Si les violences sexuelles sont commises depuis toujours en temps de guerre, leur utilisation comme véritable arme de guerre, est quant à elle, beaucoup plus récente à l’échelle de l’Histoire. L’Est de la République Démocratique du Congo (RDC), notamment au Nord-Kivu et Sud-Kivu, en est le théâtre à ciel ouvert. Pour rappel, la région des Grands Lacs est en guerre depuis 1996, et implique la RDC, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda ; la situation est tellement critique qu’elle est qualifiée par certains de « Guerre Mondiale Africaine ».
Ce conflit généralisé est la conséquence de facteurs multiples et entremêlés, il s’agit entre autres de la fin du génocide rwandais en 1994 et du renversement en 1997 de l’ancien Président zaïrois (ancien nom de la RDC).
Ce chaos subi par la population profite à ceux qui souhaitent extraire librement les richesses de ce territoire telles que les diamants et métaux précieux à l’instar de l’or et du cobalt. Mais cette situation est également profitable aux combattants qui utilisent impunément l’arsenal très efficace des violences sexuelles. Ces violences sont perpétrées principalement à l’encontre des femmes, mais touchent également les fillettes, bébés et jeunes hommes. La technique ne se limite pas au viol mais vise véritablement à détruire les esprits et les corps par diverses mutilations. Le but poursuivi est essentiellement de dominer, de faire fuir, voire de détruire des populations civiles.
La RDC fait l’objet d’une opération de maintien de la paix par l’ONU depuis la Résolution 1279 du Conseil de Sécurité de 1999 qui avait mis en place la MONUC (Mission de l’Organisation des Nations-Unies en RDC), devenue MONUSCO (Mission de l’Organisation des Nations-Unies pour la Stabilisation en RDC) avec la Résolution 1925 en 2010. Les casques bleus sont alors déployés dans cette région, leur mandat a été reconduit par la Résolution 2556 du Conseil de Sécurité en date du 18 décembre 2020.
Alors que la situation dure depuis plus d’un quart de siècle, peut-on espérer une amélioration en faveur des victimes ?
Dans cette perspective, l’action la plus notable est celle du Dr. Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018 et surnommé « l’homme qui répare les femmes ». Il a créé un modèle holistique de réparation de la femme, grâce à sa Fondation Panzi créée en 2008 ; s’articule autour d’elle notamment la Chaire Mukwege. En plus du volet médical, psychologique et social, les personnes engagées dans ce combat apportent un accompagnement juridique aux victimes directement sur le terrain.
Sur ce dernier point, il convient de rappeler que les violences sexuelles sont prohibées en droit international. Pire, elles constituent un crime contre l’humanité lorsqu’elles sont commises dans un contexte d’une « attaque généralisée ou systématique » envers la population civile. En effet, l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ratifiée le 11 avril 2002 par la RDC, liste les actes constitutifs d’un tel crime : l’alinéa g) dudit article dispose que « viol esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable » en font partie.
Si le contexte en RDC est celui de l’impunité à ce sujet, les choses semblent évoluer. Dernièrement, un procès s’est tenu en audience foraine du Tribunal militaire de garnison de Bukavu (Sud-Kivu) à l’encontre de l’adjoint commandant et d’un milicien du groupe Hamakombo le 28 septembre 2020. Ils ont été poursuivis du fait d’attaques répétées sur le village de Kambele entre 2016 et 2019. Plusieurs chefs d’inculpations ont été retenus contre eux, dont la commission de viols et d’esclavage sexuel. Le jugement a été rendu le 6 octobre 2020. Reconnus coupables de crime contre l’humanité, ils ont écopé d’une peine de vingt ans de prison en sus du paiement de dommages et intérêts à l’égard des quarante-deux victimes à hauteur de 180 000 USD. À la responsabilité personnelle des deux prévenus s’ajoute l’identification par le Tribunal militaire de la responsabilité de l’Etat congolais. Ce dernier a failli à son obligation positive, qui consiste à protéger la population civile. Même si l’on peut déplorer le fait que le commandant n’ait pas été inquiété, et qu’il ne s’agisse pas d’un procès pénal mené devant une juridiction ordinaire, ce procès demeure satisfaisant à plusieurs égards. D’une part, il démontre la possibilité (pour les autorités militaires du moins), d’entendre les victimes et de mener une enquête effective en retrouvant et jugeant les coupables. Le procès de Kavumu l’avait déjà montré. D’autre part, en reconnaissant la responsabilité étatique, il ouvre une voie de recours aux victimes, recréant petit à petit le lien de confiance entre la justice et la population et permettant aux victimes de se voir accorder des réparations. À noter que ce jugement a été le fruit du travail entre les juridictions militaires et plusieurs ONG qui œuvrent en faveur de la justice pénale au Kivu, dont Trial International.
Peut-on raisonnablement espérer la multiplication de tels jugements ? Voire croire au développement d’une véritable justice pénale « civile » réprimant l’utilisation de violences sexuelles comme arme de guerre ? On voudrait y croire.
Par Kenza TOUMI, étudiante en Master 2 Droit International et Européen à la Faculté de Droit, d’Economie, et de Gestion, Université d’Angers (LIGHTHOUSEUA)