Sur le plan économique, le bilan n’est pas reluisant. Les dirigeants qui se sont succédé à la tête de l’État congolais depuis juin 1960 ont échoué à mettre en place les conditions d’un développement dont les prémices étaient pourtant perceptibles à l’indépendance.
« Le bilan est globalement négatif », déclarait le Premier ministre Crispin Mulumba Lukoji dans son discours d’ouverture de la conférence nationale souveraine en 1991.
Ce brillant économiste parlait de la situation économique du pays depuis 1960. Il suffisait d’avoir une dose de lucidité et un soupçon de bon sens pour établir le même constat. La même conclusion pourrait être raisonnablement tirée en cette période où la RD Congo indépendante souffle ses 60 bougies.
Le pays a connu un net recul. Et les conditions de vie se sont considérablement dégradées au cours des dernières années
Un passage au crible des principaux indicateurs de la RD Congo depuis le départ des Belges jusqu’à ce jour permet de conforter ce point de vue. Le pays a connu un net recul. Et les conditions de vie se sont considérablement dégradées au cours des dernières années.
La RDC régresse, la Corée du Sud progresse
En 1962, la RDC et la Corée du Sud étaient à touche-touche, dans la même cour, sur le plan du développement, avec des Produits intérieurs bruts (PIB) comparables (2 milliards de dollars) et à peu près le même nombre d’habitants.
La RDC ne soutient plus la comparaison avec le dragon asiatique qui a fait des bonds spectaculaires en quelques décennies.
En 2018, le PIB de la Corée du Sud s’affichait à 1 619 milliards de dollars, alors que celui de la RDC se situait à 47,23 milliards de dollars, selon les données de la Banque mondiale. La Corée du Sud comptait une population de près de 51 millions d’habitants et celle de la RDC était estimée à 84 millions de personnes. La RDC ne soutient plus la comparaison avec le dragon asiatique qui a fait des bonds spectaculaires en quelques décennies.
C’est une ritournelle dans les salons huppés de Kinshasa : la RDC a un problème de leadership. Cette assertion se vérifie dès qu’on se livre à une lecture froide de la lente et soutenue décadence de ce pays qui a pourtant des atouts naturels exceptionnels pour jouer un rôle de locomotive économique de la région. La situation semble empirer au fil des années, alors que la RDC en est à son cinquième président.
Tissu économique enviable
Joseph Kasa-Vubu, le premier président du Congo indépendant, n’avait pas entrepris de réformes majeures. Il avait hérité de finances saines qu’il avait su gérer avec parcimonie, dans un contexte difficile. Durant sa présidence, entre 1960 et 1965, le pays connut des rébellions, des sécessions et de longues périodes d’instabilité qui avaient mis à mal ses institutions. Le premier président fut un homme simple, profondément intègre et doté de solides convictions, qui ne confondait pas les caisses de l’Etat avec sa cassette personnelle. Il rendait au Trésor public les fonds qu’il n’avait pas dépensés lors de séjours à l’étranger. Cette pratique vertueuse est tombée en désuétude après lui.
En 1965, la situation n’était pas particulièrement enviable, mais le tissu économique était de bonne qualité et les infrastructures héritées de la colonisation étaient nettement au-dessus de celles qu’on trouvait dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne.
La zaïrianisation, une aberration économique
En 32 ans de présidence, Mobutu Sese Seko avait forgé l’unité et la fierté nationales. Si dès l’enfance, on rabâchait aux Congolais que leur grand pays était potentiellement l’un des plus riches de la planète en termes de ressources naturelles, il n’en reste pas moins que son bilan économique a été désastreux.
La corruption avait pris des proportions inquiétantes sous sa présidence. Après quelques années fastes, l’économie s’était écroulée. Le fond avait été touché dans les années 90. Le chef de l’Etat avait laissé le pays aller à la dérive, à la suite des revendications de la société civile et des partis politiques pour l’enracinement de la démocratie et la mise en place d’un système plus redistributif : les écarts entre les riches et les pauvres s’étaient ostensiblement creusés.
L’économie nationale, prometteuse, avait amorcé sa descente aux enfers à partir de la zaïrianisation.
Les travaux d’infrastructures de grande envergure n’effacèrent pas les conséquences de l’une de ses pires décisions que fut la zaïrianisation. En clair, des sociétés privées appartenant à des groupes étrangers ont été confisquées, sans la moindre compensation, pour être confiées à des Congolais qui n’avaient pas forcément un savoir-faire dans la gestion d’entreprises. Les bénéficiaires de cette mesure incompréhensible juridiquement, économiquement aberrante et politiquement malhabile étaient, pour la plupart, issus de milieux proches du pouvoir. Mal gérées, systématiquement pillées impunément par leurs dirigeants, les entreprises publiques – étatisées ou nouvellement créées – s’étaient transformées en gouffres financiers.
L’économie nationale, prometteuse, avait amorcé sa descente aux enfers à partir de la zaïrianisation qui avait durablement refroidi l’enthousiasme des investisseurs potentiels. Qui pouvait miser sur ce pays atypique où, du jour au lendemain, par le fait du prince, un entrepreneur pouvait perdre ses investissements ? Le départ de plusieurs commerçants étrangers avait entraîné des dysfonctionnements du système d’approvisionnement du pays.
Coopération Sud-Sud
Le successeur du maréchal Mobutu n’avait rien d’un chef charismatique. Laurent-Désiré Kabila n’avait pas non plus une certaine idée de la grandeur de la RDC. Sa rhétorique antioccidentale, au motif que l’Occident avait aidé Mobutu à rester longtemps au pouvoir et à ruiner la RDC, ne rassurait pas.
L’homme avait choisi de privilégier la coopération Sud-Sud, tablant sur les organisations régionales et l’effort des Congolais eux-mêmes pour faire décoller le pays qui traversait une période difficile lorsqu’il en prenait les rênes, le 17 mars 1997.
Mais toutes ses incantations s’étaient fracassées contre le mur de la réalité. Les nouveaux dirigeants s’étaient enrichis aussi vite que leur cote de popularité déclinait. Et les pratiques autrefois tant décriées (corruption, détournements de fonds publics, etc.) étaient reparties de plus belle après une pause.
Laurent-Désiré Kabila avait promis de ‘‘chasser le chômage’’
Après sa mort, en janvier 2001, Laurent-Désiré Kabila avait laissé un gouvernement faible, qui n’avait pas prise sur les richesses des régions contrôlées par des mouvements rebelles soutenus par le Rwanda ou l’Ouganda. Les recettes de l’Etat en étaient ainsi réduites à la portion congrue. Laurent-Désiré Kabila avait certes promis de « chasser le chômage » lors de sa prestation de serment. Mais sous sa présidence, les Congolais avaient vu leurs conditions de vie, déjà difficiles, se détériorer à une vitesse vertigineuse. Et la liste des demandeurs d’emplois s’était rapidement allongée.
Corruption, détournements de fonds, impunité
Après 18 ans de présence à la tête de l’Etat, Joseph Kabila a laissé à son successeur un « cadeau empoisonné » : des dizaines d’entreprises publiques en quasi-faillite, des personnels impayés pour certains depuis des années, la Gécamines, le géant minier congolais, considérablement affaiblie par des partenariats mal conçus qui ne profitaient pas au Trésor public, la corruption qui gangrène toutes les couches de la société, etc.
La « gouvernance » de Joseph Kabila a été éclaboussée par une série de scandales financiers qui n’ont jamais donné lieu à un début d’enquête et auxquels sont associés des proches de l’ex-président, des « parrains » de réseaux internationaux sous le coup de sanctions de l’administration américaine pour des faits de corruption ainsi que des dirigeants de son parti, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD).
Le chômage de la grande majorité des jeunes diplômés constitue un vrai sujet de préoccupation.
Une poignée de personnes qui ont des liens avec les cercles politiques se sont illicitement enrichies, mais la situation générale est restée inquiétante. Le chômage de la grande majorité des jeunes diplômés constitue un vrai sujet de préoccupation. Ceux-ci trouvent leur salut en se rabattant sur des activités informelles pour joindre les deux bouts, autant que faire se peut, dans un environnement où les services publics sont faibles et les programmes sociaux en faveur des populations déshéritées quasiment inexistants.
Programme illisible
Celui qui a pris les commandes du pays depuis janvier 2019, à l’issue d’une élection présidentielle controversée, a notamment promis de faire émerger une classe de millionnaires congolais qui se lanceraient localement dans l’entrepreneuriat.
Le discours alléchant est bien rodé et servi sous diverses déclinaisons. Lors d’un séjour à Berlin, le président Félix Tshisekedi a même indiqué qu’il ferait de la RDC « l’Allemagne de l’Afrique », c’est-à-dire une grande puissance économique de l’Afrique. Pari osé, s’il en est.
Pour y arriver, un travail de longue haleine serait nécessaire. Cependant, pour l’heure, le pays ne semble pas en prendre le chemin. Et le public trouve illisible le programme économique du nouveau président, dans un contexte rendu davantage compliqué par la pandémie liée au coronavirus qui affecte la majorité des pays du monde, y compris la RDC. Cette crise sanitaire a asséné un coup dur aux économies les plus solides. Celle de la RDC pourrait sortir laminée de cette dure épreuve.
La patte de Félix Tshisekedi n’est pas encore perceptible sur le champ économique
La patte de Félix Tshisekedi n’est pas encore perceptible sur le champ économique. Les Congolais notent toutefois que la justice est sortie de sa longue léthargie pour s’intéresser aux détournements de fonds publics. C’est ainsi que le tout-puissant directeur de cabinet du président Tshisekedi, Vital Kamerhe, a été mis en prison à l’issue d’un retentissant procès suivi par des millions de Congolais en direct à la télévision nationale.
Mais la corruption n’a pas disparu. Et les chômeurs ne voient pas l’amélioration de leur sort se profiler à l’horizon. La recherche d’un emploi qui correspond à ses qualifications est une bataille presque perdue d’avance pour de nombreux diplômés d’université.
Syndrome haïtien
La République démocratique du Congo, le plus grand pays d’Afrique subsaharienne, risque de suivre le chemin sans issue d’Haïti, communément considéré comme la première « république noire » après la proclamation de son indépendance en… 1804. Haïti, anciennement appelé Saint-Domingue, avait dû livrer des combats féroces contre les troupes coloniales. C’est au terme de quelques revers militaires essuyées par la France que l’indépendance fut accordée, en contrepartie d’un dédommagement que l’île caribéenne devait payer à l’ex-puissance coloniale jusqu’au milieu du… XXème siècle. Cette contrainte porta préjudice aux programmes de développement que les différents gouvernements haïtiens mirent en place. Malgré tout, le constat est amer : plus de deux siècles après sa « libération », le pays patauge dans les tréfonds des classements internationaux sur le développement. L’île reste engluée dans la violence et en proie à un déchaînement cyclique des éléments, comme le puissant séisme qui la dévasta en 2010.
La République démocratique du Congo peine à sortir du top 10 des pays les plus pauvres de la planète
La République démocratique du Congo, qui n’a pas le même cheminement qu’Haïti, peine à sortir du top 10 des pays les plus pauvres de la planète, selon les critères de la Banque mondiale. Ceux qui voient le verre à moitié plein affirment que l’Histoire se juge sur le temps long et qu’une période de 60 ans dans la vie d’une nation n’est pas grand-chose ; de leur côté, ceux qui voient le verre à moitié vide pointent « un problème de leadership » et l’absence de visionnaires dans les hautes sphères du pouvoir depuis plusieurs décennies.
Par Arthur MALU-MALU (Makanisi.org)