Le président Félix Tshisekedi a dénoncé des pratiques mafieuses et des « magouilles » au sein de l’armée nationale. Cette sortie suscite beaucoup de réactions.
En séjour à Bunia, dans la province de l’Ituri, le président Félix Tshisekedi a dénoncé des pratiques mafieuses et des « magouilles » au sein de l’armée congolaise. Cette déclaration est perçue comme un aveu d’impuissance du président alors que la situation dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri continue malgré tout d’inquiéter les populations. À qui fait-il exactement allusion dans sa dénonciation et que peut ou devrait-il entreprendre ? La réponse (à lire ci-dessous) de Jean-Jacques Wondo, spécialiste des questions de défense et sécurité.
DW : Monsieur Jean-Jacques Wondo, bonjour, pourquoi le président Tshisekedi parle-t-il de magouilles dans l’armée ?
Jean-Jacques Wondo : Je pense que ces propos ont été assez clairs. En disant cela il visait la situation qui prévaut au niveau de l’armée dans les zones où se mènent les opérations militaires. Il est arrivé au constat que les effectifs qui lui sont communiqués ne correspondent pas à la réalité qu’il a trouvée sur le terrain. Il a constaté qu’il y avait aussi des cas, des détournements d’argent et d’autres matériels destinés aux militaires qui sont en opération.
DW : Quand il parle de pratiques mafieuses au sein de l’armée. Qui vise-t-il exactement ?
Jean-Jacques Wondo : Quand il dit ça, il vise d’abord les responsables militaires qui sont sur le terrain qui sont au niveau de la planification des opérations. Je pense que ce sont d’abord les responsables au niveau de la gestion de l’armée dans cette zone qui sont les premiers concernés. Mais aussi, on peut remonter jusqu’au niveau de la planification des opérations au sein de l’état-major.
DW : Le chef de l’Etat critique des magouilles au sein de l’armée, alors que c’est lui le commandant suprême. Est-ce un aveu d’impuissance ?
Jean-Jacques Wondo : Il a eu le courage de dénoncer, mais qu’il comprenne ces choses qui paraissaient pratiquement évidentes pour tout le monde quelque temps après … est-ce que cela relève d’un discours politique pour se décharger de sa responsabilité de commandant suprême des armées ?
DW : Monsieur Jean-Jacques Wondo, que doit faire le président Tshisekedi pour entamer des réformes au sein de l’armée ?
Jean-Jacques Wondo : Ce qu’il doit faire, c’est d’abord être mieux informé de la situation sur le terrain et la réforme de l’armée consiste d’abord à voter, par exemple, une loi qu’on appelle la loi de programmation militaire, qui permet à ce que le Parlement lève un budget conséquent qui permette la modernisation de l’armée. L’autre chose, c’est continuer à former l’armée de manière qualitative. Il faut par exemple recenser les militaires qui sont sur le terrain. Il faut réformer au niveau du commandement. Il faut aussi restructurer les troupes qui sont sur le terrain, qui sont déployées. La plupart des troupes sont là depuis des années et aussi travailler au niveau de la réforme des services de renseignement. Que ce soient les renseignements militaires ou les renseignements civils, sans aussi oublier les aspects d’ordre diplomatique qui doivent être menés au niveau de la région.
DW : Est-ce que l’état de siège dans deux provinces de l’est, prorogé deux fois déjà, peut ramener la sécurité au Kivu et en Ituri ?
Jean-Jacques Wondo : Oui, il faut des préalables, sans une réforme réaliste et concrète de l’armée ou des services de sécurité, je pense que l’état de siège risque d’être juste un vœu pieux.
Les cinq mesures que Félix Tshisekedi devrait prendre, selon l’expert Jean-Jacques Wondo
1.Volonté politique
Qu’est ce qu’il doit faire ? D’abord, être mieux informé de la situation sur le terrain. La réforme de l’armée, c’est une action qui doit être dynamique, une action qui doit matérialiser sa volonté politique, sa détermination, comme il l’a dit, de faire changer les choses, mais cela ne doit pas se limiter en termes de discours.
2. Moyens financiers & matériels
La réforme de l’armée consiste d’abord à voter, par exemple, une loi qu’on appelle la loi de programmation militaire. C’est une loi pluri-annuelle qui permet à ce que le Parlement lève un budget conséquent qui permette la modernisation de l’armée en termes d’équipement, mais aussi en termes de prise en charge du personnel militaire qui se bat, qui sacrifie sa vie pour défendre l’intégrité territoriale.
3. Bonne administration
L’autre chose, c’est continuer à former l’armée de manière qualitative. Il faut par exemple recenser les militaires qui sont sur le terrain. Les derniers recensements datent, si j’ai bonne mémoire, de 2013, qui ont permis de voir qu’il y avait des dysfonctionnements.
4. Vision globale
Il faut réformer au niveau du commandement. Il faut aussi restructurer les troupes qui sont sur terrain, qui sont déployées. La plupart des troupes sont là depuis des années, non relayées, non reconditionnées. C’est et tout un travail global dans une vision globale d’un plan stratégique de la sécurité et de la défense qui doit être mis en place concomitamment aussi avec les actions de police pour pouvoir faire en sorte que les éléments qui y soient déployés soient à même d’éradiquer la menace qui est là et aussi de travailler au niveau de la réforme des services de renseignement. Que ce soient les renseignements militaires ou les renseignements civils au niveau de l’ANR (Agence nationale des renseignements), mais aussi au niveau des services qui sont déployés aux frontières parce que nous savons que la crise au Congo, je le dis souvent, ce n’est pas une crise qui a des causes endogènes, mais il y a aussi des causes exogènes, et cela nécessite que des mesures soient prises à plusieurs échelons.
5. Diplomatie
Au-delà de l’aspect militaire, qu’on poursuive aussi toutes les actions qui sont liées au désarmement, démobilisation et réinsertion communautaire des groupes armés, donc c’est tout ce package-là dont il faut tenir compte, sans oublier aussi les aspects d’ordre diplomatique qui doivent être menées au niveau de la région.Saleh Mwanamilongo.
Par DW/Afrique