Depuis la mise en place de cette mesure, il y a trois mois, près de 500 civils ont été tués par des groupes armés dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
L’espoir suscité par la mise en place de l’état de siège dans le Nord-Kivu et l’Ituri pour briser le cycle des massacres dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) s’est beaucoup émoussé en trois mois. L’ensemble des groupes armés « ont tué 485 civils en Ituri et au Nord-Kivu » depuis le 6 mai, selon le décompte établi jeudi 5 août par des experts du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST, en anglais), présents dans les deux provinces.
« Rien n’a changé. Il n’y a rien de nouveau qui a été entrepris », tranche le politologue Nice Mughanda, professeur des universités dans le Nord-Kivu. « Le problème des effectifs se pose, les moyens sont limités et la logistique est faible », analyse Promesse Matofali Yonama, un élu provincial du Nord-Kivu, qui préconise de « circonscrire l’état de siège dans les territoires de Beni [Nord-Kivu] et d’Irumu [Ituri] », où sont commises le plus d’atrocités.
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A lui seul, le mouvement rebelle d’origine ougandaise des Forces démocratiques alliées (ADF), présenté par le groupe Etat islamique (EI) comme sa branche en Afrique centrale (Iscap), est responsable de la mort de 254 civils, selon des chiffres du KST. Les autres milices, notamment les rebelles hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), sont responsables de 231 morts.
« Un échec cuisant »
Le trimestre précédent, le KST avait documenté « 464 civils tués du 1er février au 5 mai 2021 par tous les groupes armés confondus » dans les deux provinces. A eux seuls, les ADF avaient massacré « 225 personnes ». L’armée, de son côté, estime que 121 miliciens, dont 32 membres des ADF, ont été tués depuis l’instauration de l’état de siège. A Beni, sur 39 miliciens morts, 31 appartenaient aux ADF.
L’Assemblée nationale, qui vient de renouveler pour la cinquième fois l’état de siège, a demandé à sa commission Défense et Sécuritéd’examiner les points forts et les faiblesses de cette mesure. C’est « un fiasco qui ne devrait pas être renouvelé indéfiniment », s’est emporté Patrick Mundeke, cadre à Goma (nord-Kivu) du parti Ensemble pour la République, de l’ex-gouverneur du Katanga et richissime homme d’affaires Moïse Katumbi.
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« L’état de siège est un échec cuisant. Les gens continuent d’être tués, les kidnappeurs opèrent de la même manière sans se faire prendre. La situation devient plus grave qu’avant », se désole Masika Salama, 25 ans, étudiante à Beni.
« Une armée infiltrée »
« La situation s’est dégradée. Avant l’état de siège, on pouvait partir de Beni et arriver à Bunia. Pendant l’état de siège, il est devenu extrêmement dangereux d’effectuer le trajet. Le rayon des tueries s’est étendu. Les assaillants sont désormais actifs aussi dans l’Ituri, au nord de Beni, martèle le professeur Nice Mughanda. Qu’on suspende cette mesure ! On ne peut décréter l’état de siège avec une armée infiltrée, une armée indisciplinée, une armée avec des officiers qui détournent les rations et les soldes des militaires au front. »
Une vingtaine d’officiers sont poursuivis par la justice militaire, qui les accuse d’avoir détourné des fonds destinés à l’état de siège. Le gouvernement congolais a décaissé plusieurs dizaines de millions de dollars pour des opérations dans les deux provinces, selon un haut gradé.
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Il n’y a guère qu’à Goma, où le banditisme urbain est le quotidien des habitants, qu’on est satisfait : « Depuis l’instauration de l’état de siège, il y a moins de tueries, moins de cambriolages et on n’entend plus des coups de feu chaque nuit », déclare Hussein Ally Compani, chauffeur de taxi-moto dans le chef-lieu du Nord-Kivu. Augustin Kapila, cadre de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, au pouvoir) à Goma, estime également que « l’armée fait un bon travail ». « Il y a des groupes neutralisés et d’autres se rendent. Nous encourageons aujourd’hui l’armée à continuer dans ce sens », se réjouit-il.
Le Monde avec AFP