Capt Gabriel MUKUNDA SIMBWA
Expert Maritime
Par transport fluvial et lacustre, on entend le transport des marchandises et des personnes par voie fluviale (le fleuve Congo et ses affluents) et aussi à travers les lacs.
Le fleuve CONGO est le deuxième plus long fleuve d’Afrique, juste après le Nil. Il est long de 4 700 Km et trouve sa source au plateau de Katanga (au village de MUSOFI au Sud Katanga). Il se jette dans l’océan Atlantique. Avec ses affluents le Kasai et l’Oubangui, il rend accessible aux bateaux presque toutes les provinces de la RDC. Ce qui est un atout majeur dans le transport multimodal. Le fleuve ou la rivière peut être utilisé pour l’acheminement des marchandises la où les routes font défaut.
Le fleuve Congo passe par 2 grandes capitales, KINSHASA et BRAZAVILLE, avant d’aller se jeter dans la mer. En aval de KINSHASA, se trouve MATADI accessible aux navires de haute mer par le bief maritime du fleuve Congo. Entre KINSHASA et MATADI, la navigation fluviale n’est pas possible à cause de la présence des chutes et rapides importantes dont, d’ailleurs, on a pu tirer profit en construisant le barrage hydroélectrique d’Inga. A hauteur d’Inga, le fleuve s’abaisse de 102 m en 15 Km !
Le fleuve Congo a un régime régulier suite à l’étalement de ses affluents aussi bien en hémisphère Nord que Sud. Quand il pleut au Nord, c’est la saison sèche au Sud et vice versa. Son débit est le plus important d’Afrique. Il est de 41 000 m3/s.
Le fleuve Congo et ses affluents forment un vaste réseau de 25 000 Km de voies navigables. Il a comme bassin 3,75 millions de km2 qui englobe des territoires de 3 pays : la RDC, le Congo et la République Centrafricaine (RCA).
La ville de Bangui, la capitale de la RCA, est située sur l’Oubangui. On comprend dès lors l’importance du fleuve Congo dans le trafic fluvial entre les trois pays : RD CONGO, CONGO et RCA.
Pour l’économie du pays, un tel axe est vital. S’il était bien exploité, il constituerait l’épine dorsale du trafic intérieur des marchandises.
Une pêche active, qui malheureusement est restée au stade artisanal, est pratiquée sur le fleuve Congo.
Parmi ses importants affluents, on peut citer le Kasai, l’Oubangui (en pleine hémisphère Nord et 2 300 Km de long), la Sangha (rivière de 790 Km qui traverse le Cameroun et la RCA avant de se jeter sur le fleuve Congo) et la Lukuga qui trouve sa source aux Monts-Mitumba près de Kamina et qui, en fait, peut être considéré comme l’exutoire du lac TANGANYIKA.
Le Kasai reste l’affluent le plus important. Il est totalement dans l’hémisphère Sud. Il a un débit de 12 000 m3/s et est long de 2 000 Km. Il trouve sa source dans les marrais et les lacs de Katanga, coule vers Ilebo et continue pour se jeter dans le fleuve Congo.
Le Kasai a comme affluents le Kwango, le Sankuru, la Lulua, la Fimi et le Kwilu. La rivière Mushie déverse aussi dans le Kasai ses eaux noirâtres venant du lac MAI NDOMBE.
Les potentialités pour l’organisation d’une bonne pêche fluviale et lacustre sont simplement inimaginables ! Seule la bonne volonté compte pour y arriver…
En dehors du réseau fluvial, il y a lieu de noter aussi l’importance du réseau lacustre dans le trafic intérieur de la RDC.
Sur le lac TANGANYIKA, une dense navigation lacustre est pratiquée entre les ports de KALEMIE en RD Congo, KIGOMA en Tanzanie et BUJUMBURA au Burundi. Les potentialités en pêche sont énormes mais sous-exploitées.
Le réseau lacustre du lac TANGANIKA représente 1 425 Km. Il relie la RDC à la Zambie, la Tanzanie et au Burundi.
Le lac KIVU, à cheval entre la RD Congo et le Rwanda, a aussi une activité intense surtout entre les villes de GOMA et de BUKAVU du côté de la RDC (106 Km). De l’autre côté du lac, GISENYI au Rwanda est aussi très actif. En dehors des potentialités en pêche lacustre, le lac KIVU a aussi un fort potentiel en gaz naturel jusque là, inexploité du côté Congolais. Du coté Rwandais nous notons l’exploitation en cours du méthane dilué du lac Kivu, à partir duquel l’électricité est produite à travers une centrale à gaz. Ce projet a été réalisé par la compagnie Américaine ContourGlobal.
Citons aussi les lacs MOBUTU (ex-Albert) et IDI AMIN (ex-Edouard), à cheval entre la RD CONGO et l’OUGANDA, où la navigation lacustre n’est pas aussi bien structurée que dans les autres lacs mais qui, comme les autres, constituent une bonne réserve en poissons qui ne demandent qu’à être pêchés.
Le lac MAI NDOMBE au Bandundu, avec sa grande ville d’Inongo, ainsi que le lac MOERO, entre la RD CONGO et la ZAMBIE, restent aussi importants en ce qui concerne les potentialités en pêche.
Le transport fluvial et lacustre devrait, comme ci haut mentionné, jouer un rôle prépondérant dans le multimodalisme en RDC. Le fleuve et les rivières devraient être le prolongement des routes afin de couvrir tout le territoire national s’ils étaient mieux aménagés.
Mais pour y arriver, il faut être à mesure d’organiser une navigation efficiente sur le fleuve et les rivières.
En parlant de la navigation efficiente, on sous entend d’abord l’équipement des ports fluviaux et l’état de la flotte et aussi la réglementation de cette navigation.
Le code de la navigation intérieure CEMAC/RDC est conjointement appliqué en RDC et dans les pays de CEMAC (Cameroun, RCA, Congo-Brazza, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad). Le code a été très bien conçu et le suivi de l’application de ses articles peut largement contribuer à améliorer la navigation sur le fleuve Congo et ses affluents.
Pour mieux se représenter la grandeur du bassin du fleuve Congo et son impact économique sur les pays dont les territoires font partie de ce bassin, examinons d’abord le grand bassin formé par le fleuve Congo et ses affluents Oubangui et Sangha.
La Commission Internationale du bassin Congo-Oubangui-Sangha ou CICOS regroupe les gouvernements de la RD CONGO, du CONGO, du CAMEROUN et de la RCA. Il a son siège à KINSHASA.
Le bassin Congo-Oubangui-Sangha se trouve au centre de l’Afrique et est formé d’une vaste zone de forêt dense et humide ayant un important réseau hydrographique. Il y a donc là un premier intérêt : l’intérêt écologique et environnemental pour la régulation de l’écosystème, non pas seulement Africain, mais mondial.
Au vu de sa position géostratégique, ce bassin pourrait être le fer de lance d’une intense activité multimodale pour toute l’Afrique. En effet, ses 3 importants terminaux peuvent facilement être connectés au réseau routier du continent :
-Le terminal CICOS de Bangui sert de connexion avec l’axe Bangui-Douala et la route Bangui-Ndjamena ;
-Le terminal CICOS de Kinshasa relie CICOS à la partie orientale de l’Afrique à travers Kisangani et la route allant jusqu’à Mombasa ;
-Le terminal d’Ilebo assurant d’une part l’interconnexion entre les pays de CICOS et d’autre part une connexion avec divers axes routiers à travers les corridors des pays de CICOS.
Nous avons déjà dit que le réseau navigable du fleuve Congo et de ses affluents est de 25 000 Km à l’état naturel. Mais ce réseau nécessite l’entretien et l’aménagement.
Il y a eu des accords tripartites entre la RDC, le Congo et la RCA concernant les modalités de cet entretien.
En nous référant aux publications de CICOS, plusieurs difficultés handicapent l’entretien et l’aménagement du réseau navigable du fleuve Congo et ses affluents (extraits du site web de CICOS) :
• L’inadéquation entre les moyens mis à disposition des services d’entretien et l’ampleur des travaux à exécuter ;
• Vétusté et insuffisance des unités de servitude (dragues, baliseurs, vedettes hydrographiques) ;
• Insuffisance de dragage ou de balisage ;
• Ensablement des ports au niveau du Pool Malebo (Kinshasa et Brazzaville) ;
• Diminution des plans d’eau sur l’Oubangui (actuellement 8 mois de navigation sur 12) ;
• Présence du seuil rocher de Zinga à 60 Km en aval du port de Bangui.
• L’exploitation des unités est assurée sans respect des normes de sécurité ;
• Le personnel navigant est vieillissant et sous qualifié ;
• L’unique centre de formation dans la sous-région a fermé depuis plus de dix ans ;
• Un projet de formation de Capitaines, avec l’appui de la coopération française est en cours d’exécution ;
• Aucun système de communication n’est organisé entre les bateaux et les administratifs à terre (Avis aux navigateurs, assistance, sauvetage, …).
Cet état des lieux du réseau navigable du fleuve Congo et de ses affluents donne une idée claire du plan d’actions à élaborer afin de faire jouer au fleuve Congo le rôle du moteur de développement économique, non seulement pour la RDC mais pour tous les pays de CICOS càd du bassin Congo-Oubangui-Sangha.
Mais quid de la flotte sur le fleuve Congo et ses affluents?
En se basant sur une étude de CICOS, le bassin du fleuve Congo et ses affluents dispose d’une flotte estimée à 10 000 unités appartenant en majorité au secteur privé. Mais la CICOS ne dispose à ce jour que des données relatives à 4 125 unités.
Toute cette flotte sert au transport des marchandises. Les grumes, les hydrocarbures, le bétail sur pieds et les produits agricoles sont majoritairement transportés.
On comprend dès lors l’ampleur de travail devant être fait quant à l’immatriculation de toutes ces unités auprès des autorités fluviales des pays de la CICOS, dont la RDC. Avec l’immatriculation, on disposera des données sur l’unité permettant de suivre son état de navigabilité.
Quid de l’état de nos ports fluviaux ? Qui sont les différents intervenants ? Quels sont les problèmes en cours et quelles en sont les possibles solutions ? Qui construit ces unités sur le fleuve ?
C’est sur tous ces points que notre article va se pencher dans les lignes qui suivent…
1. Le Code de la Navigation Intérieure CEMAC / RDC
Le code commun à la CEMAC et à la RDC a été adopté le 17/12/1999. Il constitue en fait un règlement de navigation intérieure applicable à tous les bâtiments et menues embarcations immatriculés en RDC et dans l’un des pays de CEMAC. Il s’étend aussi aux passagers et aux marchandises embarqués sur ces bâtiments et menues embarcations.
La grande difficulté pour ce code est sa méconnaissance par ceux-là même qui sont censés l’appliquer : les Capitaines des bateaux du fait qu’ils ne sont plus formés dans des centres spécialisés depuis plus de 10 ans, les autorités des ports fluviaux et mêmes les officiels comme les Commissaires fluviaux qui devraient garantir l’application du code.
Il y a donc lieu d’assurer une large diffusion du code auprès des utilisateurs de nos voies intérieures en relançant d’abord la formation et le recyclage des Capitaines des bâtiments de navigation intérieure et ensuite en sélectionnant les autorités fluviales parmi ceux qui maîtrisent le code.
2. Les Armateurs Fluviaux : ONATRA/SCTP et les privés
L’ONATRA/SCTP est une société d’Etat basée à KINSHASA et opérant essentiellement dans l’Ouest et le Nord de la RDC. Il s’occupe principalement du transport fluvial, de l’exploitation ferroviaire et portuaire.
Les chantiers CHANIMETAL, ONATRA et RVF assurent du côté RD Congolais les travaux de carénage des bateaux de la navigation intérieure. Il y a aussi du côté RCA le chantier naval de la société SOCATRAF (Société Centrafricaine des Transports Fluviaux) qui est très active dans le trafic BANGUI-KINSHASA-BRAZZA-BANGUI.
Force est de constater que pour tous ces chantiers, l’équipement et l’outillage sont très vétustes. Les consommables et les pièces de rechange coûtent excessivement chers à ces chantiers, handicapant ainsi leur bon fonctionnement. Le rendement est donc très faible.
En dehors de l’ONATRA/SCTP, il y a aussi des privés qui assurent le transport fluvial dans nos voies navigables. Malheureusement, ces privés utilisent pour la plupart des bateaux de fortune construits dans des chantiers de « coin de rue » en dehors des normes de sécurité. Il y en a même qui construisent des menues embarcations de fortune en bois doté d’un moteur, communément appelées « baleinières », qu’ils exploitent.
Cette exploitation à la jungle des unités sur nos voies navigables mérite une attention plus soutenue des pouvoirs publics afin de garantir l’ordre et la sécurité des biens et des personnes.
3. Difficultés en cours
Toutes les difficultés soulevées dans l’état des lieux mis en exergue précédemment restent d’actualité.
Ajoutons- y tout de même quelques autres difficultés spécifiques aux unités elles-mêmes :
-Vétusté de la flotte considérée comme « cercueils flottants » ;
-Acquisition difficile des nouvelles unités ;
-Mauvaise gestion des armements ;
-Le personnel navigant n’est plus formé.
-Exploitation rendue difficile à cause de la perception de diverses taxes, illégales pour la plupart, tout au long de la navigation fluviale.
4. Approche des solutions
-Inciter les privés (les nationaux surtout) à devenir des armateurs fluviaux et à investir dans des chantiers navals à même de construire des bateaux répondant aux normes de construction que le gouvernement doit définir à travers des bureaux d’expertises maritimes et fluviales agréés.
-Assainissement du secteur par la suppression de l’insécurité sur le fleuve et du désordre créé par la perception des taxes illégales dans nos ports fluviaux.
-Recycler les anciens navigants et former les nouveaux dans des centres appropriés comme le nouveau centre sous-régional CRFNI (Centre Régional de Formation en Navigation Intérieure), récemment ouvert à Kinshasa dans les anciennes installations de l’Ecole de Navigation de l’Onatra à Kauka.
-Faire agréer des bureaux d’Expertises maritimes, fluviales et lacustres dirigés par des véritables experts et devant jouer le rôle des sociétés de classification en vue de s’assurer que les bateaux en navigation et en construction répondent aux normes de sécurité. Chaque bureau doit s’adjoindre les services à temps plein d’un Ingénieur en construction navale pour le suivi de la construction des bateaux dans différents chantiers navals. Les Ingénieurs des chantiers seront donc contrôlés par les Ingénieurs des bureaux d’expertises pour le respect des normes. Il ne faut pas utiliser une tôle de 15 mm d’épaisseur là où les normes de sécurité exigent par exemple 17 mm !
Ces sociétés de classification ou bureaux d’expertises doivent aussi s’occuper du jaugeage des bateaux et du marquage des lignes de charge pour éviter la surcharge des bateaux. Ainsi le « port en lourd » pour chaque bateau (la charge maximum qu’il peut prendre) devra être connu en avance et la ligne de charge correspondante devra être bien visible sur la coque.
-Renouveler l’équipement de nos ports fluviaux et stimuler la concurrence entre eux via la privatisation et la création des ports « autonomes ». Ainsi on devrait se pencher vers la création de « port autonome de Kinshasa », « port autonome d’Ilebo », « port autonome de Kalemie », etc…
-La RVF devrait être dotée des moyens adéquats pour bien assurer sa mission : le dragage et l’entretien des passes de navigation, le curage de rivage des ports fluviaux, le balisage et le sondage des voies de navigation intérieure ainsi que les relèves hydrographiques afin d’étudier les écosystèmes fluviaux et terrestres.
La tache n’est pas facile et n’est pas non plus impossible. Il y a lieu de commencer. Ainsi pour l’économie de la RD Congo, la navigation intérieure redeviendrait vitale au vu de son importance dans le transport multimodal des marchandises.
Capt Gabriel MUKUNDA SIMBWA
Expert Maritime et Consultant
Tema/GHANAl (Assomar.org)