L’histoire se répète-t-elle en République démocratique du Congo ? C’est ce que redoutent les Églises catholique et protestante. La semaine dernière, les six autres confessions religieuses reconnues dans le pays déposaient sans leur accord à l’Assemblée nationale le nom de leur candidat-président de la commission électorale, Denis Kadima, un expert électoral international. Pour la conférence épiscopale du Congo catholique et l’Église du Christ au Congo protestante, malgré ses compétences, les menaces et pressions dont ont fait l’objet les chefs religieux eux-mêmes entament la crédibilité de toute la procédure de désignation. Elles redoutent une mise sous contrôle de la Commission électorale au Congo de Felix Tshisekedi, comme ce fut le cas sous son prédécesseur Joseph Kabila. Le révérend Eric Senga, porte-parole de l’ECC est l’invité ce matin.
RFI : Pourquoi avoir décidé de ne pas signer le procès-verbal de désignation de Denis Kadima comme les six autres candidats ?
Révérend Eric Senga : Il faut rappeler ici qu’il n’existe pas de PV. Qui a compétence pour établir ce PV, si PV doit exister ? Donc pour parler d’un PV, il faut en avoir qualité. L’ECC et la CENCO dirigent la plateforme des confessions. Pourquoi le président Mboso (ndlr : président de l’assemblée nationale) a accordé un délai si le PV était établi. J’imagine qu’il aurait dû pouvoir déposer ce PV le mercredi. Puisque la date limite était le mercredi. Si ils n’ont pas pu déposer le PV, c’est parce que tout le monde était conscient que les travaux n’étaient que suspendus. Savez-vous que quand on était en train de débattre des candidatures, on n’était pas encore dans l’hypothèse de décider. Pourquoi ? Parce qu’l y avait quatre noms sur la liste. Et nous n’étions que sur le premier nom où il y a eu cette divergence d’opinion. Encore qu’il faudrait souligner que le consensus dont nous parlons qui n’a pas été trouvé, ce n’était pas sur un nom d’un candidat X ou Y, mais le processus était au niveau de l’appréciation des griefs qui pesaient sur un candidat. Les uns estimaient que ces griefs étaient de nature à mettre en cause l’indépendance d’un candidat. Tandis que les autres pensaient qu’il fallait relativiser les faits.
L’ECC et la Cenco ont estimé que nous n’étions pas dans l’hypothèse d’un soupçon ou d’un murmure, nous étions plutôt dans l’hypothèse d’une dénonciation. C’était des choses qui étaient dénoncés séance tenante pour nos collègues qui sont avec nous au sein de la plateforme.
Mais pourquoi aujourd’hui, ils ne le disent plus ? Parce que la plupart des gens dont vous parlez, ils sont aujourd’hui parmi ces six confessions religieuses signataires ?
Je ne sais pas s’ils ne le disent plus, mais nous avons tous les éléments de preuves. Parce que nos réunions sont couvertes par des PV, donc il y a des compte-rendus de chaque réunion où les choses ont été dites. Il y a des audios qui existent également. C’était des plaintes qui ont été formulés avant même la réunion de désignation. C’est ce qui a conduit au communiqué qui faisait état des intimidations et des menaces. Parce que ces chefs religieux menacés ont demandé la solidarité des autres confessions religieuses. Parce qu’il y en a parmi ceux-là qui ne passaient plus une nuit à la maison. Tous les amis qui étaient là le savent. Parce que ça a été dit ouvertement.
Mais aujourd’hui, ces confessions vous disent, en tout cas, le pasteur Dodo Kamba vous dit que ce sont des problèmes internes aux confessions et que finalement, ça n’a pas rien à voir avec la désignation des candidats…
Je pense que la question qu’il faut se poser ici, c’est pourquoi le Pasteur Dodo Kamba est le seul à répondre à tout ça. C’est ça qui est incongrue, parce que le candidat (Denis Kadima), c’est le candidat des Kimbanguistes.
C’est-à-dire que vous ne comprenez pas pourquoi c’est lui qui prend toujours la parole et pas les autres ?
Il y a même des moments où le pasteur Dodo était à couteaux tirés avec d’autres chefs de confession parce qu’il les empêchait de donner leur version. Et nous n’avons pas hésité à l’interpeller pour lui dire : « Pourquoi vous n’avez pas le sens de la solidarité ? Quand les collègues sont en train de se plaindre de tels faits ». Vous voyez ? Ça, ce sont des choses qui se sont passés en interne.
Mais si ces chefs religieux sont toujours sous la menace et que vous détenez des preuves, pourquoi ne pas les présenter à la justice ?
Justement parce que nous ne sommes pas encore dans ce cas de figure. Vous savez que même quand nous sortions de la dernière réunion, nous nous avions tous convenus que nous n’avons pas été en mesure de trouver un consensus. Nous avons été surpris d’apprendre qu’après nous, il a existé un PV, parce que quand nous séparions, le rapport final, qui est un rapport légal, fait état d’un manque de consensus dans l’appréciation des candidatures.
Ce que pointe le pasteur Dodo Kamba des Eglises du réveil, c’est qu’il n’y a pas de faute imputable au candidat lui-même. Est-ce que c’est vraiment juste de lui imputer des actes commis par des tiers. Est-ce qu’on peut vraiment dire : il n’est pas indépendant, il n’est pas crédible, parce que des personnalités ont fait campagne pour lui ou ont menacé pour son compte ?
Même dans le débat de fond, je vais vous donner les éléments. Il n’y a personnes d’autres. Il n’y avait que lui, le pasteur Dodo qui soutenait cette hypothèse. Personne d’autres… Si vraiment, il peut nous contredire sur ce point. Il faut qu’il nous dise combien ont sous-tendu cette hypothèse. Il n’avait que lui. Et c’est là où d’ailleurs, la question lui a été posée : « Pasteur, nous sommes une corporation. Notre responsabilité c’est de désigner celui qui doit dire la vérité, la justice, la sincérité. » La Céni est l’institution qui donne la substance de la légitimité à nos institutions. Aujourd’hui, nous nous étions dits : c’était trois principes de base qui avaient été donnés. Evitons des candidats à problèmes, évitons des candidats de vie ou de mort et évitons des candidats qui peuvent diviser, et la plateforme et le pays.
Si aujourd’hui la Nation, la République, par ses lois, nous confie la responsabilité de désigner l’animateur principal de la Céni, c’est d’abord l’élément caution morale. Ce n’est pas la technicité ! Ou alors, mettons-nous d’accord, ne condamnons pas les cycles qui se sont déroulés, ne critiquons pas le travail que Corneille Nangaa a fait avec son équipe, parce qu’on a bien l’impression que ce sont les mêmes méthodes qui ont été utilisées lorsqu’on était en train de désigner les précédents animateurs de la Céni.
Mais pourquoi on ne peut pas dire que vous vous êtes retirés – vous, l’Église catholique et protestante – exactement comme c’était dans le passé ?
Pour deux raisons. Premièrement, parce qu’il ne s’agissait pas d’un retrait des travaux, mais c’était la suspension des travaux. Cela a été clairement dit. Le président de l’Assemblée a prolongé de quarante-huit heures. Et ça, c’est légal. Et deuxièmement, c’est qu’après la prolongation, ils sont tous venus pour prolonger les travaux. La preuve en est que nous sommes revenus au débat de fond. S’il y avait conclusion, pourquoi alors avons-nous débattu sur le fond de l’affaire ?
Ils disent l’avoir fait – en tout cas le pasteur Dodo Kamba – pour l’unité des confessions religieuses…
C’est pourquoi je dis qu’il faut différencier droit et évangélisation. Nous parlons droit. Chacun peut interpréter comme il veut, mais lorsque vous vous retirez, à côté – en parallèle – vous discutez, vous appelez cela PV. Je crois que l’erreur part de l’appréciation qu’ils ont faite de ce qu’ils appellent jurisprudence. Ils n’ont pas bien maîtrisé la notion de ce qui s’est passé antérieurement. L’Église catholique en son temps, pour des raisons qui lui étaient évidentes, trouvait qu’il était important de se déresponsabiliser. Une confession religieuse qui ne partage pas, qui n’apprécie pas le déroulement des choses, se désengage et vous dit : vous pouvez continuer sans moi. Cela, c’est un fait. A ce moment-là, les six ou les sept qui restent avec l’ECC, à l’époque, qui prenaient la tête des choses, pouvaient rester dans la légalité de la discussion. Pourquoi ? Parce que le retrait est volontaire. C’est comme un acte de démission.
Qu’est-ce que vous dites à ceux qui vous accusent de faire le jeu d’un candidat de l’opposition ou un autre ?
Si on était dans cette hypothèse, on n’aurait pas demandé à ce que nos candidats soient écartés, on aurait fait comme eux, un candidat de vie ou de mort. Vous imaginez qu’on suspende tout le destin d’une nation sur un individu ? Est-ce que c’est sérieux ? Parce que nous, nous avons dit : puisque nous ne nous mettons pas d’accord, la règle est simple, mettons de côté ! Il y a beaucoup de Congolais qui sont compétents ! Il y en a ! Quand il n’était pas là, les élections ne se passaient pas ? Quand il ne sera pus là il n’y en aura pas ? Donc s’il y a à fouiller et à trouver qui roule pour qui, c’est à ce niveau-là. Les faux débats, je dis bien les faux débats que l’on veut amener sur la technicité, si les gens sont experts, ils peuvent aider le pays autrement ! Parce que partout où les gens sont passés, ils n’ont pas été président de la Céni !
Mais le problème, ici, c’est que nous sommes en face d’une loi qui a été taillée telle que vous le savez. Nous aurons un président de la Céni en face de six membres qui sont des composantes politiques. Déjà, la marge de manœuvre est réduite. Le président de la Céni devient le juge de la sincérité, devient l’arbitre de la justice, l’arbitre de la vérité ! Comment pensez-vous établir un arbitre de la vérité, de la justice, de la sincérité, par des méthodes qui ne sont pas conformes à la vérité ? La position que nous prenons aujourd’hui, c’est le fruit de beaucoup d’ateliers, de beaucoup de réunions, de beaucoup de formations qui partent de l’analyse de tous les cycles que l’on a connus.
Vous avez beaucoup travaillé sur les précédents cycles électoraux et dans les précédents cycles électoraux, c’est notamment parce que l’ECC n’était pas du côté de la Cenco que ce type de vote pouvait avoir lieu. Qu’est-ce qui a fait que l’ECC change et ne soit pas avec six confessions religieuses, aujourd’hui, en 2021 ?
Parce que l’ECC a fait un grand travail. De 2018 jusqu’à aujourd’hui, tous nos comités exécutifs nationaux ont eu comme seul message sur cette question : il faut que l’Église du Christ, au Congo, repense la vision de sa mission prophétique. C’est un engagement qui a été pris par toutes les intelligences protestantes d’ici et de l’extérieur, parce qu’il y avait une remise en question. Le grand travail interne, c’est qu’il y a eu une autocritique, on a critiqué le travail que l’on a fait, comme Eglise.
Cela veut dire que vous considérez que vous avez eu tort de prendre le parti de ces confessions, plutôt que celui de l’Église catholique à l’époque ?
Nous considérons plutôt que notre mission prophétique de l’époque n’a pas eu assez de substance pour déterminer notre rôle dans l’histoire de cette nation. Nous avons estimé, au regard des enjeux de l’heure, que la mission que l’Église devrait ou doit jouer, aujourd’hui, en vue d’accompagner la nation vers son processus salutaire, doit être une mission avec autant de préalables. Donc ce sont ces préalables qui ont poussé aujourd’hui l’ECC à prendre une position qui doit affirmer son leadership, en tant que protestantisme congolais.