* «Loin d’être une simple formalité, soutient-il, ce contreseing du premier ministre est une exigence légale et un mécanisme d’équilibre».*Ce juriste pénaliste préconise un dialogue autour de ces textes pour préserver la cohésion nationale et la paix sociale.« Les ordonnances présidentielles signées par le président Felix-Antoine Tshisekedi le 17 juillet 2020 portant nominations à la magistrature civile et militaire, aux Forces armées de la RDC et au portefeuille de l’Etat ont, non seulement violé intentionnellement la Constitution, mais constitue aussi une grave atteinte à l’Etat de Droit ». C’est ce qu’a déclaré le professeur de Droit pénal Nyabirungu Mwene Songa, au cours d’une conférence de presse hier mardi 8 septembre à Cepas, dans la commune de la Gombe.
En ce qui concerne la nomination à la magistrature civile et militaire, ce doctrinaire a, au cours de cette conférence de presse, relevé neuf articles de la Constitution qui seraient violés par les ordonnances du président Felix Tshisekedi du 17 juillet 2020.
ATTEINTE GRAVE A L’ETAT DE DROIT
A l’en, croire, ces ordonnances ont avant tout violé l’article 1 er de la Loi des lois en conférant au président de la République des pouvoirs exorbitants à ceux prévus par les textes.« Ces ordonnances frappent ainsi de plein fouet l’Etat de droit. L’article premier de la Constitution dispose que la RDC est, dans ses frontières un Etat de droit, indépendant, souverain, uni et indivisible, social, démocratique et laïc », a rappelé le Pr Nyabirungu.
Il affirme que ces ordonnances ont aussi violé l’article 12 de la Constitution en ce qu’elles ont remplacé deux magistrats de la Cour Constitutionnelle, alors que leurs mandats étaient toujours en cours.
.CONTRESEING, UNE EXIGENCE LEGALE
Pour ce professeur de droit, ces ordonnances présidentielles ont surtout violé l’article 79, alinéa 4 de la Constitution qui dispose que « les ordonnances du président de la République autres que celles prévues aux articles 78, alinéa 1 er, 80, 84 et 143, sont contresignées par le premier ministre ».
Loin d’être une simple formalité, soutient-il, ce contreseing du Premier ministre est une exigence légale et un mécanisme d’équilibre devant permettre de veiller à ce que les actions du chef de l’Etat ne s’écartent pas de la politique générale du Gouvernement.
«S’agissant de ces ordonnances, la mauvaise foi et la fraude apparaissent au grand jour lorsque, pour faire un semblant de faire respecter la Constitution, on envoie le premier ministre, chef du Gouvernement en mission, on remplace son contreseing par celui illégal d’un vice-premier ministre de l’intérieur, dont l’intérim a été circonscrit, dans une lettre du premier ministre», a-t-il dénoncé.
LE GOUVERNEMENT ET LE CONSEIL NATIONAL DE LA DEFENSE ECARTES
Nyabirungu Mwene Songa pense en outre que ces ordonnances ont violé l’article 82 et 91, alinéas 1, 2 et 3 de la Constitution en écartant le Gouvernement de ses prérogatives constitutionnelles essentielles et fondamentales qui font de lui une institution parmi les quatre consacrées par la Constitution.
Cet avocat près la Cour de cassation affirme par ailleurs que ces ordonnances présidentielles ont violé l’article 150, alinéas 2 et 3 et l’article 152 de la Constitution « en ce qu’elles indiquent qu’elles ont été signées et publiées sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, alors que celui-ci, dans sa composition constitutionnelle, ne s’est jamais réuni pour décider ».
« En ce qui concerne l’article 158 de la Constitution, ces ordonnances l’on violé en ce qu’alors que pour le compte du président de la République il y avait qu’un seul poste à pourvoir, ce dernier a nommé, sans aucune proposition du Conseil supérieur de la magistrature, deux nouveaux membres », a déclaré ce juriste.
VIVEMENT LA LUMIEREE
En ce qui concerne les nominations dans les établissements publics, rapporte le professeur Nyabirungu, ces ordonnances présidentielles ont violé l’article 79 et l’article 81 de la Constitution de la RDC. Il note en même temps une violation de l’article 74, alinéa 2 de la Constitution concernant le serment constitutionnel du président de la République.
Comme voie de sortie de crise, Nyabirungu propose un dialogue élargi à plusieurs institutions et acteurs clés afin de trouver la solution, en se référant aux valeurs prônées par la Constitution et l’hymne nationale.
VIOLATION INTENTIONNELLE DE LA CONSTITUTION
Il en appelle avant tout à un dialogue franc entre les coalisés FCC-CACH à qui il demande de relire l’accord qui lie leurs plateformes politiques, d’en évaluer l’application et de rectifier le tir.
Pour sauvegarder la cohésion nationale face à la cacophonie actuelle autour de ces ordonnances, cet avocat près la Cour de cassation et le Conseil d’Etat en appelle par ailleurs à l’implication des bureaux de deux chambres du Parlement, de la Société Civile, du Conseil national de suivi de l’accord de la CENCO, de la Monusco et des organisations régionales et sous régionales.
Car le doyen honoraire de la faculté de Droit de l’Université de Kinshasa pense que le débat actuel sur l’inconstitutionnalité de ces ordonnances présidentielles est de nature à menacer la paix et la cohésion nationale en RDC.
Contribution au débat actuel sur l’inconstitutionnalité des ordonnances du Président de la République du 17 juillet 2020(
Par Raphaël NYABIRUNGU mwene SONGA, Professeur émérite et Doyen honoraire de la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, Avocat près la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat, Kinshasa, le 08 septembre 2020.
INTRODUCTION
Le 20 janvier 1981, Monsieur Ronald REAGAN entrait en fonctions, en sa qualité de nouveau président des Etats-Unis.Dans son discours inaugural, il exprimait son émerveillement en ces termes:« Mes chers compatriotes … voici un moment solennel et capital. Et pourtant, dans l’histoire de notre pays, il s’agit d’un événement courant. La passation des pouvoirs dans l’ordre se déroule comme à l’accoutumée, ainsi que l’a prévu notre Constitution, et comme cela se produit depuis près de deux siècles ; aussi fort peu d’entre nous prennent-ils le temps de penser que nous sommes vraiment exceptionnels à cet égard » (1).
).Ce qui émerveillait Ronald REAGAN, KABILA et TSHISEKEDI l’ont fait pour notre Pays.
Mais, en RDC, combien ont pris la juste mesure de l’événement ? Combien se sont posé la question de savoir comment cela a été possible ? La vérité est que nous étions en train de récolter le fruit d’une culture politique, tentée à travers des dialogues et des compromis à travers des réunions, des sommets solennels ou secrets, à travers l’effervescence des forces vives de la Nation, en passant par les Accords de Sun City sur la transition politique pour une Constitution démocratique de transition et, enfin, en aboutissant à la promulgation par Joseph KABILA, de la Constitution démocratique qui, aujourd’hui nous régit.
Les événements qui ont précédé la date de la promulgation de la Constitution ont tissé une culture politique congolaise, à commencer par les crises survenus dès les premiers jours de notre indépendance jusqu’à cette célèbre date du 18 février 2006.
La culture politique, dans sa formation, ne s’est pas arrêtée, mais le 18 février 2006 marque un tournant, que nous n’avons pas pris à sa juste mesure. Nous, en RDC, nous célébrons notre fête nationale le 30 Juin 1960, jour de notre indépendance.
De nombreux autres pays, à travers le monde, célèbre leur fête nationale le jour de la promulgation de leur Constitution.
A défaut pour nous de le faire, le 18 février devrait être un jour férié, pour montrer l’importance attachée à la Constitution par notre Peuple et ceux qui nous gouvernent.La culture politique se définit de diverses manières, comme un ensemble de conventions implicites sur le rôle de l’Etat et la politique, et un ensemble d’idées concernant les objectifs de la politique publique.
La culture politique contribue à façonner la politique des idées de deux manières : – En réduisant le nombre des choix qui seront sérieusement envisagés pour résoudre les problèmes, en excluant notamment la violence ;- En contribuant au processus à travers lequel se posent les questions politiques.
.Chez nous, les questions politiques trouvent ou devraient toujours trouver leur solution dans un cadre institutionnel, dont les règles sont connues de tous et, en conséquence, doivent être respectées par tous.
Aujourd’hui, notre Constitution de 2006 est jeune, mais elle a déjà vécu et surmonté tant d’épreuves que nous sommes en droit de dire qu’elle est mûre et qu’à un nouveau référendum, elle serait encore adoptée par notre Peuple.
C’est cette Constitution qui a été violée par les ordonnances du 17 juillet 2020, provoquant ainsi une crise constitutionnelle et politique majeure, comme on n’en a pas vu et comme on pensait l’avoir oublié depuis la passation pacifique et civilisée, le 24 janvier 2020.
Nous allons développer notre contribution au débat en 3 parties :- Première partie : Inventaire des violations de la Constitution par les ordonnances du 17 juillet 2020;- Deuxième partie : Les enjeux des violations de la Constitution par les ordonnances du 17 juillet 2020 ;- Troisième partie : Pistes de solution de la crise constitutionnelle et politique.
.PREMIERE PARTIE. INVENTAIRE DES VIOLATIONS DE LA CONSTITUTION PAR LES ORDONNANCES DU 17 JUILLET 2020N
Nous rappelons que les ordonnances présidentielles du 17 juillet 2020 concernent des nominations dans :La magistrature civile et militaire ; Les Forces armées de la RDC ;- Le Portefeuille de l’Etat, et interpellent sur le rapport entre ces ordonnances et les termes du serment constitutionnel du Président de la République.
. En ce qui concerne la magistrature civile et militaire Nous relevons, en tout, neuf articles de la Constitution violés par les ordonnances du 17 juillet 2020. Il s’agit de :- L’article 1er, alinéa ler de la Constitution qui dispose comme suit : « La République démocratique du Congo est, dans ses frontières du 30 juin 1960, un Etat de droit, indépendant, souverain, uni et indivisible, social, démocratique et laie».Ici, la Constitution a été violée par les ordonnances du 1.7 juillet 2020 en ce que celles-ci ont conféré au Président de la République des pouvoirs exorbitants à ceux qui sont les siens de par la Constitution, frappant ainsi de plein fouet l’Etat de droit ;- L’article 12 de la Constitution qui dispose comme suit: «Tous les congolais sont égaux devant la loi et ont droit à une égale protection de loi». Cette disposition constitutionnelle a été violée par les ordonnances du 17 juillet 2020 en ce qu’elles ont remplacé deux magistrats de la Cour constitutionnelle, alors que leurs mandats étaient toujours en cours et ne peuvent jamais prendre fin par une ordonnance qui les affectent à un emploi public, en l’occurrence Président de Cour de cassation, par ailleurs incompatible avec les mandats des membres de la Cour constitutionnelle ;- L’article 79, alinéa 4 de la Constitution qui dispose comme suit: «Les ordonnances du Président de la République autres que celles prévues aux articles 78, alinéa V, 80, 84 et 743, sont contresignées par le Premier ministre ».
Ici, la Constitution a été violée, en ce que les ordonnances du «17 juillet 2020, qui auraient dû être soumises au contreseing du Premier ministre, ne l’ont pas été ;- L’article 82 de la Constitution qui dispose comme suit : « Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, par ordonnance, les magistrats du siège et du parquet sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature.Les ordonnances dont question à l’alinéa précédent sont contresignées par le Premier ministre ».
Ici, la Constitution a été violée en ce que les ordonnances du 17 juillet 2020 ne portaient pas le contreseing du Premier ministre, Chef du Gouvernement. – L’article 91, alinéas 1, 2 et 3 de la Constitution qui dispose comme suit : « Le Gouvernement définit, en concertation avec le Président de la République la politique de la Nation et en assume la responsabilité.Le Gouvernement conduit la politique de la Nation.La défense et la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement ».
Ici, la Constitution a été violée en ce que les ordonnances du 17 juillet 2020 ont écarté et dépouillé le Gouvernement de ses prérogatives constitutionnelles essentielles et fondamentales, qui font de lui une institution parmi les quatre consacrées par la Constitution ;- L’article 150, alinéas 2 et 3 de la Constitution qui dispose que : « Les juges ne sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à l’autorité de la loi.Une loi organique fixe le statut des magistrats ».
Ici, la Constitution a été violée en ce que les ordonnances du 17 juillet 2020 ont appliqué aux membres de la Cour constitutionnelle les dispositions d’une ordonnance présidentielle qui n’avaient aucune pertinence au regard de la situation constitutionnelle des intéressés, et au regard de la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle ;- L’article 152 de la Constitution qui donne la composition du Conseil supérieur de la magistrature.
.Ici, la Constitution a été violée en ce que les ordonnances du 17 juillet 2020 indiquent qu’elles ont été signées et publiées sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature, alors que celui-ci, dans sa composition constitutionnelle, ne s’est jamais réuni pour décider;- L’article 158 de la Constitution qui dispose que : « La Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés par le Président de la République dont trois sur sa propre initiative, trois désignés par le Parlement réuni en Congrès et trois désignés par le Conseil supérieur de la magistrature.Les deux tiers des membres de la Cour constitutionnelle doivent être des juristes provenant de In magistrature, du barreau ou de l’enseignement universitaire. Le mandat des membres de la Cour constitutionnelle est de neuf ans non renouvelable.La Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers tous les trois ans. Toutefois, lors de chaque renouvellement, il sera procédé au tirage au sort d’un membre par groupe. Le Président de la Cour constitutionnelle est élu par ses pairs pour une durée de trois ans renouvelable une seule fois. Il est investi par ordonnance du Président de la République ».
Ici, la Constitution a été violée par les ordonnances du 17 juillet 2020 en ce que, notamment, alors que pour le compte du Président de la République, il n’y avait qu’un seul poste à pourvoir, il a nommé, sans aucune proposition du Conseil supérieur de la magistrature, deux nouveaux membres, du groupe du Conseil supérieur de la magistrature.
II. Concernant les Forces armées de la RDCIII.
En ce qui concerne les Etablissements publics dénommés « Autorité de Régulation de l’Electricité » (ARE, en sigle), et Cellule Nationale de Renseignements financiers (CENAREF, en sigle)Nous relevons deux articles de la Constitution violés par les ordonnances du 17 juillet 2020.11 s’agit de:- L’article 79, alinéas 4 de la Constitution qui dispose comme suit : « Les ordonnances du Président de la République autres que celles prévues aux articles 78 alinéa premier, 80, 84 et 143 sont contresignées par le Premier ministre ».
Ici, la Constitution a été violée par les ordonnances du 17 juillet 2020, en ce qu’elles ne portent pas le contreseing du Premier ministre ;L’article 81 de la Constitution qui dispose que : « Sans préjudice des autres dispositions de la Constitution, le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres :5. les responsables des services et établissements publics ;Les ordonnances du Président de la République intervenues en la matière sont contresignées par le Premier ministre ».
Ici, la Constitution a été violée par les ordonnances du 17 juillet 2020 en ce que celles-ci ont été signées et publiées, d’une part, sans la proposition du Gouvernement et délibérations en Conseil des ministres, et d’autre part, n’ont pas été contresignées par le Premier ministre, Chef du Gouvernement.
IV. En ce qui concerne le serment constitutionnel du Président de la République Nous relevons un article de la Constitution violé par les ordonnances du 17 juillet 2020. Il s’agit de l’article 74, alinéa 2 de la Constitution qui dispose comme suit: «Moi … élu Président de la République Démocratique du Congo, je jure solennellement devant Dieu et la Nation : – d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République ».
Ici, la Constitution a été violée par les ordonnances du 17 juillet 2020, en ce que celles-ci, signées et publiées en violation de la Constitution, constituent en même temps autant des violations intentionnelles, délibérées, manifestes et systématiques de la Constitution en son article 74, alinéa 2, qui impose au Président de la République, non seulement de respecter la Constitution, mais aussi de la défendre, devant Dieu et la Nation.
.DEUXIEME PARTIE. LES ENJEUX DES VIOLATIONS DE LA CONSTITUTION PAR LES ORDONNANCES DU 17 JUILLET 2020
Malgré la clarté dans la détermination des dispositions constitutionnelles violées, une frange importante de l’opinion, parfois sur un ton partisan et passionné, affirme, sans ambages, que les ordonnances du 17 juillet 2020 n’ont violé aucune disposition constitutionnelle.Non seulement une telle opinion existe, mais elle persiste, perdure au risque de diviser la Nation.Il ne serait pas mauvais, en dernière analyse, de signaler à l’intention de cette opinion, qu’une balance qui penche toujours d’un seul côté cesse d’être utilisable. Nous avons besoin d’unité et les textes qui comportent des erreurs ou même des violations des textes hiérarchiquement plus importants ne doivent pas nous diviser.
Nous devons trouver des solutions en recourant à nos valeurs toujours revendiquées dans notre Constitution, dans notre Hymne national et dans notre histoire.
C’est pour cela qu’on devrait proposer, de manière générale, quelques éléments qui permettent de revenir, si pas à la raison, à tout le moins à la raison juridique. Et, en cela, nous devons recourir aux règles élémentaires d’interprétation, à la problématique de l’Etat de droit et aux valeurs considérées comme essentielles par notre Société. Alors nous comprendrons que les ordonnances du 17 juillet 2020, non seulement, ont violé la Constitution, mais aussi l’Etat de droit qu’elles ont renvoyé aux calendes grecques.
1. Règles élémentaires d’interprétation
La première règle élémentaire d’interprétation est de donner au texte et aux mots qui le composent leur sens usuel et normal.Lorsque le constituant s’exprime, il veut dire ce qu’il dit, et non autre chose. C’est un homme raisonnable et normal qui s’exprime, et dont l’intérêt est d’être compris. Il n’a pas du tout intérêt à ce qu’il ne soit pas compris par ses concitoyens.
Lorsqu’il dit que le Premier ministre, Chef du Gouvernement, appose un seing sur les ordonnances du Président de la République dans tel domaine déterminé, c’est cela qu’il veut dire et qui doit être fait, et non le contraire ni autre chose.
Il y en a qui vous disent qu’ils se soumettent à l’esprit de la Constitution. Mais, comment accéder à cet esprit si l’on n’a pas commencé par la lettre de la Constitution ? On recherche l’esprit quand la lettre s’est tue, et lorsque le texte est clair, on ne tergiverse pas, on l’applique. Tant pis si ceux-là qui violent la Constitution sont en môme temps nos amis, nos proches ou nos camarades. Ils doivent répondre.
La deuxième règle élémentaire d’interprétation est de donner au texte une interprétation qui aboutit à une utilité sociale.»’II faut se dire que si le texte dit ce qu’il dit, c’est dans le souci, pour le Constituant, d’être socialement utile.
Lorsqu’il dit qu’il faut un contreseing du Premier ministre sur les ordonnances du Président de la République, ce n’est certainement pas pour que le Président de la République s’en passe quand il le veut. Au contraire, c’est une obligation constitutionnelle pour le Président de la République d’exécuter ses prérogatives constitutionnelles avec l’assentiment de son Premier ministre, Chef du Gouvernement. II. La problématique de l’Etat de droita) Définition de l’Etat de droitL’Etat de droit peut être défini comme un Etat de bonne gouvernance, où tous les citoyens, gouvernants et gouvernés, sont soumis à l’autorité de la loi, et où la dignité humaine et les droits de l’homme sont proclamés, garantis et protégés comme des valeurs fondamentales au sein de cet Etat.A
Aujourd’hui, la qualité d’un Etat de droit se jauge et se mesure à l’aune de la frontière qu’ils savent définir et placer entre le permis et l’interdit, le juste et l’injuste, le mal et le bien.Cette frontière doit être écrite afin que nul ne l’ignore. Grâce à l’écrit, au bon écrit, elle est ferme et précise.Cette frontière doit être dessinée de manière que l’espace du permis soit plus large que celui de l’interdit. Etant donné qu’il est plus facile de décrire le plus petit que le plus grand, l’écrit portera sur l’interdit, tout ce qui n’est pas interdit devant être considéré comme permis.
Aujourd’hui, un Etat moderne, valable et digne de ce nom dispose d’une somme d’interdits qu’on appelle « Code pénal » ou « loi pénale ».Un Etat moderne est un Etat de droit, une démocratie, où tout est permis, sauf ce qui est interdit.Ce qui est permis forme l’ensemble de toutes les libertés dont un individu, seul ou en association, jouit dans une société donnée. Le permis, c’est l’autre nom de la démocratie.Ce qui est interdit l’est par le fait de la loi et est limitativement énuméré par elle. La loi elle-même, dans un Etat de droit, n’est pas libre de tout interdire. Elle est limitée par la Constitution qui fait connaître à chaque citoyen les pouvoirs que les gouvernants ont ou n’ont pas, d’une part, et d’autre part, les droits du citoyen auxquels les gouvernants ne peuvent ni porter atteinte, ni porter limitation2 mais, au contraire , qu’ils sont appelés à respecter et à faire respecter.La paix, l’harmonie et la concorde dans un Etat de droit sont le résultat de cet équilibre nécessaire entre l’espace considérable des libertés et le champ exigu et exigeant des interdits.Rompez cet équilibre, des situations aussi précaires que dramatiques sont susceptibles d’apparaître3.On peut aussi s’approprier ces commentaires de Perspective Monde
4 :« La démocratie fondée sur l’Etal de droit s’oppose ainsi à l’Etat autoritaire dans lequel l’arbitraire d’un dictateur ou d’un tyran régnerait. Lille s’oppose aussi à un Etat chaotique ou anarchique dans lequel les lois seraient inexistantes ou bien ne seraient pas respectées, appliquées ou observées. De nos jours, l’Etat de droit suppose l’existence effective (même minimale) de libertés individuelles et collectives (liberté de croyance, d’association, d’opinion) et l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis des pouvoirs politiques. Il suppose aussi des lois connues, publiques, appliquées par les forces publiques (police et tribunaux particulièrement) y compris à l’endroit d’elles-mêmes. »b) Les ordonnances du 17 juillet 2020 ont violé l’Etat de droit.
L’Etat de droit implique des valeurs que la Constitution est censé protéger. En RDC, sa devise est « Paix, Justice, Travail ».Notre Constitution comporte un titre entier consacré aux droits humains, aux libertés fondamentales et aux devoirs du citoyen et de l’Etat. Bien plus, le rôle des Institutions est bien défini, et celui du Président de la République est éminent dans l’Etat. La preuve en a été donnée par son serment qui l’oblige notamment d’observer et de défendre la Constitution et les lois de la République.
Par les ordonnances du 17 juillet 2020, l’Etat de droit chancelle et devient même introuvable. Les enjeux de cette dérive a une explication : exercer le pouvoir plus que la Constitution ne vous en donne.
D’où la violation de toutes les règles qui garantissent l’équilibre des pouvoirs entre le Président de la République, le Gouvernement et le Pouvoir judiciaire, à savoir :- Les propositions du Gouvernement délibérées en Conseil des ministres ;- Le contreseing du Premier ministre, Chef du Gouvernement;- Les avis du Conseil supérieur de la magistrature ;- Les avis du Conseil supérieur de la défense.1. Les propositions du Gouvernement délibérées en Conseil des ministresLes propositions du Gouvernement délibérées en Conseil des ministres sont une exigence fondamentale qui s’impose au Président de la République et au Gouvernement afin que celui-ci définisse la politique de la Nation en concertation avec le Président de la République.Le Conseil des ministres est le lieu privilégié afin que cette disposition de l’article 91, alinéa ler de la Constitution trouve application.De même, les propositions du Gouvernement délibérées en Conseil des ministres sont une exigence fondamentale pour permettre au Gouvernement de conduire la politique de la Nation, dont il a exclusivement la charge, conformément à l’article 91, alinéa 2 de la Constitution, et, le moment venu, d’en répondre devant l’Assemblée nationale, conformément à l’article 91, alinéa 5.
Donc, soustraire l’exercice des prérogatives dévolues au Président de la République aux délibérations du Conseil des ministres et aux propositions du Gouvernement est une violation intentionnelle de la Constitution et une atteinte grave à l’Etat de droit.
.2. Le contreseing du Premier ministre, Chef du GouvernementMême lorsqu’il s’agit pour le Président de la République d’exercer les prérogatives qui lui sont dévolues par la Constitution, le constituant a prévu, dans sa souveraineté, qu’il devait les exercer moyennant l’accord exprès traduit par le contreseing sur un certain nombre d’ordonnances, afin de s’assurer qu’elles rentrent dans la politique générale du Gouvernement et qu’elles restent cohérentes avec elle.
Dans le cas d’espèce, s’agissant des ordonnances du 17 juillet 2020, la mauvaise foi et la fraude apparaissent au grand jour lorsque, pour faire semblant de respecter la Constitution, on envoie le Premier ministre, Chef du Gouvernement en mission, on remplace son contreseing sur les ordonnances signées et publiées par le contreseing illégal d’un Vice-Premier ministre, dont l’intérim était expressément circonscrit dans une lettre du Premier ministre.Une telle machination ou mise en scène est une preuve suffisante de violer intentionnellement «la Constitution et de» contourner ainsi les pouvoirs du Premier ministre, Chef du Gouvernement, qui a, dans le cadre des équilibres des pouvoirs voulus par le constituant, un droit de regard et une possibilité d’opposition aux ordonnances du Président de la République qui iraient à rencontre de la politique générale du Gouvernement.Ces manœuvres d’écarter le Premier ministre, Chef du Gouvernement, d’une question aussi essentielle que la nomination des magistrats dans la magistrature civile et militaire, des officiers généraux et supérieurs des Forces Armées et des responsables des services et établissements publics, sont une violation intentionnelle de la Constitution et une atteinte grave portée à l’Etat de droit.
3. Les avis du Conseil supérieur de la magistratureLe constituant a voulu que, bien que la nomination des magistrats relève de la compétence du Président de la République, Chef de l’Etat, celui-ci ne peut exercer ses prérogatives qu’après avoir pris avis du Conseil supérieur de la magistrature.
En d’autres termes, et dans le cadre d’une démocratie participative, le constituant a décidé qu’à un niveau bien déterminé, les magistrats puissent dire un mot sur ce qui les regarde, et participer ainsi à la nomination et à la promotion au sein de la profession.
Ignorer leur avis, c’est d’abord refuser aux magistrats ce qui leur est accordé par la Constitution, c’est violer la Constitution et porter ainsi atteinte à l’Etat de droit.
4. Les avis du Conseil supérieur de la DéfenseLe constituant a voulu que, bien que la nomination des officiers généraux et supérieurs des Forces Armées et de la Police Nationale relève de la compétence du Président clé la République, celui-ci ne peut exercer ses prérogatives qu’après avoir pris avis du Conseil supérieur de la Défense.Ignorer les avis de ce dernier, c’est ignorer le droit des membres des Forces Armées et de la Police Nationale de participer aux décisions qui les concernent, violer la Constitution et porter un coup dur à l’Etat de droit.
TROISIEME PARTIE. PISTES DE SOLUTION DE LA CRISE CONSTITUTIONNELLE ET POLITIQUE
Le débat nous divise et l’unité de la Nation n’en est que plus menacée. Nous ne pouvons laisser un tel état de choses perdurer, car nous avons le devoir de travailler à la paix et de nous donner la chance, à nous, à nos enfants et à la génération future, un cadre propice au développement.
C’est pourquoi, nous devons écarter toutes les menaces qui peuvent peser sur la paix et élaborer, dès aujourd’hui, les pistes ou les voies qui balisent notre chemin du futur.
Nous allons ici, essayer de dégager les pistes disponibles. Nous pensons aux ressources intérieures, propres à notre Nation, mais aussi aux organisations internationales auxquelles la RDC appartient, et qui peuvent nous venir en aide.
.I.Le recours à nos ressources intérieuresa) La CoalitionNe perdons jamais de vue que nous sommes gouvernés par une Coalition liée par un Accord, et dont le premier engagement est de respecter la Constitution.Nous devons interpeller la Coalition, lui demander de relire l’Accord, d’en évaluer l’application et de rectifier le tir. Quelles que soient les difficultés rencontrées sur leur chemin, les coalisés ont le devoir de gouverner, de permettre aux Institutions de fonctionner et d’engager la RDC à faire face aux défis que sont, aujourd’hui, la crise sanitaire mondiale, et la prospérité des populations.
A cet effet, les coalisés doivent se parler. Je leur rappelle cet enseignement de mon professeur de philosophie morale : « Certes, le dialogue est insuffisant. Mais, il demeure nécessaire et jamais achevé ».
La solution des crises en RDC doit passer par un dialogue entre coalisés, quels que soient les problèmes à résoudre. Si cela n’est pas inscrit dans l’Accord, il est temps de l’amender dans ce sens.) La Société civileJe pense à la Société civile à laquelle nous demandons d’aider la Nation à trouver une réponse satisfaisante à la question suivante : une Nation peut-elle être sûre, c’est-à-dire assurer la sécurité, y compris et à commencer par la sécurité des hommes et des biens et la sécurité juridique des investissements si celui qui exerce la fonction éminente dans l’Etat petit considérer certaines règles de la Constitution comme non écrites, et peut donc les ignorer et passer outre ?
En d’autres termes, la Société civile est interpellée.N’étant pas seulement professeur, juriste ou avocat, mais aussi chrétien, je pense naturellement aux Confessions religieuses qui ont toujours fait preuve d’initiatives, de sincérité et d’objectivité, qui nous ont conduits aux Accords de la CKNCO, de s’impliquer pour que la Nation transcende ses disputes.
c) Le Conseil national chargé du suivi des accords de la CENCOJe sais que cette institution travaille avec beaucoup de discrétion. Pourtant, elle a une mission essentielle, et lorsqu’elle s’en acquitte, l’opinion doit en être informée. En RDC, les occasions sont nombreuses, et celle des ordonnances du 17 juillet 2020 devrait donner au CNSA la chance de faire preuve de son utilité et de son efficacité, en mettant ses juristes à la disposition de la Nation pour donner le sens et la portée de ces textes juridiques qui divisent la Nation plus qu’ils ne la rassemblent.
d) Les Bureaux de l’Assemblée nationale et du SénatEn tant que structures du Parlement, celui-ci doit s’exprimer sur les ordonnances du 17 juillet 2020, et indiquer une piste de solution. Cela peut passer par les Bureaux de deux Chambres du Parlement et, à défaut, par la Plénière de deux Chambres en session.
e) La MONUSCOLa RDC a la chance d’avoir sur son territoire une mission des Nations Unies chargée de la prévention contre les menaces à la paix et du maintien de la paix, et qui assiste le Gouvernement pour protéger la population et ses biens.Dans son rôle de prévention, elle doit contribuer à la stabilité des institutions et à leur fonctionnement régulier. C’est le moment, pour elle, de vérifier par ses juristes le sens, la portée et les enjeux des ordonnances du 17 juillet 2020.Si le recours aux ressources nationales disponibles ne s’avérait pas payante et conséquente, tous les patriotes, conscients de la nécessité de respecter la Constitution pour l’avènement et le raffermissement de la démocratie et de l’Etat de droit en péril en RDC, pourront toujours recourir aux organisations régionales et sous régionales africainesII. La contribution des organisations régionales et sous régionalesLa RDC a cet avantage d’être un sous-continent au cœur de l’Afrique et, par ses neuf frontières, d’appartenir à de nombreuses organisations sous régionales, sans perdre de vue l’Union africaine, dont ces organisations sous régionales sont l’émanation.
La RDC appartient notamment à la Communauté économique des Pays des Grands Lacs (CEPCL) depuis 1976.Elle est aussi partie du Traité d’amitié et de coopération du 20 septembre 1976 entre la République du Burundi, la République rwandaise et la RDC.La RDC est membre de la SADC, de la CEEAC, de la Conférence Internationale sur la Paix, la Sécurité, la Démocratie et le Développement dans la Région des Grands Lacs. Toutes ces organisations ont pour dénominateur commun les objectifs de l’Union africaine parmi lesquels :La promotion des principes et des institutions démocratiques, la participation populaire et la bonne gouvernance ;La promotion et la protection des droits de l’homme et des peuples conformément à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme.
CONCLUSION
Toutes ces Ordonnances abondantes, signées et publiées par le Président de la République, le vendredi 17 juillet 2020, l’ont été en violation intentionnelle de la Constitution, spécialement en ses Articles 1er,’12, 74, 79/81, 82, 91, 150, 152,158, 169 et 192, de toutes les dispositions légales, réglementaires et de moralité publique.
Bien plus, ces Ordonnances tombent sous le coup du principe général de droit selon lequel « la fraude corrompt tout » – « Frausomniacorrumpit», en ce que les Propositions censées leur servir de soubassement ont été inventées de toutes pièces, sont imaginaires et fictives, qu’il s’agisse d’abord des Propositions du Gouvernement prétendument réuni en Conseil des Ministres, ou de celles d’un Conseil Supérieur de la Magistrature qui ne s’est jamais réuni à ce sujet, ou encore des Avis du Conseil Supérieur de la Défense qui ne s’est pas non plus jamais réuni.Ces mêmes Ordonnances tombent encore sous le coup du principe général de droit selon lequel « la fraude corrompt tout » – « Frausomniacorrumpit », du moment qu’elles portent un contreseing non constitutionnel, émanant d’un Vice-Premier Ministre sans qualité ni mandat pour le faire, et légitimement contesté par le Premier Ministre lui-même, dans sa Déclaration publique et solennelle du 21 juillet 2020, sans jamais oublier les autres graves irrégularités, au regard des lois et autres textes contraignants de la République, et au regard des valeurs contenues à l’article 74 de la Constitution, portant les termes du serment du Président de la République.
Aussi, ces Ordonnances du 17 juillet 2020, doivent-elles être considérées que comme nulles et de nul effet, à défaut d’être rapportées par le Président de la République, au risque d’exposer la Nation et les Institutions à des Procédures judiciaires douloureuses et humiliantes pour les uns et les autres.
Fait à Kinshasa, le 08 septembre 2020
Raphaël NYABIRUNGU mwene SONGA
Professeur émérite et Doyen honoraire de la Faculté de Droit de l’Université de KinshasaAvocat près la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat