Constitution de la RDC
La Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006, en dépit de ses nombreuses monstruosités constatées , comporte de nombreuses incriminations qui confirment la naissance, dans les annales constitutionnelles congolaises, de cette nouvelle branche du droit constitutionnel. Il n’y a pas lieu de crier ni au détrônement du droit pénal classique, ni à l’impérialisme du droit constitutionnel, puisque « Au commencement de tout droit il y a la Constitution » . Et, comme norme fondamentale d’un Etat, la Constitution bénéficie d’un prestige éminent et d’une autorité toute particulière, qui justifient la supériorité de ses prescriptions .
Pour mieux comprendre le crime de haute trahison, il convient de le qualifier juridiquement en en donnant la définition légale et en cherchant à le distinguer d’autres incriminations voisines (I). Ensuite, il convient d’en déterminer le régime juridique en cherchant à identifier les individus susceptibles d’en encourir le reproche et en identifiant la sanction précise qui lui est rattachée (II).
I. Qualification juridique de la Haute trahison
Il n’y a pas de crime, ni de peine qui n’ait été prévu par la loi. C’est l’adage célèbre Nullum crimen, nulla poena, sine lege . Cet adage est traduit en droit pénal congolais par l’article 1er du Code pénal du 30 janvier 1940 (modifié et complété ultérieurement) qui dispose que « Nulle infraction ne peut être punie de peines qui n’étaient pas portées par la loi avant que l’infraction fût commise » . Il est même élevé au rang de norme constitutionnelle, puisque l’article 17 de la Constitution – qui pose à cet égard une règle générale de liberté de la plus haute importance – dispose que « Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit. Nul ne peut être poursuivi pour une action ou une omission qui ne constitue pas une infraction au moment où elle est commise et au moment des poursuites. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constitue pas une infraction à la fois au moment elle est commise et au moment de la condamnation » .
La qualification juridique du crime de haute trahison est fonction des éléments de définition que la loi – en l’occurrence la Constitution – offre au praticien du droit, sans préjudice des autres critères qui le distinguent des incriminations voisines.
A. Définition du crime de haute trahison
La haute trahison est une infraction qui existe en droit constitutionnel congolais depuis la promulgation de la Constitution du 1er août 1964. Il était alors défini comme tout acte contraire à la Constitution par lequel les plus hautes autorités de l’Etat (Président de la République, Premier ministre et membres du Gouvernement) devaient porter atteinte à l’indépendance nationale ou à l’intégrité territoriale, ou par lequel ils devaient se substituer ou tenter de se substituer aux autres organes de la République, ou encore acte par lequel ils devaient s’empêcher ou tenter de s’empêcher mutuellement d’exercer les attributions leur dévolues respectivement par la Constitution .
Aux termes de l’article 165 de la Constitution du 18 février 2006, « il y a haute trahison lorsque le Président de la République a violé intentionnellement la Constitution ou lorsque lui ou le Premier ministre sont reconnus auteurs, co-auteurs ou complices de violations graves et caractérisées des Droits de l’Homme, de cession d’une partie du territoire national » . A cette définition légale il faudra ajouter les cas de haute trahison prévus notamment par les articles 7, 63, alinéa 2, 188 et 190 de la même Constitution. Aux termes du premier article par exemple, « Nul ne peut instituer, sous quelque forme que ce soit, de parti unique sur tout ou partie du territoire national. L’institution d’un parti unique constitue une infraction imprescriptible de haute trahison punie par la loi ». Quant au deuxième article cité, il dispose que « Les Forces armées sont républicaines. Elles sont au service de la Nation toute entière. Nul ne peut, sous peine de haute trahison, les détourner à ses fins propres… » .
De ces définitions constitutionnelles, il résulte que, pour qu’elle soit caractérisée, l’infraction de haute trahison suppose la réunion d’un certain nombre d’éléments constitutifs (1). En plus, la Constitution elle-même prévoit quelques cas dans lesquels l’infraction de haute trahison peut être reprochée (2).
1. Les éléments constitutifs de la haute trahison
Des termes mêmes de la Constitution, il résulte que l’infraction de haute trahison, comme la plupart des incriminations prévues par le Code pénal congolais, suppose la réunion de deux types d’éléments : un élément moral et un élément matériel.
L’élément moral transparaît par exemple lorsque la Constitution dit que le Président de la République viole intentionnellement la Constitution. Dans ce cas, la violation de la Constitution est caractérisée à partir du moment où l’acte du Président de la République est commis de propos délibéré, c’est-à-dire en ayant la conscience du caractère inconstitutionnel de l’acte posé. Cette conception est fondée, non seulement sur le souci de la protection des droits de l’homme, mais aussi sur la logique répressive propre à la discipline du droit pénal. En effet, en droit pénal, il n’y a ni culpabilité personnelle, ni participation criminelle, encore moins de tentative punissable si l’acte infractionnel n’est pas commis de propos délibéré . Il s’ensuit que, sauf les cas de commission d’infractions par imprudence ou par inadvertance -et ces cas sont heureusement limitativement énumérés par la loi pénale-, il n’existe pas d’infractions commises inconsciemment.
L’élément matériel, lui, c’est la caractérisation même de l’acte incriminé, c’est-à-dire la pose de l’acte matériel prohibé par la loi ou par la Constitution. Dans le cas de la haute trahison, c’est par exemple la violation de la Constitution ; c’est par l’exemple la violation d’un droit ou d’une liberté constitutionnellement consacré(e) ; c’est par exemple aussi l’acte de cession de territoire, d’entretien d’une milice ou d’instauration d’un parti unique. A l’opposé de l’élément moral, l’élément matériel, lui, est palpable et presque facilement décelable au moyen des faits et des preuves.
Il en résulte que pour qu’elles soient régulières, les poursuites et les condamnations du chef de l’infraction de haute trahison, comme du chef de toute infraction au droit pénal, ne peuvent être engagées et prononcées que si le magistrat tire de son intime conviction la réalisation concomitante de ces deux catégories d’éléments caractéristiques. Évidemment, en disant cela, on ne met pas assez en cause le risque d’arbitraire qu’il y a dans le chef du magistrat. Mais, tel est l’un des aléas de l’efficacité de la justice humaine. Les magistrats sont des êtres de chair et de cœur comme tout le monde. Ce qui signifie qu’aucune loi au monde ne saura définir avec les précisions d’un satellite une infraction déterminée. C’est la raison pour laquelle, dans le cas de la haute trahison par exemple, la Constitution la définit parfois par des « cas ».
2. Les cas de haute trahison
Si l’article 165 définit, de manière générale, l’infraction de haute trahison, d’autres articles de la Constitution prévoient des cas qui peuvent être assimilés à la haute trahison. C’est le cas par exemple de l’institution d’un parti unique, du détournement des Forces armées, de l’organisation parallèle des Forces militaires ou paramilitaires ou de l’entretien des milices ou d’une jeunesse armée.
Concernant par exemple l’infraction d’institution de parti unique, elle tire son fondement direct de l’interdiction faite par la Constitution, au sein de son article 7 alinéa 1er, d’ « instituer, sous quelque forme que ce soit, de parti unique sur tout ou parti du territoire national ». Évidemment, aucun dirigeant au monde n’avouera qu’il institue ou impose un parti unique à son peuple. La perspicacité du juge ne sera ici que plus grandement sollicitée. Elle servira à dénicher, non seulement dans la loi mais surtout dans les faits, les actes concrets qui, du point de vue constitutionnel, sont constitutifs de ce crime. Ainsi par exemple, la monopolisation de l’espace public par un seul parti politique ou des entraves illégales faites à la liberté ou à l’organisation d’autres partis politiques sont constitutives du crime dénoncé à l’article 7 de la Constitution…La Conférence nationale souveraine ayant dénoncé les affres du M.P.R.-parti-Etat, il n’était que normal que cette incrimination vienne renforcer le régime constitutionnel de répression des crimes les plus odieux dans l’ordre national.
Concernant le détournement des Forces armées de la République, l’infraction de haute trahison est caractérisée à partir du moment où les autorités qui en ont le commandement, au lieu de les utiliser à des fins publiques (p. ex. la défense du territoire national, la participation au développement national… ), les utilisent « à des fins propres ». Évidemment, la Constitution ne définit pas ce qu’elle entend par « fins propres ». Mais, il n’est pas difficile de comprendre qu’il s’agira de tout but visant à défendre des intérêts personnels, corporatifs ou partisans. Ainsi par exemple, lorsqu’une autorité militaire utilise un caporal pour arrêter l’amant de sa femme, sans aucun ordre du magistrat, elle commet l’infraction de détournement des forces armées. Il en est de même de celle qui envoie une expédition militaire pour « corriger » des individus hostiles à son parti, à ses idées ou à ses opinions…
Enfin, le cas de l’organisation parallèle des forces militaires ou para-militaires ou celui de l’entretien d’une milice ou d’une jeunesse armée suppose, de toute évidence, une organisation militaire en dehors du cadre général de l’armée. Il s’agit des cas où une personne, un individu, procède au recrutement, à la formation, à l’entretien et à l’engagement des forces parallèles dont on sait que les personnes et le matériel ne sont pas répertoriés dans le cadre général de l’armée. C’est ce que la Constitution entend par « organisation » des formations militaires, paramilitaires ou autres. Le critère fondamental ici est l’organisation des forces armées ne relevant point du cadre général de l’armée. Ici le magistrat doit prouver, non seulement que la personne reprochée est à la tête d’une telle organisation, mais aussi que les hommes et le matériel à sa disposition ne relèvent pas du cadre général de l’armée.
Il résulte de ces définitions que l’infraction de haute trahison se distingue de certaines autres incriminations qui, faute de discernement, peuvent inutilement créer une confusion, source de toute erreur judiciaire
B. Distinction avec des incriminations voisines ou proches
Du fait de la « communauté » de l’organe de répression, la haute trahison se confond d’abord, erronément, avec d’autres infractions constitutionnelles reprochées à certaines autorités publiques (1). Mais, du fait d’une certaine « homonymie », la haute trahison risque également d’être confondue avec l’infraction de trahison prévue par les articles 181 à 184 du Code pénal (2). Or, dans un cas comme dans un autre, il s’agit d’une simple méprise !
1. La haute trahison et les autres infractions constitutionnelles
La nouvelle Constitution congolaise se particularise par une série d’infractions qui, dans le cadre de la bonne gouvernance ou de la moralisation de la vie publique, frappent essentiellement les dirigeants politiques. Il est ainsi par exemple des infractions écologiques ou de pillage économique définies aux articles 53 à 56 de la Constitution. C’est aussi le cas des infractions constitutionnelles à caractère pénal définies à l’article 165 de la même Constitution.
Aux termes de l’article 55 de la nouvelle Constitution « Le transit, l’importation, le stockage, l’enfouissement, le déversement dans les eaux continentales et les espaces maritimes sous la juridiction nationale, l’épandage dans l’espace aérien des déchets toxiques, polluants, radioactifs ou de tout autre produit dangereux, en provenance ou non de l’étranger, constitue un crime puni par la loi ». Particulièrement nouvelle dans l’arsenal pénal congolais, ce catalogue d’incriminations écologiques, salué comme une avancée significative, fera peut-être de la RDC l’Etat le plus écologique du monde !
Quant à l’article 56 de la Constitution, il punit de pillage économique « Tout acte, toute convention, tout arrangement ou tout autre fait qui a pour conséquence de priver la nation, les personnes physiques ou morales de tout ou partie de leurs propres moyens d’existence tirés de leurs ressources ou de leurs richesses naturelles, sans préjudice des dispositions internationales sur les crimes économiques… ». La RDC parviendra-t-elle, sur cette base, à traduire en justice toutes les personnes citées, tant par le rapport du panel des Nations Unies que dans le rapport de la « Commission LUTUNDULA », du chef de pillage économique de la nation ?
Enfin, il y a les infractions de l’article 165 de la Constitution constituées d’atteinte à l’honneur ou à la probité, de délits d’initié ainsi que d’outrages au parlement. « Il y a atteinte à l’honneur ou à la probité, dit l’alinéa 2 de cet article, notamment lorsque le comportement personnel du Président de la République ou du Premier ministre est contraire aux bonnes mœurs ou qu’ils sont reconnus auteurs, co-auteurs ou complices de malversations, de corruption ou d’enrichissement illicite ».Quant au délit d’initié (également visé par l’article 98 de la même Constitution), il est défini comme le fait pour le Président de la République, le Premier ministre ou tout autre membre du Gouvernement d’effectuer des opérations sur valeurs mobilières ou immobilières à l’égard desquels ils possèdent des informations privilégiées et dont ils tirent profit avant la connaissance du public. C’est le cas par exemple en matière de vente des actions ou des bons d’Etat, en matière de vente des immeubles de l’Etat ou en matière d’appels d’offres publiques. Enfin, « il y a outrage au parlement, conclue l’alinéa 4 du même article, lorsque sur des questions posées par l’une ou l’autre Chambre du Parlement sur l’activité gouvernementale, le Premier ministre ne fournit aucune réponse dans un délai de trente jours ».
Si la plupart de ces infractions sont qualifiées de « politiques » par la Constitution, il faut dire que leur régime juridique est presque déjà connu en droit pénal. Il en est ainsi par exemple des infractions de corruption ou d’attentats aux bonnes mœurs. Mais, pour les autres incriminations, il reste au législateur d’en prévoir les conditions de poursuite ainsi que la nature des sanctions.
2. La haute trahison et la trahison
Les deux incriminations se distinguent d’abord par leur nature juridique propre. L’infraction de « trahison », prévue et punie par les articles 181 à 184 du Code pénal, livre II, est une infraction pénale, tandis que l’infraction de « haute trahison », prévue et punie par les articles 164 à 168 de la Constitution, est une infraction politique. En effet, aux termes de l’article 164 de la Constitution, la haute trahison, l’outrage au parlement ainsi que l’atteinte à l’honneur ou à la probité reprochés au Président de la République et au Premier ministre sont expressément qualifiés d’infractions politiques, et ce, à la différence par exemple des « délits d’initié » et des « autres infractions de droit commun » qui, dans le même article, sont reprochées aux deux autorités précitées .
Les deux incriminations se distinguent également par leurs éléments constitutifs. Aux termes de l’article 181 par exemple du Code pénal, la trahison est définie comme le fait de « porter les armes contre le Congo ». Aucun des différents cas de haute trahison définis plus haut, sauf l’organisation parallèle des forces militaires ou paramilitaires ou l’entretien des milices privées ou d’une jeunesse armée, ne correspond à cette définition. Et même alors, les deux cas de haute trahison en question devront avoir pour but de « porter les armes contre le Congo ». Bien évidemment, il faudra beaucoup de tact de la part du juge pour démêler bien l’expression « contre le Congo » ! En tous les cas, l’infraction de trahison ne se réalise, dans l’hypothèse de l’article 181 du Code pénal, que si les armes sont portées « contre le Congo », tandis que la « haute trahison » se réalise indépendamment de ce but.
Les autres hypothèses de « trahison », prévues par les articles 182 à 184 du Code pénal, s’inscrivent dans le cadre général de la félonie envers une « puissance étrangère » et ne correspondent pas du tout à la « haute trahison » des articles de la Constitution qui, eux, visent l’ordre juridique interne. Ainsi par exemple, dit l’article 182, « sera coupable de trahison …tout Congolais qui : 1°. Entretiendra des intelligences avec une puissance étrangère ou avec ses agents, pour engager cette puissances à entreprendre des hostilités contre le Congo ou pour lui en procurer les moyens … ; 2° livrera à une puissance étrangère ou à ses agents des ouvrages de défense, postes, ports, magasins, matériels… ». C’est le cas également de la trahison prévue par l’article 183 qui punit les « provocation des militaires ou des marins à passer au service d’une puissance étrangère… » . Bref, la trahison suppose un acte de relation coupable avec une puissance étrangère.
Enfin, la haute trahison se distingue de la trahison par son régime juridique spécial.
II. Régime juridique de la Haute trahison
Le régime juridique de la haute trahison est fait des règles spéciales qui concernent les personnes susceptibles d’être poursuivies (A) et des règles spéciales relatives à la sanction qui lui est réservée (B).
A. Personnes susceptibles de poursuites du chef de haute trahison
Dans la majorité des cas prévus par la Constitution, la haute trahison ne peut être reprochée qu’à certaines autorités politiques spécifiques (1). En revanche, lorsqu’elle résulte de l’institution d’un parti unique, de l’organisation des forces militaires, paramilitaires ou des milices privées ou encore de l’entretien d’une jeunesse armée, elle peut être reprochée à quiconque (2).
1. Les personnes revêtues d’une certaine autorité publique
L’infraction de haute trahison ne peut être reprochée, à titre principal, qu’aux autorités revêtues d’une certaine puissance publique et qui, en vertu de la Constitution ou des lois de la République, exercent un certain pouvoir au nom de la collectivité. Il s’agit par exemple du Président de la République et du Premier ministre, principales autorités concernées. Il s’agit également de toute autorité exerçant un commandement quelconque sur les Forces armées de la République.
Au Président de la République et au Premier ministre, il est reproché explicitement les infractions suivantes : violation intentionnelle de la Constitution, violation grave et caractérisée des droits de l’homme, cession d’une partie du territoire (art. 165), institution d’un parti unique (art. 7), détournement des Forces armées de la République (art. 188)…A ces incriminations spécifiques, il faudrait ajouter celles, nombreuses, qui pourraient être déduites de la « violation intentionnelle de la Constitution », par exemple la nomination inconstitutionnelle des autorités publiques, la signature inconstitutionnelle des accords internationaux, l’immixtion inconstitutionnelle dans la gestion des services publics autonomes…
En dehors de ces deux autorités, les autres responsables de la République ne peuvent être poursuivis du chef de haute trahison qu’en vertu de leurs pouvoirs spécifiques et dans les cas spécifiques de haute trahison prévus. Ainsi, si l’on prend la haute trahison par cession inconstitutionnelle du territoire, on peut déduire de l’article 63, alinéa 2 de la Constitution une extension du régime de poursuites à toutes les autorités de la République. En effet, aux termes de cet article de la Constitution, « Toute autorité nationale, provinciale, locale et coutumière a le devoir de sauvegarder l’unité de la République et l’intégrité de son territoire, sous peine de haute trahison ». Si, par action ou par omission, ces autorités ne sauvegardent pas « l’unité de la République et l’intégrité du territoire », elles sont susceptibles de poursuites du chef de haute trahison, soit par cession du territoire, soit par non défense du territoire.
En ce qui concerne les autorités ayant en charge le commandement des Forces armées de la République (Président de la République, Premier ministre, ministre de la Défense, Chef d’Etat-major général des Forces armées, Chefs d’Etat-major des Forces, les commandants de bataillon ou d’unités…), leurs poursuites ne se fondent sur l’infraction de haute trahison que si elles ont « détourné à des fins propres » l’utilisation de ces forces.
2. Les citoyens de droit commun
A titre subsidiaire, l’infraction de haute trahison peut également être reprochée au « commun du mortel ». Mais, il s’agit ici des cas spécifiques et limitativement énumérés. La seule hypothèse prévue par la Constitution est celle de l’organisation parallèle des forces militaires et paramilitaires ou de l’entretien des milices ou des jeunesses armées (art. 190, Op. cit., p. 62). Mais, comme il s’agit de le voir à présent, le régime des sanctions prévues pour cette catégorie spécifique d’infraction de haute trahison n’est pas encore fixé par la loi.
B. Sanctions du crime de haute trahison
Pour connaître le régime des sanctions de la haute trahison, il faudra maintenir à l’esprit les différentes catégories de personnes visées et les différents cas de haute trahison organisés par la Constitution. Car, dans le cas par exemple des autorités publiques (1), la sanction n’est pas la même que dans le cas des citoyens de droit commun (2).
1. Les sanctions contre les autorités publiques
Dans le cas des autorités publiques, et spécialement du Président de la République et du Premier ministre, la sanction expressément prévue est la destitution. On trouve le fondement de cette sanction dans l’article 167 de la Constitution : « En cas de condamnation (notamment du chef de haute trahison), le Président de la République et le Premier ministre sont déchus de leurs charges. La déchéance est prononcée par la Cour constitutionnelle » .
Dans le cas des autres autorités publiques, il est évident que le même type de sanction – qui est une sanction politique – pourrait et devrait être prononcée par leur « juge » naturel, à savoir : les autorités qui ont le pouvoir de leur nomination, de leur révocation ou de leur destitution. Si c’est un chef d’Etat-major de l’armée, il devra pouvoir être révoqué par le chef de l’Etat, après avis du Conseil supérieur de la défense. Dans le cas par exemple des Gouverneurs de province, l’Assemblée provinciale devrait prononcer leur destitution au moyen d’une motion de censure ou de défiance, ce avant le retrait de l’ordonnance présidentielle d’investiture (art. 198, Const. 18 fév. 2006).
Au-delà de ces sanctions politiques, les autorités publiques encourent également d’autres sanctions de type pénal. Ces sanctions sont prononcées en raison de la nature spécifique de l’infraction de haute trahison et à condition que celles-ci aient été prévues spécifiquement par le Code pénal. Pour l’infraction vague de « violation de la Constitution » par exemple, il faudra voir si le mode de réalisation spécifique de la violation (p.ex. l’encerclement armé de la résidence du Premier ministre en vue de l’empêcher de joindre ses bureaux) ne constitue pas en soi une infraction pénale. Pour l’infraction de violations graves et caractérisées des droits de l’homme, il est évident que, selon la nature des violations, celles-ci constituent, à n’en pas douter, des infractions pénales et punies comme telles : attentats aux libertés individuelles ou à l’inviolabilité de domicile (art. 67 à 70, C.P.L. II), attentats à l’inviolabilité du secret des lettres (art. 71 et 72, C.P.L.II), homicides et lésions corporelles (art. 43 et ss., C.P.L.II), etc.
Bref, la sanction de l’infraction de haute trahison est essentiellement politique ; elle ne revêt un caractère pénal que si le mode de sa réalisation constitue également une infraction pénale. Dans ce cas, sa répression s’organise d’après les règles spécifiques du droit pénal.
2. Les sanctions contre le commun du mortel
Contre le commun du mortel, la sanction de la haute trahison, nous venons de le voir, n’est concevable que dans l’hypothèse de l’organisation des forces parallèles de défense ou de l’entretien des milices et jeunesses armées (supra). Dans ce cas spécifique, compte tenu de la différence qu’il y a, d’une part, entre la haute trahison et certaines autres infractions constitutionnelles, et d’autre part, entre le crime de trahison et celui de haute trahison, il ne faudra pas appliquer à celle-ci les sanctions spécifiquement prévues pour celles-là.
Pour ne se limiter qu’à l’infraction de trahison, on sait que celle-ci est, aux termes des articles 181 à 184 du Code pénal, punie de mort. Ce n’est pas le cas de la haute trahison qui, elle, est d’abord une infraction politique. Et même dans le cas de haute trahison par entretien des forces parallèles de défense, la nature de la sanction est fonction du lien entre cette infraction politique et l’infraction pénale spécifique qui s’y rapporte. En lisant l’article 181 du Code pénal, le coupable de haute trahison ne peut être poursuivi en assimilation à la trahison que si son organisation militaire était « dirigé contre le Congo ». En lisant les articles 182 à 184 du même Code, la répression de l’infraction de haute trahison ne peut être assimilée à celle de trahison que si cette organisation militaire était en relation coupable avec une puissance étrangère, selon les modalités prévues par les mêmes articles.
A supposer que cette branche spécifique de la haute trahison soit assimilée, en effet, à la trahison, on voit que tous les modes de violation de la trahison prévus par les articles 181 à 184 du Code pénal ne lui correspondent pas. Il en est de même si on assimile la haute tradition par entretien des milices à celle de la participation à des bandes armées, punissable elle aussi de mort. Il faudra, ici également, que toutes les conditions de réalisation prévues par les articles 202 et suivants du Code pénal rentrent dans le cadre de l’infraction de haute trahison. Or, dans l’état actuel du droit pénal, une telle assimilation est impossible.
Conclusion
Il résulte de cette réflexion que l’infraction de haute trahison est différente de la plupart des incriminations contenues dans le Code pénal. Tant sa qualification juridique et que son régime juridique lui fait échapper actuellement à une répression qui serait fondée sur le Code pénal du 30 janvier 1940, tel que modifié et complété ultérieurement.
De nature politique, cette infraction n’est pas reprochable à n’importe qui. Elle a été érigée spécifiquement pour réprimer principalement des actes des autorités politiques qui s’avèrent contraires à la Constitution. Si la Constitution du 18 février 2006 vise à cet égard « toute autorité nationale, provinciale, locale et coutumière » (art. 63, al. 2), il ne peut être reproché à la collectivité de celles-ci que la haute trahison se réalisant par la cession ou par la non défense d’unité ou de l’intégrité du territoire. Il en est de même des chefs militaires qui ne peuvent encourir cette incrimination que dans l’hypothèse spécifique de détournement des Forces armées de la République à des fins propres (art. 188).
En revanche, pour ce qui concerne le Président de la République et le Premier ministre, leur catalogue d’incriminations est large : il englobe aussi bien la violation intentionnelle de la Constitution, les violations graves et caractérisées des droits de l’homme, la cession d’une partie du territoire (art. 165), l’institution légale ou factuelle d’un parti unique (art. 7), le détournement privé des Forces armées (art. 188) que toute autre incrimination qui pourrait être déduite de la « violation intentionnelle de la Constitution ». Dans toutes ces hypothèses, les autorités politiques ainsi énumérées encourent d’abord une sanction politique de destitution ou de révocation, avant d’être soumises au régime juridique spécial de leur répression pénale.
Quant au commun du mortel et aux autres autorités de la République non directement concernées par la défense du territoire (députés, sénateurs, dirigeants d’entreprise, professeurs d’université…), ils ne peuvent être poursuivies du chef de haute trahison que dans le cas de l’organisation ou de l’entretien d’une force de défense parallèle, aux conditions d’illégalité et d’inconstitutionnalité prédéfinies. Or, dans l’état actuel du droit pénal, une telle infraction n’est pas encore « réceptionnée ». En effet, de la lecture de l’ensemble du Titre VIII du Code pénal réservé aux « atteintes à la sûreté de l’Etat », on ne trouve pas encore, parmi les infractions portant atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de la République, celle qui correspond le plus exactement à la haute trahison se réalisant par l’organisation parallèle des forces de défense militaire ou par l’entretien des milices jeunesses armées. Il faut souhaiter que le législateur puisse intégrer l’ensemble des infractions politiques et pénales, prévues dans l’actuelle Constitution (art. 7, 63 alinéa 2, 163 à 168 et 190), dans un nouveau Code pénal. Mais, en attendant, l’infraction de haute trahison reste largement impossible à poursuivre dans l’état actuel du droit.
Par Ngondankoy Nkoy-ea-Loongya
Avocat au barreau de Kinshasa-Gombe
Doctorant en droit constitutionnel (UCL)
Source: Congo Forum