Après le réveil du volcan le 22 mai, les scientifiques tentent de savoir quand aura lieu la prochaine éruption. Mais les moyens financiers manquent du fait de la corruption.
Pour ne rien manquer de l’actualité africaine, inscrivez-vous à la newsletter du « Monde Afrique » depuis ce lien. Chaque samedi à 6 heures, retrouvez une semaine d’actualité et de débats traitée par la rédaction du « Monde Afrique ».© Fournis par Le Monde Des habitants près de maisons détruites par la lave déposée par l’éruption du volcan Nyiragongo, le 7 juin 2021.
Bonnets et masques de protection vissés sur la tête, Rugain Bonheur, Arsène Sadiki et Anicet Birisawa se déplacent avec précaution au milieu des fissures qui lézardent le cratère du volcan Nyiragongo. La scène se déroule mi-juin. Les trois scientifiques de l’Observatoire volcanologique de Goma (OVG) ont fait une ascension à pied de près de 2 000 mètres de dénivelé pour venir observer de leurs propres yeux l’activité de ce dangereux « voisin ».
Le Nyiragongo, situé dans le parc national des Virunga, est l’un des volcans les plus actifs au monde. Le 22 mai au soir, il est entré en éruption. De gigantesques fractures se sont ouvertes sur ses flancs. De ces fissures, plusieurs millions de mètres cubes de roche en fusion se sont déversés d’abord vers l’est, en direction du Rwanda voisin, puis vers le sud, sur la ville de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, peuplée de plus d’un million et demi d’habitants.8 choses à nettoyer avec du dentifrice (mais pas les dents !SponsoriséTrucs-et-astuces.co« On a couru jusqu’au Rwanda, la lave courait derrière nous » : des milliers de personnes obligées de fuir après l’éruption du volcan Nyiragongo
Les estimations faites grâce aux images satellites parlent de près de 3 000 bâtiments ensevelis sous la lente vague de magma. Une trentaine de personnes ont trouvé la mort le soir même et dans les jours qui ont suivi l’éruption. La plupart sont mortes asphyxiées ou brûlées en traversant les coulées de lave à peine refroidies. Un mois et demi plus tard, les habitants sont rentrés à Goma mais l’inquiétude n’a pas disparu, surtout parmi les scientifiques qui se plaignent d’un manque cruel de moyens.
Vision d’apocalypse
La mission d’observation effectuée mi-juin a permis de photographier l’intérieur du cratère et de vérifier la présence de magma à la surface. Les chercheurs congolais en ont profité pour faire des relevés de température et remettre en service les sismographes. Le transfert de leurs données est alimenté par des panneaux solaires, recouverts par une épaisse couche de cendre depuis l’éruption.
Dans ce cirque de roche d’un kilomètre et demi de diamètre, s’est dévoilée une vision d’apocalypse. Des pans entiers du cratère s’effondrent sur eux-mêmes dans un grondement sourd. Des colonnes de poussières grisâtres s’élèvent sur plusieurs centaines de mètres et cachent le soleil.Volcan Nyiragongo : « On parle de 400 000 à 1 million de personnes déplacées »
Vidéo: Le Premier ministre congolais se rend à Goma, frappée par l’éruption du volcan Nyiragongo (Euronews)Play VideoLe Premier ministre congolais se rend à Goma, frappée par l’éruption du volcan Nyiragongo
Christopher Horsley, jeune photographe anglais, est venu aider l’équipe de volcanologues dans la collecte d’images. Il est une référence pour les prises de vue et l’installation de campements au cœur des cratères en éruption. « Cette expédition a permis de prouver que l’effondrement d’une partie du cratère est en cours, explique-t-il. Nous essayons aussi de voir si de la lave sous pression est de retour dans le volcan. Mais tant que le cratère s’effondre encore, nous ne pouvons pas répondre à cette question. »
Anicet Birisawa, du département de sismologie, confirme : « Il y a des rumeurs sur les réseaux sociaux qui disent que le Nyiragongo s’est éteint après l’éruption. Nous avons organisé cette mission pour contrer ces rumeurs et montrer que ce n’est pas le cas. »
Anticiper une nouvelle éruption
Dans les quartiers nord de Goma, dont une partie des habitations et des commerces est toujours sous la lave solidifiée, l’OVG recommande à la population de se tenir à distance de ces amas de roches chaudes et nauséabondes.
« La question n’est pas de savoir si, mais quand il y aura une nouvelle éruption », précise de son côté Benoît Smets, volcanologue au Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren. Cette institution belge collabore avec l’OVG depuis une quinzaine d’années. « Il y a eu des mouvements de magma sous la ville de Goma, en direction du lac. Ils se sont arrêtés, mais il reste du magma dans la “plomberie” du volcan. Ce que l’on espère, si la lave remonte à nouveau vers la surface, c’est que ce soit pour la création d’un nouveau lac de lave et non pour se déverser à nouveau en coulées », détaille le scientifique.Volcan Nyiragongo : le gouvernement critiqué, la situation est « sous contrôle », assure le président de RDC
L’espoir est surtout pour les volcanologues de pouvoir anticiper une nouvelle éruption alors que la dernière a mis au jour de graves dysfonctionnements dans le centre de recherche. Le 2 juin, un groupe de chercheurs de l’OVG adressait au président Félix Tshisekedi une lettre en forme de réquisitoire, dénonçant le fait que « la corruption, le détournement des salaires des agents depuis 2013 (…), le détournement des fonds des projets à hauteur de millions de dollars (…) sont les raisons qui ont fait que notre cher observatoire soit dans l’incapacité d’accomplir correctement sa mission ».
Benoît Smets confirme que les salaires ne sont pas payés régulièrement et ajoute que « les frais de fonctionnement structurels de l’OVG dépendent quasi intégralement de financements internationaux ». Lesquels financements ont des durées limitées. Le risque, selon le chercheur belge, est que « si le gouvernement congolais ne met pas la main à la poche, il y aura, comme ces derniers mois, des ruptures dans le fonctionnement de l’Observatoire ».
Le refuge de plusieurs groupes armés
Quelques jours plus tard, le 5 juin, devant le premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde, le directeur du département de sismologie de l’OVG, Georges Mavonga, dénonçait les mêmes problèmes de gestion financière. « Dès le mois d’avril, il y avait des signes précurseurs de l’imminence d’une éruption mais nous n’avions pas les moyens d’aller vérifier », a-t-il mentionné.
Fin avril, plusieurs réunions se sont tenues dans lesquelles les chercheurs ont fait état de séismes. Les touristes ayant visité le volcan ont aussi témoigné d’un lac de lave « au niveau le plus haut, comme en 2002 » – date de la dernière éruption du Nyiragongo. « Malheureusement, personne ne pouvait monter sur le volcan et aller chercher les fractures », regrette Georges Mavonga.Le Nyiragongo, considéré comme le volcan le plus dangereux d’Afrique
Outre les problèmes de moyens, le responsable pointe la situation d’insécurité. Les pentes du volcan sont le refuge de plusieurs groupes armés qui sévissent dans la partie sud de la province du Nord-Kivu. Dans leur mémorandum adressé au président de la République, les chercheurs de l’OVG se plaignent d’avoir été attaqués à plusieurs reprises par des coupeurs de route et que l’un de leurs agents « porte encore une balle dans son corps ». Ils ajoutent que deux gardes d’une station sismographique ont été attaqués, « dont un avait été décapité et l’autre relâché après avoir versé une rançon ».
Le 30 juin, le président Félix Tshisekedi devait visiter les locaux de l’Observatoire volcanologique de Goma. Les scientifiques ont mis en pause leurs activités pour l’attendre. En vain. Le président n’est pas venu.
Par Alexis Huguet (LeMonde.fr)