
« Détruire est facile. Construire par contre, c’est difficile… ». Jean-Claude Mputu, porte parole de la plate forme » Le Congo n’est pas à vendre » ne cache pas sa déception au lendemain du discours à la nation du président Félix Tshisekedi :
« il a mis fin à l’accord de coalition qu’il avait noué avec le président Kabila et a attribué aux autres tous les échecs de ses deux années à la tête de l’Etat, mais il n’a pas dit un mot pour dénoncer la corruption… ».
Et pour cause : l’humour congolais a déjà qualifié d’ « Union sucrée » la nouvelle coalition officiellement appelée « Union sacrée » qui s’est miraculeusement reformée autour du parti du chef de l’État, dont la coalition CACH (Cap pour le changement) ne comptait initialement que 50 députés . C’est avec 281 voix sur 500 que l’Assemblée nationale a obtenu le renversement de sa présidente Jeanine Mabunda et un député a vendu la mèche, assurant que chaque défection avait été récompensée à hauteur de 15.000 dollars, les premiers chiffres oscillant entre 7000 et 10.000 dollars. Et cela dans un pays où 72% de la population vit sous le seuil de pauvreté et où la crise économique provoquée par le Covid a provoqué la dépréciation du franc congolais qui a perdu 30% de sa valeur.
La chute de la présidente de l’Assemblée a précipité la dislocation du Front commun pour le Congo, la plate forme pro Kabila créée à la veille des élections de 2019 et qui a démontré qu’elle n’était, elle non plus, qu’une alliance de circonstance, cimentée par les intérêts de chacun. Les défections se succèdent donc, qu’il s’agisse de celle de François Rubota qui emmène 23 députés nationaux, un sénateur et deux ministres, de Julien Paluku, ancien gouverneur du Nord Kivu et considéré naguère comme un pilier du système Kabila qui offre à Tshisekedi 10 députés nationaux et 18 députés provinciaux, du parti Les Républicains, fondé par l’ancien président du Sénat Kengo wa Dondo, retiré de la politique actuelle…Tirant les conclusions de la débandade de ses troupes bien désunies, le coordinateur des FCC, souvent jugé très éloigné de la base, Nehémie Mwilanya a présenté sa démission à son « autorité morale » Joseph Kabila, qui s’est aussi séparé de son ex dauphin Shadary Ramazani.
Autrement dit, si le proverbe « malheur aux vaincus » se vérifie cruellement, le vainqueur du jour aurait lui aussi intérêt à se montrer prudent. Ce que Tshisekedi n’a peut-être pas été : dans son discours à la nation, il a attribué à ses partenaires toute la responsabilité de l’échec relatif à concrétiser le changement qu’il avait promis lors de son entrée en fonctions, déclarant « malgré les efforts que j’ai déployés, les sacrifices que j’ai consentis, les humiliations que j’ai tolérées, cela n’a pas suffi à faire fonctionner harmonieusement la coalition. »
Aujourd’hui qu’il semble avoir les mains libres, M. Tshisekedi a encore du pain sur la planche : le premier ministre Ilunkamba, nommé naguère par Kabila, n’a toujours pas démissionné ; il refuse d’admettre la réalité de la crise mais sa présence aux commandes rend difficile la nomination d’un informateur puisque… le poste n‘est pas vacant. En outre, toute la classe politique étant désormais focalisée sur les élections de 2023, les « grands fauves » de l’opposition congolaise, se souvenant du sort réservé à Vital Kamerhe le directeur de cabinet, condamné à vingt ans de prison et gravement malade, ainsi qu’à Kabila l’allié de circonstance, ne feront guère de cadeau à Tshisekedi, l’actuel tenant du titre. Tous préservent déjà leurs propres chances, qu’il s’agisse de Martin Fayulu qui se présente toujours comme le véritable vainqueur des élections précédentes, de Moïse Katumbi qui attend son heure dans son fief de Lubumbashi, de Jean-Pierre Bemba replié dans l’Equateur et dont le nom est cité par le pouvoir actuel… comme informateur, et peut-être plus, si affinités…
Par Colette Braeckman (Le Soir)