Selon Amnesty International, l’état de siège instauré il y a un an n’a pas atteint son objectif de stabilisation.
Amnesty International souligne qu’en Ituri et dans le Nord-Kivu, les autorités militaires congolaises ont utilisé les pouvoirs exceptionnels conférés par l’état de siège pour porter encore plus atteinte aux droits des personnes, en toute impunité.
Amnesty International dénonce notamment des entraves au droit à la liberté d’expression, de réunion et au droit à la justice. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Jean-Mobert Senga, chercheur chez Amnesty International, revient sur les grands axes du rapport de l’ONG.
DW : Pouvez vous brièvement nous dire les grandes lignes de votre rapport ?
Jean-Mobert Senga: Le rapport, qui s’intitule « La justice et les libertés, sous état de siège en Ituri et au Nord Kivu, » montre comment cette mesure exceptionnelle a été déclarée en violation des obligations de la RDC en matière de droit international des droits de l’Homme, la Convention internationale sur les droits civils et politiques, y compris également l’obligation de s’assurer que toute restriction des droits garantis par les traités internationaux puisse être nécessaire, proportionnelle et limitée dans le temps. Malheureusement, les restrictions de liberté d’opinion et d’expression, de manifester pacifiquement, de mouvements et autres ont été faites de manière trop large, sans lien direct avec le but principal de cet état de siège qui a été de restaurer la paix et d’assurer rapidement la protection des civils. La deuxième chose que nous montrons dans ce rapport, c’est que les autorités militaires et policières dans les deux provinces se sont servies des pouvoirs extraordinaires qui leur ont été accordés par le président Tshisekedi pour faire taire toute voix discordante.
DW : Dans ce rapport, vous dites également que la militarisation du système judiciaire a encore mis en péril l’accès à la justice. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Jean-Mobert Senga: D’après le président et le gouvernement, be but de cet état de siège peut se résumer en deux bouts de phrase : mettre fin rapidement à l’activisme des groupes armés et améliorer rapidement la protection des civils. Il n’y a aucun lien direct entre ces deux objectifs et la militarisation de la justice. De plus, cette militarisation s’est faite de manière indistincte pour toutes les infractions et ce en violation flagrante de la Constitution de la RDC et des normes internationales. Si l’objectif était d’utiliser la justice comme moyen de ramener la paix, on aurait dû se focaliser sur la répression, les poursuites pour les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre qui se commettent dans la région.
Un an après, quel bilan de l’état de siège en RDC ?
Cela fait un an ce 6 mai 2022, que le Nord-Kivu et l’Ituri dans l’est de la RDC, sont sous état de siège pour lutter contre les groupes armés.
L’état de siège, cette mesure phare de Félix Tshisekedi dans le domaine de la sécurité, a déjà été prorogée à 23 reprises. Mais après un an d’état de siège, le niveau de violence n’a pas baissé dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri.
Selon le Baromètre sécuritaire du Kivu (KST), au moins 2 563 civils ont été tués par des bandes armées. Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement congolais, affirme que cette situation explique l’annonce par le président Félix Tshisekedi de la tenue d’une table ronde sur l’état de siège.
‘ »Il a estimé qu’il serait nécessaire qu’autour d’une table ronde qu’il va organiser, que le gouvernement, que les députés nationaux, que l’armée et les services de sécurité, se mettent autour d’une table pour proposer les mesures qui vont nous permettre d’aller vers la paix », explique-t-il.
Collaboration entre forces de sécurité et population
La Commission défense de l’Assemblée nationale a dénoncé en septembre dernier une mesure prononcée sans planification d’actions stratégiques, sans un montage financier conséquent et cohérent et sans définition d’objectifs.
Juvénal Munobo, député national élu du Nord-Kivu et rapporteur de la Commission défense à l’Assemblée nationale, estime qu’il faut repenser la stratégie militaire.
Selon lui, il faut « s’assurer que le commandement au Nord-Kivu et en Ituri tient toujours. Au besoin, il faut le changer. Il faut aussi arriver à améliorer, à assainir les relations entre les forces de sécurité et la population parce que sans cette collaboration entre les deux parties ça va être difficile de ramener la paix. »
Lire aussi→RDC : des soldats congolais accusés d’exactions par l’Onu
Envisager des approches non militaires
Les experts estiment que les multiples défaillances de l’appareil sécuritaire congolais sont l’une des causes profondes du conflit dans la partie orientale du pays.
Jean-Jacques Wondo, spécialiste des questions militaires et géostratégiques, pense que la solution ne doit pas être exclusivement militaire.
Pour lui, « il suffit de voir d’autres aspects, comme le dialogue entre communautés, mais aussi le travail au niveau de la région. On a tendance à croire que le Congo produit l’insécurité mais on oublie que c’est une insécurité qui est importée des pays voisins. »
Lire aussi→Les pourparlers de paix de Nairobi ont-ils une chance ?
En attendant l’évaluation de l’état de siège, le Baromètre sécuritaire du Kivu note qu’en une année, trois territoires, à savoir Beni dans le Nord-Kivu, Irumu et Djugu en Ituri, ont concentré l’essentiel de la violence contre les civils
Avec DW