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RDC-Dr Denis Mukwege : « Je ne suis candidat à rien mais si la base me le demande… »

Rentrant de New York, où il se trouvait à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations Unies, le Docteur Denis Mukwege est passé par la Belgique où, dans une conférence organisée à l’occasion du 40e anniversaire de l’hôpital Erasme il a prévu de dialoguer, le 12 octobre 2017, avec des collègues obstétriciens à propos du «corps des femmes ».

A New York cependant, le médecin chef de l’hôpital de Panzi, au sud de Bukavu, Sud-Kovi, Est de RD Congo) a abordé le sort d’un autre « grand malade » la République démocratique du Congo qui s’enfonce dans la crise. Nous lui avons demandé s’il avait le sentiment que les » grands de ce monde » et l’opinion internationale dans son ensemble avaient pris la mesure exacte de la gravité de la situation en RDC.

« On perçoit la gravité de la situation, mais ne voit pas que faire. Entre ceux qui pensent que les élections peuvent attendre et ceux qui pensent qu’elles doivent avoir lieu rapidement il y a un fossé qu’il faut essayer de combler. Il est clair que le 31 décembre prochain, l’accord dit de la Saint Sylvestre, (conclu grâce à la médiation de la conférence des évêques congolais ) et qui donnait encore une petite légitimité au pouvoir de Kinshasa arrive à son terme. Et au-delà de cet accord, il n’y a rien.

Je vous rappelle que, normalement, il aurait fallu organiser les élections avant cette date. Mais on voit très bien que les manœuvres de Kinshasa c’est d’éviter cette échéance : en plus des cinq ans, durée du dernier mandat présidentiel, ils ont eu douze mois pour organiser ces élections. Comme ils n’avaient rien fait durant cinq ans, on leur a donné un peu plus de temps… Neuf mois ont été consommés, mais ils n’ont même pas terminé le recensement Par contre, comme je l’avais déjà dit, on ouvre les prisons.

En quelques mois, une vingtaine de prisons ont été vidées et, à mon avis, le but de l’opération, c’était d’alimenter les groupes armés, pour créer l’insécurité. Une insécurité qui fournira un autre alibi pour ne pas organiser les élections…

Combien de temps la communauté internationale va-t-elle accepter de jouer ce rôle de pompier, tout en sachant très bien qui est le pyromane ? Ce qui se joue c’est « moi et le chaos ».

Un chaos qui est préparé et qui se répand. Il y a des territoires qui sont presque complètement aux mains des groupes armés. Il y a longtemps que je dis que beaucoup de ces groupes sont créés par ceux là même qui sont au pouvoir. Aujourd’hui tout le monde semble surpris mais si on pousse l’analyse on constate que la plupart des crises proviennent des fiefs des proches du président..

Ce qui se passe aujourd’hui à Fizi (où un groupe de rebelles dirigé par un certain Yakutumba a lancé une nouvelle rébellion ) est en lien direct avec le directeur de cabinet du chef de l’Etat. Au Kasaï, la crise a été provoquée par l’ancien Ministre de l’Intérieur Evariste Boshab… Dans la région de Beni c’est pareil, on retrouve des proches du chef de l’Etat…

Après le 30 juin j’avais fait un appel aux jeunes, leur demandant de rejoindre ceux qui sont en train de faire une résistance pacifique et non pas ces groupes qui sont en train de retraumatiser la population pour maintenir au pouvoir ceux-là même qui maltraitent cette population.

On a l’impression que la communauté internationale dispose de toutes ces informations ; nul ne peut dire qu’il ne sait pas ce qui se passe, on sait quelle est l’origine de tout cela. On joue les sapeurs-pompiers alors que l’on sait bien qui est le pyromane. Ce qu’il faut faire, c’est demander au pyromane d’arrêter ses manœuvres, de ne plus semer les foyers d’incendie… ».

 

Ne craignez-vous pas qu’ à un moment ces foyers échappent à tout contrôle, y compris par celui ou ceux qui ont allumé le feu ?

 

J’ai toujours dit que la violence ne pouvait engendrer que la violence. Vous la lancez contre les autres mais elle peut vous rattraper…Des milliers de jeunes que vous avez armés et que vous avez laissé faire ont créé l’insécurité mais qui est à l’origine de cela…

 

Quelle est la situation près de chez vous, aux alentours de l’hôpital de Panzi ?

 

Avant même que je quitte Panzi, il y avait des assassinats tous les deux jours, comme pour traumatiser les gens au maximum…Il n’y a pas de prévention et ne pas nommer les responsables de cette situation, cela équivaut à la faire trainer encore davantage, alors qu’elle devrait se résoudre autrement…

L’Union africaine s’est cependant montrée plus compréhensive que les Occidentaux, en déclarant qu’elle pourrait accepter des élections en 2018 à condition qu’elles soient bien organisées…Comme si elle voulait donner un nouveau délai au régime…

Il est dommage que cela se passe comme cela…Ceux qui veulent donner un nouveau répit au régime, ce sont des gens qui n’aiment pas les Congolais… Cela fait vingt ans, jour pour jour, qu’il y a des habitants de ce pays qui n’ont pas pu rester Dans les Kivus, depuis la guerre dite de libération, il y a des populations qui n’ont jamais connu ladant…

On a eu une transition avec le président Kabila, puis, par referendum, on a adopté une Constitution. Ceux qui veulent donner plus de temps au régime doivent retenir une chose : en 2006, les élections locales n’avaient pas été organisées. Les gens ne s’étaient pas rendu compte que, pour contrôler la population, il faut avoir des autorités légitimes. Bourgmestres, maires de ville, chefs de quartier, personne parmi ces gens n’a été élu, personne n’est redevable auprès de la population. Ils ne rendent compte qu’à celui qui les a nommés à Kinshasa, au pouvoir central..…

C’est pourquoi, les manifestants sont régulièrement réprimés par ceux qui ne doivent rendre de comptes qu’à Kinshasa. Il s’agît là d’une manipulation que les gens semblent ignorer et qui explique cependant la difficulté de pouvoir mobiliser à la base…

En 2011 on aurait du avoir tout le cycle électoral, mais les élections locales n’ont pas eu lieu, ni les législatives.. Et donc le Sénat, (dont les membres devaient être élus au suffrage indirect) n’a pas été élu lui non plus, il se maintient dans l’illégalité, et les députés provinciaux non plus ne sont pas légitimes.

Avec pour conséquence le fait que tous ces hommes qui se retrouvent dans le sénat, dans les Parlement provinciaux sont contents d’y rester, d’autant plus que si l’on organisait des élections ils ne seraient pas certains de gager les élections. Ils jouent donc le jeu du régime…Au total, cela fait du monde…Ajoutez à cela le Parlement national, le président : plus personne n’est légitime…En plus, une partie de l’opposition a été intégrée dans le gouvernement et donc, comme on dit chez nous, « elle mange aussi »…

 

C’est une formule de corruption incroyable car il faut tout de même retenir qu’un député gagne 12 000 dollars par mois et un simple militaire doit se contenter de miettes. Autrement dit, il y a rupture entre la classe politique dans son ensemble et la population et ceux qui devraient être la « voix de la base », c’est-à-dire les élus, ne le sont plus… Ce qui veut dire que la population est abandonnée à elle-même, opprimée…Tous ses relais ont été achetés…

 

Les plus sincères devraient choisir la démission, puisqu’ils sont hors mandat mais ils ne le font pas… Le résultat, c’est que l’on a un groupe de gens qui profitent de la situation et qui ne voudront donc jamais céder…

 

Qui va débloquer cette situation ?

 

Je ne crois plus à une solution qui viendrait du sommet… Ce que nous venons de décrire montre très bien que, plus on monte, plus on a des gens qui participent à ces blocages pour des intérêts privés. Le dialogue auquel on a assisté était plutôt une bataille pour des intérêts personnels. Je pense que la solution doit venir de la base.

Si la base exerce suffisamment de pressions, c’est de là que viendra la solution. Mais nous avons un problème : au Congo, les gens qui manifestent pacifiquement sont tués et malheureusement, la communauté internationale se tait. Tout le monde se tait alors qu’il y a une répression très forte et qui n’entraîne aucune conséquence pour ses auteurs. C’est là le danger : ce peuple affamé, massacré, opprimé devrait pouvoir se soulever pour réclamer cette alternance.

J’ai suivi les jeunes qui, à Goma, Bukavu, Kisangani, ont manifesté pour que le 30 septembre on puisse en appeler aux élections qui doivent avoir lieu avant la fin de l’année. Ils ont été arrêtés et ne sont toujours pas libérés.

Je suis surpris que, dans un tel contexte, les Africains puisent encore soutenir cette situation (NDLR. L’Union africaine, soutenant le processus électoral, accepte l’hypothèse selon laquelle les scrutins ne pourraient être organisés qu’en 2018).

Accepter cela, c’est ne pas mesurer les conséquences d’une nouvelle crise dans laquelle le Congo pourrait basculer… Aujourd’hui il est plus qu’important de faire appel aux leaders africains, de leur faire comprendre que la crise risque d’avoir un impact plus grand qu’on ne l’imagine. N’oublions pas que le Congo a neuf frontières…

Cette inquiétude doit se traduire par une prise de position, et il faut rappeler qu’un pays ne peut pas fonctionner sans la loi. Lorsqu’on met la loi fondamentale entre parenthèse, cela signifie que l’on décide de mener une politique de la terre brûlée, qui permet à chacun de faire ce qu’il veut. L’Est a déjà été le sanctuaire de nombreux mouvements rebelles. Tout cela aura une conséquence néfaste sur les pays voisins, sur la stabilité de la région et il faut tenter de résoudre cette crise avant qu’elle ne devienne régionale.

 

Une troisième guerre régionale ne serait donc pas exclure ?

 

Il faut le dire : nous avons passé vingt ans dans une guerre menée pour le contrôle du coltan. Je suis inquiet : si cette situation se prolonge, nous allons assister à une autre guerre, qui sera menée pour le contrôle du cobalt.

Je reviens de Suède : en 2020 Volvo ne construire plus de voitures fonctionnant avec du carburant, il n’y aura plus que des moteurs électriques. Or celles-ci utilisent le cobalt et le Congo détient entre 70 et 80% des réserves mondiales de cobalt, au Katanga principalement. Une fois de plus le Congo détient les ressources dont le monde a besoin.

Si les Congolais ne prennent pas d’initiatives, de mesures permettant aux hommes d’affaires de travailler correctement, nous assisterons à une spoliation de plus, avec des conséquences humaines désastreuses. C’est une perspective qui fait peur. On en va pas empêcher le monde d’accéder au cobalt puisque nous en avons ; l’Est a beaucoup souffert à cause du coltan, mais la guerre pour le contrôle du cobalt pourrait éclater au Katanga et personne ne pourra enrayer une telle évolution…

 

Croyez vous que les dialogues qui se succèdent (un troisième dialogue est déjà évoqué…) pourraient représenter une solution ?

 

Déjà au moment du premier dialogue, dirigé l’automne dernier par le médiateur togolais Edem Kodjo, j’étais sceptique. J’avais mis en garde, souligné que l’on ne pouvait commencer à négocier une Constitution, à la mettre entre parenthèses..

Je pense vraiment que le dialogue ne peut pas remplacer les élections. Mais comme au bout du compte, il y avait des postes à distribuer, tout le monde s’était précipité. Et aujourd’hui voilà que l’on parle d’un troisième dialogue… Que va-t-on dire ? Le gens sont-t ils suffisamment naïfs pour croire que l’on va continuer à discuter, à signer des documents portant sur un accord qui finalement ne sera pas appliqués. Les signataires sont-ils naïfs ?

 

Ne seraient-ils pas tout simplement cupides, intéressés par le « partage du gâteau » ?

C’est vous qui le dites…A propos de gâteau, j’ai le sentiment que ce dernier est en train de diminuer sérieusement. Pouvez vous imaginer un pays de 80 milions d’habitants ? Qui n’est pas un désert où rien ne pousse, où il n’y aurait rien ? Dans ce pays, pour ces 80 millions d’habitants, le budget de l’an dernier était de quatre milliards ? Un chiffre tellement bas ? Où sont les budgets de la santé, de l’éducation, de la sécurité..

Ceux qui se précipitent pour gagner quelque chose pour eux-mêmes ne réfléchissent pas au fait que, pour vivre, on a besoin d’avoir un entourage …

Voyez la situation actuelle : à Goma, à Bukavu, le choléra sévit. Et cela alors qu’autour de Bukavu, il y a au moins une vingtaine de rivières dont il suffirait de capter l’eau…

Chez nous la santé, l’éducation, cela n’existe pas. Où part l’argent ? µ

Les quatre milliards du budget c’est pour pouvoir faire tourner la machine des dirigeants. Le peuple lui, se sent complètement abandonné, perdu…Des richesses du pays, la population, ne voit rien. Ceux qui se précipitent pour diriger devraient tout de même se demander : diriger qui, et à quel prix ?

De par ma profession, dans mon hôpital, je vois se dérouler de véritables drames. Une telle pauvreté, un tel dénuement.. J’ai vu des femmes qui, après avoir accouché, préfèrent laisser leur bébé à l’hôpital.. Elles disparaissent, car elles ne peuvent emmener leur enfant là où elles vivent et elles déclarent alors « je ne veux pas le voir mourir, comme les quatre précédents, victime de la malnutrition, de diarrhées… ».

L’une de ces femmes me disait : « je suis enceinte car j’ai dû céder à mon mari, mais cet enfant dont je viens d’accoucher, je ne veux pas le voir mourir… ». Cela traduit une misère profonde, un désespoir immense… Les enfants viennent à l’hôpital, sont soignés, guérissent, puis la maman disparaît. Et je me retrouve avec des enfants abandonnés, à cause de la misère.

C’est un phénomène nouveau… Lorsque l’on voit une telle misère tous les jours, que les gens vous posent des questions sur l’alimentation de leurs enfants, leur éducation, on ne peut pas se taire. Car ce que je vois à Panzi existe évidemment ailleurs aussi. C’est le miroir de la société, des exemples comme cela se comptent par centaines. Près de chez moi, le curé de la paroisse dit la même chose : jamais il n’a vu une telle misère, indescriptible…J’avais envie de lui poser la question : comment songer à évangéliser des gens qui ont passé trois jours sans manger ? Pour des gens comme cela, que signifient des élections ?

 

Que veulent ces cens, ces citoyens de base ?

 

Ce qu’ils veulent, c’est d’abord manger…Puis aller aux élections…Parlons de cette fameuse transition… SI elle devait commencer, ce serait une transition sans Kabila, TSK, comme dit l’opposition…

Je vous rappelle qu’en 2002, Kabila avait commencé par une transition. Aujourd’hui il termine par une transition, plus ou moins. En tous cas, il est là. Et il n’a aucune intention de quitter. Alors moi je pense que face à ce président qui veut rester au pouvoir, qui fait preuve de mauvaise foi, de manière évidente, nous avons besoin du Conseil de Sécurité..

 

A vos yeux, pour que des élections claires, transparentes crédibles puissent avoir lieu, il faut que le pouvoir actuel se retire ?

 

Bien sûr : il faudra alors mettre en place une équipe neutre qui respectera certains principes. Cette équipe technique sera chargée de mettre les choses en place, d’organiser les élections.

Au Congo, ce ne sont pas les individus qu’il faut changer, c’est le système.

Je vous l’avais dit, si tous ces individus, de la base jusqu’au sommet vivent de ce système au détriment de la population, c’est le système qu’il faut changer. Cette transition doit être dotée de principes clairs.

Nous ne sommes plus un Etat, nous n’avons plus de frontières, au Kasaï, l’armée tire à bout portant sur une population sans armes, nous avons donc besoin du soutien de la communauté internationale si nous voulons changer les choses. Il faut mettre en place des principes qui permettent que désormais tous les partis politiques, après la transition, pourront concourir à égalité des chances, défendre leur programme politique.

 

Il n’empêche que c’est Kabila qui dispose encore des armes, de l’argent, de la force, des réseaux, sinon des soutiens internationaux…Qui donc va mettre en place cette transition sans Kabila dont vous parlez ? Il faudrait presque un miracle ?

 

Le miracle peut quelquefois être accompli par les gens de bonne volonté, par ceux qui comprennent, qui mesurent le coût de ce qui est en train de se préparer… Que le monde aujourd’hui n’agisse pas, cela relèverait de la pire hypocrisie…

 

Qui donnera le « coup de pouce » ? La communauté internationale, si on y croit, ou un miracle, en interne ?

 

Quelque chose peut se passer en interne. Mais la destruction est telle que l’on aura toujours besoin des pays amis pour reconstruire et même pour faire une transition et mettre en place des institutions qui permettront l’organisation des élections. Nous n’avons pas d’armée car peut on qualifier d’armée des troupes qui tirent sur leur propre population ? Beaucoup de Congolais n’ont pas d’identité.

A Panzi, chez moi, il y a eu une crise : des jeunes ont attrapé des policiers qui étaient venus voler et plus de 50 policiers ont ainsi été blessés…Pensez vous que l’on puisse organiser une transition sans au moins pouvoir résoudre, ne serait-ce qu’en partie, de telles situations ? Les conditions en ce moment ne sont pas réunies…

Résumons : il faudrait donc une période transitoire, qui permettrait de remettre de l’ordre, et à la tête du pays on placerait des personnalités crédibles et provisoires…

Il faudrait que les personnes qui accepteraient de jouer un rôle dans la transition, durant une période déterminée, sachent qu’elles n’auront pas le droit de présenter leur candidature aux élections. La mission sera très claire : mettre les choses en place et pas seulement les urnes. Les élections ne vont pas résoudre les problèmes du Congo. Ce qu’il faudra, c’est un changement de mentalité. Une révolution morale. Par laquelle les gens se diront : « on est tombé très bas, il faut maintenant reconstruire un Etat digne… ».

Une révolution morale doit permettre de discuter de certaines valeurs que nous défendons. Tout le monde doit avoir une vision, savoir où nous allons, ce que nous voulons faire. Ce n’est pas la transition entant que telle qui va résoudre nos problèmes…On avoir des élections, mais si elles sont mal organisées elles remettront les mêmes personnes à la tête du pays…

Par contre si tout le monde accepte que ça va très mal, que la situation est inacceptable, cette prise de conscience peu amener à ce que les gens se battent pour la paix, pour la liberté de pensée, d’expression, pour des points de base comme manger, vivre quoi.. C’est fondamental et cela nous amène vers un idéal de dignité humaine.

 

Allez-vous trouver une équipe capable de gérer cette période intermédiaire, transitoire. Et vous-même, pouvez vous jouer un rôle dans cette équipe ?

 

On se pose beaucoup de questions sur les capacités des Congolais. Il faut qu’ils aient le courage de dire « ça ne va pas, cela va mal, mais cela va changer, c’est ma responsabilité ». Il faut que chacun se dise que lui, il peut jouer son rôle pour que cela change. Voici un mois j’avais organisé à Kinshasa une conférence à laquelle participaient une soixantaine d’intellectuels, d’universitaires.

La réflexion portait sur ceci : « comment des gens qui vont enseigner partout dans le monde ne prennent-ils pas le temps de réfléchir à la situation dans notre propre pays, où se passent des énormités ? Au cours de cette conférence, des gens ont pris des risques pour parler, pour dénoncer des situations inacceptables.

Oui, dans ce pays, il y a des gens qui sont capables de se lever, de se lancer dans la bataille. Mais la communauté internationale doit les sécuriser…

Le pouvoir utilise toujours l’argument de la souveraineté, mais en fait on invoque la souveraineté quand il s’agît de protéger certains intérêt, et sans tenir compte des obligations qui en découlent…

Nous sommes dans une période où le soutien de la Monusco nous est plus nécessaire que jamais. On ne peut pas faire partir la force onusienne avant d’avoir réformé le secteur de la sécurité, c’est une nécessité absolue… Comment peut on penser faire cette transition s’il n’y a pas un système d’accompagnement international…

Rappelez vous : de 2001 à 2006 il y avait le CIAT (comité d‘accompagnement de la transition), où se retrouvaient entre autres les ambassadeurs des Etats Unis et de Belgique ainsi que le patron de la Monusco. Nous aurons besoin d’une structure comparable, il faut être humble…La communauté internationale ne peut pas continuer à assister à la destruction massive de la population congolaise par la volonté d’un seul individu. Il y a là non assistance à personne en danger… C’est là que s’appliquerait le droit humanitaire.

Si cette transition se mettait en place, accepteriez vous de jouer avec l’équipe ?

Ah cette question… Je ne suis candidat à rien du tout. Il faudrait que le peuple comprenne mon raisonnement : plus encore que la transition, que les élections elles mêmes, ce qu’il faut réaliser, c’est le changement de mentalité, pour se dire que nous voulons arriver à un idéal qui mette l’homme au centre des préoccupations, qui respecte la dignité humaine. Si les gens comprennent cela, qui que ce soit, il faut comprendre que deux ans, ce sera juste le temps de comprendre certains principes, de jeter les bases pour aller vers un changement du système…

C’est un rôle qu’on ne peut jouer que si le peuple le décide. Ce n’est pas moi qui doit le solliciter, mais si la base me le demande, c’est qu’elle va me soutenir dans la vision qui est la mienne. Et là, je peux être sûr que cette construction va se mettre en place…

 

A Panzi, à Bukavu, et aussi à l’étranger, vous êtes très connu. Mais à l’intérieur du Congo, où vous n’apparaissez jamais à la télévision, quel est votre degré de notoriété ?

 

Je reviens des Etats Unis, je suis régulièrement en Belgique… Mais lorsque j’étais à Kinshasa la dernière fois, je ne pouvais pas traverser la rue sans que les gens m’interpellent et me disent « ne refuse pas… » Même si on ferme les télés et les radios, l’information passe. Dans la rue les gens me disent « il ne faut pas refuser sinon nous, on va vous traiter comme un traître… » On peut penser qu’il y a un black out sur l’information mais si, même sans campagne, sans publicité, les gens vous reconnaissent, pensent que vous pouvez les aider, c’est déjà un début de révolution morale…

Dans le pays lui-même les idées se diffusent… La diaspora envoie des messages, « radio trottoir » fonctionne, les gens suivent… Quand les gens disent « nous pensons que le Dr Mukwege peut faire la transition puisqu’il est intègre » c’est un argument qui me plaît, un message d’ordre moral… Cela signifie que ce n’est pas uniquement sur la base de la distribution de billets de banque que les gens peuvent décider, mais sur les qualités morales, éthiques, de la personne… C’est cela le changement…La moralité, c’est cela qu’il faut pour atteindre notre idéal…Même lorsque je voulais expliquer à la télévision le travail que nous menons j’ai été victime d’un black out…

Si les intellectuels décident que l’on peut faire un consensus autour de ma personne ce sera très important… Il ne suffit pas d’avoir de l’argent, il faut aussi développer les qualités morales, éthiques pour pouvoir discuter…J’ai été frappé par les déclarations d’un homme politique de Kinshasa, Martin Fayulu, membre de l’opposition,(le parti ECIDE) qui s’est prononcé en ma faveur. (ndlr Martin Fayulu, l’un des leaders de l’opposition avait déclaré : « quand on a un joueur comme Messi, on ne le laisse pas sur le banc..) Il est important de relever que Fayulu, qui est originaire du Bandundu, soutient quelqu’un du Kivu, qui n’est donc pas de sa province… Voyant cela je me dis que nous avons encore des hommes et des femmes qui peuvent faire la différence… Moi, je crois au peuple congolais.

Lorsque la base s’est exprime, elle est accueillie par la répression, on tire à balles réelles. Et je trouve que les organisations de défense des droits de l’homme ne protestent pas assez…C’est tous les jours qu’il faudrait dénoncer ce qui se passe dans ce pays…

A New York, j’ai rencontré la mère de l’experte de l’Onu assassinée au Kasaï, c’était très dur, très émouvant…

Comment se sortir de l’oppression ? La répression que nous subissons est très forte, si vous saviez le nombre de gens que j’ai perdus autour de moi, parmi ma famille, mes amis.. Chaque jour nous perdons des vies humaines, mais nous n’allons pas lâcher. Nous ne sommes pas faibles, pas éteints… On peut encore rebondir. Les Congolais ne sont pas couchés, ils sont debout… J’ai reçu des lettres, des menaces, beaucoup a été fait pour me pousser à aller en exil. Mais cela je ne peux pas le faire. J’ai déjà perdu beaucoup de gens autour de moi, il y a des veuves, des gens qui ont perdu les leurs, massacrés. Ce serait une lâcheté de les abandonner, de me sauver. Non je ne peux pas faire cela. Je ne serais jamais tranquille. Ici, je ne serais jamais heureux…

 

 

Par Colette Braeckman

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