Samedi, 18 juillet 2020, sous tension dans la ferme de l’ancien président de la République démocratique du Congo. Au menu de cette fin de matinée et début d’après-midi, une rencontre entre « l’autorité morale » du FCC et l’ancien patron de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Corneille Nangaa.
Les deux hommes se sont entretenus longuement. Trois heures trente, de 11h à 14h30. Le président sortant est sur des charbons ardents. La tension est réelle avec son successeur qui, lui, est poussé dans le dos par les chancelleries occidentales et en particulier les Etats-Unis pour isoler son prédécesseur.
Du coup, Joseph Kabila tente de fermer toutes les portes pour éviter une mauvaise surprise. Avec Nangaa, deux grands thèmes : les comptes de la Ceni sortante et la nomination de Ronsard Malonda pour lui succéder.
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« Depuis que la crise a éclaté sur le nom du successeur de Nangaa, certaines confessions religieuses et l’opposition politique appellent à un audit de la Ceni, explique un observateur de la région des Grands Lacs.Une demande logique, qui est facile à comprendre et qui parle à la population qui n’a toujours pas avalé le scénario que le pouvoir de Kabila lui a imposé. »
Selon plusieurs sources, Félix Tshisekedi serait sensible à cette demande même si dans son entourage certaines voix qui comptent sont sceptiques. Personne n’a évidemment oublié que l’accession au pouvoir du nouveau président découle des arrangements contractuels avec la Kabilie et donc de la gestion des scrutins par Nangaa et son équipe. Mais Félix Tshisekedi, lui, fait un calcul différent. Son discours musclé du 30 juin sur le futur patron de la Ceni a irrité Joseph Kabila. Ce dernier l’a répété à plusieurs de ses interlocuteurs. Nangaa n’y a pas échappé ce samedi.
Pour Kabila, Tshisekedi joue double jeu. Le scénario qui prévoit la désignation de Ronsard Malonda avait été discuté avec Tshisekedi, a expliqué l’ancien Raïs. La posture prise ces derniers jours dans ce dossier par Tshisekedi fait craindre à Kabila que son successeur n’en profite pour oublier ses premiers engagements et pour demander un audit des comptes de la Ceni sortante, tout en s’opposant à la désignation de Malonda. Tshisekedi se mettrait du même coup l’opposition, les principaux cultes religieux, un vaste pan de la population et les chancelleries étrangères dans la poche. C’est tentant.
Joseph Kabila voulait donc faire le point avec Nangaa sur la « bonne tenue » des comptes de sa Ceni. Une Ceni qui a englouti des centaines de millions de dollars pour ce qui est devenu l’élection la plus chère du continent africain sans que l’on dispose de tous les documents – loin de là – sur ces mouvements de fonds dont de nombreux retraits en cash dans des banques congolaises comme l’a dénoncé à plusieurs reprises le lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba.
Corneille Nangaa aurait rassuré Kabila. Ce dernier, lui, n’en démord pas, il n’entend pas céder sur le nom de Ronsard Malonda. Une vraie « ligne rouge », selon le terme qu’il utilise à Kingakati pour évoquer le bras de fer dans ce dossier avec son successeur.
« C’est un dossier crucial », confirme un observateur européen. « Kabila acceptera très difficilement de reculer. Tshisekedi, lui, pourrait perdre ce qu’il a de crédibilité en acceptant d’entériner la désignation de Malonda. Tshisekedi sait qu’il parle le même langage que les catholiques, les protestants et l’opposition sur ce dossier. Ensemble, avec le soutien populaire, ils peuvent renverser des montagnes. Mais il faut que Tshisekedi lâche du lest à l’opposition. C’est très compliqué mais c’est très compliqué pour les deux camps de la majorité », poursuit-il.
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« Les Katangais sont des traitres »
Joseph Kabila, qui traverse décidément des moments très difficiles, est aussi très remontré contre le président de la Cour constitutionnelle qui a démissionné sans l’avertir. Il a redit à Nangaa sa colère contre ce juge d’origine katangaise qui a « jeté l’éponge après avoir été un peu bousculé »par le nouveau pouvoir en place, explique un ponte du FCC qui ne cache pas que Kabila est très fâché sur tous les Katangais et qu’il n’hésite pas à dire qu’il n’a plus confiance en eux. « Tous les Katangais sont des traites », a-t-il d’ailleurs martelé à Nangaa ce samedi.
Joseph Kabila a aussi rappelé cette démission du président de la Cour constitutionnelle à son hôte lors de leur entretien de ce samedi en lui lançant : « Tu ne seras pas comme lui ? « . On ignore la réponse du président sortant de la Ceni.
Par Hubert Leclercq (LLB)