

En République démocratique du Congo, la tension monte entre pouvoir, l’opposition et même la société civile sur la fin du mandat de Joseph Kabila. La subordination de l’organisation des élections présidentielles au recensement de la population constitue aujourd’hui la principale discordance entre les parties, discordance portée par la révision de la loi électorale.
Les Congolais sont entre 65 et 70 millions, peut-être plus. Nul ne le sait avec précision. Si les élections de 2006, acceptées par plusieurs comme « démocratiques », n’ont pas posé beaucoup de problèmes, la fiabilité du fichier électoral avait lui un tout petit peu dérangé. Ce problème se fera beaucoup plus sentir dans la préparation des chaotiques élections de 2011.
Durant de longs mois, voire plus d’une année, l’accès au serveur pour authentifier le fichier électoral a contribué à renforcer la tension et la suspicion entre le pouvoir et l’UDPS alors principal challenger.
C’est dans ce pays donc que finalement, un recensement en bonne et due forme devrait permettre à tout le monde de souffler et espérer ainsi oublier des conflits parfois honteux. Le cas, en plein 21e siècle et dans une « révolution de la modernité ! », des élections basées sur des estimations. Dans ce pays, le récent recensement de la population remonte à il y a près de 30 ans (fin des années 1980).
La confiance n’existe pas ici
Disons que la confiance est plutôt une espèce en voie de disparition. On se soupçonne, même lorsqu’il s’agit des vœux ou des salutations que l’on reçoit. À tort ou à raison ? Je ne saurais quoi dire en effet. Au moins, il y a des signes, à propos du processus électoral, qui semblent tourner en faveur d’un certain scepticisme quant à l’organisation du recensement.
Joseph Kabila aura totalisé en juin 2016, dix ans au terme de deux mandats successifs. Son régime n’ignore pas combien ce recensement est important non pas seulement pour les élections. Mais surtout à ce propos, après des élections qui ont fortement nui à limage du pays et du régime. Poser les bases des élections transparentes devrait être un gain.Il y a donc 5 ans qui passent, puis 3 et demi…
c’est alors le moment pour procéder au recensement. Dans un pays-continent (235.000 km2) dont l’intérieur est quasiment sans routes, difficile donc d’accès pour plusieurs coins, espérer finaliser le recensement que la contestée loi électorale sous étude au parlement érige en élément incontournable pour l’organisation des élections présidentielles et législatives, il faut attendre un miracle. Ou simplement, il faut se rassurer que l’opposition alertée par une tentative de révision de la constitution pour un mandat interdit à Joseph Kabila, devrait acquiescer.
Des manœuvres
Mais hélas, le germe de la méfiance est manifesté ! Il parait donc clairement, et c’est l’opposition qui le dit, que ce recensement qui pourrait bien finir en retard s’il est expéditif, c’est-à-dire, vers 2016 l’année des élections, est la voie par laquelle faute d’une révision de la constitution, Joseph Kabila restera au pouvoir.
La Constitution, en effet, l’autorise à rester en poste « jusqu’à l’installation d’un niveau président élu ». Les négociations pourront alors commencer pour de nouvelles élections.Peut-être que Joseph Kabila n’a pas l’intention de rester au pouvoir au-delà de son deuxième mandat. L’opposition aura donc perdu la chance de voir se réaliser ce recensement important pour le pays. Mais la confiance perdue, tout est difficile.
La radicalisation de l’opposition et l’obstination du pouvoir cheminent probablement vers une dérive. Plusieurs ne jurent que par « Burkina Faso », appelant presque le peuple à « se prendre en charge ». Pendant ce temps, d’autres appellent à ne pas « imiter aveuglement » cet exemple et en même temps, envoient des signes de sévérité à ceux qui seraient tentés de descendre dans la rue. C’est la confusion.
DIALOGUER
Peut-être que la solution réside dans une entente, un dialogue ou une reconsidération des positions pour éviter le pire. Ah, le pire ou les pires ? Il y en a eu tellement dans ce pays et on n’en finit pas d’en souffrir.
Les conciliabules, on s’en lasse aussi, mais ça au moins, ça vaut mieux que le deuil.Le pouvoir et l’opposition appuyée par la société civile sont en désaccord sur presque tous les plans. Et, j’ai l’impression que le mal vient de la compréhension que pouvoir et opposition ont de leur état.
À l’assemblée, par exemple, les députés sont souvent si non toujours enclins à soutenir tout ce qui vient du pouvoir pour ceux de la majorité, et rejeter pour ceux qui sont de l’opposition.
Facilement on se trouve dans un face-à-face qui finit par des violences.
Il n’y a pas longtemps, des députés en sont même venus aux mains à l’hémicycle, au cours d’un débat sur une motion de défiance contre un membre du gouvernement.
Révision constitutionnelle : Kinshasa au bord du KO
Depuis trois jours, les violences font rage à Kinshasa où la police est confrontée à des rassemblements de jeunes hostiles au président congolais Joseph Kabila.

« Ce matin encore, nous sommes en pleine opération parce qu’il y a un mouvement d’étudiants près de l’Unikin », l’université de Kinshasa, a déclaré le porte-parole de la police Israël Mutumbo. « Nous sommes en train de sillonner la ville, car il y a des petits groupes qui se forment. »closevolume_off.
Des coups de feu, un poste de police détruit
Une journaliste de l’AFP a entendu deux coups de feu dans le campus où un petit groupe de policiers faisaient face à quelques dizaines d’étudiants qui scandaient « Kabila, dégage ! » Toute la matinée, des affrontements sporadiques se sont poursuivis dans les environs de l’université, où les étudiants jouaient au chat et à la souris avec la police.Dans le quartier de Ndjili, proche de l’aéroport international, un poste mobile de police a été détruit par un groupe de jeunes scandant des slogans hostiles au chef de la police de Kinshasa, le général Celestin Kanyama. Là aussi, les policiers tentaient de disperser les groupes de manifestants à coups de grenade lacyromgène, a constaté une journaliste de l’AFP.Ces nouveaux troubles surviennent après deux journées de violences meurtrières dans la capitale, qui ont fait cinq morts selon les autorités, un bilan qui atteint vingt-huit morts selon une organisation congolaise de défense des droits de l’homme.
Les écoles sont fermées
Internet était toujours coupé mercredi, les services 3G et les SMS indisponibles. Les émissions de Radio France Internationale (RFI), une radio très écoutée en Afrique francophone où les populations se méfient souvent des médias locaux, ont été temporairement interrompues, sans que l’on connaisse l’origine exacte de cette coupure, a-t-on constaté. La plupart des écoles de Kinshasa étaient fermées, selon des journalistes de l’AFP et des habitants.
Une nouvelle loi électorale, cause des émeutes
Les émeutes ont commencé lundi pour protester contre l’examen d’une nouvelle loi électorale controversée, qui pourrait entraîner un report de l’élection présidentielle et permettre au président Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà du terme de son mandat en 2016. Des émeutiers ont incendié mardi une mairie à Kinshasa, et de nombreux pillages ont eu lieu. L’opposant historique Etienne Tshisekedi, 82 ans, a lancé mardi depuis Bruxelles un « appel solennel » au peuple congolais pour qu’il demeure « mobilisé de manière permanente pour contraindre ce régime finissant à quitter le pouvoir ».
L’ombre de la chute de Compaoré au Burkina
Ces événements interviennent deux mois après le renversement du président Blaise Compaoré fin octobre au Burkina Faso. Après 27 ans de règne, M. Compaoré avait été balayé du pouvoir en quelques jours par d’immenses manifestations de rue, après avoir voulu modifier la Constitution pour pouvoir se représenter au scrutin présidentiel.La RDC est un des pays les plus pauvres du monde, et a été ravagée par deux guerres entre 1996 et 2003 après trois décennies de dictature de Mobutu Sese Seko et de pilages généralisés des richesses nationales.
Kabila, du maquis au pouvoir laissé par son père
Joseph Kabila est arrivé à la tête de l’État à la mort de son père, Laurent-Désiré Kabila, chef rebelle qui a chassé le maréchal Mobutu par les armes en 1996 et a été assassiné en janvier 2001. Il a été élu président en 2006 lors des premières élections libres du pays depuis son indépendance de la Belgique en 1960.Il a été réélu en novembre 2011 pour un nouveau mandat de cinq ans à l’issue d’élections contestées par l’opposition et marquées par des irrégularités massives. La Constitution ne lui permet pas de se représenter pour un troisième mandat.
L’appel international au retour au calme
Après la France, l’Union européenne a appelé mercredi au « retour au calme » et au « respect des échéances électorales ». Elle a également mis en garde contre un risque de « déstabilisation » du pays. Le respect des échéances électorales telles que fixées par la Constitution est au centre du débat » et l’UE a dit attendre « la publication d’un calendrier (électoral) complet ».
Le projet de recensement, un piège ?
Après un long mutisme sur ses intentions, c’est le président Kabila qui a involontairement relancé l’agitation et les accusations sur sa volonté de se maintenir au pouvoir, en annonçant dans ses voeux du nouvel an le projet de recensement contesté. Voté par les députés en début de semaine, le projet de loi est maintenant examiné par le Sénat.Le gouvernement a dans un premier temps reconnu que ce recensement risquait d’entraîner un report de la présidentielle censée avoir lieu fin 2016. Mais dans ce qui pourrait être un signe d’apaisement après l’éclatement des troubles, le ministre de l’Intérieur Evariste Boshab a affirmé mardi au Sénat qu’il ne s’agissait que d' »une ébauche ». « Il n’y a pas du tout de conditionnalité » entre la tenue des élections présidentielle et législatives et la réalisation du recensement, a-t-il assuré.
Avec Lubumbashi.blogspot.com (15 janvier 2015)
Par Malick Diawara (avec AFP)