Lorsque Félix Tshisekedi a été présenté par la Cour Suprême comme le vainqueur des élections présidentielles de décembre 2018 et a conclu un accord de coalition entre le Front Commun pour le Congo, soutenant Joseph Kabila, et la Coalition pour le changement (CaCh) réunissant son propre parti l’UDPS et la formation dirigée par Vital Kamerhe, de nombreux Congolais ont cru que le rêve devenait réalité : pour la première fois dans l’histoire du pays, la passation de pouvoir se déroulait de manière pacifique, «civilisée ».
Démentant les prophètes de malheur et le clan des perdants, dont Martin Fayulu présenté comme le véritable vainqueur par l’Eglise catholique et ses observateurs, l’opinion, dans sa grande majorité, a voulu donner sa chance à Félix Tshisekedi, relativement inconnu mais de bonne volonté et surtout héritier d’un nom prestigieux.
Moins de deux ans plus tard, force est de constater que les attelages politiques sont grippés : du côté de la coalition pour le changement, les partisans de l’UNC, le parti de Vital Kamerhe, et avec eux les ressortissants du Kivu, pleurent la mise à l’écart de leur leader pour faits de corruption avérés, même s’il a pu quitter la rude prison de Makala pour un hôpital où il est traité pour le Covid 19.
Le président Tshisekedi et les siens sont donc seuls aux commandes et, fortement encouragés par les États-Unis, ont essayé d’élargir leur champ de manœuvres, en rognant sur les bastions de leur allié Kabila : de nouveaux juges ont été nommés à divers niveaux, dont cette même Cour Suprême qui avait cependant proclamé la victoire du nouveau président, d’importantes nominations ont eu lieu au sommet de l’armée, non sans provoquer grogne et ressentiment, des protections ont été retirées, ce qui a permis, entre autres, l’arrestation de Christian Ngoy, l’un des assassins de Floribert Chebeya qui se croyait en sécurité au Katanga.
La nomination des juges a d’ailleurs permis à des membres du FCC de menacer d’accuser le président en exercice de haute trahison.
Face à cet « imperium » que Felix Tshisekedi exerce avec de plus en plus d’assurance et qu’il focalise sur la lutte contre la corruption, les partisans de Kabila ont jeté le masque à leur tour: il est clair que pour eux, l’effacement du président sortant n’était que momentané et que la nouvelle date à retenir est 2023, où doivent se tenir de nouvelles élections.
D’ici là, les grandes manœuvres ont commencé, les hostilités aussi.
Le premier terrain est évidemment la CENI (Commission électorale indépendante) dont le président Corneille Nangaa doit être remplacé par un candidat issu de la société civile et présenté par les confessions religieuses.
Ronsard Malonda, un homme du sérail qui avait efficacement secondé Corneille Nangaa, a été récusé et aucun autre nom n’a encore fait l’unanimité.
Cette semaine, une autre carte a été abattue : certains membres du FCC ont suggéré de modifier le mode de scrutin présidentiel ! Le député Alphonse Ngoyi, ancien gouverneur du Kasaï oriental, a lancé une réflexion sur le suffrage indirect : le scrutin direct serait remplacé par le recours à de « grands électeurs », ce qui permettrait de réduire les coûts au niveau de l’organisation.
Mais dans l’hypothèse de l’ « achat des consciences », pratique courante s’il en est, ces économies pourraient s’avérer illusoires.
Parallèlement à la « cour des grands », -le microcosme politique-, la « cour des petits » c’est-à-dire celle des populations s’agite aussi : dans l’Est du pays, la violence sévit plus que jamais . Dans l’Ituri, ( Bunia et Bén), les tueries, attribuées aux rebelles musulmans des ADF, sont quotidiennes.
Au Sud-Kivu, les pasteurs tutsis Banyamulenge subissent depuis des mois l’incendie de leurs villages et les raids sur leurs troupeaux sont attribués aux diverses milices qui évoluent en contrebas, dans la plaine de la Ruzizi.
L’assassinat d’une
quinzaine de personnes dans le village de Kipupu (et non 220 comme l’avaient clamé les députés provinciaux) a fait monter la tension et incité le Rwanda à lancer une mise en garde très médiatisée au Docteur Mukwege qui avait dénoncé cette nouvelle tuerie.
Par Colette Braeckman (Le Soir)