Ce pays regorge de ressources naturelles, et son secteur agricole a des potentialités pour figurer parmi les plus productifs dans le monde. Pourtant, l’accès à la nourriture n’est pas chose facile et la production agricole reste paralysée pour cause d’instabilité persistante.
Au nombre des produits alimentaires en provenance de l’Ouganda figure la farine de maïs distribuée dans des magasins de Birere, centre commercial de la ville de Goma. Un sac de 25 kilos se vend à environ 26 000 francs.
- Pas une semaine ne passe sans que des camions bourrés de haricots, de farine de maïs, de sucre, de lait en poudre, d’huile, de sel et d’autres produits alimentaires encombrent le centre commercial de cette ville qu’est Birere.
Ce centre, grouillant de dynamisme et de cris des commerçants, des transporteurs et des camionneurs, demeure un lieu où se rend quiconque souhaite s’approvisionner en vivres.
Et Pierrete Kahindo, femme de ménage âgée de 38 ans, ne fait pas exception. Elle se rend ici pour acheter de la farine de maïs pour faire du fufu – un plat pâteux qui se mange avec du poisson et de la sauce – et de la bouillie pour sa famille de huit personnes.
La farine de maïs était autrefois une denrée de base pas chère, et Kahindo pouvait compter sur une partie de son budget alimentation mensuel d’environ 183 000 francs congolais pour s’en procurer en grande quantité. Néanmoins, elle et des millions d’autres comme elle se sont retrouvés dépourvus de l’une des denrées les plus importantes du pays à cause de la multiplication par deux du prix ces derniers mois.
« Chaque mois, j’achète un sac de farine de maïs à environ 20 dollars mais cela n’est pas suffisant pour ma famille, car nous en consommons chaque jour », fait-elle savoir. Chaque sac contient 25 kilos de farine de maïs. « Pour bien nourrir tout le monde à la maison, j’ai besoin de 40 dollars pour 50 kilos ».
Jeremi Dunia travaille dans l’une des plus anciennes maïseries de Goma, qui sont indispensables pour ces familles incapables de s’offrir une farine de qualité et bien conditionnée en provenance de l’Ouganda.
S’agissant de ses importations de farine de manioc, la RD Congo compte sur l’Ouganda, pays voisin empêtré aujourd’hui dans des tensions avec le Rwanda. En conséquence, le Rwanda qui, lui aussi, partage ses frontières avec la RD Congo, a interdit l’entrée sur son territoire des marchandises ougandaises. Des routes d’acheminement des importations de la RDC sont aujourd’hui plus longues et moins sûres, avec pour corollaire la flambée des prix de pas mal de biens et produits alimentaires au nombre desquels figure la farine de maïs.
Ces problèmes témoignent d’une crise encore plus grave à laquelle est confronté le secteur agricole congolais qui fait face à une multitude de défis techniques, économiques et institutionnels. Et la crise du coronavirus risque d’aggraver les difficultés de la RD Congo, affectant les exportations des produits de base, épuisant les réserves en devises et affaiblissant la croissance économique mondiale. Au 27 juin, la RD Congo comptait 6 690 cas confirmés de COVID-19, maladie causée par le coronavirus, et 153 décès.
Riche en ressources, cette nation ployait déjà sous le poids des pénuries alimentaires. Aujourd’hui, les importations peuvent coûter encore plus cher.
« Mais pourquoi un pays comme la RDC devrait-il être tracassé par l’importation de farine de maïs alors qu’il a des ressources pour bien nourrir sa population à bas prix » ? demande Alain Kikandi Kiuma, doyen de la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université de Goma.
Telle est la question que nombre de Congolais se posent aujourd’hui, surtout que la RD Congo dépoche chaque année près de 1,5 milliard de dollars en importations de produits alimentaires. Pourtant, sous l’hypothèse d’une agriculture intensive, affirme l’Agence nationale pour la promotion des investissements (Anapi), la RD Congo peut produire suffisamment pour nourrir 2 milliards de personnes de par l’abondance de ses sols fertiles, son climat tropical et ses autres atouts.
« Un sac de maïs de 25 kilos se vendrait généralement pour moins de 10 dollars, si notre pays ne dépendait pas des importations », explique Kiuma. « Et chaque famille pourrait facilement s’en offrir ».
Des agriculteurs s’en remettent, au contraire, à de petits lopins de terre familiaux et pratiquent généralement l’agriculture de subsistance qui ne permet pas d’augmenter la productivité.
« L’on pratique l’agriculture familiale, c’est-à-dire que chacun produit pour nourrir sa famille, mais pas pour nourrir les autres », explique Kiuma.
Papy Nkulu travaille dans une maïserie où il fait fonctionner les machines et le groupe électrogène en cas de panne. Chaque jour, il reçoit du maïs à moudre, gagnant ainsi 200 francs le kilo.
La corruption et l’insécurité constituent, aux dires des experts, un frein majeur à l’agriculture en général et au secteur agricole en particulier. Ces défis paralysent la production de diverses cultures, dont le maïs. Seulement 10 millions des 80 millions d’hectares de terres arables dont dispose le pays sont cultivés.
« Des gens corrompus et opportunistes qui veulent le pouvoir et le contrôler sur les ressources naturelles, en particulier les minéraux, à des fins d’enrichissement personnel, provoquent des conflits », s’insurge Joseph Kyembwa, sociologue et chercheur. « Des groupes armés financés par de tels gens émergent chaque jour et créent de l’insécurité, en particulier dans l’est de la RD Congo ».
Fuyant les violences, affirme Kyembwa, plus de 5 millions de déplacés internes ont abandonné leurs champs.
Yvonne Nyasheya, 38 ans, mère de cinq enfants dont une paire de jumeaux, a vécu à Goma depuis 2008 et son cas n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Dans leur village d’origine dans le territoire de Masisi, à environ 80 km au nord-ouest de Goma, elle et son mari possédaient 2 hectares de terre sur lesquels ils cultivaient le haricot et le maïs. À chaque saison des récoltes, se désole-t-elle, des groupes armés mettaient main basse sur leurs récoltes.
« Bien qu’il n’y ait plus la fréquence de rebelles », déclare Nyasheya, « on a perdu le courage d’y retourner pour travailler nos champs à cause des conflits fonciers toujours existants ».
Comme si cela ne suffisait pas, l’insécurité sur les routes paralyse le transport des produits alimentaires depuis les villages jusqu’à la ville. Par exemple, pour le trajet entre la ville de Rutshuru et Goma long de 68 km, les chauffeurs doivent boire le calice d’au moins 15 barrières routières spontanées tenues par des groupes d’hommes armés se prétendant des services de sécurité. La sécurité se payant à chaque barrière routière, chaque conducteur se voit obligé d’y débourser 5 à 10 dollars.
« Les routes sont vraiment dans l’impraticabilité totale », révèle Adolphe Senga, chauffeur de camion depuis 10 ans. « Mais nous essayons de faire de notre mieux pour faire parvenir nos marchandises ici en ville. Ce qui nous tracasse le plus, ce sont des barrières qui naissent chaque jour et qui affectent le prix du maïs une fois sur le marché ».
À en croire Walter Ngendja, ministre provincial de l’Environnement, le gouvernement central n’a pas les moyens de développer le secteur agricole.
« Notre gouvernement dépend de l’aide des organisations internationales », avoue-t-il, « dont l’assistance n’est pas suffisante pour amener l’agriculture à un niveau auquel elle peut nourrir l’ensemble de la population du pays ».
Global Press Journal a tenté en vain de contacter le ministre provincial de l’Agriculture.
Selon Jules Muhavuli, économiste qui vit à Goma, la RD Congo devrait emboîter le pas à l’Ouganda, pays dont il fait l’éloge pour avoir priorisé l’agriculture. Ce secteur représente plus de la moitié des exportations de l’Ouganda.
« Faites-moi une bonne politique », supplie Muhavuli, « et je vous ferai une bonne économie ».
Adapté à partir de sa version originale en français par Ndahayo Sylvestre, GPJ.
Certaines interviews ont été traduites du swahili par Noella Nyirabihogo, GPJ.
Avec Global Press Journal