Un État de droit ne se décrète pas, il se construit.
L’émergence de cet État de droit permettra le développement tant souhaité et attendu, de la république démocratique du Congo. Ce processus est une transformation évolutive et une adaptation permanente.
L’histoire mouvementée de la RD Congo a empêché l’émergence d’élites homogènes ayant une vision commune des buts d’une politique économique et des mécanismes de sa mise en œuvre.
Je peux comparer ce processus à celui de la nymphose, ce processus de transformation de la chenille en papillon. Durant ce processus, la nymphe (chenille) vit sur ses réserves et ne se nourrit pas.
Mais à l’intérieur, c’est le vrai chambardement : les organes de la chenille se réorganisent pour s’adapter à la vie future du papillon.
Parlons encore du papillon.
En réalité, il existe 4 étapes dans la vie d’un papillon : d’abord l’œuf, duquel émerge la chenille, ou larve. La chenille va se nourrir de plantes et grandir en muant progressivement.
Après 4 ou 5 mues vient le moment de la métamorphose. Elle s’accroche alors à une feuille ou à une branche en produisant de la soie.
Elle se débarrasse une dernière fois de sa peau, révélant la chrysalide, un épiderme qui va durcir pour protéger la chenille pendant sa transformation.
Certaines espèces tissent un cocon de soie pour ajouter une protection supplémentaire.
La chenille se digère elle-même. À l’intérieur de la chrysalide, la chenille va se digérer elle-même : tout son corps est dissous par des enzymes et réduit à un état semi-liquide.
Les seuls éléments qui sont laissés intacts sont les disques imaginaux : constitués de cellules souches, ils vont absorber les protéines des restes de la chenille et créer un tout nouveau corps.
La durée du processus varie selon les espèces mais au bout d’environ 2 semaines, le papillon émerge de sa chrysalide.
Cette image de la transformation de la chenille vers le papillon est une image qui peut nous permettre de comprendre le cheminent vers un état de droit, qui n’est pas une génération spontanée.
- Œuf : l’œuf duquel a émergé la république démocratique du Congo, est une volonté d’expansion coloniale. Le roi des belges Léopold II, saisissant l’opportunité lui offert par l’explorateur Henri Morton Stanley, créé le futur état-espace qui deviendra le Congo.
De l’EIC au Congo belge, une structure organisationnelle étatique est en gestation, dont les frontières seront figées au début des années 1900.
- Chenille : Ce territoire qui tombera dans l’escarcelle de l’Etat belge en 1908 et sera étendu au Rwanda-Burundi après la défaite ces Allemands lors de la première guerre mondiale, deviendra indépendant en 1960.
La Belgique ne pouvant résister au vent de l’histoire, à la pression américaine, et à l’aspiration à l’autonomie des indigènes congolais.
- Chrysalide : le 30 juin 1960, le Congo accède à l’indépendance. Sa constitution, la loi fondamentale est un héritage colonial. Les acteurs politiques congolais, ne sont pas formés, ni au fait des enjeux colossaux qui les attendent. Les voilà entrés dans le concert des nations, à une période de l’histoire caractérisée par la Guerre froide. Un antagonisme entre L’est et l’ouest.
Les communistes à l’est, conduits par l’l’Union soviétique et le bloc capitaliste à l’ouest, par les USA.
C’est durant cette période que le Congo devait se transformer.
- La chenille se digère elle-même : Chez la chenille, se processus est naturelle est c’est le chemin obligé vers le papillon.
Mais pour le cas du Congo, les choses ne se passent pas comme souhaité. Sans parler des influences et politique de l’ancienne métropole qui n’a pas préparer le Congo à la gestion de ce pays.
Les élites congolaises vivent et ont vécu ce qu’on peut qualifier de schizophrénie institutionnelle. C’est vouloir un État de droit sans en construire les bases intellectuelles et culturelles.
L’accession à l’indépendance a été considérée comme une fin en soi et non comme une des bases de la construction du nouvel état.
Au travers des régimes successifs, de la Constitution de Luluabourg à celle de 2006, révisée en 2011, nos institutions et les pratiques institutionnelles vivent un chaos qui ne peut avoir que comme origine, l’inadéquation de celles-ci aux exigences de structuration d’un État multi ethnique,
qui se veut unitaire.
René DUMONT avait raison quand il disait « l’Afrique noire est mal partie » (en 1962), en ce qui concernait les politiques agricoles africaines.
Dans un contexte de décolonisation optimiste, sa voix de théoricien mais aussi d’homme de terrain, s’élevait à contre-courant des discours et des pratiques des élites issues des indépendances, pour sommer les Africains de reprendre en main leur agriculture en parvenant notamment à établir une culture vivrière locale – et à éradiquer ainsi la faim.
Il avait raison en ce qui concerne l’agriculture, sortir de l’héritage coloniale d’une agriculture répondant aux besoins des colonisateurs, et repenser une agricole répondant aux besoin locale.
Mabika KALANDA avait remis en question l’éducation congolaise comme instrument de développement. Pour lui, une éducation postcoloniale modelée sur l’éducation coloniale ne pouvait servir de véritable levier de développement à une nouvelle nation ayant des besoins différents, des réalités différentes et des valeurs différentes à promouvoir.
Il suggérait de « démodéliser » l’éducation coloniale et de réinventer une éducation congolaise authentique.
De ce qui précède, je peux rapidement conclure qu’on ne peut parler d’État de droit sans culture. Si la pratique institutionnelle est bancale, c’est qu’elle n’émane pas de l’être profond, de sa culture.
Ralph Linton définit la culture comme «la configuration des comportements appris et de leurs résultats, dont les éléments composants sont partagés et transmis par les membres d’une société donnée ».
Est donc culture tout « mode de vie d’une société ». Ce mode de vie est un tout dont les détails représentent tous « la réponse normale et attendue de n’importe quel membre de la société à une situation donnée ».
Il faut pour le Congo une culture institutionnelle compatible à un état de droit.
Les soubresauts de l’histoire congolaise, maintiennent le pays dans une situation inédite, de schizophrénie institutionnelle. On veut un état de droit, sans en respecter les principes.
Au fait, c’est quoi un État de droit ? Cette notion, d’origine allemande (Rechtsstaat), a été redéfinie au début du vingtième siècle par le juriste autrichien Hans Kelsen, comme un État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s’en trouve limitée. Dans ce modèle, chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures.
Un tel système suppose, par ailleurs, l’égalité des sujets de droit devant les normes juridiques et l’existence de juridictions indépendantes.
Les textes juridiques définissant l’État de droit au Congo, existent !
C’est la Constitution actuelle et les lois y afférentes. Il y a défaillance dans le chef des différents acteurs des institutions congolaises, en ce qui concerne la pratique institutionnelle. Ils n’en ont pas la culture ! Celle-ci ne s’acquiert pas seulement et uniquement par les études, c’est aussi une éducation. Comment transcrire dans un pays multi-ethnique comme le Congo, les valeurs inhérentes à cet état de droit ?
C’est aux sociologues, ethnologues et juristes et autres intellectuels de s’y atteler.
La première passation de pouvoir de manière pacifique, au Congo le 25 janvier 2019, a suscité de l’espoir, mais le ciel semble s’assombrir, révélant, une « schizophrénie constitutionnelle ».
UNE COHABITATION QUI SE DÉCLARE « COALITION »
La coalition au pouvoir semble être atteint par ce mal. Ce mariage, qui semblait être de raison, apparaît comme un marché des dupes, où chacun des protagonistes à une conception de la constitution et des institutions, opposé de celle de l’autre. Cette situation, paralyse la conduite des affaires du pays, au point que, le président de la république, Félix Antoine Tshisekedi, n’est pas en mesure de gouverner le pays de manière efficiente.
Le système semi-présidentiel au Congo ne semble pas approprié à une situation de cohabitation de fait, ce qui est le cas, bien que le FCC (Front commun pour le Congo) ainsi que le CACH (Cap pour le Changement) parlent de coalition.
Si c’est une coalition, la politique du gouvernement devrait être celle définie par le président de la République, ajustée, bien sûr, des éléments fournis pour l’autre protagoniste.
Si c’est une cohabitation, c’est le gouvernement, issu de la majorité parlementaire, qui dirige, le président gardant les domaines réservés.
On assiste aujourd’hui à une cohabitation, qui se déclare « coalition ». C’est un problème de culture, tel qu’expliqué plus haut.
Quels sont les leviers dont dispose aujourd’hui le président Tshisekedi pour remédier à cette situation ?
- La dissolution
- La réforme des institutions, donc de la constitution
- La réforme de l’éducation nationale
- Réforme de l’armée
La dissolution :
Il faut pour cela un véritable courage politique. La seule légitimité populaire ne suffit pas.
Sur les 500 sièges à l’l’Assemblée nationale, 341 pour le FCC, 112 pour la coalition Lamuka et 47 pour le CACH.
Le président de la République ne pouvait dans ces conditions que négocier avjuridictions
té FCC.
FCC : LA COALITION COMME MOYEN DE RETROUVER UNE VIRGINITÉ POLITIQUE
Le choix d’une « coalition » ne s’imposait pas, sauf à considérer qu’il y avait un programme de gouvernement FCC-CACH, ce qui n’est pas le cas. C’est une coalition circonstancielle. Il y a eu répartition des postes et non, accord sur la politique à mener pour gouverner le Congo. On ne pouvait pas attendre du FCC, une négociation en profondeur.
Le FCC n’est pas allé aux élections pour diriger le Congo, mais pour défendre ses avantages, le contrôle du pouvoir par une poignée d’affairiste.
Dans ce sens, la coalition pouvait leur servir de moyen de retrouver une virginité politique, face aux revendications populaires. Vivre à l’ombre de Tshisekedi, le temps d’une législature, pour remettre en 2023, leur champion, sur la sellette.
Les déclarations du directeur de cabinet de l’ex-président KABILA, Néhémie Mwilanya, à la presse fin 2019, « ce qui est sûr c’est qu’aujourd’hui, aucun obstacle constitutionnel ou institutionnel voire politique n’empêcherait le retour [de l’ancien] président Kabila et surtout ne pourrait empêcher qu’il soit candidat » à la présidentielle, confirment cette hypothèse.
Dans tous les cas, il faudra au président TSHISEKEDI, mesurer ces forces, s’assurer du soutien populaire et celui des leaders d’opinion avant d’envisager cette voie.
La réforme des institutions :
Une fois obtenue la dissolution, du parlement, une réforme de la constitution devra être entreprise pour l’adapter aux réalités de notre pays, après avoir fait un bilan de difficultés rencontrées lors des précédentes expériences. Cette réforme devrait-elle se faire avant ou après les élections (après la dissolution) ? Il faudra une réflexion plus approfondie à ce sujet.
La réforme de l’éducation nationale et de la formation :
Adapter l’enseignement et la formation aux objectifs de développement de notre pays et inculquer une véritable culture citoyenne.
Ce n’est pas avec cette « coalition » qu’il pourra y arriver.
Réforme de l’armée :
Notre armée devrait être reformée pour devenir une véritable armée républicaine. Bien formé et équipé. Le président, commandant suprême de l’armée a-t-il le contrôle sur celle-ci ?
La gestion du cas du général John NUMBI, nous le confirmera. Un tel cas de défi, à ses supérieurs ne peut rester sans réaction de l’autorité suprême.
Mener de telles réformes, implique une communauté de pensée et de vision. Bientôt deux ans depuis sa prise de pouvoir, il n’y pas une politique claire de gouvernement. Vouloir un état de droit, n’est pas seulement permettre aux juges de jouer leur rôle, c’est aussi leur donner les moyens nécessaires pour cela. Et ces moyens ne peuvent être mobiliser que part un gouvernement organisé autour d’une politique claire, efficace et au fait des enjeux et défis à relever. Soit le président se résout à se défaire de cette alliance, par la dissolution de l’assemblée national, ou il arrive à obtenir de son allié de circonstance, une adhésion claire à la politique qu’il compte mener Il n’est plus temps de tergiverser, la chenille doit devenir papillon, sinon elle disparaitra.
Par Jean-Pierre KALOTA