Un nouveau massacre a frappé l’Ituri mardi 13 mars 2018, faisant au moins 30 morts dans cette région du nord-est de la République démocratique du Congo où le porte-parole des députés prévient que ces violences ne doivent pas servir de prétexte à un nouveau report des élections.
Civils massacrés, villages incendiés, populations déplacées: face aux tourmentes qui prévalent depuis décembre, des habitants s’interrogent sur le rôle des forces de sécurité alors que le ministre de l’Intérieur se trouvait dans la région lundi.
Comme les deux précédentes (début et fin février), la nouvelle tuerie a visé des villages du territoire de Djugu, au nord du chef-lieu Bunia, dans cette province entourée par le Soudan du Sud, l’Ouganda, le lac Albert et le Nord-Kivu, à 2.000 km de la capitale Kinshasa.
‘D’autres corps’
« On a compté 30 morts. Il y a certainement d’autres corps dans la brousse. Les recherches se poursuivent », a déclaré à l’AFP un responsable administratif de l’Ituri, sous couvert d’anonymat.
« Dans le village de Djo ils ont tué 10 personnes, à Gbi 10 morts et à Takpa 19 personnes abattues. Ce qui fait au total 39 morts », énumère Pilo Mulindro Willy, de la chefferie de Bahema nord joint au téléphone par l’AFP.
Sur la radio onusienne Okapi – qui parle de 41 morts dans quatre villages attaqués (Kayuba, Jo, Gbi, Ngaliko) – ce chef local décrit le mode opératoire du massacre à Kabuya: des hommes portant armes blanches et fusils commencent par incendier des maisons. « Trois groupes d’assaillants, munis de flèches, de machettes et de fusils AK 47 se sont ensuite livrés au carnage ».
« A Djo il n’y a pas eu massacre. Il s’agissait d’un groupe de voleurs venus investir le village abandonné par la population. Nos forces les ont pourchassé et actuellement la situation est sous contrôle de l’armée », a affirmé le lieutenant Jules Ngongo, porte-parole militaire en Ituri.
Le député d’opposition Grégoire Lusenge, porte-parole des parlementaires de l’Ituri, a dénoncé « l’absence de l’autorité de l’Etat » dans sa province.
Le ministre de l’Intérieur « est sur le terrain mais pendant qu’il est là, on continue à tuer », s’est indigné l' »honorable » Lusenge, joint par l’AFP.
« Le déploiement de la police nous paraît insuffisant. Les quelques militaires déployés ne sont pas en mesure de contenir la situation qui va de mal en pis », selon lui.
L’élu reprend le chiffre de 200.000 déplacés et de milliers de réfugiés en Ouganda depuis la reprise des violences en décembre.
‘Barbarie humaine’
« Les parlementaires de l’Ituri pensent qu’on ne peut pas utiliser cette barbarie humaine comme un alibi pour bloquer le processus électoral », prévient-il.
« Si nous attendons de relocaliser (les déplacés), on va donner une énième occasion à ce régime de retarder les élections », ajoute-t-il en suggérant de faire voter les déplacés là où ils se trouvent pourvu qu’ils aient leur carte d’électeurs.
Des élections sont prévues le 23 décembre 2018 pour organiser le départ et la succession du président Joseph Kabila, toujours au pouvoir bien après la fin de son deuxième et dernier mandat le 20 décembre 2016.
Ces élections déjà prévues au plus tard en décembre 2017 avaient été reportées en raison des violences dans le Kasaï (centre du pays) qui avaient retardé le recensement des électeurs d’après les autorités.
Des dizaines de milliers de personnes sont mortes en Ituri dans un conflit communautaire entre 1999 et 2003 entre les Lendu cultivateurs et les Hema éleveurs, jusqu’à l’intervention de la force européenne Artémis.
Ce conflit a été « attisé par la surpopulation et exploité par l’Ouganda avide d’or », écrit l’auteur belge David Van Reybrouck dans son incontournable « Congo, une histoire ».
Les dernières violences « sont assez différentes de celles du conflit qui oppose les ethnies Hema et Lendu depuis plusieurs décennies. Les causes peuvent être multiples et sont encore à élucider », a avancé lundi la Communauté iturienne de Kinshasa (CIK).
La reprise des violences est « un mystère », estime le directeur du Groupe d’études sur le Congo de l’Univerisité de New York, Jason Stearns, sans comprendre pourquoi les tensions communautaires, réelles, s’embraseraient de nouveau maintenant.
« Les FARDC (l’armée) ont été négligentes dans leur réponse, mais il n’y a pas de preuves irréfutables pour soutenir la théorie que le gouvernement est à la manœuvre. Pas plus qu’il n’y a de preuves selon lesquelles des pays de la région suscitent ces violences, comme certains l’ont suggéré. Mais il est très probable que des acteurs extérieurs sont impliqués », selon le chercheur consulté par l’AFP.
VOA/AFP/CR