Comptée parmi les premières provinces de la République démocratique du Congo à avoir des cas de Coronavirus dès mars 2020, la gestion de la pandémie dans le Sud-Kivu est des plus contestées. Le Sud-Kivu est la seule province qui a enregistré la démission d’un haut responsable de la riposte contre la COVID-19, qui plus est, Prix Nobel de la paix, le célèbre Dr. Denis Mukwege, Médecin-Directeur de l’Hôpital Général de référence de Panzi à Bukavu. Une démission dont les mobiles annoncés n’ont toujours pas convaincu une partie de l’opinion, jetant encore le doute sur l’efficacité de la lutte contre cette pandémie dans la province.
La gestion de la pandémie à coronavirus dans la province du Sud-Kivu, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) n’a pas été efficiente au vu des problèmes rencontrés et des résultats mitigés. Aux difficultés financières se sont ajoutées celles liées à la mauvaise communication et à une difficile prise en charge des malades. Des ingrédients qui ont mis à nu l’impréparation et le manque d’une politique claire de riposte contre le Covid-19 au niveau provincial.
C’est le 10 Juin 2020 que se révèle au grand jour les problèmes qui couvent au sein des équipes de riposte dans cette province. Le médecin directeur de l’Hôpital Général de Panzi et prix Nobel de la paix 2018, Denis Mukwege, démissionne de ses fonctions de coordonnateur de la riposte à la Covid-19 au Sud-Kivu. Il justifie les raisons de son acte à travers un tweet relayé par le site de la fondation Panzi : «d’une part, l’impossibilité de disposer dans notre province des tests RT‐PCR permettant de confirmer rapidement le diagnostic du Covid-19. En effet, il faut attendre à peu près deux semaines pour recevoir les résultats des prélèvements envoyés à l’INRB à Kinshasa… Ce qui constitue un handicap majeur pour notre stratégie basée sur « tester, identifier, isoler et traiter», explique-t-il. «D’autre part, un relâchement des mesures de prévention par notre population, un déni des réalités, l’impossibilité de faire respecter les mesures barrières, la porosité de nos frontières avec le retour massif de milliers de compatriotes venant de pays voisins sans avoir été mis en quarantaine, ont diminué l’efficacité de notre stratégie». Et de conclure : «à ces deux facteurs s’ajoutent des faiblesses organisationnelles et de cohérence entre les différentes équipes responsables de la riposte à la pandémie dans le Sud-Kivu».
La démission du Dr Mukwege est intervenue à un moment où la province du Sud-Kivu continuait à enregistrer des cas liés au Covid 19. En mars il y avait 10 cas enregistrés, 1 cas de plus en avril, 19 en mai et 232 cas dont 53 décès en juin 2020, selon les chiffres de la Division provinciale de la santé du Sud-Kivu. Cinq structures médicales avaient été choisies pour la prise en charge des personnes affectées par la Covid-19. Il s’agit de l’Hôpital général de Bukavu, Hôpital général de Ciriri, hôpital de Panzi, hôpital Saint Luc et l’hôpital Biopharm. Dans les milieux sanitaires comme au sein de la population, de nombreuses réactions ont suivi la démission du Dr Denis Mukwege.
Pour certains cette démission du prix Nobel était un moyen de pression au Gouvernement central pour l’installation d’un laboratoire permettant d’analyser les échantillons prélevés sur place à Bukavu, mais également pour financer la province dans la riposte contre la pandémie. Pour d’autres personnes, avec les doutes qui perduraient dans la population par rapport aux agitations dans la gestion de la riposte en province, il fallait que le Dr Mukwege sauve son honneur pour éviter d’être sali par rapport aux rumeurs qui couraient la ville concernant la mauvaise gestion des financements liés à la riposte.
Déficit de communication
Le départ du Dr. Mukwege n’améliorera pourtant pas la gestion de la riposte dans cette province. Depuis la proclamation de l’état d’urgence sanitaire le 24 mars par le Président de la république et l’enregistrement des premiers cas de Covid-19 à Bukavu le 29 mars, l’une des plus grandes faiblesses résidait au niveau de la communication. Catastrophique à l’annonce du premier cas à Kinshasa à l’échelle nationale, la communication du Gouverneur de province a contribué à la débâcle des équipes de riposte.
Face à la contradiction des chiffres entre le Comité national de riposte et la commission provinciale, le Gouverneur Théo Ngwabidje Kasi s’est montré très critique envers les médias qui avaient pris l’habitude de publier des informations tirées du bulletin quotidien du Comité multisectoriel de la riposte au Covid-19 en RDC : « Quand le bulletin de l’INRB arrive, la province doit aussi confirmer, parce que les prélèvements viennent d’ici. Moi je vous demande de vous fier aux informations du Gouvernement provincial. Puisque c’est nous qui envoyons le prélèvement à Kinshasa. C’est pourquoi je demande qu’il faille d’abord se référer au Gouverneur de Province, ou à défaut au ministère de la Santé en province», rapporte le site d’information la prunellerdc.info.
Cette sortie médiatique a jeté le doute dans certains milieux mais surtout a été condamnée car qualifiée de ratée par les professionnels des médias. «Nous nous inscrivons totalement en faux contre la publication du Gouverneur de province. Parce que nous ne pouvons pas comprendre que tous les journalistes soient considérés comme des caisses de résonance de la province. C’est une épidémie, c’est dangereux, il faut que les gens soient informées en temps réel. Nous ne pouvons pas attendre que toute l’information vienne du gouverneur. Ça ne peut pas se passer comme cela. Le journaliste est appelé à informer tous les jours», s’est exclamé Darius KITOKA, président sectionnaire de l’Union nationale de la presse du Congo, la principale organisation corporative des médias.
Ces tâtonnements ont brisé la confiance de plusieurs habitants du Sud-Kivu, comme le confirme le Dr. Claude Bahizire, chargé de communication au sein de la Division provinciale de la santé à Bukavu: «après évaluation au début, nous avons compris que la communication n’était pas suffisante. La communication que nous avons utilisée au départ était la communication via que les seuls médias. Au fur et à mesure que cette communication était limitée, mais elle n’était pas mauvaise car grâce à cette dernière, la communauté a été informée, mais ça n’a pas été durable. Tout de même, nous avions décidé d’opter pour la communauté de proximité à travers les dialogues communautaires pour permettre à la population de ne pas rester avec des questions pendantes ».
Prise en charge pas rassurante
Un autre écueil et non des moindres a été la prise en charge des malades. Aux rumeurs sur l’inefficacité des soins apportés aux patients s’est ajoutée la peur de tomber malade et de ne point pouvoir avoir les moyens de se faire soigner. C’est ainsi que des centaines de personnes ont recouru à l’automédication en buvant ou en se purgeant des produits issus de la médecine traditionnelle. «Moi, je pense que la première raison qui fait en sorte que les gens ne se dirigent pas vers l’hôpital quand ils ne se sentent pas bien ce sont les moyens. Quand il trouve qu’il n’a pas d’argent, au lieu d’aller à l’hôpital, il préfère utiliser ces médicaments fabriqués par lui-même à la maison car en principe c’est l’Etat qui devrait prendre en charge les malades de Covid-19, fort malheureusement, rien n’est rassuré. C’est ainsi que les habitants utilisent les muvuke bien que ce n’est pas bon pour la santé», se plaint un habitant ayant requis l’anonymat. On sait pourtant que les soins sont gratuits pour tous les malades Covid.
C’est ce que confirme d’ailleurs le Dr. De Joseph Kakisingi, responsable de la clinique Saint Vincent de Kadutu à Bukavu: « les habitants sont à la base de la propagation de la pandémie étant donné qu’ils ont peur de se diriger vers l’hôpital. Tout malaise n’est pas lié à la Covid. Il suffit d’aller à l’hôpital et si on constate que vous avez la Covid, on vous transfère au sein de grandes structures pour un bon suivi. Beaucoup des gens meurent d’ignorance. Car en constatant les premiers signes, ils font usage des feuilles communément appelées muvuke et d’autres utilisent des feuilles recommandées par les réseaux sociaux et en arrivant à l’hôpital, malgré le muvuke, ils sont déjà anéantis et meurent de la covid-19 ».
Guéri de la Covid 19, M. Muheri Lunanga affirme avoir pris seul la charge totale des frais liés aux soins contre la Covid. Il a dépensé beaucoup de moyens avant d’être déclaré négatif par le laboratoire de l’INRB à Kinshasa, raconte-t-il. De quoi relancer le débat sur la prise en charge financière des soins des malades ainsi que la gestion des différents fonds mis en place pour assurer cette prise en charge. C’est le cas du président du Bureau de coordination de la société civile du Sud-Kivu qui, au cours d’une conférence de presse en date du 18 janvier 2021, exprimait un doute sur la gestion de la caisse de solidarité annoncée publiquement par le Gouverneur Théo Ngwabije. «La gestion de covid-19 en province est un réel questionnement sur l’efficacité et l’efficience des mesures imposées. Là-dessus, la province n’a jamais expliqué ce qu’est devenue la caisse de solidarité initiée lors de la première vague de coronavirus ? Combien des gens ont souscrit ? A quelle hauteur et comment ce fond a été utilisé ? Il y a des agents hygiénistes qui n’ont jamais été payés ; il y a même un flou sur le contrat de location sur le site de transit de Bwindi », se plaint Adrien Zawadi.
Réagissant à la question de la caisse de solidarité, le ministre provincial de la santé, Cosmos Bishisha rapporte que celle-ci existe toujours et elle a été alimenté par quelques compatriotes dont le gouverneur de province:«C’est vrai que nous avions mis en place une caisse de solidarité. Il y a certains compatriotes qui ont mis quelque chose dont le rapport est là. Nous avons deux comptes de la caisse de solidarité logés à la Rawbank dont un en francs congolais et l’autre en dollars américains. Le compte en franc congolais a reçu un total de dix millions neuf cent mille de francs congolais (10.900.000) et en dollars, nous avons reçu un total de seize mille dollars (USD 16.000) ».
La province a également bénéficié de l’appui des partenaires. C’est le cas de la coopération suisse. Comment les autorités provinciales ont-elles géré cette manne? Le ministre provincial de la santé Cosmos Bishisha répond: « la Coopération suisse a appuyé la province du Sud-Kivu par le biais de ses partenaires traditionnels. La Caritas a perçu un million de dollars pour la sensibilisation de trente-trois zones de santé ; Heri Kwetu a reçu 80.000 $ pour venir en aide aux personnes vivant avec handicap pendant cette période de covid-19 ; le Centre Sozam a perçu 120.000 $ pour soutenir les malades mentaux.MSF/Hollande a perçu 500.000 $ pour la prise en charge des cas confirmés et CPR/Idjwi 520.000 $ pour la sensibilisation et l’acquisition de certains matériels », justifie-t-il.
Des efforts internes
Au niveau provincial, malgré les difficultés, quelques initiatives heureuses ont été entreprises. C’est notamment l’annonce par le ministre Provincial de la Santé dans le Sud-Kivu de l’installation d’un laboratoire pour tester les échantillons liés au Covid-19 dans la ville de Bukavu. Le ministre Cosmos Bishisha rappellait que le manque d’un laboratoire était parmi les plus grands défis pour la riposte au Sud-Kivu. «Cela permet d’appliquer notre philosophie de tester une grande partie de la population pour qu’effectivement, les éventuels porteurs de Coronavirus soient isolés de la communauté et ça peut nous permettre de contenir, d’endiguer cette pandémie », expliquait alors le patron de la santé au Sud-Kivu. Le laboratoire sera effectivement installé à l’ISTM Bukavu dans l’ancien bâtiment Laboratoire de la Province.
On avait aussi assisté à la distribution des cache-nez et des lave-mains à des organisations locales. La sensibilisation de la population n’a pourtant pas été efficiente. «Nous avons constaté au niveau de la commune de Bagira une faible sensibilisation à part les mégaphones octroyés par la société Bralima ainsi que des cache-nez donnés par le gouverneur de province pour respecter des mesures barrières. Nous n’avons jamais participé à une séance de sensibilisation pour lutter contre la propagation de la pandémie de corona virus », se plaint Gentil Kulimushi, président de la société civile sous noyau de la commune de Bagira à Bukavu. Dans les endroits où cette sensibilisation a tout de même été organisée, ce sont les moyens qui ont fait défaut pour la rendre permanente. «Nous avions eu beaucoup de séances de sensibilisations, des réunions, des décentes sur terrains avec des acteurs de la société civile ainsi que des responsables de seize marchés de la ville de Bukavu. Mais tout cela sans aucun accompagnement de la mairie de Bukavu », renchérit Me Zozo Sakali, président de la société civile de la ville de Bukavu.
Les églises ont été mises à contribution pour la sensibilisation. « Pendant la période de l’Etat d’Urgence, nous produisions des vidéos à poster sur nos comptes des réseaux sociaux en sensibilisant les fidèles pour lutter contre la Covid-19. Nous avons expliqué que, du point de vue théologique, l’amour du prochain exige qu’au même titre on se protège, on protège le prochain. Et même dans la Bible, il nous est recommandé de respecter les autorités aussi longtemps que celles-ci ne nous obligent pas de faire ce qui est contraire à la volonté de Dieu», témoigne le Pasteur Nicolas Kyalangalilwa, responsable de l’Eglise le Phare à Bukavu.
Docteur Alain Matombe,officier supérieur de la police nationale et président de la sous-commission de suivi des mesures-barrières, estime que la police a assumé convenablement sa mission au sein de la communauté. «La première mission de notre sous-commission était de sensibiliser la population sur le respect strict des mesures barrières. Ensuite, nous avons été amenés à réagir face à la résistance de certains récalcitrants. Il a été observé que quelques habitants remontaient leurs masques quand ils voyaient les éléments de la police approcher. C’était un geste positif qui montrait que la population est informée que le port des maques est obligatoire. Pendant la période d’Etat d’urgence sanitaire, la police avait la mission d’être aux côtés des services de sécuritaire et les policiers en étaient informés. Mais nous avons tous été surpris par la Covid-19.»
On se souviendra en effet que c’est le 8 avril, après la confirmation du troisième cas testé positif au Covid-19 en province du Sud-Kivu, que le gouvernement provincial avait pris un train de mesures pour limiter la propagation de la pandémie. Il s’agissait de l’auto confinement des personnes âgées de plus de soixante ans et celles souffrantes des maladies chroniques, ainsi que de l’exigence du port obligatoire des masques de protection sur toute l’étendue de la province à dater du lundi 13 Avril 2020. Des mesures qui n’avaient pas suffi à l’époque à endiguer la maladie. C’est ainsi que la cellule de riposte avait obtenu le 18 avril le confinement partiel des seules personnes âgées de plus de 60 ans (plus exposées aux complications mortelles de la maladie) en province, soulignant la difficulté de réaliser un confinement généralisé de la population dont une grande majorité vit de manière précaire dans des logements insalubres. Au même moment au niveau national, le Dr Mukwege ne cessait d’émettre le vœu de voir la gestion de la riposte être décentralisée en ce qui concerne les tests Covid 19. Pour lui, l’installation des laboratoires pour tester localement était une meilleure option pour faciliter la riposte.
Des conséquences néfastes
La gestion de la Covid-19 ne saurait être évaluée sans mesurer les conséquences sur la vie sociale. Pour la Directrice Générale de l’Institut supérieur de commerce (ISC)/Bukavu, les différentes mesures de confinement, quarantaine et limitation de circulation dans la ville de Bukavu ont impacté négativement sur l’économie des femmes exerçant des petits commerces jusqu’à créer une insécurité alimentaire.« Une hausse de prix de denrées de base a été observée sur le marché local, à certains endroits, à laquelle s’ajoute une réduction du pouvoir d’achat des ménages liée au ralentissement économique et à la diminution des revenus générés. Les restrictions des mouvements et le ralentissement économique entraînent des pertes des revenus avec des conséquences majeures pour des personnes ayant des revenus faibles surtout », analyse Mme Masoka.
«La covid-19 a un impact très négatif sur le mental de la population de la ville de Bukavu, car elle est arrivée avec une communication de peur et cette peur comme tous ne le savent implique une souffrance personnelle voire dans la famille. D’ailleurs, il est toujours dit que si tu es pourvu de la peur, tu pourras bâcler plusieurs opportunités et situations. Si nous revenons à l’historique de la manière dont la covid-19 agit dans des pays étrangers comme quoi elle ravage beaucoup des gens jusqu’à pousser les dirigeants des pays occidentaux à fermer des frontières, des églises, écoles… alors quand la covid-19 a été déclaré officiellement ici, les habitants ont été dans un état de peur profonde», explique Justin Cikuru, psychologue.
Une peur qui a même affecté certaines femmes enceintes qui, par crainte d’être détectées positives au coronavirus, ont vite déserté les hôpitaux et centres spécialisés. Pour répondre à cette préoccupation, le Dr Jean-Yves Balunge, gynécologue à la Clinique Saint Luc a tenu à calmer les esprits:«il est recommandée à la femme enceinte de respecter simplement toutes les mesures barrières étant donné qu’il n’y a pas des mesures spécifiques officiellement édictées pour elle. Mais elle ne peut porter le masque que quand elle se retrouve dans une foule de gens pour éviter l’asphyxie, car la maman et l’enfant dans le ventre ont besoin de l’air. Face à l’éventuelle contamination de l’enfant dans le ventre si la maman est contaminée, aucune étude ne le démontre jusqu’à présent. Cependant, il ne faut prendre aucun risque», conseille-t-il.
Face à l’impréparation des équipes médicales et des autorités locales à faire face à une pandémie qui était annoncée comme extrêmement virulente et sans un appui institutionnel adéquat, la gestion de la Covid-19 au Sud-Kivu a révélé des dysfonctionnements importants à plusieurs niveaux.
Par Jeannot K et Trésor M(Deskeco)