Dans ses spécificités, la Région des Grands Lacs Africains se présente comme une « vaste zone tumultueuse » caractérisée par des conflits armés récurrents et multiformes. Cette riche région en ressources naturelles et aux enjeux multiples, mérite une attention particulière pour sa gestion rationnelle, efficace et efficiente au profit la sécurité régionale et internationale.
C’est pourquoi, considérée à juste titre comme l’épicentre de cette région, la République Démocratique du Congo est appelée à lever courageusement des options nécessaires qui s’imposent afin de mettre fin à ce climat d’insécurité qui ruine son économie, déstabilise et paupérise ses populations et freine son développement et celui de la Région toute entière.
En effet, les violences multiformes auxquelles est confronté le Congo Kinshasa depuis le déclenchement des guerres conduites par l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL) et le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RDC),en passant successivement par celles perpétrées par le Congrès National Du Peuple du général Laurent Nkunda, le Mouvement du 23 Mars de Bosco Ntaganda et Sultani Makenga pour chuter sur les récentes et actuelles menaces de guerres de la Coalition de l’Alliance de l’Article 64 (AA.64), avec à la tête les Maï-Maï Yakutumba dans les territoires de Fizi, Uvira, Mwenga … sont fortement liées aux phénomènes « de guerres de ressources », alimentés par des réseaux commerciaux criminels nationaux et transnationaux, armées et non armées.
A ces réseaux, il faut adjoindre ceux formés par une galaxie des groupes armés nationaux comme les Maï-Maï, les éléments incontrôlés des Forces Armées de la République Démocratique du Congo, ainsi que les groupes armés étrangers illégaux, notamment, les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR), les ADF/NALU, les FNL burundais, les LRA, etc. qui investissent les zones riches en ressources minières stratégiques à l’Est du pays.
Prédation minière
Profitant de la faiblesse ou, mieux, de l’absence de l’Etat dans certains coins de l’Est du pays, ceux-ci s’invitent à la prédation minière en usant d’une cruauté et d’une violence sans merci contre les populations civiles qui habitent ces zones. Divers rapports du Groupe d’Experts des Nations Unies, des ONGD et de la société civile démontrent comment ces groupes appartiennent aux grands réseaux d’exploitation illégale et le commerce illicite du Coltan, cassitérite, wolframite, de l’or, etc., minerais qualifiés par la Communauté Internationale de « minerais de sang ».
Ces groupes armés impliqués dans le pillage systématique des ressources minières ont fini par désarticuler les structures étatiques congolaises de défense et de sécurité et freiner ainsi tout effort de restauration de la paix et de la sécurité dans la partie orientale du pays.
En outre, les concessions irrégulières des domaines miniers sont octroyées à certaines firmes multinationales africaines et occidentales par la signature des contrats. Ces contrats qui ont été décriés et qualifiés par bon nombre d’organisations intergouvernementales et non gouvernementales, de la Société civile et des chercheurs de tous horizons de « contrats léonins » ont sensiblement affaiblis le pouvoir économique de Kinshasa. Ce qui a fait que le secteur privé, constitué des sociétés multinationales ou alliés, a joué un rôle vital dans la continuation des violences politiques, en facilitant l’exploitation, le transport et la vente des ressources minières congolaises.
Dans son rapport d’octobre 2002, le groupe d’Experts des Nations Unies a estimé que 85 entreprises multinationales impliquées dans des relations d’affaires au Congo-Kinshasa avaient violé les normes internationales, y compris les directives pour les entreprises multinationales de l’Organisation pour la Coopération Economique et le Développement (OCDE). Le quatrième rapport du même groupe d’Experts de 2003, intitulé « Pillage systématique et exploitation illégale des ressources naturelles du Congo » publiait la liste des pays d’où proviennent ces firmes multinationales.
Sur le plan politico-diplomatique, après une multitude de rencontres sans succès, le 10 Juillet 1999 à Lusaka, la RDC, l’Angola, la Namibie, le Zimbabwe, le Rwanda et l’Ouganda signaient un Accord de cessez-le-feu pour mettre fin aux hostilités déclenchées en août 1998, la résolution 1234 déplorait que des forces d’Etats étrangers demeurent en RDC et appelait les gouvernements de ces Etats à mettre fin à la présence des forces « non invitées ».
Dans sa résolution 1304, le Conseil réaffirma la souveraineté de la RDC sur ses ressources naturelles et exigea que l’Ouganda et le Rwanda retirent leurs forces du territoire congolais.
C’est cet accord de Lusaka qui ouvrit la voie à la signature de l’imposant Accord-global et inclusif, signé à Sun-City à Pretoria, le 16 décembre 2002.
A l’issu de cet accord, le partage du pouvoir entre belligérant, l’organisation des élections démocratiques ainsi que la réforme du secteur de la défense et sécurité sont consacrés.
Mais au-delà de l’application de ce plan consensuel, le pillage des ressources minières par des réseaux criminels nationaux et étrangers est resté au rendez-vous pendant plusieurs années. Les affrontements du dernier trimestre 2007 entre Kinshasa et le CNDP, au Nord-Kivu, sont illustratifs. Pour mettre un terme à la crise, plusieurs accords seront signés entre les parties au conflit. Il s’agit notamment de la Déclaration de Nairobi en novembre 2007, de l’Acte d’engagement de Goma, en janvier 2008 ainsi que Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération en RDC et dans la région est signé par 11 chefs d’Etat le 24 février 2013 Addis-Abeba en Ethiopie.
Parmi les engagements souscrits par la RDC dans cet accord-cadre, figure celui de promouvoir le développement économique, y compris au sujet de l’expansion des infrastructures et de fournitures des services sociaux de base qui sous-entend d’abord l’amélioration de la gouvernance des ressources naturelles. Et pour la partie, la RDC devait mettre en place, en toute urgence, une structure nationale efficace pour contrôler les principales activités minières.
La réalisation de cet engagement nécessitait notamment l’instauration de la transparence dans la conclusion et la gestion des contrats miniers, etc. C’est toujours par cet accord que le gouvernement de la RDC avait renouvelé son engagement à continuer et à approfondir la réforme du secteur de la sécurité, en particulier en ce qui concerne l’Armée et la Police Nationale. A l’issue de cette réforme, une armée dissuasive capable de mener diverses opérations militaires contre les forces négatives nationales et étrangères qui investissent les zones minières devrait être constituée.
Traçabilité et la certification des minerais
Sur le plan économique, les Nations Unies, la Communauté Internationale ainsi que certaines puissances occidentales proposèrent l’application de la théorie de la « bonne gouvernance » dans le secteur minier comme thérapie à la crise au Congo Kinshasa. Cette nouvelle théorie développée par les Institutions Financières Internationales (IFI) les Etats-Unis d’Amérique comme doctrine politico-économique, justifient l’interventionnisme occidental dans les politiques des Etats en développement où les ressources minières ont de liens directs avec l’insécurité internationale.
Il faut désormais policer l’exploitation et le commerce des minerais congolais, longtemps qualifiés des « minerais de sang » ou « minerais de conflit ». Pour les acteurs internationaux, il est question d’empêcher l’écoulement de ces minerais souillés par le sang des paisibles citoyens des pays qui en sont producteurs, sur le marché international des matières premières.
Ce qui nécessite la mise en œuvre d’un mécanisme de traçabilité et la certification des minerais du puits jusqu’à l’exportation et d’inciter les entreprises importatrices et consommatrices finales à n’acheter que les minerais certifiés et donc propres de conflits. Ce mécanisme qui est une véritable construction d’une régulation des minerais issus de zones des conflits est mise en œuvre par la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) à travers son Initiative Régionale de Lutte contre l’Exploitation Illégale des Ressources Naturelles et de ses six outils, adoptés par la déclaration des Chefs d’Etat et de gouvernement en décembre 2010, Lusaka en Zambie.
Ce même mécanisme de la CIRGL est soutenu par des lois et initiatives gouvernementales et intergouvernementales comme la Loi américaine Dodd Frank, l’Initiative de Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) qui a organisé le «Publishwhatyoupay » dans le cadre de la transparence ainsi que le devoir de diligence raisonnable de l’OCDE, pour les chaînes d’approvisionnement en minerais provenant des zones des conflits à haut risque.
Au-delà des efforts des Nations Unies et de la Communauté Internationale pour la « construction de la paix » (peace building), complété successivement par le « maintien de la paix » (peacekeeping)ainsi que « l’imposition de la paix » (peaceenforcement) au Congo Kinshasa, la situation des violences cycliques et multiformes, parait s’inscrire, malheureusement, dans une logique tout à fait impérialiste et néo-capitaliste. Cette logique est en effet renforcée par les liens de dépendance de la périphérie au centre, en matière des nouvelles réglementations de l’économie minière internationale.
Au lieu d’endiguer tant soi peu les violences sous toutes ses formes, ces réglementations, bien ficelées dans des officines des pays du Nord, sont développées pour contrôler efficacement les économies minières souillées par le sang des paisibles citoyens des pays du sud au profit des maîtres du système monde et de leurs dépendants.
« Peace business»
Au Congo-Kinshasa, la persistance des violences politiques et arméesreste une entreprise savante du « peace business», développée par des vastes réseaux criminels, nationaux et transnationaux, armés et non-armés soutenus en partie, par certaines puissances capitalistes, à travers leurs firmes multinationales, véritables régulateurs de l’économie minière au sein du « système monde». Certaines brebis galeuses au sein de la mission militaire de l’ONU au Congo-Kinshasa ne sont pas en reste.
En plus de participer à la restauration de la paix,à travers cette mission la plus importante en nombre d’hommes,il a été prouvé que certains de ses officiers traitent directement ou indirectement avec les chefs de guerres à l’Est de la RDC. D’ailleurs, un officier supérieur onusien, en fin mandat à Goma au Nord Kivu, ne déclara-t-il pas que « no Nkunda no job », au regard du fameux principe général de « no war in DRC, no job »,repris dans la « Mondialisation, l’Occident et le Congo-Kinshasa » de l’éminent Professeur Emile Bongeli.
Les violences cycliques et permanentes dans la partie orientale du pays de Lumumba, ne sont donc pas loin d’un sabotage organisé de l’intérieur comme de l’extérieur par les ennemis de la République, impliqués au plus haut niveau dans les activités d’exploitation illégale et du commerce illicite des minerais stratégiques enfouis dans les provinces congolaises de l’Est .
Nous pensons, somme toute, que, pour endiguer ce fléau nocif ,développé contre la République, un leadership politique fort, consciencieux, usa d’un management public responsable, respectant les normes de « bonne gouvernance » ,ayant en lui un sens élevé de l’intérêt général et maitrisant finalement au mieux le fonctionnement du système monde, s’avère indispensable, en vue de permettre au Congo-Kinshasa une intégration en douceur dans la mondialisation de l’économie minière.
Car, la construction d’un Etat stratégique et émergent en République Démocratique du Congo, ne viendra ni de l’Occident, ni de l’Orient, mais des Congolais épis de paix, les vrais.
Par Anicet Mbura Mbahikya
Chercheur en gouvernance minière en République Démocratique du Congo