C’est une transaction qui suscite beaucoup de commentaires dans les milieux d’affaires en République démocratique du Congo : la vente du terrain dit du parking du Grand Hôtel de Kinshasa, qui appartient pour moitié à l’État congolais.
Ce terrain de plus de 22 000 m2 avait été mis en vente pour la première fois en 2014. Il a finalement été cédé il y a quelques semaines à Modern Construction, la société de l’homme d’affaires indien Harish Jagtani à l’origine de plus d’une vingtaine de projets immobiliers de luxe dans la capitale. Plus de 22 000 mètres carrés pour 18 millions de dollars, une très bonne affaire pour un terrain parmi les mieux situés de Kinshasa. Comment la société des Grands Hôtels du Congo explique un prix aussi bas !
Pour un administrateur des Grands Hôtels du Congo, ce prix est le meilleur que l’État congolais et son partenaire privé African Equities (holding financière basée au Luxembourg dirigé par l’homme d’affaires belge Philippe de Moerloose, NDLR) puissent espérer. On parle de 22 124 mètres carrés enregistrés au cadastre en mars 2020. L’espace clôturé mesure un peu plus sur des photos satellites d’avril 2019 (22 352 m2), selon le calcul de RFI. Donc 18 millions, cela fait à peine un peu plus de 800 dollars du mètre carré quand les terrains sont censés se vendre à bien plus de 1 000 dollars à la Gombe.
Pour cet administrateur, c’est faute d’acheteurs pourtant « activement recherchés » depuis six ans pour tout ou partie du terrain au prix du marché, malgré le boom de l’immobilier de luxe dans la capitale. Il présente une plaquette qui aurait été distribuée « à 150 exemplaires et jusqu’aux organisations internationales comme la Banque mondiale et l’Unicef ». Cette plaquette parle, elle, une surface de 22 452,82 m2.
Dans les milieux d’affaires et politiques à Kinshasa, on se souvient d’un seul véritable appel d’offres. C’était en 2014. Jusqu’à une dizaine de parcelles étaient proposées sur ce terrain. Et on évoque aussi un blocage politique qui aurait empêché finalement leur mise en vente. Cinq ans plus tard, en tout cas, pas de blocage et un acheteur : l’homme d’affaires indien Harish Jagtani et sa société Modern Construction représentée par le cabinet d’Alexis Thambwe Mwamba. Le président du Sénat s’est toujours refusé à commenté l’information.
L’État qui a son mot à dire comme actionnaire, a bien donné son accord. Selon un document obtenu par RFI, le ministre du Portefeuille, issu de la coalition pro-Kabila, a donné son accord le 20 décembre 2019 à la vente ce terrain à ce prix pour, précise-t-il dans sa correspondance, financer la rénovation de l’une des deux bâtiments du Grand Hôtel de Kinshasa. Ce document ne précise pas le nom du bénéficiaire de la transaction ni la procédure employée pour la mise en vente, avec ou sans appel d’offres. Le ministre Clément Kwete évoque la mise en place d’une commission mixte « pour évaluer les investissements antérieurs et leur rentabilité ». On ne connait pas les résultats des travaux de cette commission, mais l’administrateur des Grands Hôtels confirme cet audit. RFI a essayé d’interroger le ministre sur le prix payé par la parcelle, mais il n’a pas donné suite à nos questions.
Partenariat avec le groupe Accor
Derrière la vente de ce terrain, il y a une nécessité, celle de remplir les clauses du partenariat signé en 2014 avec le groupe Accor et sa marque Pullman. La société des Grands Hôtels devait rénover les deux bâtiments de Kinshasa pour les mettre aux standards de la marque Pullman et ça coute cher. Le premier bâtiment avait été partiellement payé en hypothéquant déjà ce terrain. Donc de la vente de ce bien exceptionnel, les Grands Hôtels ne vont finalement tirer que 7 millions. La société a dû rembourser un prêt de 11,5 millions sur les 28 qu’a officiellement coûté le projet rénovation du premier bâtiment réalisée par l’un des leaders du secteur, l’entreprise italienne Consonni.
Ce montant est annoncé le 8 octobre 2014, Joseph Kabila en personne participe à l’inauguration en grande pompe du désormais Pullman de Kinshasa. Pourtant en 2010, les offres les plus sérieuses pour réaliser cette rénovation tournent autour de 15 millions de dollars. En quatre ans, Le montant de ces travaux va presque doubler. En cause, officiellement, des avenants au contrat pour la réhabilitation des climatisations, des chaudières, d’un centrale électrique, le coût de fret aérien et des taxes. Interrogé par RFI, l’administrateur des Grands Hôtels s’est refusé à commenter la gestion d’une précédente direction.
Mais pour le deuxième qui a plus de chambres encore et une galerie marchande, la direction des grands hôtels assure pouvoir réaliser la rénovation grâce à un prêt du Fonds de promotion de l’industrie, avec la même qualité et pour 12 millions seulement, presque deux fois moins du prix estimé en 2014. Là encore, cette affirmation étonne dans les milieux d’affaires. L’entreprise Consonni l’estimait, elle, à l’époque à 18 à 24 millions de dollars, mais ça dépend bien sûr du cahier des charges. Mais pour l’administrateur des Grands Hôtels, ce serait parce que les prix à l’époque avaient été « surévalués ».
Quant à Harish Jagtani, interrogé sur les conditions de vente de ce terrain,il avait assuré à RFI il y a quelques semaines, qu’il allait l’utiliser pour ouvrir un centre d’accueil de patients du Covid-19 et a promis qu’il serait entièrement gratuit.
Par Sonia Rolley