« Quelques questionnements sur la procédure devant la Cour Constitutionnelle : esquive judiciaire ou délicatesse politique face aux besoins de justice des citoyens congolais. La vision d’un politologue », est l’intitulé du livre de l’ancien juge à la Cour Constitutionnelle, le professeur Eugène Banyaku Luape Epotu,
Depuis la transition démocratique initiée en 1990, le jeu politique congolais se nourrit du mensonge et de l’ignorance de la part des acteurs politiques aussi bien du pouvoir institutionnel que ceux de l’opposition politique.
D’une part si l’art du politique admet la ruse, comme l’évoque Machiavel dans son ouvrage « le Prince », le mensonge n’est pas porté en éloge puisqu’il est du domaine de l’immoral, alors que la ruse relève d’un exercice intellectuel du dopage et du dépassement de l’intelligence de l’adversaire politique.
Mais aujourd’hui, nombreux de nos braves acteurs politiques congolais mentent même à leurs propres partisans et au sein de leurs propres instances de direction. Et comme disait un distingué Collègue : « on prend ses échecs pour victoire et on s’en vante, même si tout le monde s’en moque » !
D’autre part, alors que le leadership est réservé à ceux de plus doués en intelligence dans la connaissance et la maitrise des enjeux actuels et prospectifs liés à l’intérêt général, la majorité des acteurs politiques congolais s’est totalement investie dans le jeu de positionnement par clientélisme et dans celui de l’affairisme au crochet des services de l’Etat et du marché public.
Aux points croisés du mensonge et de l’ignorance, les débats naissent et se relancent sans souvent se dérouler pour la quête de la vérité ou même pour rechercher la raison d’Etat. Leurs promoteurs sont attirés par de gains larcins pour assouvir quelques petits besoins de survie ou de visibilité politique, ainsi que pour s’assurer d’une certaine retraite politique précarisée par les mêmes pouvoirs d’hier. Tout est devenu brouillon et quelques savants de nos universités ont rejoint la bouillabaisse au service de ceux qui sont censés recevoir de leur éclairage.
La décadence morale de l’élite politique et la déchéance due au vagabondage politique ont atteint des limites proches de la catastrophe politique nationale, au point que même le mensonge ne réussit plus pour convaincre le peuple congolais et l’ignorance est devenue la matière qualificative de l’acteur politique, toute catégorie confondue : les impétrants aussi bien que certains savants pourtant jusqu’à un passé récent étaient de références mémorielles.
C’est ainsi que surgissent à tempo régulier de débats fracassants portés parfois par d’éminents professeurs, généralement de droit et rétrogradés en piteux état moral et intellectuel.
Les trois grands débats politiques ont surgi depuis 2016 dans la scène politique congolaise principalement initiés et portés en branle par ceux-là même qui enseignent le droit dans la plus grande Université du Pays, à savoir, l’Université de Kinshasa.
Il s’agit du débat sur la compréhension et l’application de l’alternance démocratique à l’issue du deuxième mandat du Président de la République démocratiquement élu, tel que prévue par l’article 70, alinéa 2 de la Constitution ; de celui relatif à l’éventualité d’un retour au pouvoir suprême d’un ancien Président à la fin de son mandat présidentiel et bénéficiant déjà du nouveau statut de sénateur à vie, en vertu de l’article 104, alinéa 7 de la Constitution ; ainsi que de celui portant sur la mise en accusation du Chef de l’Etat par le Congrès.
Le premier débat sur la prolongation du mandat du Président en exercice, en cas de la non-tenue à terme de l’élection présidentielle, était censé être clôturé, lorsque l’arrêt R.Const 262 du 24 juin 2016 a été rendu par la Cour constitutionnelle. Cet arrêt faisait suite à la requête de la majorité parlementaire relative à l’interprétation de l’article 70, alinéa 2 de la Constitution.
La réponse intelligente de la Cour constitutionnelle reprise dans cet arrêt a explicitement signifié que cet article ne donnait lieu à aucune interprétation.
Cela se justifiait d’abord puisque du point de vue sémantique, la portée de la phrase concernant la fin du mandat du Président de la République correspond à l’énoncé d’une durée fixée au premier alinéa de l’article 70 à un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois.
Ensuite, point de vue grammatical, l’installation effective concerne un Président déjà élu (du nouveau Président élu), puisqu’il s’agit d’un article partitif singulier déterminant un sujet connu.
Enfin du point de vue juridique, l’article 73 de la Constitution commande la convocation du scrutin pour l’élection du Président de la République par la Commission électorale nationale indépendante 90 jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice. Ainsi, l’interprétation introduite par la requête de la majorité parlementaire à la Cour constitutionnelle en juin 2016, laissait encore à la CENI une marge de 180 jours pour organiser l’élection présidentielle jusqu’en décembre 2016.
Aussi, s’agissant du contenu de l’arrêt la Cour constitutionnelle, cette dernière a, dans une incise particulière, enjoint la CENI à présenter dans les plus brefs délais un calendrier conforme aux échéances électorales prévues par la Constitution. Rien ne présageait un obstacle insurmontable pour la tenue de l’élection présidentielle en décembre 2016.
Pour sa part, la Cour constitutionnelle avait considéré que le fondement juridique du scrutin était déjà réglé avec la promulgation de la Loi no 15/001 du 12 février 2015 modifiant et complétant la Loi n o 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la toi n o 11/003 du 25 juin 2011.
Au sujet du premier débat, le mensonge sur l’arrêt 262 de la Cour constitutionnelle a duré pendant deux ans, au cours desquels le régime précédent a fait croire à l’opinion publique nationale et internationale, que le glissement du mandat présidentiel a été autorisé par ledit arrêt.
L’ignorance de la classe politique a conduit à la prise d’options rébarbatives ayant donné lieu à deux dialogues politiques fallacieux entre le pouvoir et l’opposition en 2016 et 2017. L’ancien pouvoir en a profité pour procéder à la récupération de certains leaders de l’opposition et à piller davantage l’Etat congolais.
L’issue heureuse des élections de décembre 2018 pour une alternance en faveur d’un ancien Opposant Felix Tshisekedi ne peut effacer, au-delà de toutes les peines endurées par le peuple congolais, le fait que l’usurpation du pouvoir pendant les années 2017 et 2018 s’est effectuée grâce au mensonge d’état.
Le deuxième débat rébarbatif initié par les thuriféraires de l’ancien régime est celui relatif à l’éventualité du retour au pouvoir de l’ancien Président de la République.
En effet, l’article 104, alinéa 7 de la Constitution est libellé de manière à ne laisser aucune zone d’ombre au sujet du nouveau statut de sénateur à vie conféré à titre définitif à tout Président de la République élu à la fin de son mandat.
Le contexte ayant prévalu à l’adoption de ce texte par l’Assemblée constituante était celui issu d’une longue période de dictature, y compris les 5 années du pouvoir issu du coup d’Etat militaire, laquelle a été rendue possible grâce au trucage électoral monstrueux de 1970 à 1986 et surtout à la reconduction du mandat présidentiel à cause de la non-tenue des élections de 1990 à1997.
Le Constituant a fait le constat, selon lequel, les dérives dictatoriales sont généralement liées ou provoquées par la perduration d’un pouvoir livré à l’usure du temps. Ainsi, avait-on levé l’option de limiter drastiquement le mandat à une seule fois renouvelable et pour éviter les tentatives d’éventuel retour de l’ancien Président de la République à la fin de son mandat, il lui a été conféré un statut de sénateur à vie, en incompatibilité totale avec tout autre mandat électif.
Une lecture attentive de cette disposition constitutionnelle fait révéler que le statut réservé au Président de la République n’est pas celui d’une attribution de siège, puisqu’il n’a même pas de suppléant, mais un statut ayant qualité d’habilitation et auquel il ne peut s’en détacher par sa propre initiative.
C’est n’est donc pas la loi électorale qui autorise l’attribution de son mandat selon les critères électifs requis pour être membre du Sénat et suivant le mode de scrutin y prévu, mais c’est la Constitution de la République qui l’élève à ce rang et titre de dignité pour toute sa vie.
Une déférence unilatérale voulue par l’Etat et contre laquelle on ne peut s’en défaire pendant toute sa vie, comme il en le cas avec d’autres titres et distinctions honorifiques décernés pour mérite ou pour bravoure dans l’Ordre national. Et la loi ne prévoit aucun mécanisme juridique pour la remise en cause ou l’abandon d’un statut conféré par une disposition constitutionnelle et ayant qualité d’habilitation.
À ce sujet, le débat est sans objet.
Le troisième débat initié pour la mise en accusation du Chef de l’Etat par le Congrès relève tout simplement du zèle politique de certains acteurs politiques et personnalités scientifiques en mal de marquage politique.
D’abord la qualification de l’infraction relative à la violation intentionnelle de la constitution ne relève pas de l’appréciation de chacun de nous, mais d’un organe de droit doté de cette compétence. Comme le juge naturel du Chef de l’Etat est la Cour constitutionnelle, c’est le Parquet auprès de la Cour qui en a la compétence.
Il ne s’agit donc pas d’une exception à l’inconstitutionnalité prévue à l’article 162, alinéa 2 permettant à tout citoyen de saisir en procédure prioritaire la Cour constitutionnelle de violations flagrantes de ses droits fondamentaux dans une affaire qui la concerne devant une juridiction.
La confusion entretenue par les initiateurs de termes référentiels de mise en accusation du Président de la République entre l’article 166 de la Constitution et la loi d’application sur ce point précis, qui n’est rien d’autre que la loi portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.
En effet, l’article 166 de la Constitution fait part de la décision de poursuites et de mise en accusation du Président de la République et du Premier Ministre. Tandis que l’article 100 de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle précise dans ses articles ci-dessous la procédure de qualification des infractions commises par les assujettis à cette haute Juridiction et celle de leur mise en accusation.
Il est stipulé dans l’article 100 de ladite loi que le Procureur Général assure l’exercice de l’action publique dans les actes d’instruction et de poursuites contre le Président de la République, le Premier Ministre ainsi que les coauteurs et les complices. A cette fin, il reçoit les plaintes et les dénonciations et rassemble les preuves. Il entend toute personne susceptible de contribuer à la manifestation de la vérité.
L’article 101 de cette loi précise que si le Procureur Général estime devoir poursuivre le Président de la République ou le Premier Ministre, il adresse au Président de l’Assemblée Nationale et au Président du Sénat une requête aux fins d’autorisation des poursuites. L’autorisation est donnée conformément aux dispositions de l’article 166 alinéa 1er de la Constitution.
Les articles 101 et 102 poursuivent la matière en relevant que le Procureur Général doit demander au Congrès l’autorisation des poursuites. Si celle-ci est accordée, l’instruction préparatoire est menée par le Procureur Général.
Les règles ordinaires de la procédure pénale sont applicables à l’instruction préparatoire. La Cour est seule compétente pour autoriser la mise en détention préventive du Président de la République ou du Premier Ministre, dont elle détermine les modalités dans chaque cas. La détention préventive est remplacée par l’assignation à résidence surveillée.
L’article 104 stipule qu’à la clôture de l’instruction préjuridictionnelle, le Procureur Général adresse un rapport au Président de l’Assemblée Nationale et au Président du Sénat, éventuellement accompagné d’une requête aux fins de solliciter du Congrès la mise en accusation du Président de la République ou du Premier Ministre.
Dans le cas où le Congrès adopte la résolution de mise en accusation, le Procureur Général transmet le dossier au Président de la Cour par une requête aux fins de fixation d’audience. Il fait citer le prévenu et, s’il y a lieu, les coauteurs et/ou les complices.
Il est clair que les supputations des uns et des autres sur cette matière de mise en accusation du Président de la République, relèvent de la pure ignorance. Et lorsqu’on ignore, mieux vaut se taire que de s’exposer ….. !
En conclusion, si on prend l’option de vivre et de faire le jeu politique dans le mensonge et l’ignorance, on perd toute la crédibilité d’un homme politique digne et porté vers l’intérêt général, ainsi que vers celui de la population.
Par professeur Banyaku Luape Epotu