De l’ouverture le 07 août 1991 à la clôture le 06 décembre 1992, la Conférence Nationale Souveraine (CNS) avait tourné toute une page d’histoire. Avec ses brillantes résolutions (non promulguées), la CNS demeure une référence incontournable dans la politique intérieure congolaise. L’un des faits les plus marquants de ce forum national reste, sans conteste, l’élection magistrale d’Etienne Tshisekedi wa Mulumba par la plénière de la Conférence nationale souveraine, dans la nuit mémorable du 14 au 15 août 1992. Celui que l’opinion publique appellera « élu de la CNS », connaîtra, malheureusement, un véritable chemin de la Croix pour former son gouvernement.
Les grands bouleversements de la politique internationale dès la fin 1989 avec le démantèlement du communisme en URSS, l’effondrement du mur de Berlin, la chute de Ceausescu en Roumanie, marquent la fin de la guerre froide et contraignent le président Mobutu, qui sent venir la contestation dans son pays, à lancer le 14 janvier 1990 l’idée des consultations populaires au cours desquelles le peuple exprime ses doléances.
A l’issue de celles-ci, le maréchal Mobutu prononcera son discours historique du 24 avril 1990, à la cité de la N’Sele, où il libéralise les activités des partis politiques et prend congé du MPR Parti-Etat. Puis, se forme progressivement le projet de la Conférence nationale dont la mission est de contribuer à la recherche des solutions susceptibles d’améliorer le fonctionnement des institutions nationales.
OUVERTURE SOUS HAUTE TENSION
Les Congolais s’en souviennent. La Conférence nationale souveraine s’ouvre le 7 août 1991 au palais du Peuple à Kinshasa. A ce moment, le pays respire un difficile climat politique. C’est le Premier ministre Mulumba Lukoji qui préside la séance d’ouverture, en l’absence du chef de l’Etat, une absence «injustifiée».
Dans son discours, il dresse un bilan négatif de trente et une années d’indépendance, particulièrement sur le plan socio-économique. Après cette ouverture, l’opposition remarque la présence massive et « injustifiée » des inconditionnels du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR) qui siègent en tant que « invités du gouvernement ».
Les travaux n’avaient pas atteint leur vitesse de croisière que, vers la mi-août, on assiste au pays et particulièrement à Kinshasa, a un regain d’insécurité et de violence, on parle des opérations «hiboux », il s’agit de raids nocturnes, opérés à bord de véhicules de marque Mitsubishi Pajero non immatriculés, avec des hommes armés, parfois masqués, procédant à des enlèvements, intimidations, mauvais traitements… Qui sont, en fait, ces hiboux ?
Un résumé d’un rapport publié par la Ligue de droits de l’homme à Kinshasa le 22 septembre révèle que 32 instructeurs sud-africains auraient entraîné une centaine de soldats zaïrois aux techniques de type non conventionnel ; guérilla urbaine, sabotage, emploi de mines, enlèvements, assassinats, répression, etc.
Selon la même source, l’instruction des soldats, issus dans leur quasi totalité de l’ethnie Ngbandi, a débuté en mars à la base de Kitona, dans le Bas-Zaïre, et s’est achevée le 25 août par une remise de brevets. Les instructeurs sud-africains, tous de race blanche, sont aussitôt retournés à Pretoria.
D’autre part, suite à la baisse du pouvoir d’achat et au non-paiement de leurs soldes, le lundi 23 septembre 1991, les parachutistes des Forces armées zaïroises cantonnés au camp CETA, s’emparent de l’aéroport international de N’djili. Ils pillent, incendient et saccagent ses différents bâtiments. Le signal est ainsi donné pour un pillage systématique dans la ville, pendant deux jours, les militaires d’autres camps se dispersent dans Kinshasa où ils pillent, dévastent aussi bien les domiciles privés que les équipements industriels et collectifs. Dans ces désordres, on déplore des blessés, des victimes de viol, mais aussi une centaine de pertes en vies humaines.
Mardi 24 septembre à minuit, le président Mobutu s’adresse à la nation. Dans son message, il s’inquiète de la destruction des infrastructures économico-industrielles de la ville de Kinshasa qui n’a plus, après le pillage, de stocks en produits pharmaceutiques, denrées alimentaires, fournitures scolaires. Il demande aux militaires de cesser le pillage, de retourner dans leurs camps. Il leur garantit d’avance l’impunité en leur accordant son pardon «paternel» et présidentiel. Il annonce également l’intervention des militaires français et belges qui viennent assurer la protection de leurs ressortissants.
Le conseil des ministres du 25 septembre, présidé par le chef de l’Etat à N’sele, décrète le couvre-feu à Kinshasa de 20 h. à 5 h. du matin.
TSHISEKEDI NOMME PREMIER MINISTRE
C’est dans ce climat de tension, de panique et de peur alors que les travaux de la CNS stagnent, que le président Mobutu, après une réunion de concertation au palais de Marbre à Kinshasa avec les représentants de l’Union Sacrée ou coalition des forces politiques de l’opposition, signe le 30 septembre, au terme d’une troisième journée de concertation, l’ordonnance portant nomination de Etienne Tshisekedi au poste de Premier ministre.
Cette nomination donne espoir au peuple congolais qui demeure cependant inquiet face à l’insécurité généralisée sur le territoire de la République où l’on déplore agressions et pillages sporadiques des particuliers, mais aussi les actes de terrorisme comme celui qui a détruit l’imprimerie et les bureaux du journal Elima.
La prestation de serment du nouveau gouvernement a eu lieu le 16 octobre au palais de Marbre, sous la présidence du chef de l’Etat. Cette cérémonie d’investiture du gouvernement Tshisekedi composé de 22 ministres, s’est limitée pour chacun d’eux à signer le procès-verbal de prestation de serment sans avoir prononcé le texte du serment. Cet incident servira de prétexte à Mobutu pour révoquer le gouvernement Tshisekedi le 21 octobre en déclarant que le Premier ministre était dans l’impossibilité légale d’exercer ses fonctions, pour avoir, avant de signer, barré les mots « constitution et garant de la nation », dans la formule du serment.
Cette révocation suscite la réprobation de toute la population, cela n’empêche pas Mobutu de signer une nouvelle ordonnance le 23 octobre qui nomme Bernardin Mungul Diaka Premier ministre.
FOSSOYEURS DE LA CNS
Après sa nomination, Mungul Diaka réunit deux fois la CNS en séance plénière, le 15 et le 20 novembre 1991. Entre-temps, le 25 novembre, le président Mobutu, dans le cadre de l’application des accords du palais de Marbre et dans un message adressé à la nation, annonce le remplacement de Mungul Diaka par Nguz-a-Karl-I-bond. Dans son message, il demande à la CNS de doter le pays, dans les meilleurs délais, de projets d’une constitution, d’une loi électorale et d’un calendrier électoral.
L’Union sacrée conteste la nomination de Nguz qu’il considère comme traître. Cela se traduit par d’innombrables manifestations populaires de protestation. Début décembre, toute la classe politique s’inquiète de ce qui allait arriver à l’expiration du mandat de sept ans du maréchal Mobutu, le 4 décembre à minuit. Le jour même de cette expiration, le président Mobutu annonce que, conformément à l’article 4 des dispositions transitoires de l’actuelle constitution – il restera en fonction jusqu’aux prochaines élections. L’opposition estime de son côté qu’il fallait appliquer l’article 40 qui stipule qu’en cas de vacance ou d’empêchement, les fonctions de président de la République soient provisoirement assumées par le Président de l’Assemblée nationale.
Pour protester contre la non-application de cette disposition, l’opposition lance dès le 5 décembre « Journée ville morte » largement suivie par la population de Kinshasa.
Le 11 décembre, la CNS reprend ses travaux sous la présidence du ministre de l’Intérieur, Mandungu Bula Nyati ; avec un seul point inscrit à l’ordre du jour : élection du président du Bureau provisoire. Le candidat présenté par la société civile, Mgr Monsengwo, archevêque de Kisangani et président de la Conférence épiscopale du Zaïre, l’emporte.
Dans les jours qui ont suivi, les séances plénières de la CNS étaient entièrement réservées aux opérations de constitution de son bureau provisoire. C’est ainsi que Joseph Iléo président du Parti Démocrate et Social Chrétien (PDSC), est élu vice-président du bureau provisoire.
Le 24 décembre, Nguz installe le bureau provisoire de la CNS au palais du Peuple. Ses travaux s’y déroulent presque normalement jusqu’au 19 janvier 1992 lorsque le Premier ministre Nguz, dans un message à la radio et à la télévision, suspend les travaux de la Conférence nationale en évoquant trois raisons : les travaux de la conférence coûtaient trop cher, la province du Kasaï Oriental était surreprésentée parmi les conférenciers (14%), la CNS outrepassait ses compétences en questionnant deux décisions du gouvernement ; le transfert des conférenciers à N’sele et la destitution de Lusambo Mpanda, magistrat de Kinshasa et président de la commission des litiges et recours de la CNS.
REPRESSION ET REOUVERTURE DE LA C.N.S.
Toutes les forces vives du pays se mobilisent et protestent contre cette suspension de la CNS. Le 16 février 1992, les chrétiens de Kinshasa organisent une marche pacifique pour réclamer sa réouverture. L’armée intervient. La répression est brutale et il y a des pertes en vies humaines parmi les manifestants.
A cause de ces pressions internes mais aussi externes, le pouvoir de Mobutu autorise, le 06 avril 1992, la réouverture de la CNS qui inscrit à son actif deux éléments importants : la proclamation de sa souveraineté et la nomination de son bureau de direction permanent.
Souveraine, la CNS entend que ses décisions aient force de loi sur tous les Zaïrois et sa juridiction s’étende aux domaines tant politique et juridique qu’économique et culturel. Ses travaux se poursuivent normalement jusqu’au 14 août 1992 lorsque Tshisekedi est élu Premier ministre du gouvernement de transition qui doit conduire le pays vers les élections. Presque à la fin de ses travaux, la CNS a élu 453 de ses membres à la fonction de Conseiller de la République. Leur mandat tel que définit dans l’Acte de Transition, est de nature législative. Enfin le 06 décembre 1992, on assiste à la clôture de la CNS qui a mis en place un Acte constitutionnel de transition, un gouvernement de transition, le Haut conseil de la République, et le Conseil électoral. Elle a élaboré un projet de constitution et un calendrier électoral. S’il est vrai que la CNS a été un véritable exercice démocratique, rien, par contre, n’a pu être réalisé depuis sa clôture en catastrophe en décembre 1992.
Par Congoforum.be