Près de la carcasse rouillée de l’ancienne fonderie d’étain, hommes et femmes, pieds nus, fouillent le sol à la recherche de cassitérite, tout en espérant la renaissance de leur ville de Manono, en RD Congo, grâce au grand gisement de lithium découvert aux portes de la vieille cité minière.
Un peu plus loin, les « creuseurs » apportent leur récolte à la rivière Lukushi où des femmes, dans l’eau du matin au soir, lavent dans des bassines en zinc le gravier duquel émergeront les petits cailloux noirs de minerai d’étain, dont ils espèrent tirer assez d’argent pour vivre.
« Il n’y a rien d’autre à Manono, la vie est très difficile », constate simplement Marcelline Banza, 28 ans, mère de trois enfants, qui dit pouvoir gagner entre 15.000 et 18.000 francs congolais (7,5 à 9 dollars) par jour en lavant la terre sableuse.
Le secteur est parsemé de terrains bosselés, ravinés, fouillés par des centaines de ces mineurs artisanaux armés de pelles et de barres à mine.
« La majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté et, plutôt que de cultiver les champs, les gens préfèrent creuser, pour un gain plus rapide », regrette Patrice Sangwa, médecin chef de la zone de santé de Manono, territoire isolé qui fait face à la malnutrition, au choléra ou encore à une épidémie de rougeole qui a tué des dizaines d’enfants depuis décembre.
La ville est située dans la province du Tanganyika, née en 2015 du partage en quatre du Katanga, région du sud-est de la République démocratique du Congo regorgeant de minerais, cuivre et cobalt notamment. Elle a été créée au début du 20e siècle, avec la mise en exploitation par les colons belges d’un gisement de cassitérite, le minerai de l’étain.
Carrières, barrage, fonderies, chemin de fer, logements, les mines ont amené la prospérité.
– Ruines –
Mais peu à peu, avec la chute des cours, les années agitées d’après l’indépendance en 1960 et la mauvaise gestion, les équipements ont vieilli, la ville s’est endormie et le coup de grâce est venu de la guerre qui a accompagné la prise du pays en 1997 par Laurent-Désiré Kabila. « La guerre d’agression », comme l’appellent les gens de Manono, où les soldats rwandais ont laissé un très mauvais souvenir.
« Nous avons tous fui. La fonderie a été détruite, les maisons pillées, le quartier européen dévasté, celui des cadres africains aussi », raconte Paul Kissoula, dit « papa Paul », 70 ans.
Un quart de siècle après, la végétation envahit les ruines, deux locomotives à vapeur, une grue, des wagonnets, rouillent au bord du chemin, les terrils se couvrent d’arbres.
« Il n’y a plus rien depuis des années », regrette tristement « papa Paul ».
Chauffeur, il a tout connu. Il a été embauché en 1974 par « Congo Etain », entreprise publique devenue « Zaïrétain » quand le pays a changé de nom sous la présidence de Mobutu, puis « Cominière » (Congolaise d’exploitation minière).
Aujourd’hui, Paul Kissoula est chauffeur pour l’entreprise australienne AVZ Minerals qui, à la recherche de lithium, métal devenu star des batteries de voitures électriques, a été la première à obtenir en 2016 un permis de recherche à Manono, où elle a monté une co-entreprise avec la Cominière.
– « On attend le permis » –
Après plusieurs années de forages, effectués en particulier dans une ancienne et vaste carrière de cassitérite appelée « Roche Dure », la société a découvert un gisement de « 400 millions de tonnes de minerai à 1,6%, probablement la plus importante ressource non exploitée au monde », se félicite Nigel Ferguson, directeur général d’AVZ Minerals.
Cela représente des réserves de lithium de quelque 6 millions de tonnes, largement de quoi se mesurer aux habituels producteurs que sont l’Australie, le Chili, l’Argentine ou encore la Chine.
« La qualité du gisement rocheux est très bonne », assure Nigel Ferguson, meilleure selon lui que le lithium extrait de saumures, comme en Amérique du Sud.
Dans de grands hangars, l’entreprise stocke les « carottes » forées dans la roche, jusqu’à près de 400 mètres de profondeur. Dans les premiers mètres, il y a le sol, puis viennent la latérite, les schistes…
Erick Nkulu wa Kabamba, géologue, montre ensuite la « pegmatite » (roche magmatique) renfermant les « spodumènes », le minéral du lithium. Des échantillons sont prélevés et envoyés pour analyse à Perth, en Australie.
L’ »étude de faisabilité définitive » est bouclée et a été transmise il y a plusieurs mois au gouvernement, dont la société attend maintenant qu’il lui délivre un permis d’exploitation.
Lorsqu’elle l’aura obtenu, AVZ « prévoit de consacrer 600 millions de dollars à la construction d’une usine », qui devrait produire environ 700.000 tonnes de produit fini par an, utilisable surtout dans les batteries, précise son patron.
Elle réhabilitera par ailleurs la vieille centrale hydroélectrique, dont elle augmentera la capacité, et emploiera des centaines de travailleurs locaux.
Si le permis arrive rapidement, la production pourrait commencer en 2023.
« Les gens souffrent… AVZ va nous aider », espère l’administrateur du territoire, Pierre Mukamba Kaseya qui, comme tout le monde « attend le permis ».
« Le cahier des charges prévoit également des actions sur les routes, les écoles, les hôpitaux… », anticipe aussi Baccam Banza Cazadi, directeur d’école secondaire. « Nous voulons qu’ils puissent réussir, pour la province et pour le pays. Il y a l’espoir », assure-t-il.
Par Constance Frère (Afrique.lalibre.be)