Le 24 novembre 1965, 48 ans jour pour jour, le général Mobutu, aidé par la CIA, monta un coup d’État pour prendre définitivement le pouvoir qu’il exercera des mains de fer en instaurant un des régimes les plus kleptocratiques, barbares et dictatoriaux de l’histoire du XXè siècle qui se maintint au pouvoir jusqu’au 17 mai 1997, plongeant l’ex-Zaïre vers une descente aux enfers dont il éprouve encore du mal à en sortir à ce jour.Mais l’analyse du rôle de Mobutu ne doit pas se limiter, à mon sens, à cette seule grille de lecture manichéenne de son exercice du pouvoir au Congo.
« Après moi c’est le déluge », au Zaïre fredonnait souvent le « léopard » Mobutu à la presse. Seize ans après sa chute et sa disparition, au vu de l’insécurité permanente qui a élu domicile dans l’ex-Zaïre, l’opinion tend de plus en plus à adhérer, par naïveté ? conviction ? par ras-le-bol ? ou par opportunisme ? à cette thèse qui, dans le chef de son auteur, justifiait en réalité l’absolue nécessité de son maintien au pouvoir ad vitam aeternam. Il en est de même de l’ex- « Raïs », chef de la Jamahiriya libyenne, Mouammar Kadhafi dont la chute a mis la Libye et la zone du Sahel sens dessus-dessous.
Deux ennemis aux visions divergentes du panafricanisme
Un exemple suffit pour illustrer l’inimitié entre Mobutu et Kadhafi. En effet, la raison principale qui justifia le putsch de Buyoya contre Bagaza au Burundi fut l’accueil réservé par ce dernier au président Kadhafi à Bujumbura en 1985. Une visite officielle au cours de laquelle le raïs libyen traita Mobutu d’«agent du capital international. Le peuple zaïrois, unissez-vous et chassez-le du pouvoir». Ainsi, en 1985, pendant qu’il se trouvait en mission officielle au Canada, le président Bagaza fut renversé du pouvoir au Burundi grâce à un coup d’État mené par Pierre Buyoya, avec l’aide de Mobutu qui mit à sa disposition, au départ du Zaïre, des agents des services de renseignements et militaires zaïrois. M. Atundu Liongo, chef des services de renseignement de l’époque en assuma la direction des opérations, en étroite collaboration avec Buyoya pour concrétiser ce coup d’État. Il en est de même de l’aide militaire que Kadhafi refusa à Mobutu en mai 1997, lorsque ce dernier dépêcha son ministre de l’Intérieur en Libye, le Général Ilunga Shamanga, de convaincre le guide libyen pour l’appuyer militairement face aux américains et anglo-saxons derrière l’AFDL.
Mouammar Kadhafi exerçait un leadership moral et politique sur l’Union Africaine en voulant un panafricanisme politique dans lequel l’UA serait une entité étatique à la tête de laquelle il voulait être le président. Mobutu voulait un panafricanisme culturel de la solidarité entre les peuples.
Rôle stabilisateur relatif par la vision de l’intégration régionale
Lorsque l’on observe les relations internationales régionales africaines sous Mobutu et Kadhafi qu’après leurs chutes respectives dans leurs zones géopolitiques d’influence respectives, l’on est tente de reconnaître, à titre posthume, à ses deux « fils prodigues », « guides de la révolution » de surcroît, le rôle stabilisateur régional qu’ils ont essayé de maintenir durant leurs règnes marqués par une dictature sans précédents.
Mobutu et Kadhafi ont su chacun parvenir dans son espace géographique respectif à mettre en place un leadership régional centripète autour de leurs personnalités malgré leurs actions politiques négatives antithétiques. Chacun s’est montré à des degrés différents bâtisseur par la réalisation des travaux de grandes infrastructures pharaoniques.
Les deux leaders du les plus emblématiques et controversés de l’Afrique du 20è siècle ont travaillé dans le sens de la consolidation de la stabilité régionale par la promotion d’une vision économique régionale intégrative au travers de la CEPGL pour Mobutu et de l’ambition économique du Grand Sahel et de l’Union africaine pour Kadhafi.
La motivation principale initiale ayant conduit MOBUTU à impulser la création de la Communauté Économique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) était de maîtriser les tensions communautaires et ethniques en gestation, relève de la géopolitique régionale ; voire de la géostratégie d’autant que le premier objectif déclaré dans les statuts fondateurs de la CEPGL, le 20 septembre 1976, était d’assurer la sécurité des États et de leurs populations de façon qu’aucun élément ne vienne troubler l’ordre et la tranquillité sur leurs frontières respectives 446. Il y a lieu de rappeler que la CEPGL regroupe trois Etats de la région des grands Lacs, à savoir, la RDC, le Burundi et le Rwanda. Elle a son siège à Gisenyi ville rwandaise jumelle de Goma (de l’autre côté du Lac Kivu). Elle constitue la continuité institutionnelle des accords de sécurité de la Tripartite conclus en 1966 entre ces mêmes pays afin de remédier au climat d’instabilité qui suivit leur indépendance. Les trois autres objectifs de la CEPGL étaient de :
- concevoir, définir et favoriser la création et le développement d’activités d’intérêts communs ;
- promouvoir et intensifier les échanges commerciaux et la circulation des personnes et des biens ;
- coopérer de façon étroite dans les domaines social, économique, commercial, scientifique, culturel, politique, militaire, financier, technique, touristique, et plus spécifiquement en matière judiciaire, douanière, sanitaire, énergétique, de transports et de télécommunications.
1990 : La restructuration des lignes géostratégiques de l’Afrique médiane fatale au léopard
L’émergence d’un nouvel ordre régional multipolaire par une véritable extraversion stratégique vers la fin des années 1990, après la chute du Mur de Berlin, fin de l’Apartheid, a généré la constitution de plusieurs pôles militaires sous-régionaux émiettés en Afrique subsaharienne et au Maghreb : Angola, Rwanda, Ouganda, Afrique du Sud et Nigeria, Caire, Tripoli… L’Afrique est dès ce moment entrée dans une conjoncture géostratégique belliciste interne durable et infernale avec des conflits armés sans fin depuis le Maroc (Front Polisario), l’Algérie, le Nigeria, le Sénégal, la Somalie, la Côté d’Ivoire, le Soudan, la RCA, le Rwanda, les deux Congo, jusqu’à l’Angola. Aucune sous-région géopolitique de l’Afrique n’a été épargnée par cette violence devenue depuis un fléau et transformée par ce fait même de marque déposée du continent noir. Ce changement a induit une nouvelle configuration géopolitique. Ainsi, on migre de la logique des enjeux géostratégiques bipolaires qui prévalaient avant 1990 et oscillaient autour de la confrontation Est-Ouest vers le paradigme de transnationalisation ou la transétatisation des relations internationales africaines par l’éclatement du monopole des États effondrés dans le contexte d’un nouvel ordre géopolitique unipolaire à géométrie variable où les États-Unis sont restés la seule grande puissance à bord autour desquels gravitent des puissances régionales des États de l’Union Européenne qui perdent peu à peu leur stature de puissance coloniale au profit des États émergents du BRICS.
Dans son ouvrage « L’Afrique centrale face à la convoitise des puissances – De la Conférence de Berlin à la crise de la région des Grands Lacs », L’Harmattan, Paris, 2010., Etanislas NGODI met en lumière la mutation qui s’opère dans la conception géopolitique des fondements traditionnels des relations internationales africaines qui reposaient, selon la charte de l’OUA de 1963, sur:
- l’intangibilité des frontières nationales,
- la non ingérence dans les affaires intérieures,
- le respect de la souveraineté des États et
- la résolution des différends par la médiation, la conciliation et l’arbitrage.
Les nouvelles relations internationales africaines deviennent le théâtre des flux transnationaux qui, de manière directe ou indirecte, subvertissent le principe de la souveraineté, car marquées par desacteurs déterritorialisées. Exemple des Tutsi et Hima qui revendiquent des territoires fictifs au Rwanda, en Ouganda, au Burundi et surtout en RDC : les flux des réfugiés et les mouvements transfrontaliers des populations affectent l’État d’accueil au point de constituer un fardeau pour des pays. D’où l’émergence d’une nouvelle dynamique conflictuelle constatée depuis 1994 dans la région des Grands Lacs africains qui prône la redéfinition de nouvelles frontières, la délimitation de nouveaux espaces politiques et la régionalisation sécuritaire comme enjeu de la souveraineté des États.
Cette nouvelle géopolitique consacre en définitive « la fin des territoires étatiques et l’émergence d’un territoire régional». L’exemple du Plan Marshall proposé par deux Ministres belges. C’est le cas également des Pays-Bas qui contournent la coopération directe d’État à État avec Kinshasa pour privilégier une coopération régionale, où la RDC, en tant qu’entité étatique souveraine, unitaire, une et indivisible n’y est représentée que par la seule partie de «l’Est du Congo». C’est-à-dire une sous composante « Congo oriental » distincte de la RDC prise dans ses frontières héritées de la colonisation.
Si avant 1990 l’ordre géopolitique mondial bipolaire favorisait la mise ne place d’un leadership assuré par des agents individuels stabilisateurs des régions acquises à l’Occident (en déstabilisant des pays alliés au Bloc du Pacte de Varsovie) : Mobutu, Kadhafi, Mubarak ; l’après 1990 a par contre favorisé l’émergence d’un leadership collégial, du moins pour la sous-région des Grands-Lacs. Et la course effrénée à l’accès aux matières premières stratégiques dont l’Afrique sert de réservoir (épuisable?) dans un contexte de néolibéralisme – marqué par des relations étroites de collusion qui se tissent entre les gouvernants et les élites économiques et financières.
L’État néolibéral et ses élites sont au service et sous-dépendance du capital, contribuant ainsi au processus de privatisation du pouvoir économique et où¨les entreprises du secteur privé se constituent de plus en plus en réseaux ayant des connexions complexes et exerçant des fonctions stratégiques déterminant la conduite des politiques étrangères et de Défense de leurs États a amené les États-Unis, jadis moins préoccupés par les facteurs économiques, à ne plus considérer l’Afrique comme le domaine de chasse gardé de l’Europe et où tous les coups sont permis, même au prix de 6.000.000 de morts. Un néolibéralisme de l’État prédateur (James Galbraith) qui a créé une gouvernance mondiale où les firmes multinationales agissent au-delà des frontières nationales. Elles évoluent à l’échelle planétaire et dictent leur agenda et l’agenda mondial au profit des États militairement et économiquement puissants, via notamment leurs outils institutionnels que sont: BM, FMI, OMC, G8, G20, OTAN…(Fweley Diangitukwa, Gouvernance Action Publique et démocratie participative, 2011).
Pour ce faire, il leur fallait absolument une autre porte d’entrée que le Congo. Le génocide rwandais leur a alors servi d’alibi aux prédateurs anglo-saxons pour imposer un leadership collégial en Afrique médiane autour des présidents ougandais, rwandais et angolais. Ainsi, depuis les hauts plateaux de Masisi dans les Kivu, les États-Unis avec leurs nouveaux agents ont mis en œuvre ce nouveau type de paradigme géostratégique en se débarrassant d’un Mobutu non rentable pour leurs nouveaux intérêts du fait de l’incapacité de son régime d’anticiper un repositionnement géostratégique en fonction de nouvelles mutations naissantes. Dès cette période, le Léopard devenait bon pour les vestiges de l’Histoire.
Après 1994 : Eclatement du leadership centripète zaïrois au profit du leadership collectif centrifuge, morcelé et conflictogène
Le nouveau leadership géopolitique régional de l’Afrique centrale est actuellement co-assuré entre l’Angola, le Rwanda et l’Ouganda qui chacun tire de son côté un Congo malade et à genoux. Des forces centrifuges qui ont pour mission d’entretenir l’instabilité régionale et intérieure en RD Congo par un mécanisme belligène et belliciste déstabilisateur. Alors que sous Mobutu c’était un leadership unique qui essayait de ramener de manière centripète tous les autres États-satellites vers le centre (le Zaïre) afin d’éviter l’embrasement. Cela a permis de produire temporairement et de manière relative un effet stabilisateur (leadership stabilisateur) en essayant de désamorcer les bombes ethniques dans les Grands-Lacs, notamment. Mais ce ne fut qu’une stratégie de bombe à retardement dont le retour de feu a balayé le pouvoir prédateur déliquescent de Mobutu par l’effondrement de son armée en six mois de guerre éclair menée par une coalition d’au-moins cinq pays régionaux contre le Zaïre de Mobutu avec l’aide logistique et technique de la CIA et de la République Sud Africaine.
Et pourtant en 1996, les chancelleries occidentales étaient bien au courant que Mobutu, terrassé par le cancer de la prostate, n’allait plus se maintenir longtemps sur la scène politique et que son renversement par la voie armée était un non sens car ils pouvaient aider les Congolais à préparer l’après-Mobutu dans la paix, en relaçant notamment le-’après processus de la conférence nationale souveraine. Mais comme le dit l’analyste Faustin Losakokola, le véritable mobile de la croisade rwando-ougandaise de 1996 contre le régime Mobutu se situait ailleurs. En effet, Ayant été pendant trois décennies l’agent de l’Occident qui l’a mis sous tutelle, cela lui donna des arguments pour imposer son diktat militaire dans la sous-région. Et certains pays voisins autrefois martyrisés par le Zaïre de Mobutu avaient tous les arguments de sauter sur l’occasion pour démanteler la (pseudo)-puissance militaire(ment) assisté (par l’Occident) du Zaïre qui leur en faisait voir de toutes les couleurs, en vue d’instaurer un nouvel ordre géopolitique en Afrique centrale. Quoi de plus normal dans le cadre d’une approche tout à fait classique, dite réaliste, des relations internationales où les rapports entre les Etats restent et resteront des rapports de forces, balkanisation ou non !
Philippe Delmas écrit à ce propos : « la prétendue ‘guerre de Libération’ de 1997 n’était qu’une habile manœuvre visant une redéfinition de l’ordre en Afrique Centrale. Un problème réel pour l’Occident était que le Zaïre de Mobutu était devenu moins stratégiquement utile, et par conséquent, devait céder sa position dominante au profit de l’un de ses deux voisins de l’Est de plus en plus performants, et surtout proches du monde anglo-saxon.
En réalité, il s’agissait tout bonnement de redéfinir l’ « ordre » en Afrique Centrale en faveur du Rwanda et de l’Ouganda. Mais aussi au profit de son voisin du Sud l’Angola qui a fait une bonne reconversion géostratégique en mettant en avant les atouts de son pétrole.
La boulimie économique insatiable des Américains, à la recherche des nouveaux espaces économiques rentables et stratégiquement vitaux, va les pousser à tourner le dos à leur ex-agent de la CIA et chien de garde (watch-dog) régional Mobutu au profit des nouveaux pouvoirs anglophones en place à Kampala et Kigali en utilisant la RSA comme poste géostratégique avancé. Les USA ayant une méconnaissance de l’Afrique, vont s’appuyer sur les Britanniques pour mener cette nouvelle guerre de prédation économique en Afrique Centrale contre le Congo détenteur de l’essentiel des richesses naturelles des Grands Lacs. Ainsi un nouvel axe de la « balkanisation » du Congo va se mettre en place au départ de l’Afrique du Sud où bon nombres de commandants de l’AFDL et plusieurs ‘Banyamulenge’ ont reçu une formation militaire avant 1996 pour attaquer le Zaïre. Les nouveaux maîtres noirs aux commandes la RSA, ayant sympathisé et conclu des alliances de solidarité avec les rébellions de Museveni et de Kagame durant l’époque de l’Apartheid, ne veulent plus rester enfermés ni repliés sur eux comme sous l’apartheid. Ils tiennent plutôt à dicter les choses dans la région en deçà du Sahel jusqu’au Kalahari.
Si la RSA est restée stratégiquement très discrète sous Mbeki, en jouant insidieusement un rôle de médiateur (faussement impartial) à la crise congolaise, le faucon Zuma quant à lui ne se prive pas de montrer les griffes de sa nouvelle doctrine militariste de « gendarme du Continent ». Une doctrine mue par la préservation des intérêts nationaux et familiaux en devenant le gendarme de l’Afrique, sous un fallacieux argument de contribuer à la promotion de la paix en Afrique : Darfour, Burundi, RCA et RDC.
Pour illustrer les dividendes américains tirés de leur nouvelle conception géostratégique en Afrique, l’Angola, autrefois sous la coupe soviético-cubaine pourvoit désormais à 8 % de l’approvisionnement en pétrole des États-Unis et est devenue pour le Pentagone comme une zone d’intérêt national et un partenaire stratégique de premier ordre renforcé par la signature en 2003 de l’accord entre Luanda et Washington qui donne à l’US Air Force le droit d’utiliser les bases aériennes angolaises pour positionner des troupes, des équipements, et pour réapprovisionner ses appareils en carburant. (Cros et Misser, 2009).
On peut conclure que la nouvelle géopolitique régionale instaurée après la chute de Mobutu tend à consacrer une logique militaire d’embrasement régional et surtout d’éclatement du Congo profitable aux multinationales anglo-saxonnes, occidentales et d’ici peu orientales où l’on puise et s’enrichit à moindre frais. Une stratégie du chaos planifié du Congo par le maintien de ce pays dans un État permanent d’instabilité politique et d’insécurité généralisée bénéfique aux ‘nouveaux prédateurs’ de sorte que depuis 1996, la tragédie du Congo est qu’il génère des conflits à répétition qu’il n’en consomme.Une tragédie connue sous l’expression du syndrome de la malédiction des matières premières qui ravage l’Afrique.
D’ailleurs, il n’en peut être autrement pour Museveni et Kagame dans la mesure où le seul moyen pour eux d’assurer chacun leur part de leadership régional est d’exporter leurs conflits ethniques au Congo puis d’avancer l’alibi de la persistance permanente de l’insécurité au Congo qu’ils contrôlent politiquement à distance via des dirigeants politiques et militaires bénéficiant de leur soutien, devenus des agents ayant facilité l’infiltration de toutes les institutions du Congo par des ressortissants Tutsi-Hima. Ce, depuis le sommet de l’État congolais et de son armée, pour justifier les rébellions qu’ils fabriquent à l’est, jusqu’aux institutions et services régaliens de la RDC.
En conséquence, depuis la chute de Mobutu (du fait également de son manque d’anticipation stratégique à l’opposé de Dos Santos (Lire Les Armées au Congo-Kinshasa), l’équilibre géo-systémique sous-régional reste très instable grâce au leadership centrifuge qui n’a que la rhétorique conflictogène pour lui permettre de mieux contrôler le grand Congo.
Par analogie à la situation congolaise, en Libye les analystes avancent une thèse similaire au Congo par un scenario d’éclatement et d’embrasement sous régional qui s’est mis en place la mort de Kadhafi.
Le Sahel aussi orpheline de Kadhafi ?
C’est probablement la thèse que plus d’un observateur avisé commence à avancer en faisant la corrélation entre la disparition brutale et bestiale de Kadhafi (qui tue par l’épée périra par l’épée) et le scenario apocalyptique qui règne au Sahel depuis le Niger en passant par le Mali effondré, pour descendre même jusqu’au Nigeria et au Cameroun et bientôt le Tchad et déjàla RCA. Une zone embrasée la tendance à mélanger l’irrédentisme avec le terrorisme ou la criminalité organisée contribue à brouiller les cartes. En effet, l’élimination en octobre 2012 du colonel Kadhafi, qui se prenait pour un roi du Sahara ou du Sahel, a ôté un adversaire à AQMI et lui a permis de reconstituer ses stocks d’armes. Pour le président du Niger, M. Mahamadou Issoufou, la rébellion touarègue serait ainsi un « dégât collatéral de la crise libyenne ».
Le constant est très interpellant et sans appel, depuis les chutes respectives de ces deux dictateurs, les conflits se sont ‘exponentialisés’ et pratiquement toute l’Afrique subsaharienne est devenue un énorme champ de guerre. Les solutions politiques, diplomatiques aux diverses crises que connait l’Afrique restent atones et inefficaces. Les réactions militaires menées (Lybie, Mali, RCA, Kenya,RDC…), si elles présentent les atours d’une efficacité relative, demeurent cependant hypothétiques car génératrices a posteriori des frustrations et autres conflits à retardement beaucoup plus intenses: l’inflation des mouvements terroristes et groupuscules armés très mouvants et dynamiques, spécialisés dans les guerres de type asymétrique, difficiles à éradiquer.
L’autre conséquence de la situation actuelle dans les Grands Lacs et le Sahel d’après Mobutu et Kadhafi est que des territoires entiers de ces régions sont devenus des non man’s land qui pourraient à terme devenir des viviers propices et des zones fertiles de propagation de l’islamisme fondamentaliste. Si j’ai signalé dans une ancienne réflexion les traces des milices El Shebab dans l’Est du Congo et au Burundi voisin, la région allant du Sahel jusqu’au nord Cameroun devient depuis la disparition de Kadhafi un sanctuaire de l’AQMI et des groupuscules islamistes contestant les pouvoirs locaux. Un terreau d’expérimentation de nouvelles stratégies d’action fondamentaliste musulmane.
La chute du raïs libyen a entraîné la rupture du subtil équilibre géo-ethnique entretenu par le Guide de la Jamahiriya entre les nomades Touaregs (que Kadhafi a pu fixer en essayant de les sédentariser en Libye) et les tribus régionales du désert hostiles à Kadhafi en Libye. Ainsi par sa disparition, on assiste aujourd’hui en Libye et dans la sous-région aux actes vindicatifs de violence et de règlement de comptes. Les Touaregs revendiquant leur retour au Mali et au Niger et s’allient par moments avec l’AQMI pour reconquérir leur territoire au Mali et peut-être au Niger. En effet, les Touaregs du Mali, par exemple, luttent contre la marginalisation dont ils se disent victimes de la part du gouvernement central et revendiquent la création d’un État autonome touareg dans le nord du pays. À la suite du coup d’État de mars 2012 dans la capitale, Bamako, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) s’est emparé de villes du Nord qui étaient sous le contrôle des troupes gouvernementales, avant d’être chassés par des groupes militants islamiques.
Il en est de même de la création du Boko Haram au Niger, une des conséquences de cette situation explosive qui prend ses racines au Sahel à la suite de l’effondrement de la Libye. Une milice nigériane qui souhaite l’établissement d’un État islamique et se montre de plus en plus violente et s’est illustré en début 2013 par la prise en otage des occidentaux.
Ainsi, au travers de la crise malienne par exemple, l’Afrique subsaharienne, par la CEDEAO notamment, a étalé son incapacité politique et militaire et s’est montré inefficace pour régler entre africains ses propres conflits internes. Et puisque cette zone est stratégique pour l’Occident, notamment en termes de matières fissiles qu’elle regorge, c’est la France qui viendra au chevet du grand corps malade malien dont l’état de déliquescence profonde de l’armée ressemble à s’y méprendre aux FARDC congolaises.
Par analogie à la crise malienne, en RDC, l’UA étant incapable de régler la crise des Grands-Lacs, c’est un accord-cadre conçu au départ des bureaux climatisés de New York et une résolution (2098) du conseil de sécurité de l’ONU au service des puissances occidentales, initiée par Bruxelles et le Quai d’Orsay, que l’Afrique postcoloniale se contentera à nouveau plus de 50 ans après son indépendance de tenter de trouver une solution palliative à ses propres turpitudes.
Faut-il alors regretter Mobutu et Kadhafi ?
Les régions du Sahel et des Grands-Lacs demeurent plus que jamais des vastes poudrières difficiles à éteindre, que les œuvres politiques de Mobutu et Kadhafi ont permis, dans une certaine mesure, de circonscrire sans les désamorcer définitivement par le maintien d’un équilibre géopolitique régional somme toute global. La menace d’implosion était latente mais relativement sous-contrôle grâce aux mécanismes d’intégration économique et régional que ces deux tyrans ont essayé de mettre en œuvre. Et pourtant, les situations actuelles dans ces deux sous-régions nous promettent des lendemains plus incertains.
Après les chutes de Mobutu et de Kadhafi, la RD Congo et la Libye restent plus que jamais et encore pour quelque temps, des pays en panne : instabilité politique par l’échec vers la transition démocratique apaisée, violences armées, destruction du tissu social et économique.
D’où la question de tous les risques pour moi : Devrions nous regretter ces deux icônes controversées de l’Afrique ?
A mon avis il est trop tôt de répondre à cette question malgré l’image négative véhiculée par Mobutu et Kadhafi. Le bon sens voudrait qu’avant de se précipiter dans des conclusions hâtives, qu’on laisse le temps au temps de sorte à permettre aux historiens, sociologues et politologues de répondre avec recul et à froid à cette question très délicate. Surtout que la RD congo subit aujourd’hui l’échec de la politique de Mobutu.
Mais le moins que certains analystes avancent déjà est qu’avec un peu de recul, ces deux dictateurs étaient par moments des « maux nécessaires ». Pour le cas de Mobutu, les premiers signes se font déjà sentir par l’agacement des populations à la suite des guerres et leur lot de défaites militaires à répétitions leur imposées par une certaine classe politique amorphe caractérisée par un très faible leadership, naviguant à vue et incapable de ramener le centre de gravité de la direction des enjeux régionaux vers le Congo.
Alors que dans les années 1980 au Tchad dans le conflit de la bande d’Aouzou (avec un contingent zaïrois et une force internationale commandée par le général Ambroise Malu-Malu secondé par le feu général Amela ‘décédé en octobre 2013) et le début des années 1990 au Rwanda avec le tigre Mahele et le major Patrick Makambo, les militaires zaïrois étaient constamment envoyés sur le Continent pour participer dans des opérations de rétablissement ou de maintien de la paix. A ce propos, le professeur Trudon Tshiyembe Mwayila affirme clairement :
« On peut reprocher à Mobutu une chose mais sur ce plan, il avait une vision. Il a fait en sorte que les soldats fussent reconnus lorsqu’il avait envoyé Mahele piloter les forces de l’Organisation de l’union africaine (OUA) au Tchad. Tout le monde a reconnu, y compris les Nations Unies, que cet officier supérieur a mené ses hommes avec dignité, compétence et intégrité. »[1]
Et pourtant le Congo ne manque ni d’atouts encore moins de potentiel : humains, démographiques, culturels économiques, géologiques, énergétiques, à l’instar de la Chine, qui doivent lui permettre de dicter l’ordre politique régional, voire continental par une politique visionnaire et volontariste de la « régénération nationale du Grand Congo ». Il s’agit pour le nouveau leadership qui doit encore émerger de revendiquer en faveur de la RDC, haut et fort, le recouvrement de la Souveraineté nationale et de l’intégrité territoriale violée et malmenée par ses voisins depuis 1996.
Pour conclure, les congolais doivent comprendre que la mesure de la grandeur et de la puissance du Congo sera évaluée, pour ce sous-continent, par sa capacité de pouvoir jouer un rôle central dans la définition de l’ordre régional pour que plus jamais, les intérêts du Congo et de ses habitants passent non seulement en priorité mais bien soient pris en compte dans le concert des nations. Cela passe entre autres par la mise sur pied d’une armée capable de contenir la guerre chez les autres par l’emploi de la doctrine de la « forward defense ».
Il doit être admis pour tous que la RD Congo sera respectée lorsqu’elle pourra agir politiquement, économiquement, diplomatiquement et militairement dans l’espace géographique qui correspond à ses intérêts vitaux, stratégiques, économiques et sécuritaires de sorte qu’elle ne soit plus la gâchette ni la machette de l’Afrique mais le moteur de la renaissance et de la modernisation d’une Afrique nouvelle, pacifiée et prospère.
Par Jean-Jacques Wondo (24 novembre 2013)