
Joseph Kabila lors de son atterrissage, vendredi 11 décembre 2020, à Kolwezi (Lualaba).
En renversant la présidente de l’Assemblée, Tshisekedi et les siens mettent en échec le système Kabila.
Dans l’implacable partie d’échecs qui se joue au Congo, l’ex-président Kabila vient de perdre une pièce importante : Jeanine Mabunda Lioko, présidente de l’Assemblée nationale a été déboulonnée, ainsi que cinq membres du Bureau, par 281 voix contre 200.
Forte personnalité, originaire de l’Équateur, la première femme à occuper une aussi haute fonction a été obligée de s’incliner alors que, jusque là, le Front commun pour le Congo, la plateforme soutenant l’ancien président Kabila et forte de 340 députés, semblait coulée dans le béton.
En réalité, cette coalition de circonstance comportait, outre les fidèles du PPRD le parti présidentiel, bon nombre d’opportunistes, ralliés de la dernière heure.
En outre, certains caciques comme le coordonnateur du FCC, Néhémie Mwilanya, étaient régulièrement accusés de ne pas suffisamment tenir compte de la base, n’évoluant que dans les hautes sphères de l’argent et du pouvoir.
Les partisans de Tshisekedi ne sont pas, eux non plus, immunisés contre pareille tentation, au risque d’être coupés de la base populaire, qu’il s’agisse des anciens cadres de l’UDPS dribblés par la jeune génération, des membres de la diaspora fraîchement rentrés au pays ou de transfuges dont le retournement actuel n’a été obtenu qu’à coup de billets verts, les chiffres de 700O ou 10.000 dollars étant régulièrement cités…
À cela, s’ajoute le danger, pour les dynamiques Kasaïens occupant désormais le haut du pavé, d’agacer le reste de leurs compatriotes…
Plusieurs capitales occidentales, dont Bruxelles, ont salué la victoire du président Tshisekedi, dans l’espoir qu’elle lui permette de mettre en œuvre les importantes réformes auxquelles il s’est engagé.
Cependant, deux autres pièces du « dispositif Kabila », parmi lequel l’ancien président avait gardé le contrôle de la vie politique, restent à abattre : le président du Sénat, Alexis Thambwe Mwamba pourrait lui aussi être victime d’une motion de défiance.
Et, dans l’immédiat, c’est surtout le Premier ministre Ilunga Ilunkamba qui représente une cible de choix. Nommé par la « majorité Kabila » aujourd’hui très érodée, il a refusé jusqu’à présent de présenter la démission de son gouvernement. Mais il pourrait bien y être contraint.
Excellent stratège sous des allures débonnaires, implacable s’il le faut, (le refus d’évacuation sanitaire infligé à Vital Kamerhe en témoigne) Félix Tshisekedi avait préparé soigneusement l’opération politique actuelle, visant à mettre en place une « Union sacrée ».
Au cours de l’été, il avait procédé à d’importants remaniements au sein de la magistrature et de la Cour constitutionnelle.
En outre, au contraire de son prédécesseur, il s’était très tôt soucié de l’ordinaire des soldats du rang en visitant les camps militaires, avant de s’assurer de la fidélité de la haute hiérarchie militaire.
Au moment même où l’assaut contre Mabunda était mené à l’Assemblée, le président se trouvait en réunion avec d’importants généraux.
Le grignotage du terrain congolais avait été précédé, dès le lendemain de son accession au pouvoir, par une succession de voyages dans les capitales occidentales mais aussi en Afrique.
Et Tshisekedi s’était employé à satisfaire son voisin Kagame, tant sur le plan économique que sécuritaire. Cette stratégie s’était avérée payante, qu’il s’agisse de l’appui de l’ambassadeur américain Mike Hammer, de la bienveillance de Kigali, de la satisfaction d’Israël après la reconnaissance de Jerusalem comme capitale.
Mais, les succès internationaux risquent d’être de courte durée : le pouvoir américain va changer de mains et les voisins africains, qui avaient donné leur aval à la « passation pacifique et civilisée du pouvoir » dans l’un des plus grands pays du continent risquent de ne pas apprécier la volte-face actuelle sinon d’y voir un dangereux précédent pour ce qui les concerne…
Mis en échec de manière cuisante et n’ayant pris aucune position publique, l’ex président Kabila, a-t-il pour autant perdu la partie ?
Après avoir différé son voyage, il vient d’arriver à Kolwezi, dans la riche province minière du Lualaba où il a été accueilli avec chaleur.
Comparaison n’est pas raison, mais face à l’avancée de son ex-allié, Kabila pourrait avoir choisi une retraite stratégique, comme ces troupes russes qui reculèrent naguère devant Napoléon. Provisoirement.
Par Colette Braeckman (Le Soir)