Analyste politique, essayiste et romancier, Gaspard-Hubert Lonsi Koko vient de publier un essai intitulé Le Congo déstabilisé, pillé, martyrisé… chez l’Atelier de l’Égrégore. Un véritable brûlot qui évoque notamment les conséquences de la dramatique situation en cours à l’Est de la République Démocratique du Congo.
Œil d’Afrique : Pourquoi le choix d’un tel titre ?
Gaspard-Hubert Lonsi Koko : Cet intitulé reflète ce qui se passe réellement dans la partie orientale de la République Démocratique. Compte tenu du désintérêt de la communauté internationale, pourtant très intéressée par les ressources congolaises comme le coltan indispensable à la fabrication des téléphones portables, il est du devoir d’un fils du Congo de rompre ce silence volontaire qui s’apparente à la déconsidération humaine.
Devrai-je rester insensible lorsque le corps féminin, qu’il soit africain ou non, est honteusement chosifié, utilisé comme armes de guerre, ou livré inhumainement en spectacle ? Devrai-je me taire quand des millions de personnes sont assassinées du simple fait d’être nées congolaises ? Devrai-je me résigner lorsque des pays limitrophes font sans vergogne main basse sur les richesses du Congo pour le bonheur de quelques individus et de leurs commanditaires non africains ?
Y a-t-il une coïncidence entre la publication de ce livre et les récents propos du président Kagamé sur l’inexistence de crimes à l’Est de la RDC ?
Ce n’est pas la première fois que je consacre un ouvrage sur la situation dans le Kivu et en Ituri. J’ai déjà entrepris une telle démarche en 2019 avec le livre intitulé Mais quelle crédibilité pour les Nations Unies au Kivu ? Je n’ai donc pas attendu les déclarations négationnistes du président rwandais pour m’insurger haut et fort contre l’implication avérée des pays étrangers dans des conflits armés dans la partie orientale du Congo-Kinshasa où, sans aucune impunité, les corps, les organes génitaux et reproducteurs des femmes sont devenus des objets de satisfaction sadique de certains hommes. Si le président rwandais est cyniquement indifférent aux crimes de guerre et crimes contre l’Humanité perpétrés dans la région du Kivu et en Ituri, les populations congolaises aspirent à la sécurité et à la paix, à la dignité et au respect, à la santé et au bonheur.
Paul Kagamé a préféré contester les conclusions du rapport Mapping sur le génocide, voire le bantoucide, commis dans le territoire congolais, anciennement zaïrois, entre mars 1993 et juin 2003 par les troupes rwandaises. C’est son droit. De toute évidence, dans la région des Grands Lacs africains, les victimes sont à l’Ouest tandis que les bourreaux et les négationnistes à l’Est. Il revient donc au gouvernement et au peuple congolais d’initier des mécanismes idoines.
À quoi pensez-vous, comme mécanisme ? Un tribunal pénal pour la République Démocratique du Congo ?
Entre autres. J’ai toujours soutenu une telle démarche. On ne pourra pas faire abstraction au recours à une justice transitionnelle en vue de la clarification des violations massives et/ou systématiques des droits de l’Homme, ainsi que des crimes les plus abominables et les plus graves, ayant eu lieu dans l’Est du Congo depuis une vingtaine d’années. Certains crimes étant antérieurs à la mise en place de la Cour pénale internationale, il faudra rendre plus inclusives les normes et les valeurs d’une civilisation pour les rendre davantage inclusives.
La justice transitionnelle peut ainsi permettre, en tant que justice « reconstructive », à la République Démocratique du Congo de sortir du cycle de violence. Le droit doit être dit comme cela se doit, en vue de la condamnation des auteurs d’actes criminels, de l’indemnisation des victimes et de l’accompagnement d’un tel mécanisme dans un cadre légal.
Certains ont reproché au président Félix Tshisekedi la prudence adoptée par rapport aux déclarations de son homologue rwandais. Qu’en pensez-vous ?
La diplomatie a ses codes et ses règles. Il ne revenait pas au président de la République Démocratique du Congo, qui plus est président en exercice de l’Union africaine, de répondre à partir d’un pays étranger à des déclarations relevant de la falsification ou du négationnisme. La meilleure réponse consisterait à s’appuyer sur le gouvernement et le parlement congolais pour mettre un terme à l’impunité dont continuent de bénéficier les auteurs des crimes de guerre et crimes contre l’Humanité ayant été commis dans l’Est du pays.
Quel message comptez-vous faire passer à travers votre dernier ouvrage ?
S’agissant de la dramatique situation en cours dans la région du Kivu et en Ituri, la subversivité de l’écriture permet à l’auteur de rugir afin de dénoncer la bestialité, l’inhumanité, le pillage des ressources, les violences faites aux femmes et les massacres. Elle lui permet de soulever avec patriotisme la chape de plomb masquant la vérité et s’imposant au détriment de la cohésion nationale et de la présence étatique sur l’ensemble du territoire congolais. Elle lui permet, enfin, de prendre à témoin l’opinion internationale sur les différentes tentatives de déstabilisation de la République Démocratique du Congo.
Propos recueillis par Roger Musandji
Titre : Le Congo déstabilisé, pillé, martyrisé…
Auteur : Gaspard-Hubert Lonsi Koko
Éditeur : L’Atelier de l’Égrégore