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RD Congo : Éviter le conflit dans le cœur minier (Crisis Group)

‘En République démocratique du Congo, les mineurs artisanaux creusent souvent pour extraire cuivre et cobalt, les deux principaux biens d’exportation, des terres concédées à de grandes entreprises, ce qui entraîne parfois une intervention violente de l’Etat. Le gouvernement devrait plutôt encourager les citoyens à mieux partager les richesses minières.

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Que se passe-t-il ? La concurrence entre activités minières artisanales et industrielles crée des tensions en République démocratique du Congo (RDC). Dans les provinces du Haut-Katanga et du Lualaba, l’armée est intervenue en 2019 pour expulser plus de 10 000 mineurs artisanaux qui empiétaient sur deux des plus grands sites industriels miniers du pays.

Pourquoi est-ce arrivé ? Les exploitants artisanaux n’ont pas de perspectives économiques. Ils se voient souvent refuser l’accès aux sites industriels, même pour exploiter des gisements non viables commercialement, et la région manque de zones d’exploitation minière artisanale. Les responsables politiques locaux cherchent parfois à promouvoir leurs intérêts en poussant les exploitants artisanaux à mener des actions agressives.

En quoi est-ce significatif ? Le président Félix Tshisekedi doit relever un double défi : apaiser les tensions dans le secteur minier et évoluer au sein de la coalition politique fragile qu’il a formée avec l’ancien président Joseph Kabila, son rival. La stabilité et la prospérité du pays ainsi que son avenir politique en dépendent.

Comment agir ? Pour ouvrir des perspectives économiques aux mineurs artisanaux, le gouvernement devrait créer des zones d’exploitation minière artisanale et permettre aux industriels de sous-traiter aux artisans. Les sociétés minières devraient respecter leurs obligations légales de développement des communautés, et les organismes de normalisation devraient indiquer qu’ils soutiennent fermement la coopération industrie-artisanat.

Synthèse

En juin et juillet 2019, les forces de sécurité de la RDC ont expulsé des mineurs artisanaux qui empiétaient sur deux des plus grands sites miniers industriels du pays, dans les provinces du Haut-Katanga et du Lualaba. Les expulsions ont causé, outre des morts et des blessés, la perte de la seule source de revenus de plus de 10 000 mineurs artisanaux. Eviter la violence autour des sites miniers tout en réformant ce secteur essentiel de l’économie de la RDC, améliorant ainsi le niveau de vie des citoyens, est un défi de taille pour le président Félix Tshisekedi. Un objectif central devrait être de favoriser les perspectives économiques des mineurs artisanaux. Le gouvernement et le secteur privé devraient créer ensemble des zones d’exploitation minière artisanale durables. Les entreprises devraient s’atteler à réduire le risque de crise en employant des mineurs artisanaux pour exploiter des gisements qui ne constituent pas l’essentiel des extractions de la société. Le gouvernement devrait s’assurer que ses décrets ne sapent pas le fondement juridique de ce type d’arrangements, et les organes normatifs de l’industrie devraient indiquer clairement que sous-traiter ne viole pas les préceptes de la responsabilité sociale d’une entreprise. Les mineurs artisanaux et d’autres résidents du centre minier se disent frustrés du manque de perspectives qu’offre l’exploitation industrielle. 

Les tensions qui opposent les exploitants industriels et artisanaux dans le Haut-Katanga et le Lualaba sont en partie de nature économique. Les mineurs artisanaux et d’autres résidents du centre minier se disent frustrés du manque de perspectives qu’offre l’exploitation industrielle, que ce soit en termes d’emplois, d’investissements destinés à développer des projets communautaires ou de relations commerciales avec les marchands locaux. Au fil du temps, le gouvernement de la RDC a par ailleurs élargi les permis d’exploitation industrielle, de sorte que ceux-ci couvrent presque tous les gisements identifiés, ce qui ne laisse pratiquement aucune place aux zones d’exploitation minière artisanale.

Le gouvernement a promulgué une nouvelle loi sur l’exploitation minière en 2018 qui pourrait contribuer à apaiser certaines tensions. Cette loi oblige les sociétés minières industrielles à dépenser une partie de leurs revenus pour financer des projets communautaires et les autorise à sous-traiter des activités à des coopératives minières artisanales. La création prévue d’une nouvelle entité étatique dotée des droits exclusifs pour l’acquisition du cobalt extrait artisanalement sape toutefois la capacité de sous-traiter et, dès lors, les perspectives économiques qui y sont associées.

Si la frustration économique alimente les tensions liées à l’exploitation minière dans le Haut-Katanga et le Lualaba, d’autres facteurs rendent également ce secteur explosif. L’exploitation minière artisanale attire des travailleurs originaires d’autres provinces de la RDC, ce qui renforce le mythe selon lequel des « migrants », en particulier en provenance de la province toute proche du Kasaï, « volent » la richesse minérale de la région du Katanga. Par le passé, ce nationalisme katangais et les sentiments anti-kasaïens ont déjà mené à des violences. Ces tensions renvoient à la coalition au pouvoir que Tshisekedi, dont la famille est originaire du Kasaï, a formée avec Joseph Kabila, son prédécesseur, dont l’appui politique se trouvait au Katanga. Les dissensions internes à la coalition résonnent surtout vivement dans le Haut-Katanga et le Lualaba.

Des études de cas portant sur trois sites miniers de ces provinces, dont deux ont connu des violences, mettent en évidence des facteurs locaux qui peuvent exacerber les mauvaises relations entre les activités minières artisanales et industrielles, et présentent des pistes pour contribuer à une désescalade. Elles indiquent que les mineurs artisanaux se sont souvent montrés particulièrement contrariés lorsque les gisements de sites industriels étaient aussi attrayants qu’inaccessibles. Les efforts déployés par les responsables politiques locaux pour manipuler les mineurs en vue de promouvoir leurs intérêts propres, parfois au risque de provoquer une confrontation, ont également fortement concouru à attiser une violence latente. Le gouvernement de la RDC devrait aider les mineurs artisanaux à gagner leur vie en créant de nouvelles zones d’exploitation minière artisanale. 

Pour diminuer les tensions entre exploitants industriels et artisanaux et leur potentiel de risques de violence, le gouvernement de la RDC devrait aider les mineurs artisanaux à gagner leur vie en créant de nouvelles zones d’exploitation minière artisanale, en travaillant de concert avec les sociétés industrielles pour poser les bases et préparer, au sein de ces zones, des sites destinés à l’exploitation artisanale et en évitant que ces nouveaux sites soient repris par les sociétés minières industrielles. Le gouvernement devrait également protéger le droit des sociétés industrielles de sous-traiter à des coopératives artisanales en retirant ces arrangements du décret qui charge une entité gouvernementale nouvellement créée (mais pas encore sur pied) d’acheter tout le cobalt extrait artisanalement. De leur côté, les sociétés minières devraient faire appel à des mineurs artisanaux pour exploiter les gisements qui ne leur sont pas rentables, sous réserve que les mineurs artisanaux respectent les normes de base en matière de sécurité, de travail et d’environnement, et observent les dispositions énoncées dans la version nouvellement promulguée de la loi sur l’exploitation minière, qui oblige les sociétés minières à contribuer directement au développement local à hauteur d’un pourcentage défini de leurs recettes.

Les organisations qui établissent les normes de diligence requise en matière d’exploitation minière ont également un rôle à jouer. Ces organisations ont habituellement eu tendance à percevoir l’exploitation artisanale exclusivement comme une manière de financer des groupes armés, et cette vision se reflétait dans leurs normes. Récemment, elles ont reconnu le potentiel de ce type d’exploitation comme source de revenus. Elles devraient donc adapter les normes officielles de façon à reconnaître que les sociétés minières industrielles peuvent nuire aux efforts déployés en faveur du développement local et accentuer le risque de violence, si elles n’adoptent pas des politiques qui tiennent compte des besoins des mineurs artisanaux et des communautés qui les abritent.

Il ne sera pas aisé pour le président Tshisekedi de réaliser des avancées sur la question épineuse de l’exploitation minière artisanale. Si la nécessité de travailler au sein d’une coalition écartelée établie avec Kabila restreint forcément les capacités de Tshisekedi à opérer les changements évoqués plus haut, il lui reste toutefois la possibilité de faire pression pour qu’ils aient lieu, de chercher à obtenir le soutien d’alliés politiques et de lancer un mouvement qui mènera à leur réalisation. Même si ces efforts n’atteignent pas leurs objectifs à court terme, ils amélioreront tout de même les perspectives de paix et de prospérité dans le cœur minier de la RDC.

Lubumbashi/Nairobi/New York/Bruxelles, 30 juin 2020

I.Introduction

En juin et juillet 2019, des soldats sont entrés dans les deux plus grands sites miniers de la République démocratique du Congo (RDC). Leur mission consistait à déloger plus de 10 000 exploitants artisanaux, hommes et femmes qui empiétaient sur ces sites, seuls ou en petits groupes, et creusaient en quête de minerais de cobalt et de cuivre avec des techniques peu ou pas mécanisées.  Les troupes ont mis le feu aux maisons des exploitants artisanaux et ont poussé ces derniers à partir.

L’un des sites où les soldats sont intervenus était la mine de Tenke Fungurume (TFM), qui se trouve dans la région de Tenke et Fungurume, dans le sud-est du pays. L’extraction minière a radicalement changé la vie dans cette région depuis 1972, date de la première opération industrielle. La société qui gère TFM a annoncé plus de 20 000 offres d’emploi à son ouverture et attiré ainsi près du double de personnes en quête d’un emploi dans la région. La population de cette région a triplé du jour au lendemain. Les activités minières industrielles ont cependant été de courte durée et les personnes qui avaient été embauchées se sont rapidement retrouvées sans emploi. D’aucuns se sont tournés vers l’exploitation minière artisanale, excavant des minerais à la pelle et les stockant dans des sacs pour les transporter jusqu’aux maisons d’achat. Voyant que ce travail était rémunérateur, davantage de personnes ont suivi cette voie, notamment des « locaux » et des immigrants issus de villes voisines et d’autres provinces de la RDC. Ceci a mené à plus de vingt ans de tensions et à des violences intermittentes entre les mineurs artisanaux, l’armée et la police des mines. 

Lorsque les activités industrielles ont repris à TFM, à la fin des années 1990, le nouvel opérateur a trouvé des milliers (20 000 selon certains) de mineurs artisanaux sur le site pour lequel il détenait un permis.  Ceci a mené à plus de vingt ans de tensions et à des violences intermittentes entre les mineurs artisanaux, l’armée et la police des mines. Cette dernière a régulièrement procédé à l’expulsion des mineurs artisanaux de certaines parties de TFM, mais n’a pas pu les empêcher de revenir sur le site de manière durable.  Les mineurs continuaient d’empiéter sur le site, de manifester et, parfois, de créer des émeutes face à leur expulsion. L’armée a été présente sur le site pendant de longues périodes, autorisant tantôt aux mineurs artisanaux l’accès à TFM, au point d’entrer en conflit avec la police des mines sur la question, et le refusant à d’autres moments.  Au début de l’année 2019, des mineurs artisanaux, alertés par le bruit des explosifs industriels, ont envahi le site en masse et ont emporté des tonnes de minerai mis à nu.

Plusieurs mois plus tard, l’armée est revenue en force. Pour les habitants du village voisin de Kamfwa, l’intervention militaire de juin-juillet 2019 se distinguait des précédentes, car pour la première fois les soldats sont sortis des sites miniers pour brûler indifféremment les maisons des mineurs et des fermiers.  Une semaine après les expulsions de TFM, l’armée a fait partir des milliers de mineurs artisanaux de la mine Kamoto Copper Company, moins de 160 kilomètres à l’ouest, ce qui aurait entrainé trois morts, d’après certaines sources. La concurrence directe et parfois violente entre les mineurs artisanaux et industriels est répandue en RDC. 

La concurrence directe et parfois violente entre les mineurs artisanaux et industriels est répandue en RDC. Une étude de 2015 sur des sites miniers artisanaux de l’est et du sud-est du pays indique que 63 pour cent d’entre eux se trouvent sur des terres où des sociétés industrielles détiennent des permis d’exploitation minière. Selon cette étude, moins d’un pour cent de l’exploitation minière artisanale se déroule dans des zones que le gouvernement a affectées à cette activité.

Le présent rapport examine les éléments qui attisent et déclenchent des tensions entre mineurs industriels et artisanaux et la manière d’apaiser ces tensions. Il analyse les difficultés auxquelles le président Félix Tshisekedi et son gouvernement sont confrontés pour faire évoluer le secteur minier et, dans ce contexte, passe en revue la situation dans trois mines différentes. Le rapport se fonde sur des observations de terrain issues de visites dans les zones à proximité des opérations minières ; des entretiens avec des résidents locaux, des responsables communautaires et des personnalités de la société civile ; des articles de presse sur le secteur minier ; des ensembles de données reprenant des évènements violents (voir annexe B), et d’autres informations disponibles publiquement. Crisis Group n’a pas pu obtenir de commentaire officiel sur cette recherche et cette analyse, que ce soit de la part de la Gécamines, la société minière nationale, ou de la part des sociétés privées qui exploitent les mines dont il est question ci-dessous, malgré des tentatives répétées de contacter les représentants locaux et les sièges officiels.  Ce rapport est le premier d’une série de publications de Crisis Group concernant l’industrie extractive et les conflits.

II.Le défi de Tshisekedi : la politique nationale, véritable champ de mines

Lorsqu’il a pris ses fonctions en janvier 2019, le président Tshisekedi s’est engagé à combattre la pauvreté et à stabiliser le pays. Pour tenir cette promesse et réussir sa présidence, il lui faudra impérativement réaliser des progrès significatifs pour que les vastes richesses minérales de la RDC profitent concrètement à ses citoyens. Il pourrait commencer par ceux qui gagnent leur vie tant bien que mal avec l’exploitation minière artisanale et d’autres qui vivent, démunis, autour des mines industrielles.

Tshisekedi n’a pas toutes les cartes en main. L’exploitation minière artisanale est une activité difficile, dangereuse et sous-réglementée, qui comporte de nombreux défis allant de la sécurité sur les sites de travail aux risques environnementaux en passant par l’exploitation du travail des enfants.  Vu les tâches qu’il peut prendre en charge, Tshisekedi doit tenir compte des contraintes que lui impose la réalité politique et réfléchir à la meilleure façon de travailler dans le cadre d’un ensemble de lois et de décrets anciens et nouveaux qui vont parfois à l’encontre de ses objectifs. Le ralentissement économique mondial provoqué par l’épidémie de Covid-19 touche déjà le secteur minier et compliquera les ambitions de Tshisekedi. 

En outre, le ralentissement économique mondial provoqué par l’épidémie de Covid-19 touche déjà le secteur minier et compliquera les ambitions de Tshisekedi d’utiliser les richesses minérales du pays au profit d’une plus grande partie de sa population. Selon le ministère des Mines, la baisse de la demande mondiale et des prix des principaux produits miniers se traduira par des revenus inférieurs aux objectifs du gouvernement.  Les prix du cuivre et du cobalt ont déjà considérablement diminué au cours des derniers mois. Les mesures de confinement prises par l’Afrique du Sud ont réduit les échanges commerciaux dans ses ports, utilisés par la RDC pour expédier ses minerais vers la Chine (son principal client) et d’autres destinations. Le secteur minier, qui est le principal moteur de la croissance économique de la RDC, étant en récession, la banque centrale a déjà prédit une baisse de 1,9 pour cent du PIB du pays en 2020, contre une croissance de 4,4 pour cent l’année précédente.

Malgré tous ces défis, le gouvernement a suffisamment de marge de manœuvre pour offrir davantage de perspectives et de protection aux quelque deux millions de mineurs artisanaux du pays.

A.La bataille politique

Le contraste entre l’ampleur des richesses minérales de la RDC et la pauvreté de ses citoyens est saisissant. La RDC possède une grande part des réserves mondiales de minéraux très recherchés, comme le cobalt, qui est une matière première essentielle pour les batteries rechargeables (voir annexe A). Le secteur minier est au cœur de son économie, puisqu’il représente plus de 90 pour cent des exportations (voir annexe F).  Les impôts payés par le secteur des industries extractives s’élevaient à 1,57 milliard de dollars en 2018, soit quasiment le double du montant de 2019. Pourtant, les citoyens congolais n’en retirent que peu de bénéfices concrets : selon les dernières estimations de la Banque mondiale, le taux d’extrême pauvreté en RDC est de 72 pour cent. La dynamique de coalition reste un obstacle important au changement dans le secteur minier. 

Le président Tshisekedi rencontre de grandes difficultés à contrôler réellement le secteur minier, et a fait l’objet de critiques pour avoir peu utilisé les revenus miniers afin d’aider les citoyens de la RDC. L’un des principaux problèmes est qu’il doit partager, dans une large mesure, le pouvoir avec le réseau politique de son prédécesseur, dont les membres occupent des postes gouvernementaux clés pour le secteur minier. La coalition Cap pour le changement (CACH) de Tshisekedi est en effet obligée de travailler avec le Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila, qui contrôle la majorité des sièges à l’Assemblée nationale. Depuis le début de l’année 2020, la dynamique de la coalition FCC-CACH a commencé à changer, à mesure que Tshisekedi a lentement renforcé son autonomie en étendant son contrôle sur les forces de sécurité, en luttant plus durement contre la corruption et en essayant de mettre à l’écart les personnalités de l’ère Kabila. Néanmoins, la dynamique de coalition reste un obstacle important au changement dans le secteur minier.

Des alliés de Kabila occupent encore nombre de postes clés au sein du gouvernement de coalition, des institutions nationales et des entreprises publiques, notamment le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le ministre des Mines Willy Kitobo Samsoni, le ministre du Portefeuille Clément Kwete Nymi Bemuna (qui est responsable des entreprises publiques) et le ministre des Finances José Sele Yalaghul. Une autre figure importante, Albert Yuma, préside depuis novembre 2010 la société minière d’Etat, la Gécamines, et est un allié de longue date de Kabila. Avec des partisans de Kabila solidement établis dans le gouvernement, Tshisekedi aura du mal à réaliser son ambition de renforcer son contrôle des revenus miniers et d’améliorer ainsi la situation socioéconomique des citoyens.

Si Tshisekedi a tenté de démanteler une grande partie du réseau de son prédécesseur, il n’a pas vraiment réussi à déloger les partisans de Kabila des postes d’influence, y compris à la Gécamines.  En mai 2019, Kabila aurait fait pression pour que Yuma soit nommé Premier ministre, mais Tshisekedi a résisté, acceptant à la place qu’il reste président de la Gécamines dans le cadre d’un marchandage politique.  Pour contrebalancer Yuma, Tshisekedi a nommé son allié, Sama Lukonde Kyenge, au poste de directeur général de la société. Les alliés de Kabila ont longtemps bloqué cette nomination, mais le ministre du Portefeuille public a finalement approuvé la nomination de Kyenge à la fin du mois de juin 2020. Grâce à la présence de ses alliés à la direction de la Gécamines, Tshisekedi pourra exercer une influence plus grande sur la société minière nationale, bien que la portée réelle de cette influence reste floue.

Fin 2019, Tshisekedi a essayé sans succès de se débarrasser de Yuma en attirant l’attention du public congolais sur des poursuites judiciaires à l’endroit de la Gécamines.  A l’origine, les faits remontent à 2017, lorsque la Gécamines a accepté un prêt controversé de 128 millions d’euros de Dan Gertler, homme d’affaires et proche associé de Kabila qui est soumis à des sanctions du département du Trésor américain.  Les organisations de défense des droits humains et de lutte contre la corruption ont émis des doutes sur ce prêt, qui pourrait n’avoir été qu’une façade pour blanchir de l’argent.  Bien que ces affirmations n’aient pas été prouvées, le bureau du procureur a demandé à Yuma et à d’autres hauts responsables de la Gécamines de rester à sa disposition dans le cadre de l’enquête. Les services de l’immigration ont interdit à Yuma de voyager en dehors de Kinshasa.

Aucune avancée n’a apparemment eu lieu dans le dossier depuis lors. Kabila semble avoir protégé Yuma, tandis que les autorités judiciaires sont préoccupées par d’autres affaires très médiatisées.  Les restrictions de déplacement imposées à Yuma pourraient être levées à la suite de la nomination de Kyenge. Cela lui permettrait de se rendre à Lubumbashi afin de voir Kyenge prendre ses nouvelles fonctions.

B.Evolutions juridiques

 Le gouvernement a présenté ces nouvelles mesures comme étant avant tout une étape importante vers l’augmentation des recettes internes de l’Etat. 

Le législateur congolais a récemment modifié le code minier national. Le code modifié, approuvé en 2018 sous Kabila, a considérablement augmenté le niveau d’imposition des sociétés exploitant des « minéraux stratégiques » – y compris le cobalt – et a imposé plusieurs exigences et restrictions supplémentaires aux sociétés, par rapport au précédent code de 2002. Le gouvernement s’est enhardi à procéder à de tels changements car la forte demande internationale pour ces minéraux, en particulier le cobalt, générait des profits importants pour les sociétés minières industrielles. Il a présenté ces nouvelles mesures comme étant avant tout une étape importante vers l’augmentation des recettes internes de l’Etat. Ces mesures ont reçu le soutien d’organisations de la société civile nationales et internationales qui assurent une veille sur les activités extractives, mais elles ont suscité le mécontentement des sociétés minières.  Tshisekedi a déclaré son soutien au code, et il semble donc peu probable qu’il collabore avec le législateur pour le modifier, du moins à moyen terme.

Le code contient trois dispositions clés susceptibles de reconfigurer les relations entre les sociétés minières, les mineurs artisanaux et les communautés locales.

Premièrement, il exige que les entreprises consacrent 0,3 pour cent de leurs revenus à des « projets de développement communautaire ». Le code de 2002 n’imposait pas une telle contribution. Les organisations de la société civile ont salué ce changement, car il signifie que les habitants des zones minières recevront directement un (petit) pourcentage des revenus miniers et ne seront plus dépendants uniquement des fonds qui leur sont versés au compte-goutte par les entités administratives fédérales. Cette disposition a toutefois été appliquée de manière inégale, comme nous le verrons plus loin.

Deuxièmement, le code exige que les mineurs artisanaux soient membres d’une coopérative et permet aux mineurs industriels de sous-traiter les activités minières à des coopératives. Cette évolution est également importante, car elle donne aux sociétés minières et aux mineurs artisanaux une base juridique de collaboration. Les entreprises en tirent profit, car cela leur permet de sous-traiter avec une coopérative pour monnayer les gisements pour lesquels elles détiennent une licence mais qu’elles ne peuvent exploiter de manière rentable en utilisant des méthodes industrielles. Les mineurs artisanaux en bénéficient dans la mesure où, du moins en théorie, ils peuvent sous-traiter légalement des gisements situés sur des terres sous licence industrielle et traiter directement avec les sociétés minières. La sous-traitance leur permet généralement de facturer aux entreprises des prix plus élevés pour le minerai qu’ils extraient que s’il était vendu à des comptoirs d’achat et de vente des minerais.

Toutefois, cette réforme n’a pas été une réussite totale. Pour commencer, toutes les coopératives minières artisanales de la RDC ne représentent pas les intérêts de leurs membres. Certaines sont détenues par des représentants de l’élite politique et exigent de leurs membres des paiements non officiels pouvant atteindre jusqu’à vingt pour cent de leur production.  De plus, le gouvernement a récemment créé une nouvelle entité, dont nous parlerons plus loin, dont le mandat est en contradiction avec le code minier de 2018. La probabilité qu’un terrain riche en minéraux soit désigné et reste une zone d’exploitation minière artisanale est très faible. 

Enfin, le code de 2018 – à l’instar de son prédécesseur de 2002 – prévoit des règles régissant à la fois la création et la fermeture des zones d’exploitation minière artisanale. En théorie, ces zones devraient permettre à l’exploitation minière artisanale de se dérouler légalement. En pratique, seule une très petite fraction de l’exploitation minière artisanale se déroule dans des zones d’exploitation artisanales formelles – à peine une quinzaine sur plus de 2 000 mines visitées dans le cadre d’une étude de 2015.  Il y a plusieurs raisons à cela. Il convient d’emblée de préciser que la quasi-totalité des terres à potentiel d’extraction minière en RDC est déjà concernée par des permis d’exploitation minière industrielle (voir annexe B). En outre, le code minier interdit au gouvernement de convertir un site industriel en zone d’exploitation minière artisanale. En revanche, la loi autorise le ministre des Mines à fermer toute zone d’exploitation artisanale avec un préavis de 60 jours lorsqu’un gisement est découvert et que celui-ci ne peut être exploité que par des moyens industriels. Par conséquent, la probabilité qu’un terrain riche en minéraux soit désigné et reste une zone d’exploitation minière artisanale est très faible.

En novembre 2019, le Premier ministre a publié deux décrets qui laissent présager à la fois de nouvelles complications et des possibilités d’aider les mineurs artisanaux à avoir une part des richesses minérales du pays.  Le premier décret met en place un nouvel organisme – l’Autorité de régulation et de contrôle des marchés des substances minérales stratégiques (Arecoms) – dont la mission est de superviser les coopératives et de veiller à leur bon fonctionnement. Cet organisme pourrait contribuer à contrer l’attitude prédatrice des propriétaires de coopératives artisanales décrite ci-dessus.

L’autre décret autorise la Gécamines à créer une filiale, l’Entreprise générale du cobalt, qui aura le monopole des achats de cobalt artisanal – la production artisanale constitue plus de vingt pour cent de la production nationale de ce minéral. Selon ce dernier décret, la filiale devait commencer ses activités au début de l’année 2020, mais la Gécamines n’a toujours pas trouvé les moyens pour financer ces activités.  Malgré le manque de moyens financiers de la Gécamines et des autorités, le ministre des Mines a annoncé en juin que l’achat, sous le contrôle de l’Etat, de cobalt artisanal par l’Entreprise générale du cobalt commencerait en septembre 2020.

Même si la création de l’Entreprise générale du cobalt vise très clairement, au moins en partie, à assurer aux mineurs artisanaux un prix équitable, il y a des raisons de craindre que tous n’en bénéficieront pas.  Premièrement, la mesure qui crée la nouvelle entité interdit en même temps aux mineurs industriels d’acheter directement auprès des coopératives artisanales, ce qui semble porter directement atteinte aux nouvelles dispositions du code minier de 2018 permettant aux entreprises de sous-traiter aux mineurs artisanaux. Deuxièmement, outre les questions relatives à la manière dont la nouvelle filiale financera les achats, des doutes subsistent quant à sa capacité à proposer aux mineurs artisanaux des prix plus élevés que ceux offerts par les comptoirs.

La création et la gestion de l’Entreprise générale du cobalt pourraient réactiver les tensions entre les factions de Tshisekedi et de Kabila. Selon le décret, des représentants présidentiels et provinciaux doivent siéger au conseil d’administration, tout comme le Premier ministre et le ministre des Mines. Bien que les conflits relatifs à la gestion de la Gécamines aient été résolus en juin grâce à l’approbation de la nomination de Kyenge à la direction générale de la société, il est probable que ce scénario se répète pour les nominations à l’Entreprise générale du cobalt, et que celles-ci s’enlisent dans des luttes de pouvoir. Certains analystes qui suivent le secteur minier de la RDC craignent que, compte tenu des enjeux financiers importants des transactions de la filiale, il existe un risque considérable de détournement de fonds.

III.Haut-Katanga et Lualaba : le cœur minier de la RDC

Outre les rivalités politiques au niveau national, Tshisekedi doit gérer les tensions qui règnent dans les provinces minières clés du Lualaba et du Haut-Katanga. Son principal défi est d’éviter les affrontements entre les Katangais, qui ont des racines locales dans les zones minières, et une vaste population qui s’est déplacée de la province voisine du Kasaï en vue de vivre de l’exploitation minière artisanale. Le Haut-Katanga et le Lualaba ont connu des violences anti-kasaïennes, et les récentes manifestations ont fait des Kasaïens les boucs émissaires de la criminalité et du manque de perspectives économiques dans la région.  A court terme, endiguer les frictions pourrait se révéler difficile si, comme cela semble probable, le chômage continue d’augmenter en raison de la Covid-19.  Pourtant, à plus long terme, améliorer les perspectives économiques des mineurs artisanaux du Haut-Katanga et du Lualaba, qu’ils soient locaux ou migrants, pourrait être une stratégie pertinente pour permettre à Tshisekedi de diminuer la concurrence entre les deux groupes. Tshisekedi doit parvenir à un équilibre local subtil. 

Tshisekedi doit parvenir à un équilibre local subtil. Même si la quasi-totalité des revenus du cuivre et du cobalt, qui représentent plus de 80 pour cent des exportations de la RDC (voir annexe F), proviennent des provinces de la région du Katanga, son parti politique a des liens étroits avec la région du Kasaï. En effet, son soutien politique dans le Haut-Katanga et le Lualaba repose principalement sur l’importante population d’origine kasaïenne. En revanche, Joseph Kabila et le principal chef de l’opposition, Moïse Katumbi, tous deux originaires du Katanga, bénéficient du soutien de groupes distincts de sa population non kasaïenne.  Certes, Tshisekedi a reçu un coup de pouce inattendu lorsque Antoine Gabriel Kyungu Wa Kumwanza, ancien gouverneur du Katanga et actuel membre de l’assemblée provinciale du Haut-Katanga, dont le parti est fermement ancré dans la région du Katanga, est devenu la première grande voix katangaise à accepter sa victoire ; bien qu’originaire du camp de Katumbi, Kyungu soutient Tshisekedi depuis.

Néanmoins, la dynamique ethnique dans la région reste un défi pour Tshisekedi. Les tensions qui animent la coalition que Tshisekedi a formée avec Kabila se font vivement sentir au Katanga. En novembre 2019, des partisans de Kabila ont brûlé des affiches de Tshisekedi dans le Lualaba en réaction à la destruction similaire de pancartes de Kabila à Kinshasa.  En mars, dans la capitale du Haut-Katanga, Lubumbashi, des manifestants ont tenté d’imputer aux Kasaïens la responsabilité de l’insécurité causée par des bandes armées qui volent, extorquent et tirent fréquemment sur les civils dans la ville.

Les figures politiques nationalistes katangaises, dont Kyungu Wa Kumwanza, ont par le passé utilisé l’exploitation minière pour alimenter les griefs ethniques.  Ils ont notamment répandu le discours selon lequel des « étrangers » – se référant à la fois aux travailleurs migrants de la région du Kasaï et aux détenteurs du pouvoir à Kinshasa – voleraient les richesses minérales « du Katanga ».  Au début des années 1990, cette perception a conduit à une violence généralisée à l’endroit de dizaines de milliers de personnes originaires du Kasaï.

Ces récits anti-kasaïens résonnent d’autant plus fort lorsque les moyens de subsistance dans le Haut-Katanga et le Lualaba sont tendus.  C’est pour cette raison que les effets combinés de l’intervention de l’armée en juin-juillet 2019, qui a privé plus de 10 000 mineurs artisanaux de leur emploi, et du ralentissement économique dû à l’épidémie de Covid-19 sont préoccupants.  Mener des réformes qui contribuent à assurer des moyens de subsistance plus sûrs, plus stables et plus rémunérateurs aux mineurs artisanaux, qu’ils soient nés au Katanga ou venus d’autres régions de la RDC, pourrait contribuer à apaiser la concurrence et les tensions entre les deux groupes. Elles pourraient également profiter à un grand nombre de personnes, puisque les revenus des mineurs artisanaux nourrissent entre 10 et 12 pour cent de la population de la région.  Comme on le verra plus loin, ces réformes pourraient inclure la création de nouvelles zones d’exploitation minière artisanale ainsi que des mesures visant à accompagner la coopération entre les entreprises industrielles et les mineurs artisanaux.

IV.L’histoire de trois sites

Les études de cas de trois sites miniers – TFM, Kipushi et Luiswishi – illustrent la dynamique entre les sociétés minières industrielles, les mineurs artisanaux et les habitants des zones d’exploitation minière, parfois même avec l’intervention des forces de sécurité congolaises. Les trois sites se trouvent sur des gisements de cuivre et de cobalt dans le sud-est de la RDC, le premier dans le Lualaba et les deux autres dans le Haut-Katanga. Cependant, chacun a connu des niveaux de violence différents, notamment parce qu’il existe des disparités dans les possibilités qui s’offrent aux mineurs artisanaux de gagner leur vie.

A.Exploitation minière de Tenke Fungurume

Des trois sites miniers examinés ici, le gisement de TFM est celui qui a connu le plus haut niveau de violence.

Située dans la province du Lualaba, TFM est une joint-venture entre la société minière d’Etat de la RDC, la Gécamines, et China Molybdenum (CMOC). La production industrielle de cuivre et de cobalt sur le site remonte au début des années 1970 ; la Gécamines avait alors lancé une opération pilote de courte durée dans la région.

La joint-venture actuelle a été lancée en 1996, date à laquelle la majorité des parts était détenue par Lundin Holdings, une société suédo-canadienne.  La CMOC a rejoint l’entreprise commune en 2016, après l’acquisition d’une part majoritaire. Elle détient désormais 80 pour cent de l’opération.  Selon les derniers chiffres publiés, TFM est devenue la plus grande mine de la RDC en termes de recettes engrangées pour le gouvernement.  En octobre 2018, le dernier mois pour lequel des données sont disponibles, TFM représentait plus d’un quart des recettes minières des gouvernements provinciaux du Haut-Katanga et du Lualaba.

L’exploitation minière artisanale et industrielle sur le site de TFM a entraîné un important afflux de migrants en provenance d’autres provinces. La population des localités de Tenke et Fungurume a plus que décuplé depuis le début de l’exploitation minière dans la région.  La croissance démographique a commencé en 1972, par une campagne d’embauche massive de la Gécamines qui a attiré plus de 40 000 employés potentiels, venus principalement du Haut-Katanga et du Kasaï.  Au fil des ans, les perspectives qu’offrait l’exploitation minière artisanale ont attiré de nouveaux migrants d’autres provinces, y compris des mineurs artisanaux expulsés des sites du Haut-Katanga et des Kasaïens fuyant la violence dans leur région d’origine. Aujourd’hui, des centaines de personnes arriveraient chaque jour du seul Kasaï, et les Kasaïens constituent la majorité des mineurs artisanaux de la région.

Depuis les débuts de TFM, des conflits violents et de fréquentes interventions de l’armée entachent les relations entre la société qui exploite le site et les mineurs artisanaux. Après l’exploitation pilote de la Gécamines dans les années 1970, le site est resté non opérationnel pendant plus de vingt ans, car la société connaissait des difficultés financières. Tant les migrants qui espéraient être employés par l’entreprise en faillite que les locaux se sont alors tournés vers l’exploitation minière artisanale sur le site. C’est ainsi que lorsque la nouvelle joint-venture est née à la fin des années 1990, elle a été confrontée à des milliers de mineurs artisanaux présents sur les terres qu’elle était autorisée à exploiter. Outre les mineurs artisanaux, un contingent de réserve de soldats congolais était logé sur le site depuis la seconde guerre du Congo (1998-2003) ; Lundin, alors partenaire de la joint-venture, a accusé les troupes de creuser pour trouver du minerai sur le site aux côtés des mineurs artisanaux.  Invoquant, entre autres raisons, l’incapacité de la Gécamines et des autorités de la RDC à mettre un terme à cette exploitation minière, Lundin a gelé ses activités en 1999. Ceci a conduit à un climat de violence intermittente, la police des mines et les agents de sécurité de la société qui avaient expulsé les mineurs artisanaux du site s’étant révélés incapables de les empêcher d’y revenir. 

Lorsque la joint-venture a repris ses activités en 2005, un grand nombre de mineurs artisanaux et de soldats sont restés à TFM. Ceci a conduit à un climat de violence intermittente, la police des mines et les agents de sécurité de la société qui avaient expulsé les mineurs artisanaux du site s’étant révélés incapables de les empêcher d’y revenir.  La taille de TFM – certains de ses puits mesurent des dizaines de kilomètres de diamètre – a constitué un obstacle de plus à l’expulsion des mineurs artisanaux. Selon les informations publiées par la presse, les soldats eux-mêmes seraient toujours impliqués dans l’exploitation minière artisanale, provoquant des affrontements avec la police des mines.

En 2005, l’armée et la police des mines ont échangé des tirs à plusieurs reprises, et l’armée a démoli les barrages routiers que la police avait érigés pour empêcher les minerais exploités artisanalement de sortir de la zone.  Certains membres de la police et des mineurs artisanaux sont morts lors de ces affrontements.  Des représentants de la société civile locale et des chefs traditionnels déclarent que les forces armées ont participé à la fois à l’expulsion des mineurs artisanaux et à leur (ré)autorisation sur le site de TFM. Par ailleurs, des militants des droits humains ont allégué que des soldats avaient pris part à l’exploitation minière illégale sur le site aux côtés des mineurs artisanaux au profit d’officiers de haut rang.

Après les affrontements de 2005, les militaires se sont temporairement retirés du site de TFM, mais l’empiètement des mineurs artisanaux sur le site et la violence qui l’accompagne ont continué. Les mineurs entraient souvent sur le site la nuit (parfois attirés par le bruit des explosions utilisées pour détacher de grandes quantités de minerai) pour extraire ou voler le minerai extrait par les opérations industrielles. En 2009, les mineurs artisanaux et la police des mines se sont affrontés après une nouvelle expulsion d’un groupe de mineurs artisanaux du site de TFM.  Au cours des années suivantes, les mineurs artisanaux, qui compteraient dans leurs rangs des combattants démobilisés des conflits régionaux et des habitants de villages voisins, ont organisé plusieurs manifestations violentes pour exiger l’accès à certaines parties du site.  L’ampleur des vols de minerais a fortement augmenté en 2019. Cette augmentation a pu être favorisée par un autre tour de démilitarisation des sites miniers en avril, qui a même supprimé les barrages militaires à l’entrée du site, laissant aux forces de sécurité privées la tâche presque impossible de tenir les mineurs artisanaux à l’écart.

C’est dans ce contexte qu’en juin 2019, l’armée a organisé sa plus grande intervention depuis 2005, expulsant de force des milliers de mineurs artisanaux, tuant au moins une personne et brûlant les logements des mineurs construits sur des terres concédées à TFM ainsi que des maisons dans les villages voisins.  Cette intervention n’a cependant pas permis de mettre fin à l’empiètement des mineurs artisanaux sur le site de TFM. Les mineurs artisanaux déclarent que des soldats sont restés à TFM, soit pour se lancer eux-mêmes dans l’exploitation minière, soit pour utiliser leur contrôle sur l’accès afin d’extorquer des droits d’entrée ou de confisquer le produit du travail des mineurs, tout en les agressant souvent physiquement.

Ces phénomènes récurrents peuvent s’expliquer par des facteurs structurels dont – principalement – l’absence de zones d’exploitation minière artisanale dans un rayon de 50 kilomètres autour du site de TFM. Celles qui existaient auparavant ont été placées sous licence industrielle ou sont maintenant la propriété privée de personnes ayant des accointances politiques.  Les autorités semblent comprendre que cette absence d’autres sites miniers alimente la frustration. A la suite de manifestations exigeant la création de nouvelles zones d’exploitation minière artisanale, les autorités provinciales du Lualaba ont promis, en septembre 2019, de créer trois de ces zones, mais aucun emplacement n’a encore été annoncé.  Etant donné la superficie des terres couvertes par des licences industrielles dans le Lualaba, établir de telles zones exigerait probablement que le titulaire d’une licence renonce volontairement à ses droits sur un site de production ou d’exploration industrielle (voir annexe B). Il n’est cependant pas certain qu’une telle renonciation résoudrait le problème. Les mineurs artisanaux de TFM craignent que ces sites ne soient pas assez riches en minerai pour les faire vivre et, en tout état de cause, ils n’ont pas les moyens de prendre en charge les coûts initiaux que représentent les travaux de préparation d’un nouveau site d’exploitation minière. Il pourrait être utile d’impliquer les sociétés minières industrielles. 

Il pourrait donc être utile d’impliquer les sociétés minières industrielles. Sicomines, un consortium de plusieurs sociétés minières enregistrées en Chine, dont la CMOC de TFM, affirme de son côté avoir alloué 2,5 millions de dollars à la création de nouvelles zones d’exploitation minière artisanale. Cet argent pourrait couvrir les coûts des travaux de terrassement. Pourtant, les autorités traditionnelles et les habitants de la région continuent de se plaindre du fait que la CMOC contribue peu au développement local, ce qui ne fait qu’aggraver les tensions liées à TFM. Les chefs des villages établis autour de TFM expliquent que la CMOC embauche peu de main-d’œuvre locale et qu’elle a mis fin à l’un des rares contrats qui soutenaient l’économie locale (un contrat d’achat de nourriture) lorsqu’elle a pris une participation dans TFM.

Les chefs des villages ont également eu des différends avec la CMOC concernant le fonds social de TFM. Clairement dédié à soutenir les efforts déployés en faveur du développement local, il devrait, selon le code minier de 2018, être financé par l’entreprise grâce à une contribution de 0,3 pour cent de ses revenus. Par le passé, les fonds mis à disposition par la société ont été utilisés pour construire une école et creuser des puits de captage, mais les chefs de village ont fait savoir que l’argent n’était plus versé.

Les tensions relatives au fonds social et les autres litiges qui opposent les habitants et TFM sont encore aggravés par l’absence de communication entre la société minière et la population. Le site ne dispose pas d’un bureau de liaison avec la communauté et les chefs affirment n’avoir aucun moyen d’entrer en contact avec la CMOC.

Les habitants indiquent également que les responsables politiques et les entrepreneurs locaux ayant des intérêts personnels dans l’exploitation minière artisanale pourraient contribuer aux désordres à TFM. Comme le décrit un document de travail de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de 2019, des personnes bénéficiant d’accointances politiques sont étroitement impliquées dans le secteur minier artisanal dans tout le Haut-Katanga et le Lualaba. Selon le document, ces individus contrôlent parfois à la fois les comptoirs d’achat des minéraux artisanaux et les « coopératives » qui sont censées aider les mineurs à s’organiser et à travailler ensemble. Les intérêts de personnalités locales les poussent parfois à exploiter des situations instables à des fins personnelles. 

A l’instar des responsables politiques de Kinshasa, qui se disputent le contrôle des activités minières industrielles en raison de leurs enjeux économiques et politiques, les personnalités locales autour de TFM rivalisent pour régner sur l’exploitation minière artisanale. Leurs intérêts les poussent parfois à exploiter des situations instables à des fins personnelles. Par exemple, après l’expulsion des mineurs artisanaux des sites commerciaux de TFM, certains ont été réinstallés sur d’autres sites contrôlés par un individu ayant des relations haut placées, qui a exigé qu’une part de leur production lui revienne et que les ventes soient exclusivement conclues avec un seul comptoir. Selon des mineurs artisanaux, un homme politique local les a incités à entrer dans un site industriel, par la force si nécessaire.  Alors même que ce dirigeant encourageait ce qui aurait pu tourner à l’affrontement violent, lui et d’autres ont fait état de troubles à TFM, attaquant leurs rivaux politiques et répétant l’antienne selon laquelle les « immigrants » kasaïens sont seuls responsables des nuisances causées par les mineurs artisanaux.  Sans zone d’exploitation minière artisanale officielle, les mineurs artisanaux restent des proies pour les puissants, qui créent l’instabilité lorsqu’elle profite à leur ambition politique ou économique.

Enfin, la taille même de TFM pourrait avoir contribué aux tensions que la région a connues. Ailleurs dans le cœur minier de la RDC, de nombreuses personnes – en particulier les autochtones – vivent de l’agriculture pendant au moins une partie de l’année. De par son ampleur, TFM pourrait pourtant offrir des moyens de subsistance tout au long de l’année à beaucoup de mineurs artisanaux. La société a donc attiré un grand nombre de personnes qui n’ont pas besoin de l’agriculture pour vivre. Ce groupe est donc probablement très motivé à garder un accès permanent aux mines pour des raisons économiques. La force que représentent tous ces mineurs à plein temps – et éventuellement la présence de combattants démobilisés en leur sein – pourrait les encourager à continuer dans ce sens, même au risque de violents affrontements.

B.Mine de Luiswishi

Si l’absence de zones minières artisanales et la concurrence qui en résulte entre les mineurs industriels et artisanaux sont des caractéristiques communes au Haut-Katanga et au Lualaba, les sites miniers de Luiswishi et de Kipushi illustrent le fait que ces tensions ne conduisent pas forcément à la violence.

Luiswishi est une mine à ciel ouvert de taille moyenne située à proximité de Lubumbashi, la capitale du Haut-Katanga. La société qui l’exploite appartient entièrement à une société minière chinoise, Congo Dongfang International Mining, qui l’a acquise en 2015.  Avant cette acquisition, une société belge, le groupe Forrest, en détenait la part majoritaire.

Par le passé, Luiswishi a été le théâtre de violents affrontements entre mineurs industriels et artisanaux. Amnesty International a expliqué de quelle manière, en 2009, le groupe Forrest avait demandé l’aide des forces de sécurité de l’Etat en réponse à un afflux important de mineurs artisanaux sur le site minier de Luiswishi.  Des membres de la police des mines, de la police locale et des forces armées ont démoli des centaines d’habitations occupées par des mineurs artisanaux. Comme ce fut le cas à TFM, des logements de mineurs ainsi que des maisons d’habitants voisins non miniers, ont été détruits.

Cependant, depuis les démolitions de 2009, aucune autre violence n’a été signalée à Luiswishi. Il semblerait qu’un certain nombre de facteurs y aient contribué. Le principal étant que les gisements de minerais de Luiswishi sont à la fois moins intéressants et plus accessibles aux mineurs artisanaux. Ils sont moins attrayants parce que le minerai de Luiswishi est légèrement radioactif, ce qui entraîne de plus en plus de problèmes de santé chez les mineurs, mais ne les empêche pas de continuer l’exploitation minière artisanale pendant la basse saison agricole.  En outre, les gisements sont plus accessibles, car, depuis 2009, les mineurs peuvent exploiter au moins quelques gisements de minéraux à faible teneur et des « terrils » (c’est-à-dire des restes d’anciennes fonderies qui contiennent encore des minéraux) pour le minerai. Après les violences de 2009 et avant que la mine ne change de mains en 2015, le propriétaire de l’époque semble avoir autorisé de manière informelle l’extraction de minerai à faible teneur sur le site minier.  Bien que le propriétaire actuel ne l’autorise pas, il existe encore quelques terrils hors site et des gisements à faible teneur où les mineurs artisanaux peuvent prospecter.

Par ailleurs, le profil des mineurs artisanaux à Luiswishi diffère de celui qui prévaut à TFM. L’exploitation minière artisanale autour de Luiswishi est une activité saisonnière qui a lieu pendant la basse saison agricole, et les mineurs n’en dépendent que partiellement pour leur subsistance.  De plus, contrairement à TFM, les recherches menées par Crisis Group n’ont révélé aucune preuve de la présence de combattants démobilisés parmi les mineurs artisanaux, ni de leur manipulation par les détenteurs du pouvoir local. Les conditions dans lesquelles évoluent les mineurs artisanaux à Luiswishi recoupent celles de TFM sur certains points essentiels, qui génèrent tous des frictions (voire de la violence) au sein de la communauté. 

Cela dit, les conditions dans lesquelles évoluent les mineurs artisanaux à Luiswishi recoupent celles de TFM sur certains points essentiels, qui génèrent tous des frictions (voire de la violence) au sein de la communauté. Tout d’abord, il n’existe pratiquement pas de zones d’exploitation minière artisanale viables dans la région du Haut-Katanga, étant donné l’étendue que représentent les autorisations accordées aux entreprises industrielles (voir annexe B). Ensuite, à supposer qu’un nouveau site soit établi, de nombreux mineurs ne seraient pas non plus prêts à risquer leurs moyens de subsistance en se déplaçant sur un nouveau site, surtout si les travaux de terrassement n’ont pas été réalisés, ni les réserves prouvées.  De plus, comme dans le cas de TFM, les habitants des villages proches de la mine de Luiswishi sont amers de ne pas bénéficier de ses retombées économiques. Ils se plaignent que la société exploitante n’embauche pratiquement pas de main-d’œuvre locale (à l’exception de journaliers occasionnels et mal payés), qu’elle ne communique pas et qu’elle n’investisse pas, à leur connaissance, dans les villages locaux.  Les habitants protestent également contre les restrictions d’accès aux terrains agricoles et contre les dégâts causés aux bâtiments par l’utilisation d’explosifs.

La mine de Luiswishi illustre le fait que les griefs des habitants ne conduisent pas inévitablement à la violence. Ce qui distingue Luiswishi de TFM est la combinaison d’un meilleur accès aux moyens de subsistance pour les mineurs artisanaux, sous la forme d’un accès aux terrils et aux gisements à faible teneur, et d’une demande plus faible due au fait que la mine de Luiswishi est plus petite et que ses gisements sont moins intéressants pour les mineurs artisanaux. En outre, l’exploitation minière artisanale à Luiswishi y est une activité à temps partiel.

C.Mine de Kipushi

La mine de Kipushi partage certaines caractéristiques avec TFM et Luiswishi, notamment le manque de zones d’exploitation artisanale dans ses environs et la frustration des habitants des villages voisins face aux conséquences environnementales de l’exploitation minière. Comme ailleurs dans le Haut-Katanga et le Lualaba, l’industrie minière autour de Kipushi a elle aussi attiré au fil du temps de nombreux migrants d’autres régions de la RDC. Beaucoup sont venus de la région du Kasaï. Dans les années 1950, la majorité de la population de la région de Kipushi provenait déjà d’ailleurs.

La mine n’a toutefois pas d’antécédents de violence. Il y a plusieurs explications possibles à cela. Une grande partie des gisements de Kipushi ne peut être exploitée que par des moyens industriels, ce qui limite les possibilités de concurrence entre les mineurs industriels et artisanaux. Parallèlement, les mineurs artisanaux bénéficient d’un meilleur accès à la petite partie des gisements qu’ils peuvent exploiter grâce aux pratiques de l’entreprise. En outre, l’exploitant de la mine de Kipushi contribue davantage à la mise en place d’autres moyens de subsistance pour la population locale.

Plusieurs activités distinctes liées à l’exploitation minière se déroulent sur le site de Kipushi ou à proximité de celui-ci. La plus grande opération du site est une mine souterraine, une entreprise commune entre la Gécamines et une société minière canadienne, Ivanhoe, qui a acquis une participation majoritaire dans la mine en 2011.  Cette mine a une longue histoire, puisqu’elle était la propriété de l’Etat à l’époque coloniale. Comme dans ses autres mines, la Gécamines exploite un concentrateur de minerais à Kipushi, qui traite le minerai extrait sur un site distinct situé à proximité. En outre, une troisième société travaille à proximité du site pour retraiter les scories de cuivre-cobalt. Les ressources souterraines de Kipushi ne sont pas physiquement accessibles aux mineurs artisanaux, ce qui limite les possibilités de confrontation directe. 

Les ressources souterraines de Kipushi ne sont pas physiquement accessibles aux mineurs artisanaux, ce qui limite les possibilités de confrontation directe. Parallèlement, les mineurs artisanaux ont un meilleur accès aux gisements de surface qu’ils seraient en mesure d’exploiter. Les mineurs artisanaux peuvent exploiter des terrils à proximité, et plusieurs exploitants de sites tolèrent l’extraction artisanale dans des gisements à faible teneur à proximité du site. Ces gisements sont surtout une source de revenus pour les mineurs artisanaux pendant la basse saison agricole ; les mineurs artisanaux demandent dès lors moins régulièrement l’accès à cette mine qu’à TFM, par exemple.

Ivanhoe a également investi dans des projets générateurs de revenus et dans la sensibilisation des communautés. Parmi les projets générateurs d’autres types de revenus figurent un atelier textile destiné aux femmes, qui produit également des vêtements achetés par l’entreprise, ainsi que des programmes visant à stimuler la productivité agricole de la région.  L’entreprise gère également un bureau de liaison avec la communauté que la population locale peut contacter pour faire part de ses préoccupations. Les habitants de la région autour de Kipushi semblent satisfaits de ce bureau et de l’accès à Ivanhoe qu’il offre, même s’ils considèrent les projets de génération de revenus comme largement symboliques.  Les activités de production d’Ivanhoe n’ont pas encore commencé, et la population locale espère que le démarrage sera synonyme de création d’emplois.  Le nombre de nouveaux emplois pourrait se révéler décevant, car les opérations minières souterraines à Kipushi ne nécessitent que peu de main-d’œuvre et requièrent des compétences que la plupart des mineurs locaux ne possèdent pas.

La population des environs de Kipushi est exaspérée par l’exploitation minière industrielle, notamment en ce qui concerne ses conséquences sur l’environnement et la santé.  Les anciennes pratiques minières de la Gécamines à Kipushi, et le concentrateur qu’elle exploite toujours sur le site, sont responsables de la pollution d’un plan d’eau qui traverse une zone très peuplée.  À ce jour, cependant, ces frustrations n’ont pas encore entraîné de violence.

V.Dynamiques qui déclenchent des conflits

Sur chacun des trois sites miniers évoqués ci-dessus, l’absence de zones d’exploitation artisanale dans la région met les mineurs artisanaux en concurrence directe avec les mineurs industriels. Les sites se ressemblent également dans la mesure où les chefs et les populations locales sont frustrés par le fait que les sociétés minières industrielles ont peu contribué au développement local. Sur chaque site, il est très important de répondre à ces frustrations, car elles alimentent des tensions presque permanentes entre les sociétés minières industrielles, d’une part, et les mineurs artisanaux et les habitants des villages voisins, d’autre part. Cependant, les tensions qui dégénèrent en violence ne constituent pas une réalité pour tous les sites. Il semblerait que des différences importantes ont rendu TFM plus susceptible de connaître des violences et, à certains moments, l’ont même poussée au bord du gouffre.

A.Refus de l’accès aux gisements intéressants

Comme indiqué précédemment, une différence importante entre TFM, où les tensions ont récemment déclenché des violences à grande échelle, et Kipushi et Luiswishi tient au fait que les gisements de TFM sont à la fois plus intéressants et moins accessibles aux mineurs artisanaux.

La société exploitant le site de TFM, CMOC, laisse sur son site des veines exposées avec des gisements de minerai à faible teneur qui attirent les mineurs artisanaux. La société n’a apparemment pas l’intention d’exploiter ces filons, mais ne permet pas pour autant aux mineurs artisanaux d’y accéder.  Les mineurs artisanaux sont donc tentés d’empiéter sur le site minier – soit pour exploiter les gisements eux-mêmes, soit pour voler les minéraux déjà extraits par l’entreprise – ce qui ouvre la voie au type d’affrontements qui se sont produits en juin et juillet 2019. Les habitants ont clairement exprimé leur frustration face à l’approche adoptée par la société. 

Les habitants ont clairement exprimé leur frustration face à l’approche adoptée par la société. Depuis plusieurs années, les mineurs artisanaux et d’autres habitants organisent régulièrement des manifestations, parfois violentes, pour demander à la CMOC de leur donner accès aux zones où se trouvent des gisements à faible teneur, sans succès. La société a également rejeté les demandes d’autorisation pour l’exploitation artisanale des terrils, probablement parce qu’un tel accès entraînerait une augmentation des vols de minéraux extraits par la société.

En revanche, à Kipushi et Luiswishi, les deux mines qui connaissent moins de violence, les gisements sont moins intéressants pour les mineurs, car ils sont souterrains ou, dans le cas de Luiswishi, potentiellement légèrement radioactifs, même si le risque n’a pas complètement découragé l’exploitation minière artisanale. Les mineurs des deux sites ont également accès à des terrils et à des gisements à faible teneur.

L’idée selon laquelle l’attrait des gisements de minerais pour les mineurs artisanaux influe sur les risques de violence autour des sites miniers se vérifie en partie lorsque l’on compare la fréquence de la violence autour des mines dans la région ; celle qui survient dans les mines contenant à la fois du cobalt et du cuivre, d’une part, à celle qui survient autour des mines où seul du cuivre est extrait, d’autre part. Même si quelques-unes de ces mines facilitent l’accès semi-formel des mineurs artisanaux à une partie du site, la position habituelle des sociétés minières industrielles est de refuser de coopérer avec les mineurs artisanaux.

Alors que les mineurs artisanaux s’intéressent à la fois au cuivre et au cobalt, le cobalt est plus attrayant, car il coûte plus cher au poids et parce que l’exploitation efficace du cuivre nécessite des opérations à grande échelle.  Conformément à la théorie selon laquelle le fait que l’accès aux gisements économiquement intéressants soit refusé aux mineurs artisanaux peut renforcer les tensions, des dizaines d’incidents violents ont eu lieu chaque année au cours de la dernière décennie dans un rayon de cinq kilomètres autour des mines contenant du cobalt et du cuivre, et beaucoup moins autour des mines contenant uniquement du cuivre (voir annexe E).

B.Marge de manipulation

Une autre différence essentielle entre TFM et les deux autres mines concerne le fait qu’à TFM, certains hommes d’affaires et responsables politiques locaux agissant par intérêt personnel semblent inciter les mineurs artisanaux à adopter un comportement qui pourrait conduire à la confrontation ou à la violence, et à faire des immigrés kasaïens, parmi les mineurs, des boucs émissaires, ce qui pourrait contribuer aux troubles. Les mineurs artisanaux sont particulièrement vulnérables aux manipulations des détenteurs du pouvoir qui ont des intérêts financiers et politiques à générer des conflits locaux. 

Comme indiqué précédemment, contrôler les activités minières artisanales locales peut générer d’énormes intérêts économiques qui, s’ils se mêlent à des rivalités politiques préexistantes, pourraient inciter à exploiter de manière perverse l’instabilité existant dans les sites industriels pour générer des profits et semer la discorde. Etant donné que les mineurs artisanaux ne bénéficient d’aucune protection juridique ni d’accès aux zones minières spécifiques promises par l’Etat, ils sont particulièrement vulnérables aux manipulations des détenteurs du pouvoir qui ont des intérêts financiers et politiques à générer des conflits locaux. Dans le cas de TFM, si les tensions sociales sous-jacentes et l’importance économique du site contribuent à fragiliser la situation, la possibilité pour les détenteurs du pouvoir d’en tirer personnellement profit en utilisant leur influence pour susciter l’instabilité semble avoir contribué à renforcer l’insécurité qui a provoqué une intervention militaire importante.

Les recherches de Crisis Group n’ont pas révélé d’exemples récents de manipulation par des responsables politiques locaux aux mines de Kipushi et Luiswishi. Les gisements de minerai de ces mines sont moins intéressants pour les mineurs artisanaux, et l’exploitation minière artisanale y est une activité à temps partiel, les retombées éventuelles de telles activités y seraient donc moins fructueuses.

VI.Possibilités de désescalade

Les tensions créées par l’empiètement des mineurs artisanaux sur les sites miniers industriels du Haut-Katanga et du Lualaba pourraient continuer à provoquer des violences et même menacer la stabilité de la province. Le président Tshisekedi, les acteurs du secteur privé et la société civile devraient prendre conscience qu’il est dans leur intérêt à tous de désamorcer ces tensions.

A.Une impulsion politique du président Tshisekedi

 Tshisekedi pourrait utiliser son influence politique pour amener le gouvernement à appliquer la loi au profit des deux millions de mineurs artisanaux du pays. 

Tshisekedi est tiraillé entre la nécessité, d’une part, de respecter son engagement politique de faire profiter davantage de citoyens congolais de l’exploitation minière, en particulier à l’approche des élections de 2023, et, d’autre part, celle de maintenir la coalition politique tendue sur laquelle son gouvernement est basé – alors même que ses partenaires de coalition ont entravé ses efforts visant à prendre le contrôle du secteur minier.  Ce surplace semble particulièrement inquiétant pour les provinces du Haut-Katanga et du Lualaba, où les manifestants imputent les mauvaises conditions de vie aux travailleurs migrants venus du Kasaï, ce qui alimente les tensions ethniques. Cependant, même si le ministre des Mines Willy Kitobo Samsoni, un allié de Kabila, est légalement responsable de l’application du code minier, Tshisekedi pourrait utiliser son influence politique pour amener le gouvernement à appliquer la loi au profit des deux millions de mineurs artisanaux du pays.

Tout d’abord, le gouvernement pourrait faire pression pour faire respecter la disposition du code selon laquelle les sociétés minières industrielles doivent contribuer à hauteur de 0,3 pour cent de leurs recettes aux fonds de développement local – une mesure qui pourrait contribuer à apaiser la frustration des communautés face au manque d’investissement actuel des entreprises dans le développement local. Même si ses alliés ne contrôlent pas le ministère des Mines, Tshisekedi pourrait insister pour que celui-ci enquête officiellement sur les entreprises qui ne satisfont pas à leurs obligations sociales. Une telle pression publique pourrait concourir à renforcer les attentes relatives à l’application de la loi par le ministère et pourrait également servir à pointer et à dénoncer les entreprises qui n’ont pas encore respecté leurs obligations.

Pour garantir de meilleurs moyens de subsistance aux mineurs artisanaux, le gouvernement devrait se concentrer sur sa promesse de mettre en place de nouvelles zones réservées à l’exploitation minière artisanale et de protéger ces zones contre la fermeture et l’obtention subséquente de licences commerciales.

Là encore, Tshisekedi a besoin de la coopération du ministre des Mines, mais il pourrait s’assurer le soutien des gouverneurs et des autorités provinciales à la tête des entités territoriales décentralisées. Le code minier prévoyant l’implication de tous ces acteurs dans la mise en place de zones artisanales, ils disposent d’un levier tout trouvé pour faire pression sur le ministère des Mines. Ils seront sans doute également motivés dans ce sens, puisque nombre d’entre eux (y compris, comme indiqué, les autorités provinciales du Lualaba) ont déjà promis aux mineurs artisanaux la création de davantage de zones de ce type.

Bien que l’espace disponible pour de nouvelles zones minières artisanales soit sans doute limité en raison de l’étendue des licences industrielles, le gouvernement pourrait les créer à partir de zones couvertes par un permis d’exploration de la Gécamines ou de l’Etat. Une société minière industrielle pourrait également renoncer volontairement à une partie de sa licence qui n’est pas rentable pour des opérations industrielles. La clé sera d’identifier les zones qui possèdent des gisements de minerai suffisants et d’augmenter l’investissement initial, peut-être en travaillant avec des consortiums du secteur privé, comme Sicomines, qui se sont engagés à contribuer à la mise en place de zones artisanales, et en réalisant la préparation nécessaire, notamment le débroussaillage et le terrassement, pour adapter la zone à l’exploitation minière.

Une fois mises en place, ces zones minières devraient être protégées contre toute conversion en permis d’exploitation industrielle. La fermeture d’une zone d’exploitation minière artisanale se fait en grande partie à la discrétion du ministère des Mines, et Tshisekedi pourrait à nouveau mobiliser les alliés politiques des mineurs artisanaux contre une telle action. Il est crucial que Tshisekedi et son gouvernement promeuvent parallèlement des instruments permettant aux mineurs artisanaux de travailler légalement en sous-traitance sur des terrains couverts par des licences industrielles. 

Enfin, même si l’établissement de nouvelles zones d’exploitation minière artisanale peut drainer les mineurs artisanaux et réduire leur empiètement sur les sites d’exploitation minière industrielle, il est peu probable qu’il y aura suffisamment de zones pour accueillir tous les (ou même la plupart des) mineurs artisanaux du Haut-Katanga et du Lualaba. Il est donc crucial que Tshisekedi et son gouvernement promeuvent parallèlement des instruments permettant aux mineurs artisanaux de travailler légalement en sous-traitance sur des terrains couverts par des licences industrielles. Ici, comme nous l’avons vu, la loi de 2018 ouvre une porte pour que les coopératives artisanales puissent agir en tant que sous-traitants, mais le récent décret instaurant l’Entreprise générale du cobalt pourrait leur couper l’herbe sous le pied en obligeant les coopératives à vendre à la nouvelle entité.

Bien qu’il soit difficile d’évaluer l’influence dont dispose Tshisekedi pour modifier le décret (qui a été publié par le Premier ministre), il pourrait demander au ministère des Mines de publier des directives pour atténuer les conséquences négatives du décret. Ces orientations pourraient, par exemple, préciser que le minerai vendu en sous-traitance à une société minière n’est pas assujetti aux dispositions du décret, ou prévoir que l’Entreprise générale du cobalt joue le rôle d’intermédiaire dans les accords de sous-traitance.

Pour commencer à desserrer la mainmise des responsables politiques et des hommes d’affaires ayant des accointances politiques sur le secteur minier artisanal – en particulier ceux qui possèdent des comptoirs d’achat des minerais ou des terrains adaptés à l’exploitation minière – le gouvernement Tshisekedi devrait veiller à ce que les partenaires impliqués dans ces accords de sous-traitance soient de véritables coopératives, qui agiront au nom des mineurs. L’organisme de surveillance Arecoms, qui n’a pas encore été créé, devrait permettre au gouvernement de s’assurer que ces coopératives appartiennent bien à des mineurs artisanaux et ne font pas partie de réseaux de figures politiques et d’hommes d’affaires qui pourraient exploiter les mineurs artisanaux.

L’Arecoms et l’Entreprise générale du cobalt n’ayant pas encore été mises sur pied, Tshisekedi devrait faire ce qui est en son pouvoir pour garantir qu’elles seront dirigées par des individus qui cherchent à promouvoir les intérêts des mineurs artisanaux et, plus largement, du peuple congolais. Pour ce faire, il devrait veiller à ce que leurs conseils d’administration comprennent des personnes ayant une expertise technique dans le secteur minier et qui s’engagent à défendre les mineurs artisanaux. D’après ce qu’il s’est passé lorsque Tshisekedi a tenté de nommer les nouveaux membres de la haute direction de la Gécamines, il semble inévitable qu’une fois encore, un bras de fer politique avec la coalition de Kabila se jouera pour réussir à composer ce conseil d’administration. Pourtant, il s’agit cette fois de nouveaux organismes avec moins d’intérêts en jeu et Tshisekedi pourrait avoir plus de succès. Il devrait également s’engager à soumettre ces entités à des audits réguliers et à rendre leurs décisions publiques.

B.Coopération entre les mineurs industriels et artisanaux

 Le secteur privé pourrait et devrait aider les autorités de la RDC à relever les défis relatifs à l’exploitation minière artisanale. 

Le secteur privé pourrait et devrait aider les autorités de la RDC à relever les défis relatifs à l’exploitation minière artisanale. Comme mentionné précédemment, pour les sociétés minières industrielles, l’empiètement des mineurs artisanaux peut être coûteux et difficile à empêcher. Les grandes exploitations à ciel ouvert, qui contiennent d’énormes gisements de minéraux, sont très intéressantes pour les mineurs artisanaux, incitent les détenteurs de pouvoir locaux au mercantilisme et présentent un risque accru. Comme le montre l’étude de cas de TFM, les forces de sécurité privées sont parfois insuffisantes pour assurer la surveillance des grandes mines à ciel ouvert, et lorsque l’armée est appelée en renfort, il arrive qu’elle continue à autoriser l’accès des mineurs artisanaux contre paiement. La présence non réglementée de mineurs artisanaux sur les sites industriels expose les entreprises de toute la chaîne d’approvisionnement à des risques de réputation. En 2019, par exemple, un accident a tué 43 mineurs artisanaux – dont des enfants – qui empiétaient sur un site industriel congolais.  Au nom des familles des victimes, une organisation de défense des droits humains a intenté un procès très médiatisé contre deux sociétés minières et plusieurs géants technologiques qui auraient utilisé des minéraux provenant de ces sites dans leur chaîne d’approvisionnement.

Pour régulariser les arrangements avec les mineurs artisanaux – et réduire ainsi le risque de violence et de terribles accidents comme celui de 2019 – les sociétés minières devraient s’appuyer sur le code minier de 2018 pour passer des contrats avec les coopératives de mineurs artisanaux afin d’exploiter des gisements qu’elles ne peuvent pas exploiter elles-mêmes de manière rentable, y compris les gisements à faible teneur et les terrils. Cet accès devrait être conditionné au respect par les mineurs artisanaux des règles de sécurité de base, des directives environnementales et des normes relatives au travail des enfants. En outre, les entreprises devraient s’assurer que les coopératives auxquelles elles sous-traitent agissent dans l’intérêt des mineurs artisanaux qui les composent et non dans celui d’un détenteur de pouvoir local.

Il existe des précédents pour de tels arrangements en RDC, cinq cas où une société minière industrielle a passé un contrat avec une coopérative minière artisanale pour travailler sur des terres qui lui ont été concédées sous licence dans le Haut-Katanga et le Lualaba. Un document de l’OCDE indique que de tels arrangements conduisent généralement à une surveillance accrue des conditions de travail, de la santé et de la sécurité des mineurs.  Offrent-ils de meilleurs moyens de subsistance aux mineurs artisanaux ? Tout dépend de la coopérative qui les représente. Certaines semblent véritablement représenter les intérêts des mineurs, tandis que d’autres pourraient n’être que de simples moyens pour leurs dirigeants et organisateurs de soutirer à leurs membres des paiements irréguliers.  La mine d’or de Mongbwalu, dans la province d’Ituri, a montré l’exemple. Elle permet aux coopératives de mineurs artisanaux partenaires d’accéder à des gisements à faible teneur sur son site, les surveille et achète leur produit à des prix plus élevés que les comptoirs.

La sous-traitance aux mineurs artisanaux entraînerait certains coûts pour les sociétés minières industrielles, car elles devraient faire preuve de diligence raisonnable pour s’assurer que les mineurs artisanaux respectent les normes minimales décrites ci-dessus. De tels arrangements pourraient également pousser les organismes de surveillance de l’industrie minière à être encore plus vigilants. Les sociétés minières devraient néanmoins comparer ces coûts aux risques qu’entraine le statuquo – en tenant compte des interruptions opérationnelles dues aux éruptions de violence, des pertes de production et des risques de réputation qui accompagnent l’empiètement permanent des mineurs artisanaux ou leur expulsion à grande échelle.

Pour ces mêmes raisons, les sociétés minières industrielles devraient contribuer à la mise en place de nouvelles zones minières artisanales. Ces entreprises pourraient renoncer à exploiter des zones pour lesquelles elles détiennent un permis mais qui ne sont pas rentables dans le cadre d’une exploitation commerciale, ou mettre des fonds à disposition pour le débroussaillage et le terrassement nécessaires dans les nouvelles zones d’exploitation artisanale.

C.Repenser les bonnes pratiques

Les organisations qui fixent et contrôlent les normes s’appliquant aux sociétés minières, comme l’OCDE (qui publie un document intitulé « Guide OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque ») devraient revoir leurs orientations en matière de coopération entre mineurs industriels et artisanaux. Actuellement, ces lignes directrices présentent principalement les inconvénients de la collaboration entre les sociétés minières et les mineurs artisanaux, se fondant avant tout sur la crainte légitime que l’exploitation minière artisanale puisse financer des groupes armés.  Bien que la réflexion des experts se soit depuis élargie pour reconnaître que l’exploitation minière artisanale participe aux moyens de subsistance, les groupes de surveillance, lorsqu’ils conseillent les investisseurs et les clients des sociétés minières industrielles, ont toujours tendance à souligner l’importance de scruter ou d’atténuer les risques de liens potentiels avec des groupes armés.

Ces mises en garde figurent dans les processus décisionnels des entreprises ainsi que dans l’évaluation des risques de réputation des sociétés minières. Elles pourraient dissuader les sociétés minières qui veulent afficher leur responsabilité sociale d’entreprise de s’engager dans une coopération formelle avec des mineurs artisanaux.  Ces inquiétudes devraient donc être contrebalancées par des orientations qui reconnaissent l’importance de l’exploitation minière artisanale pour l’emploi et le développement à l’échelle locale. Les lignes directrices devraient non seulement mettre l’accent sur la diligence raisonnable, mais aussi désigner la coopération entre les mineurs artisanaux et industriels comme une bonne pratique et comme une stratégie d’atténuation des conflits lorsqu’elle est menée conformément aux garanties décrites ci-dessus.

VII.Conclusion

Le président Félix Tshisekedi, les compagnies minières et la société civile devraient travailler ensemble pour apaiser les tensions entre les mineurs industriels et artisanaux dans le Lualaba et le Haut-Katanga. Les mesures qu’ils pourraient prendre consistent notamment à promouvoir la création de nouvelles zones artisanales avec des travaux de terrassement fonctionnels sur des terrains rentables, et à veiller à ce que les mineurs aient accès à au moins quelques gisements à faible rendement sur des terres appartenant aux sociétés minières. Ces mesures comprennent également un respect plus grand par le secteur privé des nouvelles dispositions du code minier en matière de contribution aux recettes, afin que les mineurs artisanaux et leurs familles et voisins puissent bénéficier davantage des revenus de l’exploitation minière industrielle. Il pourrait également être judicieux de lever les obstacles qui empêchent les sociétés minières de conclure des contrats susceptibles de fournir aux mineurs artisanaux un travail et un prix équitable pour le fruit de ce travail. En l’absence de telles mesures, il est presque certain que les tensions persisteront, au détriment des mineurs, du programme de Tshisekedi et de la fragile stabilité dans le cœur minier de la RDC.

Lubumbashi/Nairobi/New York/Bruxelles, 30 juin 2020

angelo Mobateli

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